Outre le droit qu’elle a sur mon admiration et ma reconnaissance, elle en a un tout particulier sur cet agréable travail33, entrepris sous ses auspices : je lui en fais l’hommage avec mystère, parce que je ne puis le faire à découvert ; ceux qui ont éprouvé le doux transport qu’excite dans l’occasion le souvenir d’un bienfait signalé, ne désapprouveront pas que mon cœur cherche à se soulager lorsqu’il ne peut se satisfaire ; ils ne seront pas surpris de me voir ajouter que dans mes regrets d’être obligé de taire l’illustre Objet de sentiments si légitimes, si naturels, et qui ne demandent qu’à se produire, je me console quelquefois par l’espérance qu’on le devinera, sans que j’aie couru le risque de tomber dans le malheur de lui déplaire. » On me dira que c’est là une Épître dédicatoire ; mais cette Épître ne portant aucun nom, elle n’est évidemment pas pour la montre ; c’est la reconnaissance toute pure qui s’épanche, et tout ce que nous savons, c’est que l’humble auteur anonyme, du temps qu’il était moine, ayant été rencontré par Mme de Boufflers dans le jardin d’un couvent où elle était entrée par hasard, avait profité de l’occasion pour l’intéresser au récit de ses malheurs ; il lui avait dit tous les dégoûts qu’il avait à essuyer dans sa profession ; et elle, touchée de son sort, l’avait fait relever de ses vœux, avait pris soin de sa fortune et, avec la liberté, lui avait rendu le bonheur. […] C’était une enfant gâtée qui, sous un air doux et ingénu, cachait de la finesse, même de la ruse, et se permettait tous ses caprices.
On voyait, il y a quelque trente ans, à Paris, un de ces malheureux fous qui se croyaient le dauphin Louis XVII : celui-ci était parfaitement doux, paisible et nullement incommode ; seulement lorsqu’il lui arrivait, en compagnie de quelqu’un, d’être près du jardin des Tuileries et à l’entrée d’une des grilles, il quittait son monde pour faire le grand tour. — « Vous sentez bien, Mesdames, disait-il un jour d’un air mystérieux à deux dames qu’il avait accompagnées jusque-là, que je me dois à moi-même de ne pas traverser ce jardin. » Pour lui, traverser les Tuileries, c’eût été sanctionner l’usurpation et reconnaître l’intrus qui logeait au château. […] C’est pendant cette dernière partie de sa vie et dans les années de l’arrière-saison, que la comtesse d’Albany, qu’Alfieri en ses humeurs retirait souvent du monde pour le tête-à-tête et la solitude à deux, eut tout loisir d’avoir, sans plus d’interruption, le salon fréquenté et célèbre qui acheva de lui faire une si douce renommée, un de ces salons dont on pouvait dire comme Saint-Évremond disait de celui de la duchesse de Mazarin : « On y trouve la plus grande liberté du monde ; on y vit avec une égale discrétion.
En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise. […] Partout le gazon est rapproché du blé, et mêle sa douce verdure à l’or des épis ; les oliviers qui ombragent la plupart des coteaux adoucissent le tableau par les formes arrondies qu’ils prêtent aux coupes les plus rapides et les plus hardies.
Seul, au milieu du silence profond, un vent doux qui venait du Nord-Ouest et nous amenait lentement un orage, formait de légers murmures autour des joncs du marais. Je passai une heure entière couché près de la source à regarder ce pays pâle, ce soleil pâle, à écouter ce vent si doux et si triste.