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163. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Sans doute ma pensée est susceptible d’erreur ; mais l’erreur ne lui est pas essentielle, elle tient à de certaines conditions que l’expérience nous apprend à reconnaître, et l’exercice à éviter. […] Combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité, n’est plus dans nos mœurs, et l’on ne serait guère accueilli à l’Académie des sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère ; mais il n’en a pas toujours été ainsi. […] Pendant longtemps, on a pu interdire à l’homme de sonder les mystères de la nature, comme surpassant son intelligence et sa condition ; mais depuis que l’on a vu l’expérience et le calcul résoudre les questions les plus compliquées et les plus redoutables, cette superstition a disparu, et il a bien fallu reconnaître que l’homme a le droit de chercher à tout pénétrer, et que sa science n’a d’autres limites que celles de son intelligence même. […] On affirme tous les jours que les hommes s’éclairent par l’expérience. […] Je ne me refuse pas sans doute de me soumettre à l’autorité du genre humain, car cela même est un des principes de ma raison ; mais encore faut-il que je m’assure que telle ou telle vérité a réellement pour garant la voix unanime des hommes, et cette voix elle-même, pour me subjuguer, a besoin d’être d’accord avec ma conscience, car l’expérience m’apprend qu’elle s’est plus d’une fois égarée.

164. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

A peine arrivé à Bourg, il mit en état le cabinet de physique, le laboratoire de chimie, et commença du mieux qu’il put, avec des instruments incomplets, ses expériences. […] Il s’en exprime avec charme : « Ma chimie, écrit-il, a commencé aujourd’hui : de superbes expériences ont inspiré une espèce d’enthousiasme. […] C’est précisément le sujet que je traitais dans l’ouvrage sur la physique que j’ai commencé d’imprimer ; mais il faut le perfectionner, et confirmer ma théorie par de nouvelles expériences. » Cet ouvrage, interrompu comme le précédent, n’a jamais été achevé. […] Dès 1809, au sortir de la séance de l’Institut du lundi 27 février (j’ai sous les yeux sa note écrite et développée), il n’hésitait pas, d’après les expériences rapportées par MM.  […] Il établissait entre les propriétés des corps une multitude de rapprochements qu’on n’avait point faits ; il expliquait des phénomènes encore sans lien, et la plupart de ces rapprochements et de ces explications ont été vérifiés depuis par les expériences.

165. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Cette seconde fois, en 1757, Franklin y paraissait comme un homme des plus distingués de son pays, et déjà connu en Europe par ses expériences sur l’électricité, qui dataient de dix ans. […] Franklin n’est pas géomètre, il est purement physicien ; ses travaux en ce genre ont un caractère de simplicité, d’analyse fine et curieuse, d’expérience facile et décisive, de raisonnement clair et à la portée de tous, de démonstration lumineuse, graduelle et convaincante : il va aussi loin qu’on le peut avec l’instrument du langage vulgaire et sans l’emploi du calcul et des formules. […] Il n’a jamais fait, en aucun temps, la traversée de l’Atlantique sans se livrer à des expériences sur la température de l’eau marine ou sur la vitesse de marche des vaisseaux, expériences qui devaient servir après lui aux futurs navigateurs.

166. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

De la sorte l’humanité historique tout entière parvient à composer un seul et même être, un être dont la jeunesse est illimitée puisqu’elle se retrempe dans la jeunesse individuelle de chaque génération naissante, un être aussi dont la mémoire et l’expérience vont s’enrichissant sans cesse. […] Celui-ci, qui ne possède encore aucun plan organique, aura tout avantage à se concevoir autre qu’il n’est, à mettre à profit les expériences des autres groupes déjà constitués, car il abrège, par cet expédient, la lente période de formation par laquelle ces groupes ont dû passer avant de parvenir à l’état organique, il s’épargne mille vains essais ; du premier coup, il use d’un système qui déjà a prouvé son efficacité à faire vivre des hommes en société. […] Il l’est davantage si l’on considère par contraste l’extraordinaire puissance d’assimilation dont témoigne le Japon et si l’on remarque que les parties connues de l’histoire de ce petit peuple, nous le montrent de tout temps instable et changeant, présentant des phases variées et s’acheminant vers les temps modernes à la façon de nos barbares d’occident par la pratique d’institutions féodales qui impliquent par la multiplicité des foyers d’influence et d’initiative possible, une multiplicité aussi d’expériences diverses. […] Au contraire, les Anglo-Saxons, les Germains, les Latins et les Celtes, qui ont fondé dans ces contrées leur empire et qui y instituent des expériences nouvelles, appartiennent tous à des groupes européens d’une civilisation avancée, mais qui n’ont cessé de se transformer constamment.

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