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1112. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Les réponses de Zerlina, le dialogue de Leporello avec Masetto, dont la jalousie est constamment en éveil, les éclats de la foule, tout cela forme un ensemble que dessinent harmonieusement les aparté des divers personnages. […] Il disparaît ainsi sous la terre, qui s’entrouvre pour l’engloutir. » Le génie de Mozart, on peut le comprendre maintenant, réunit les dons les plus rares, et c’est l’alliance même de facultés si diverses qui prépare merveilleusement l’auteur de Don Juan à opérer une conciliation féconde entre toutes les parties de l’art. […] Après avoir ainsi traité tous les genres et parlé toutes les langues dans les œuvres diverses, Mozart se résume dans un effort suprême et nous donne, avec la partition de Don Juan, la plus complète expression de son génie. […] Lisez Byron pour le faux rire, allez entendre Mozart pour voir transfigurer en mélodies diverses et délicieuses, en sourires ou en larmes, toutes les passions du cœur humain, depuis les amours de la terre jusqu’aux enthousiasmes du ciel.

1113. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Après ces longues promenades, où l’esprit et les pas s’égaraient délicieusement à sa suite, il rentrait à la maison ; quelquefois il s’arrêtait encore un moment à l’église du faubourg ou du village ; puis la conversation reprenait jusqu’au souper, aussi diverse, aussi enjouée et quelquefois aussi étincelante qu’en plein soleil. […] Je ne connais aucun peuple que je mette au-dessus des Piémontais pour ce qui s’appelle bon sens et jugement ; mais, lorsqu’ils venaient en Savoie pour y commander, ce bon sens n’était plus le même. » XXVI On a vu en 1848 combien le comte de Maistre avait eu le sentiment de ces antipathies intestines qui empêchent tout amalgame durable entre les diverses nationalités italiennes, sous un sceptre italien, et plus peut-être sous un sceptre italien que sous un protectorat étranger. […] La confédération seule est le mode futur de l’indépendance italienne, parce qu’elle laisse, à chacune des nationalités si diverses et si justement fières de la Péninsule, son nom, sa capitale, ses mœurs, sa langue, sa dignité, son poids personnel dans l’ensemble. […] Ce n’est pas le Piémont qu’il faut grandir ; c’est l’Italie qu’il faudra constituer libre et diverse comme l’a fait la nature.

