Michelet a mis du temps et jusqu’à des nuances pour devenir ce qu’il est maintenant. […] Plus tard, nous l’avons vu plus qu’impur, qui est une chose négative, pour devenir souillé, qui est une chose positive et affreuse, dans son Histoire de la Révolution, quand il se complut aux détails monstrueux de la mort de cette noble madame de Lamballe, qui disait : « Fi ! […] il avait passé, avant de devenir un physiologiste tout à fait ? […] on ne sait pas ce qu’on peut gagner, quand on n’a plus d’idées, à devenir sentimental ! […] En sommes-nous devenus — toujours pour parler comme Michelet — plus « fraternels » ?
Parce que des vibrations venues de loin ont impressionné l’œil et l’oreille, se sont transmises au cerveau ; là, dans le cerveau, l’excitation est devenue sensation auditive ou visuelle ; la perception est donc intérieure au corps et ne s’élargit pas. […] L’âme humaine devenait ainsi incapable de créer ; il fallait, si elle existait, que ses états successifs se bornassent à traduire en langage de pensée et de sentiment les mêmes choses que son corps exprimait en étendue et en mouvement. […] Du moins la probabilité sera-t-elle susceptible d’aller en croissant, et la formule de devenir de plus en plus précise à mesure que la connaissance des faits s’étendra. […] L’aphasique devient incapable de retrouver le mot quand il en a besoin ; il semble tourner tout autour, n’avoir pas la force voulue pour mettre le doigt au point précis qu’il faudrait toucher ; dans le domaine psychologique, en effet, le signe extérieur de la force est toujours la précision. […] Mais si, comme nous avons essayé de le montrer, la vie mentale déborde la vie cérébrale, si le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience, alors la survivance devient si vraisemblable que l’obligation de la preuve incombera à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme ; car l’unique raison de croire à une extinction de la conscience après la mort est qu’on voit le corps se désorganiser, et cette raison n’a plus de valeur si l’indépendance de la presque totalité de la conscience à l’égard du corps est, elle aussi, un fait que l’on constate.
ou bien mêlé à tout sans s’y confondre, ramené à pleins flots sur le terrain commun et poussé vers un terme immense et inconnu, réfléchissant avec harmonie dans ses eaux les spectacles et les formes de ses rivages, deviendra-t-il dorénavant plus profond, plus large que jamais, surtout moins inaccessible ? […] Ballanche, le jeune homme, qui, plein de nobles et de sincères affections, repousse d’abord le temps présent, comme incomplet et aride, qui résiste aux destinées sociales encore incertaines, et se réfugie de désespoir dans un passé chimérique ; ce jeune homme, type fidèle de bien des âmes tendres de notre âge, finit par se réconcilier avec cette société nouvelle mieux comprise, et par reconnaître, à la voix du vieillard initiateur, c’est-à-dire à la voix de la philosophie et de l’expérience, que nous sommes dans une ère de crise et de renouvellement, que ce présent qui le choque, c’est une démolition qui s’achève, une ruine qui devient plus ruine encore ; que le passé finit de mourir, et que cette harmonie qu’il regrette dans les idées et dans les choses ne peut se retrouver qu’en avançant. […] Pourtant, avouons-le, il n’est pas devenu populaire encore ; son mouvement n’embrasse ni ne reproduit tout le mouvement social qui gagne et s’étend de jour en jour.
On voit, par cet exemple, comment Crebillon entend son métier : mais que devient la tragédie, ainsi pratiquée ? […] Il sentait que la crainte d’exposer les signes brutaux des passions aux yeux des spectateurs, et l’habitude de montrer seulement les principes moraux des faits, avaient banni à peu près toute espèce d’action de nos tragédies, qui étaient devenues d’assez vides « conversations en cinq actes ». […] Il ne faut pas méconnaître un fait important : l’Opéra devient au xviiie siècle notre première scène.