Tout le reste, division de discours, preuves triomphantes & naturelles, érudition choisie, pensées neuves & sublimes, figures hardies, raisonnemens forts & suivis, pathétique admirable, diction élégante & correcte, lui sembloit étranger. […] Par cette annonce ridicule, l’action du discours est nécessairement affoiblie. […] Mais il va plus loin que Fénélon ; il trouve encore ridicule cette coutume de prêcher sur un texte, d’en faire une espèce de devise ou d’énigme que le discours développe. […] Il ajoute qu’ils soulagent la mémoire de l’auditeur, & contribuent à mettre, dans un discours, de la méthode & de la clarté. […] C’est les mettre, selon lui, dans le cas que leur discours ressemble à un squelette décharné, sans consistance & sans chaleur .
Ces mots qui font saillir les qualités des choses sont précieux, et les maîtres écrivains en tirent de merveilleux effets ; mais un débutant allonge son discours plutôt qu’il ne le fortifie par les épithètes, qu’il reçoit souvent vagues et banales. […] Et puis chaque phrase ayant son éclat indépendant, brillant de tous les côtés sans tenir à rien, les idées ne s’enchaînent plus, ne s’engrènent plus les unes aux autres, et le discours perd sa cohésion. […] Il est nécessaire aussi que le discours ait de l’enchaînement et de la cohésion. […] Mais comme l’abus de ces termes de liaison donne au discours un air pesant et pédant, et comme d’autre part il paraît facile de s’en passer, on ne se donne pas la peine d’en connaître l’énergie et les propriétés.
et quels discours de Cicéron et de Démosthène ne s’éclipsent point devant ses Oraisons funèbres ? […] Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d’éloquence ; la citation, si bien fondue avec le texte, qu’elle ne fait plus qu’un avec lui ; enfin, la réflexion ou le coup d’œil d’aigle sur les causes de l’événement rapporté. […] On sait avec quel génie, dans l’oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l’art oratoire, jusqu’à l’interprétation d’un songe, en même temps qu’il a déployé, dans ce discours, sa haute capacité pour les abstractions philosophiques. […] Il expire en disant ces mots, et il continue avec les anges le sacré cantique. » Nous avions cru pendant quelque temps que l’oraison funèbre du prince de Condé, à l’exception du mouvement qui la termine, était généralement trop louée ; nous pensions qu’il était plus aisé, comme il l’est en effet, d’arriver aux formes d’éloquence du commencement de cet éloge, qu’à celles de l’oraison de madame Henriette : mais quand nous avons lu ce discours avec attention ; quand nous avons vu l’orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit, et donner, comme en se jouant, un chant d’Homère ; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique, et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres ; lorsqu’après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsque, enfin, s’avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe et le siècle de Louis, dont il a l’air de faire les funérailles, prêt à s’abîmer dans l’éternité, à ce dernier effort de l’éloquence humaine, les larmes de l’admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains.
C’est pour avoir méconnu ce fait essentiel, que nos psychologues sont conduits à prendre leurs rêveries pour de la science, croyant comprendre la méthode positive pour avoir lu les préceptes de Bacon ou le discours de Descartes. […] (3) Une seconde conséquence, non moins importante, et d’un intérêt bien plus pressant, qu’est nécessairement destiné à produire aujourd’hui l’établissement de la philosophie positive définie dans ce discours, c’est de présider à la refonte générale de notre système d’éducation. […] Mais l’esquisse générale du grand tableau que j’ai entrepris d’indiquer dans ce discours manquerait d’un de ses éléments les plus caractéristiques, si je négligeais de signaler ici une considération aussi essentielle. […] Il ne s’agit ici de rien de semblable ; et le développement de ce cours en fournira la preuve manifeste à tous ceux chez lesquels les éclaircissements contenus dans ce discours auraient pu laisser quelques doutes à cet égard. […] J’ai tenté, dans ce discours, de déterminer, aussi exactement qu’il a été en mon pouvoir, le but, l’esprit et l’influence de la philosophie positive.