1114. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Il ne négligeait pas cependant les fonctions plus graves qu’il remplissait comme administrateur à Ferrare ou dans les provinces ; c’était un de ces esprits multiples, mais précis, qui disposent à volonté de leurs facultés diverses, et qui savent tantôt se servir de leur imagination, tantôt la dompter pour la réduire à son rôle dans la vie : le charme, l’ornement ou l’amusement de l’existence. […] Il nous fit apercevoir autant de sinets pendants en bas des pages qu’il y en a ordinairement dans un livre d’église à demi couché sur le pupitre à gauche de l’autel. « Voilà vos limites, dit-il avec un sourire grave au professeur, à la comtesse Léna, à Thérésina et à moi ; vous ne les franchirez pas : mais, entre ces limites, vous pourrez vous promener à votre aise à travers les plus riants paysages, les plus merveilleuses aventures et les plus poétiques badinages qui soient jamais sortis de l’imagination d’une créature de Dieu. » Nous promîmes tous de respecter religieusement les sinets sacrés que le canonico avait certainement empruntés à un de ses vieux bréviaires, et nous prîmes séance dans les attitudes diverses du plaisir anticipé de la curiosité et du repos : le chanoine sur un grand fauteuil de chêne noir sculpté, adossé au fond de la grotte, et qu’on avait tiré autrefois de la chapelle pour préparer au bonhomme une sieste commode dans les jours de canicule ; le professeur sur une espèce de chaise de marbre formée par deux piédestaux de nymphes sculptés, dont les statues étaient depuis longtemps couchées à terre, toutes mutilées par leur chute et toutes vernies par l’écume verdâtre de l’eau courante ; la comtesse Léna à demi assise, à demi couchée sur un vieux divan de paille qu’on transportait en été du salon dans la grotte, les pieds sur le torse d’une des nymphes qui lui servait de tabouret, le coude posé sur le bras du canapé, la tête appuyée sur sa main ; sa fille Thérésina à côté d’elle, laissant incliner sa charmante joue d’enfant sur l’épaule demi-nue de sa mère ; moi couché aux pieds des deux femmes, à l’ouverture de la grotte, sur le gazon jauni par le soleil, le bras passé autour du cou de la seconde nymphe et le front élevé vers le professeur, pour que ni parole, ni physionomie, ni geste, n’échappassent à mon application. […] Le chanoine nous quitta tout pensif pour aller dire ses vêpres dans la longue allée de lauriers ; la comtesse fit dételer les chevaux et descendit avec sa fille et moi de la terrasse vers une pente d’herbes en fleurs d’où l’on voyait plus librement la mer Adriatique traversée çà et là de quelques voiles latines blanches ou peintes en ocre, semblables à des oiseaux à divers plumages. […] Ainsi, dans cette circonstance de ma vie poétique, la belle villa des collines euganéennes, les bois de lauriers sous nos pieds au penchant de la pelouse, le pin murmurant sur nos têtes, la mer Adriatique à l’horizon, le tintement du petit jet d’eau des terrasses qui venait jusqu’à nous sur les tièdes bouffées du vent du soir, ces deux charmantes figures de femme, l’une dans le septembre encore fleuri, l’autre dans l’avril à peine fleurissant de leurs années ; cette tendresse égale, mais diverse, qui se peignait dans leurs yeux bleus en se regardant avec leur jeune amour, l’un de mère, l’autre de fille ; le groupe enchanteur qu’elles formaient sans y penser en folâtrant ensemble dans des attitudes langoureuses ou enfantines, sous mes yeux ; les joyeux éclats de rire innocents qui retentissaient dans leurs jeux, entre leurs dents sonores, tout cela me faisait une telle illusion et se confondait tellement dans mes yeux et dans mon imagination avec les stances de l’Arioste, encore vibrantes à mes oreilles, qu’il me semblait voir en réalité une Ginevra dans la mère, une Angélique dans la fille, et que, si on m’avait demandé : Êtes-vous dans le poème ?

1115. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Les uns ont été plus poètes, les autres aussi éloquents, quelques-uns aussi politiques, ceux-ci aussi philosophes, ceux-là aussi écrivains ; mais nul, sans en excepter Voltaire, n’a été, dans tous les exercices de la pensée, de la parole ou de la plume, aussi vaste, aussi divers, aussi élevé, aussi universel, aussi complet que Cicéron. […] II Aucun homme, disions-nous dans cette histoire, ne réunit autant de facultés diverses et puissantes que Cicéron. Poète, philosophe, citoyen, magistrat, consul, administrateur de provinces, modérateur de la république, idole et victime du peuple, théologien, jurisconsulte, orateur suprême, honnête homme surtout, il eut de plus le rare bonheur d’employer tous ces dons divers, tantôt à l’amélioration, au délassement et aux délices de son âme dans la solitude, tantôt au perfectionnement des arts de la parole par l’étude, tantôt au maniement du peuple, tantôt aux affaires publiques de sa patrie, qui étaient alors les affaires de l’univers, et d’appliquer ainsi ses dons, ses talents, son courage et ses vertus au bien de son pays, de l’humanité, et au culte de la Divinité, à mesure qu’il perfectionnait ces dons pour lui-même ! […] Quand, mieux inspirés, nous voudrons grandir comme elle, nous effacerons ces barrières jalouses et arbitraires que notre civilisation moderne place entre les facultés de la nature et les services qu’un même citoyen peut rendre sous diverses formes à sa patrie.

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