Ce Daphnis qu’il célèbre sans cesse, et qui apparaît comme l’inventeur à demi divin du criant bucolique, nous figure le génie même d’une race douée de légèreté, d’allégresse et de mélodie. […] Notez encore qu’il n’est pas indifférent chez Théocrite que ce trait se trouve dans la bouche de Ménalcas ou dans celle de Daphnis : de la part de ce dernier, c’eût été un vrai coutre-sens ; jamais le poëte n’aurait eu l’idée d’attribuer cette réponse naïve, mais gênée, à l’enfant à demi divin qui va devenir le premier des pasteurs. […] C’est Ménalcas qui parle : « Vallons et vous, fleuves, descendance divine, si jamais le flûteur Ménalcas vous a chanté quelque air agréé, faites-lui paître de toute votre âme ses petites brebis ; et si Daphnis survient amenant ses tendres génisses, qu’il ne soit pas plus mal traité. » Daphnis aussitôt répond sur les mêmes idées, sur le même rhythme, il renchérit gaiement ; mais ses vers enchanteurs, s’ils l’emportent sur ceux de l’autre, le doivent surtout à l’harmonie, et cette supériorité fugitive ne se saurait rendre : « Fontaines et plantes, doux jet de la terre, si Daphnis vous joue de ses airs à l’égal des jeunes rossignols, engraissez-lui ce cher troupeau ; et si Ménalcas amène par ici le sien, ne lui ménagez pas votre abondance. » C’est ainsi entre ces aimables enfants, tant que dure le combat, un échange et un entrelacement de toute sorte de bon vouloir et de bonne grâce. […] Et toi, étendu sous les chênes ou sous les sapins, tu n’aurais qu’à chanter tes doux airs, divin Comatas !
Ouvrons donc ensemble ce poème inimitable, œuvre badine d’un homme qui n’a point eu d’égal dans l’antiquité, point d’émule dans les temps modernes : le divin Arioste. […] On se modèle sur ce qu’on aime : laissez-lui aimer les belles choses, les belles aventures et les beaux vers ; peut-être que, plus vieux, il aura eu des chagrins et il aura trop de larmes dans les yeux pour lire ces divins badinages à travers ses pleurs. […] Prêtez-moi votre divin poème, mon cher professeur, ajouta-t-il en se tournant vers son ami le rhétoricien érudit de Padoue, je me charge de mettre le sinet aux pages avant la lecture, de telle façon que le jeune étranger, la comtesse et même ma petite-nièce Thérésina, pourront tout lire ou tout écouter sans qu’il monte une image scabreuse à l’imagination du jeune homme, ou une rougeur au front de l’innocente. […] si j’avais été une Lucrèce Borgia ou une Éléonore d’Este, s’écria la comtesse Léna, j’aurais voulu donner à ces deux divins poètes la moitié de mon revenu pour que l’un me fît pleurer le matin et que l’autre me fît sourire le soir !
L’Inde a la supériorité dans la théosophie, cette disposition mystique admirable et sainte qui voit la Divinité avec évidence dans toute la nature, qui fait de toute la nature un miroir de cette Divinité, et qui contemple avec ravissement dans ce miroir le drame divin et humain de la création. […] L’enthousiasme et l’amour, ces deux seules véritables Muses divines, ne s’abaissent pas à satiriser le genre humain ; elles pleurent sur lui s’il se souille, elles lui chantent le Sursum corda , de l’espérance s’il se décourage ou s’il se dégrade. […] XXVII La beauté dans la nature ou dans les arts, ces divines contre-épreuves de la nature, la beauté n’est pas arbitraire, comme le prétendent quelques philosophes à courte conception. […] La critique ou la logique des arts n’est donc nullement un caprice ou d’esprit ou du goût ; elle est la logique absolue et divine appliquée par le sens commun, ce régulateur sans appel, aux œuvres de l’esprit, de la langue ou de la main de l’homme.
Mme Dacier ne vit là qu’un hommage un peu profane, un hommage toutefois, à son grand et divin poète, et elle complimenta La Motte. […] Rousseau (avril 1715), me mande que toute la jeunesse est déclarée contre le divin poète, et que si l’Académie française prenait quelque parti, la pluralité serait certainement pour M. de La Motte contre Mme Dacier. » Le xviiie siècle fut puni de cette partialité ; en perdant tout sentiment homérique, il perdit aussi celui de la grande et généreuse poésie ; il crut, en fait de vers, posséder deux chefs-d’œuvre, La Henriade et La Pucelle ; il faudra désormais attendre jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier et Chateaubriand pour retrouver quelque chose de cette religion antique que Mme Dacier avait défendue jusqu’à l’extrémité, et la dernière du siècle de Racine, de Bossuet et de Fénelon.