Si, après avoir mis en lumière l’universalité et la fatalité du mensonge bovaryque, on s’est gardé ici de formuler une évaluation pessimiste de la vie et de ses conditions, il faut reconnaître que cette même constatation de fait serait de nature à motiver un autre jugement chez l’immense foule des hommes qui vivent et assurent par leur confiance et leur ardeur les progrès de la vie.
La foule va se presser, le bruit sera confus ; la place, les rues suffiront à peine à la multitude. […] Les poëtes pourraient trouver dans les sciences une foule de pensées à leur usage, si elles communiquaient entre elles par la philosophie de l’univers, et si cette philosophie de l’univers, au lieu d’être abstraite, était animée par l’inépuisable source du sentiment. […] Suffit-il d’une seule sensation pour réveiller en eux une foule de souvenirs ? […] « Enfin, quand elle arrive, la grande lutte, quand il faut à son tour se présenter au combat de la mort, sans doute l’affaiblissement de nos facultés, la perte de nos espérances, cette vie si forte qui s’obscurcit, cette foule de sentiments et d’idées qui habitaient dans notre sein, et que les ténèbres de la tombe enveloppent, ces intérêts, ces affections, cette existence qui se change en fantôme avant de s’évanouir, tout cela fait mal, et l’homme vulgaire paraît, quand il expire, avoir moins à mourir !
Aujourd’hui ce poëme est rentré dans la foule de ces œuvres de circonstance qu’un siècle emporte avec lui comme un monument de ses engouements plus que de ses immortalités. […] C’est le brillant de la pièce fausse égal à la splendeur du diamant, auquel la foule charmée se trompe, et que les lapidaires du style peuvent seuls discerner. […] Voltaire, en arrivant, effaçait de son nom toute cette foule ; on le vit arriver avec envie. […] Il ne voulait affranchir que l’esprit humain ; il jugeait les peuples en masse incapables de la liberté par leurs passions et par leurs faiblesses ; tribun de la raison, il n’était pas tribun de la foule.
Pour être naturel, il faut se rendre libre de toutes les impressions, de tous les jugements qui nous viennent du dehors, et qui substituent une fausse nature à la véritable ; il faut arracher cette foule d’idées parasites qui ont fait ombre sur notre propre jugement, et se faire, à force de réflexion, une sorte de naïveté. […] On dit d’un homme qu’il est à la mode, quand sa vanité ou sa légèreté l’a rendu l’esclave de toutes les opinions passagères qui ont aujourd’hui la faveur de la foule, pour la perdre demain. […] La foule la plus entraînée éprouve un certain respect pour celui qui se tient à l’écart ; elle sent involontairement qu’elle agit plus par passion que par raison, et qu’en ne la suivant pas on fait preuve de raison. De quel homme, au contraire, dit-on qu’il est naturel, sinon de celui qui ne suit l’opinion commune que jusqu’où elle cesse d’être raisonnable, qui au-delà résiste, et qui, loin de tourner son rôle à son avantage sur les autres et de s’enticher même de sa raison, ne prend pas moins garde de se trop distinguer de la foule que de l’imiter.