C’est qu’il appartient, en effet, à cette race d’esprits qui ne s’enfoncent dans quoi que ce soit et restent à fleur d’eau de tout, — ce qui ne veut pas dire qu’ils ne savent pas y plonger.
Les Spartiates n’avaient, comme Léonidas aux Thermopyles, qu’un moment pour sacrifier aux Muses, en se couronnant de fleurs, avant de mourir.
C’est bien Alfred de Vigny dans un salon, à vingt-cinq ans ; le poète s’adresse en idée aux belles danseuses : Dansez, et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre, Et que vos pas moelleux, délices de l’amant, Sur le chêne poli glissent légèrement ; Dansez, car dès demain vos mères exigeantes A vos jeunes travaux vous diront négligentes ; L’aiguille détestée aura fui de vos doigts, Ou, de la mélodie interrompant les lois, Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire, Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ; Demain, sous l’humble habit du jour laborieux, Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… Que ceux qui tiennent à étudier les nuances poétiques et les progressions fugitives du goût relisent tout le morceau ; ils y verront, dans le plus gracieux exemple, cette poésie choisie, élégante, mais de transition, qui cherchait à s’insinuer dans la vie, dans les sentiments et les mœurs du jour, en évitant toutefois le mot propre : poésie des Soumet, des Pichald, des Guiraud, de ceux qui louvoyaient encore. […] Je rappelle, pour ceux qui le savent moins, ce que, tous, nous savions par cœur autrefois : Ainsi dans les forêts de la Louisiane, Bercé sous les bambous et la longue liane, Ayant rompu l’œuf d’or par le soleil mûri, Sort de son nid de fleurs l’éclatant colibri ; Une verte émeraude a couronné sa tête, Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête, La cuirasse d’azur garnit son jeune cœur ; Pour les luttes de l’air l’oiseau part en vainqueur… Il promène en des lieux voisins de la lumière Ses plumes de corail qui craignent la poussière ; Sous son abri sauvage étonnant le ramier, Le hardi voyageur visite le palmier. […] Tant qu’il avait été dans la garde royale, c’est-à-dire jusqu’en 1823, il avait vécu à Paris et dans les cercles littéraires, où il rencontrait habituellement Soumet, Guiraud, les frères Deschamps et cette charmante et merveilleuse muse, Delphine Gay, alors dans la fleur naissante de son talent poétique et dans le premier épanouissement de sa beauté.
Un hasard m’a fait connaître familièrement, à la fleur de mes jours, les trois frères de Xavier de Maistre, l’auteur du Lépreux et du Voyage autour de ma chambre, et, plus tard, Joseph de Maistre lui-même. […] Des fenêtres du salon le regard descend d’abord sur un petit parterre entouré d’un mur à hauteur d’appui, planté de légumes domestiques et d’arbres fruitiers, plus animé, selon moi, que des pelouses monotones et des fleurs stériles ; de là le regard s’étend sur une prairie en pente bordée d’immenses noyers, ces oliviers gigantesques du Nord, qui distillent une huile moins limpide, mais plus parfumée que celle de l’Attique. […] La belle Maria-Antonia recevait son monde avec sa robe blanche et ses cheveux noirs, sans diamants, sans perles, sans fleurs ; elle sait fort bien qu’elle n’a pas besoin de tout cela.