Si Ariane n’était qu’une bourgeoise trahie par son amant et par sa sœur, la pièce qui porte son nom ne laisserait pas de subsister toute entière ; mais cette pièce si agréable y perdrait un grand ornement. […] Ce n’est pas tout : chaque scène veut encore la même perfection ; il faut la considérer au moment qu’on la travaille, comme un ouvrage entier, qui doit avoir son commencement, ses progrès et sa fin. […] Phénix, par l’autorité de gouverneur, humilie Pyrrhus, même en lui faisant sentir les illusions de son amour ; et, par le ton imposant qu’il prend avec lui, il contribue beaucoup à l’effet de la scène entière. […] On peut les conserver tout entiers, et les faire grimacer par la plus légère addition : d’où il est aisé de conclure que quiconque est vraiment né pour être poète comique, a un fonds inépuisable de ridicules à mettre sur la scène, dans tous les caractères des gens qui composent la société. […] Il y a même cette différence essentielle entre le lyrique et le poète tragique, qu’à mesure que celui-ci devient éloquent et verbeux, l’autre doit devenir précis et avare de paroles, parce que l’éloquence des moments passionnés appartient toute entière au musicien.
Aujourd’hui je le juge en lui-même dans son développement entier et continu, dans sa nature d’artiste complète. […] Passé de l’atelier dans le cénacle littéraire, il eut quelque temps un pied dans l’un et un pied dans l’autre, et même lorsqu’il eut quitté la peinture, le divorce entier ne s’opéra jamais, il resta peintre avec sa plume. […] Théophile Gautier jeune s’est mis là tout entier. […] C’est la perfection dans la grâce. — Quand je me remets à feuilleter et à parcourir en tous sens, comme je viens de le faire, ce recueil de vers de Gautier, qui mériterait à lui seul une étude à part, je m’étonne encore une fois qu’un tel poète n’ait pas encore reçu de tous, à ce titre, son entière louange et son renom.
Quelques strophes nobles et fières de Malherbe promettaient, faisaient pressentir et désirer une œuvre entière et de longue haleine : elle n’était pas venue. […] Il y a deux de ces visites du Cid à Chimène ; celle-ci, la première, est empruntée de l’auteur espagnol : la seconde, au cinquième acte, sera tout entière de Corneille. […] C’est sur cet éclat que Rodrigue sort brusquement de l’endroit d’où il l’entendait, et s’offre tout entier à sa colère. […] Corneille n’exécutera jamais mieux plus tard ; il n’est pas éducable et progressif comme Racine, qui le fut indéfiniment et jusqu’à l’entière perfection, Racine fera de son talent tout ce qu’il voudra ; il aura tous les talents à la réflexion et à loisir : Corneille a tout d’inspiration ; ce qu’il n’a pas d’emblée, il le manque.
La littérature et la poésie d’alors étaient peu personnelles ; les auteurs n’entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires ; les biographes s’étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l’histoire d’un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu’à l’homme au fond du poëte. […] Au sortir de la première représentation du Cid, notre théâtre est véritablement fondé ; la France possède tout entier le grand Corneille ; et le poëte triomphant, qui, à l’exemple de ses héros, parle hautement de lui-même comme il en pense, a droit de s’écrier, sans peur de démenti, aux applaudissements de ses admirateurs et au désespoir de ses envieux : Je sais ce que je vaux, et crois ce qu’on m’en dit. […] Le bon Corneille y manqua de mesure et de convenance ; il insista lourdement là où il devait glisser ; lui, pareil au fond à ses héros, entier par l’âme, mais brisé par le sort, il se baissa trop cette fois pour saluer, et frappa la terre de son noble front. […] Mais il n’avait pas le génie assez artiste pour étendre au drame entier cette configuration concentrique qu’il a réalisée par places ; et, d’autre part, sa fantaisie n’était pas assez libre et alerte pour se créer une forme mouvante, diffuse, ondoyante et multiple, mais non moins réelle, non moins belle que l’autre, et comme nous l’admirons dans quelques pièces de Shakspeare, comme les Schlegel l’admirent dans Calderon.