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647. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Pendant qu’il était encore en Italie comme inspecteur en chef aux revues, dans l’hiver de 1800, une femme, auteur de petits vers et d’un Éloge plus sérieux de Montaigne, Mme de Bourdic-Viot, qui s’appelait sa compatriote, lui écrivait ces mots affectueux et tout littéraires, qui, après les titres officiels et sévères que nous venons d’énumérer, peignent bien la double existence de Daru à cette époque : Quand nous serez-vous rendu ? […] Son existence se transforme, sa valeur se multiplie et se décuple dans une proportion jusque-là imprévue.

648. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

écrivait-il à Thieriot en 1739 ; j’en suis très mortifié : il est dur d’être toujours un homme public. » Ce fut toute sa vie sa prétention d’avoir l’existence d’un écrivain gentilhomme, qui vit de son bien, s’amuse, joue la tragédie en société, s’égaie avec ses amis et se moque du monde : « Je suis bien fâché, écrivait-il de Ferney à d’Argental (1764), qu’on ait imprimé Ce qui plaît aux dames et L’Éducation des filles ; c’est faner de petites fleurs qui ne sont agréables que quand on ne les vend pas au marché. » Je me suis amusé moi-même à recueillir dans la correspondance nouvellement publiée bon nombre de préceptes de vie qui se rapportent à ce régime de gaieté, auquel il dérogea souvent, mais sur lequel aussi il revient trop habituellement pour que ce ne soit pas celui qu’il préfère : Ce monde est une guerre ; celui qui rit aux dépens des autres est victorieux. […] Ce diable d’homme (c’est le nom dont on le nomme involontairement) ne pouvait donc, dans aucun cas, malgré ses velléités de retraite et de riante sagesse, se confiner à l’existence brillante et douce d’un Atticus ou même d’un Horace, et se contenter pour la devise de sa vie de ce mot qu’il écrivait galamment au maréchal de Richelieu : « Je me borne à vous amuser. » Il avait commencé, nous l’avons vu, par dire à Mme de Bernières : « La grande affaire et la seule, c’est de vivre heureux » ; et, bon gré mal gré, il était entraîné à justifier chaque jour à l’avance le mot de Beaumarchais : « Ma vie est un combat. » La correspondance inédite donne peu de détails nouveaux sur la sortie de Voltaire hors du royaume en 1726 et sur cette retraite en Angleterre, qui fut si décisive pour son éducation intellectuelle.

649. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Ce fut lui qui chercha l’occasion de m’en parler en me faisant remarquer, combien pouvait être douce et heureuse l’existence d’un curé qui sait ménager les convenances. […] Je ne saurais dire quel effet cette idée lugubre produisit sur mon cœur : une sueur froide me couvrit le front ; je me hâtai de rentrer dans mon appartement et me jetai tout habillé sur mon lit : loin d’être disposé au sommeil, les réflexions les plus accablantes se succédaient en moi jusqu’à m’effrayer, et je ne fus délivré de mon angoisse que lorsque mon domestique entra dans ma chambre. » Et désormais, chaque fois que, lui montrant sa charge commode en perspective, dom Effinger essayait de le ramener à l’idée de vie claustrale et de vœux, « l’image de ces moines, qui avaient consumé leur inutile existence à user avec leurs sandales et les manches de leurs robes les pierres de ce cloître, se dressait devant son imagination effrayée. » Sa passion pour la jeune personne qu’il espérait toujours revoir ne laissait pas d’être aussi un préservatif.

650. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Heureuse autant qu’on pouvait l’être après une première existence très éprouvée, elle savait au fond ce que vaut la plus idéale des félicités humaines. […] Je ne suis pas de ceux qui veulent à tout prix des mensonges, ni qu’on leur crée des existences fabuleuses et plus belles qu’elles ne l’ont été de leur temps ; mais quand je rencontre quelque part, dans un passé encore voisin de nous et si aisé à vérifier, de ces vies paisibles, ornées, décorées de grâce et de courtoisie, et jalouses d’en répandre le reflet autour d’elles ; quand, au milieu de cet envahissement comme forcené d’ambition, d’activité et d’industrie qui nous pousse et nous déborde en tout genre, je découvre, en me retournant, une île enviable et fortunée, une oasis d’art, de littérature, d’affection et de poésie, je demande qu’on n’en diminue pas le tableau à mes yeux sans de bonnes et fortes raisons, et que ceux qui sont dignes d’apprécier ce cercle heureux et de le peindre nous le rendent, ainsi que la noble figure qui y préside, avec tout le charme qui s’y attachait réellement, et dans un miroir non terni, dans une glace pure, unie et fidèle.

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