Souvenez-vous de ces vers délicieux de douleur, dans lesquels le grand poète pense à sa fille et à son gendre noyés dans la Seine en se baignant près de Rouen ; l’une par imprudence, l’autre pour ne pas survivre à son amour !
Je combats contre la douleur autant que je le puis, mais la lutte est encore au-dessus de mes forces. » Plusieurs critiques ont cru retrouver par avance dans ces lettres, ainsi que dans celles de Pline, l’accent de la sentimentalité moderne ; je n’y vois, pour moi, que l’accent d’une sensibilité profonde, qui, dans tous les temps et chez tous les peuples, s’échappe des cœurs douloureusement émus.
Elle l’est énergiquement ; elle n’est pas sublime, ni dure, ni chrétienne, ni stoïque ; elle propose un idéal très accessible et très séduisant de bonheur individuel et de douleur sociale.
Voici des expressions où la recherche de l’énergie et de la concision aboutit à l’étrangeté : « Au milieu d’un tapis vert, en plein soleil, le marbre d’une colonne brûlait de blanc devant un dattier31 » — «… Ses tumulus dévastés, volés de leur forme même 32. » — « Souvent de petits enfants s’arrêtaient brusquement (devant Pierre Charles), frappés par la séduction naturelle, instantanée, le coup de foudre de leur beau à eux dans un autre 33. » Voici des redoublements de synonymes, des insistances qui retiennent l’attention en nous présentant deux ou trois fois de suite la même idée ou la même image : « Une espèce de dénouement, de déliement de sa nature comprimée, refermée, resserrée…34 » — «… Suppliciés par tous les raccourcis de la chute, toutes les angoisses des muscles, toutes les agonies du dessin ; tableau muet de la souffrance physique contre lequel venait frapper, battre, expirer le chœur des douleurs de l’âme35 ». » — «… Rome et ses dômes détachés, dessinés, lignés dans une nuit violette, sur une bande de ciel jaune, du jaune d’une rose-thé36. » — Ce procédé est habituel à MM. de Goncourt, même dans leurs pages les plus sobres : c’est un continuel essayage d’expressions.