Plus que personne, nous pensons que la science ne peut exister sans ce qu’on appelle le technique ; moins que personne nous avons de sympathie pour cette science de salon énervée dans sa forme, visant à être intéressante, science de revues demi-scientifiques, demi-mondaines. […] Il est clair que l’esprit humain, enchanté de la découverte de ces casiers réguliers de la pensée que révèle la dialectique, y attacha d’abord trop d’importance et crut naïvement que toute pensée pouvait avec avantage se mouler dans ces formes. […] Comparez sa Rhétorique aux rhétoriques modernes qui n’en sont pourtant au fond que la reproduction affaiblie, vous aurez, d’une part, un ouvrage original, quoique d’une forme bizarre, une analyse vraie, quoique un peu vaine, d’une des faces de l’esprit humain ; de l’autre, des livres profondément insignifiants, et parfaitement inutiles en dehors du collège. […] Nous la rappelons à sa grande et belle forme, que l’esprit français sait du reste si bien comprendre. […] Ils savent que cette forme du travail intellectuel est souvent nécessaire, toujours excusable.
Nulle lumière, en effet, ne s’était coulée autour de lui pour l’embrasser dans la beauté entière de sa forme étrange, et ne le simplifiait, en nous l’éclairant dans son irréductible unité et malgré ces incohérences de surface, cet homme, cet être plutôt que cet homme, qui fut encore autre chose qu’un grand géomètre, un grand sceptique, un grand dévot ! […] « Rien de certain, rien qui se démontre, la philosophie radicalement impuissante, la raison, sotte, Dieu donc et Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ », tel est le fond : mais la forme et plus que la forme, — car, au point de vue extérieur, cette forme, c’est Montaigne, Montaigne, c’est l’écorce du style de Pascal, — mais l’âme inouïe qui circule dans tout cela, qui passe à travers ce fond de si peu d’invention et cette forme de tant de mémoire, voilà le Pascal en propre, voilà l’originalité qu’on n’avait pas vue et qu’on ne reverra peut-être jamais !
Fané par tant d’imaginations plus ou moins puissantes ou vulgaires, qui y touchent comme si, de talent, elles en avaient le droit, ce ne sera pas trop que du génie, — et beaucoup de génie, — pour raviver cette forme déjà usée et flétrie, sur laquelle des talents sans mâle invention et sans fécondité viennent passer leurs petites ardeurs. Le roman, — nous l’avons dit souvent, — est la forme fatale et dernière des vieilles littératures qui finissent, — ainsi que les hommes, — par des contes, comme elles avaient commencé. Rien donc d’étonnant à cette précipitation des esprits vers le roman, cette forme actuellement populaire de la pensée littéraire du dix-neuvième siècle, mais rien d’étonnant non plus à son avilissement par sa popularité… Il en arrivera du roman (et dans un avenir très-prochain) ce qui est arrivé de la tragédie. […] Et nous ne pouvons retenir ces graves et tristes paroles en présence de livres que, chaque jour, le hasard de la publicité nous apporte… Tous romans, ou à peu près, qui font trembler de l’inanité de leur fond et de l’imitation facile de leur forme ! […] Nous a-t-il montré une maladie à formes nouvelles, une affection ou une combinaison inattendue d’affections, dans ce terrible principe morbide omnipotent et menaçant que nous portons dans nos poitrines et que nous appelons notre cœur ?
Lyon aussi avait ses rhéteurs, et peut-être, avec un peu de bonne volonté, eût-on déjà pressenti en eux quelque chose de ces formes rondes, un peu molles, un peu émoussées, élégantes, qu’on reconnaît dans les périodes de tel écrivain lyonnais moderne (Ballanche, Camille Jordan, etc.). […] Rappelez-vous seulement les formes du latin chez Plaute, chez Térence, le latin de la conversation. […] La comparaison des formes, les vues d’ensemble et de suite, l’idée de lois grammaticales nécessaires, le fil et la clef des étymologies précises, le sens naturel des permutations et altérations dans les mots, les analogies cachées, en un mot l’ organisation de leur sujet d’étude, ils ne s’en doutent pas. […] Considérant par exemple un mot commun au français, au provençal, à l’italien, à l’espagnol, il s’attache à rendre compte des formes qu’il a prises, à suivre pas à pas chaque lettre qui entre dans la composition. […] « En mettant rigoureusement sur le terrain de la mutation des lettres et des formes l’étymologie des langues romanes, M.