Vielé-Griffin alla comme eux vers la poésie du peuple pour les raisons que j’ai énumérées plus haut, et aussi, je l’ai fait pressentir en parlant de la technique, parce que la liberté d’allure de ces rythmes devait attirer sa spontanéité ennemie des règles imposées31. […] Griffin a donné à beaucoup de ses strophes l’équilibre et la mesure. — S’il était en mon pouvoir, je me garderais de les pousser l’un vers l’autre ; en se rapprochant, peut-être ne diraient-ils plus ce qu’ils doivent dire, car le talent et le génie se combattent implacablement : il faut une virile puissance pour accorder leurs voix en un seul hymne et souvent, à vouloir dominer l’un de ces deux ennemis qui lui échappait encore, le poète a perdu celui qu’il avait déjà maîtrisé.
Il fait voir admirablement avec quel bonheur de première invention et quel esprit de suite on y fait servir la guerre à l’agrandissement au dehors et à la paix au dedans ; avec quelle audace réfléchie on la porte chez l’ennemi au lieu de l’attendre ; avec quelle habileté on change les vaincus en alliés pour en vaincre d’autres ; avec quelle magnanimité farouche on y sacrifie la nature à la discipline ; avec quel sens pratique on imite de l’ennemi ses usages militaires et jusqu’à ses armes pour le battre ; avec quelle prévoyance Rome se fait de ses colonies militaires comme autant d’enceintes fortifiées qu’il faudra franchir avant de l’atteindre.
Ou bien ils se louent sans s’approuver et se caressent sans s’aimer ; ou bien ils prodiguent l’injure à ceux qu’ils appellent leurs ennemis, et qui ne sont, après tout, que des contradicteurs, avec le tort d’avoir les mêmes mœurs en défendant une meilleure cause. […] Ce livre, où il n’y a d’épargnés que les oubliés, fait penser avec effroi que l’on courait le même péril à être des amis de l’auteur que de ses ennemis.
L’honneur de la philosophie est d’avoir eu toujours pour ennemis les hommes frivoles et immoraux, qui, ne trouvant point en eux l’instinct des belles choses, déclarent hardiment que la nature humaine est laide et mauvaise et embrassent avec une sorte de frénésie toute doctrine qui humilie l’homme et le tient fortement sous la dépendance. […] Reid) Plus de vigueur d’esprit montre bientôt le peu de fondement de cette nouvelle tentative ; on s’attaque à l’instrument même : de là un grand, terrible, sublime scepticisme (Kant, Jouffroy, Pascal) Enfin, la vue complète de l’esprit humain, la considération de l’humanité aspirant au vrai et s’enrichissant indéfiniment par l’élimination de l’erreur, amène le dogmatisme critique, qui ne redoute plus le scepticisme, car il l’a traversé, il sait ce qu’il vaut, et, bien différent du dogmatisme des premiers âges, qui n’avait pas entrevu les motifs du doute, il est assez fort pour vivre face à face avec son ennemi.