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856. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Il a de l’esprit certainement, il a de la finesse, il n’a nul génie ; et s’il voit de loin, je l’ai dit, c’est par une sorte d’infirmité, c’est qu’il est presbyte. […] La nature l’avait fait singulièrement impropre entre tous à sentir une époque brillante où se déploie le génie des beaux-arts. […] À force de chercher son homme vertueux, l’abbé ne comprend rien au grand homme, à l’homme de génie, quand il le rencontre. Dans sa manie d’éducabilité, il croyait qu’on arrivait à acquérir l’équivalent du génie, vers l’âge de cinquante ans, à force d’avoir assisté à des conférences.

857. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Or, l’homme habile, à expédients, le génie à métamorphoses, le Mercure politique, financier ou galant, l’aventurier en un mot, ne dit jamais non aux choses ; il s’y accommode, il les prend de biais, il a l’air parfois de les dominer, et elles le portent parce qu’il s’y livre et qu’il les suit ; elles le mènent où elles peuvent ; pourvu qu’il s’en tire et qu’il en tire parti, que lui importe le but ? […] ne crains rien, mon ami, nous sommes sous la garde de nos génies ! — Oui, nos génies nous gardent, ajouta-t-elle ; tiens, vois le petit démon. […] C’est certainement ton génie et le mien. » Et elle lui montrait un petit serpent qui passait à côté sur le gazon.

858. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Fortoul a dû éprouver que tout n’est pas vain dans ces efforts pittoresques qu’il a dénoncés quelquefois comme arriérés, et qu’il y a un art propre, constamment digne du plus sérieux souci, dans cette reproduction précise et splendide de la nature, dans cette transparence limpide de couleur, dans ces coups de pinceau du génie, que toutes les théories du monde ne donnent pas sans doute, mais qu’elles doivent reconnaître, saluer et cultiver. […] Il avait vu beaucoup, et peu lu ; il avait eu déjà de grandes sensations, mais il était complètement étranger à l’art de les exprimer, il avait erré comme un pauvre enfant aux pieds de ces Alpes où il avait reçu le jour ; et l’abondance de sentiments qu’il avait éprouvés au milieu des misères d’une vie incertaine n’avait trouvé d’autre forme pour se répandre que la musique, cette langue de l’air, du vent et de l’orage, que le génie a ravie à Dieu, et que ce jeune homme avait apprise tout seul en écoutant les échos de ses montagnes. […] Cette fois, il est sombre, amaigri ; il souffre de son génie déjà, et de ses fautes ; il déplore son innocence perdue, il déplore surtout son inaction forcée et son manque de carrière. […] » Cette fois, le génie a enfin parlé net chez Rousseau, et il éclate par tous les signes évidents, soit dans l’éloquence de ses discours, soit dans les désirs orageux de son âme.

859. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Jamais, dans nos crises révolutionnaires, jamais aucun homme n’aurait parlé cette langue dont j’ai cité quelques mots remarquables ; mais dans tout ce qui nous est parvenu des rapports qui ont existé par écrit entre les magistrats d’Amérique et les citoyens, l’on retrouve ce style vrai, noble et pur dont la conscience de l’honnête homme est le génie inspirateur. […] Tous les beaux discours, tous les mots célèbres des héros de l’antiquité, sont les modèles des grandes qualités du style : ce sont ces expressions inspirées par le génie ou la vertu que le talent s’efforce de recueillir ou d’imiter. […] Il n’existe pas un auteur de quelque talent qui n’ait fait admettre une tournure ou une expression nouvelle ; et le temps a consacré les hardiesses du génie. […] Dans les sciences, le hasard a fait faire de grandes découvertes ; mais l’on n’a accordé du génie qu’à ceux qui sont arrivés à des résultats nouveaux par une suite de principes et de conséquences.

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