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2813. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Pendant tout le temps qui nous en sépare, on eût passé pour un cœur bien dur si on avait dit, sans précaution, la vérité sur Gérard de Nerval, et le sentiment, cette niaiserie toujours triomphante dans les choses de l’esprit, se serait révolté, comme une femme à qui l’on dit des indécences. […] Le fantaisiste Gérard de Nerval, ce poète du temps de la poésie échevelée, ce romantique de la meilleure époque, est, avant tout, dans ce livre : le meilleur de ses livres, un esprit calme, impartial, exact, voyant les faits et les exprimant dans un style élégant, précis, d’un coloris tempéré et certainement plus classique que romantique, mais d’un classique teinté d’une couleur sobrement éclatante que Fontanes aurait admirée ! […] Seulement, en raison de sa nature impressive, éclectique et syncrétique tout à la fois, sa capacité d’érudition est offusquée de fantaisie et va au bizarre, comme elle y allait chez Edgar Poe, un esprit d’une bien autre puissance !

2814. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Malgré des timidités qui sont peut-être encore des timidités réfléchies et volontaires, dans un esprit aussi brave et même aussi pétulant que celui de l’auteur du Corneille inconnu quand il ne résiste pas à sa spontanéité, Corneille est vengé ici jusque de Voltaire. […] Père de la tragédie et père aussi de la comédie, il a fait Racine et il a fait Molière, — Molière, que la terrible observation de son esprit et la profondeur de sa plaisanterie ne garantirent pas non plus des égarements de son cœur. […] Les esprits médiocres et ignorants qui sont de tous les siècles et qui ne lisent que quand tout le monde lit, le servum pecus des âmes basses et des sots qui est le public, avaient pris pour Évangile littéraire le Commentaire de Voltaire et s’étaient taillé un petit Corneille de rhétorique dans le grand.

2815. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

Depuis la plus lointaine antiquité, la cité possédait un droit destiné à régler par la justice, substituée à la violence, les différends entre concitoyens A l’aube des temps modernes, lorsque l’esprit humain vint à prendre conscience de l’inter-dépendance des peuples, l’idée qu’il pouvait peut-être y avoir une justice, présidant aux rapports inter-nationaux, et par conséquent un droit dont ressortiraient les conflits entre « grands êtres » sociaux, germa dans les cerveaux d’élite. […] Frédéric Passy, pour éclairer des points obscurs, pour dissiper des malentendus, pour calmer des alarmes exagérées et sans fondement, pour apaiser des irritations passagères, pour faire pénétrer enfin dans les sphères parlementaires et gouvernementales elles-mêmes un esprit de modération, de sagesse et d’équité, ces hommes choisis parmi les meilleurs, les mieux informés, les plus écoutés de leurs contrées respectives et obligés par le mandat qu’ils ont reçus, comme ils l’étaient déjà par leurs sentiments communs, de rester en relations les uns avec les autres et de se tenir au courant des faits et de l’opinion ?  […] Quelle que soit sa science et son indépendance, le pur homme de droit pourra manquer de cette largeur d’esprit ; qui est indispensable pour remplir cette fonction suprême.

2816. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

De la conservation et distinction des ordres politiques C’est l’esprit des gouvernements aristocratiques que les liaisons de parenté, les successions, et par elles les richesses, et avec les richesses la puissance restent dans l’ordre des nobles. […] Tant les esprits sont disposés à reconnaître docilement l’équité naturelle sous les gouvernements humains ! […] Voilà la principale cause de la grandeur romaine que Polybe et Machiavel expliquent d’une manière trop générale, l’un par l’esprit religieux des nobles, l’autre par la magnanimité des plébéiens, et que Plutarque attribue par envie à la fortune de Rome.

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