/ 2957
1461. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

En ne parlant aujourd’hui que des peintres, par exemple, est-ce que, quand vous parcourez de l’œil la voûte vertigineuse du Vatican, où Buonarotti a rêvé le jugement dernier, vous ne songez pas à Moïse ? […] XIII Enfin, de rampe en rampe et de croupe en croupe, on arrive, après trois ou quatre heures de marche, au dernier plateau du Jura. […] On écoutait les vers de lord Byron, apportés de Ravennes ou de Venise par la mémoire des derniers arrivés de l’Adriatique ; quelquefois on me demandait quelques-unes de mes propres Méditations, composées la veille au bord des cascatelles de Tibur. […] Ce culte se manifesta jusqu’au dernier jour du sublime artiste par un redoublement d’œuvres incomparables et par ces poésies platoniques où la plume de Michel-Ange égale son pinceau en célébrant son amour. […] Enfin cet amour ressembla aussi à l’attachement intime et mutuel du peintre Fabre de Montpellier et de la belle comtesse d’Albany, veuve du dernier des Stuarts, prétendant à la couronne d’Angleterre, et peut-être cet exemple d’un amour récompensé et d’un mariage secret entre un artiste et une reine découronnée ne fut-il pas sans une funeste influence et sans une fatale analogie sur l’imagination de Léopold Robert.

1462. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

C’est là proprement la part de Rousseau dans le mal que nous a fait la philosophie politique du dernier siècle. […] Mais l’impression dernière des Confessions, c’est que Rousseau, faute de s’être connu lui-même, ne s’y est pas confessé ; c’est qu’il a défiguré, faute de les avoir connus, presque tous ceux qu’il y a peints ; c’est qu’en croyant faire une bonne action, il a donné un mauvais exemple. […] Leur gloire le tenta ; et, pour être à la mode, il se décida « gaillardement à augmenter la population des enfants trouvés. » Un autre motif aurait déterminé l’abandon des trois derniers de ses enfants. […] Ses sectaires, on les a vus à la fin du dernier siècle débuter par les maximes de sa philanthropie, et finir par égorger une partie de la nation par amour pour l’autre. […] Par malheur, des esprits éminents ont cru l’exemple bon ; et, dans ces dernières années, estimer ses singularités plus que ses qualités, honorer ses erreurs, rechercher le succès de curiosité plutôt que d’approbation, est devenu la faiblesse d’hommes illustres.

1463. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Edmond. » Et elle rentre dans la salle à manger et elle lui fait signe de s’asseoir à côté d’elle : « Je n’ai pas lu votre dernier livre, et je ne peux plus vous recevoir… On me le défend… Oui, j’aime mieux vous le dire… Nous qui vous aimons tous tant là-bas… » Et de l’œil, elle lui donne le sourire d’amitié que lui jettent ses petites filles, en tournant dans leur danse, au tapotement du piano, tenu par la vieille grand-mère à lunettes. « Oui, M. *** — et elle nomme son mari — a une jalousie contre vous que je ne m’explique pas… » Elle reprend : « Ça le rend tout à fait malheureux… Entre moi et lui, ça n’a jamais été formulé d’une manière bien nette… mais cela a amené pourtant des scènes dans notre intérieur… Oui, il faut que nous renoncions à ce plaisir tous… Concevez-vous qu’il m’empêche de vous lire… Que voulez-vous, nous nous retrouverons, une fois par an, comme cela par hasard… Cela me pesait depuis longtemps, j’ai mieux aimé que vous le sachiez. » Et mon frère la quitte, persuadé, comme moi, que cette femme qui vient presque de lui avouer la tendresse de sa pensée, ne ferait jamais pour lui, s’il en devenait vraiment amoureux, le sacrifice de son orgueil d’honnête femme. […] * * * — Quelquefois une dernière innocence reste à la femme perdue : le rire. […] Et il continue dans ce style, dans ce style, le portrait du mortel courageux allant à son travail, etc., etc., et le revêt de l’immortalité, que lui décernent les déesses, à la dernière ligne et au dernier mot de sa péroraison. […] Comment ose-t-il, en plein Institut, jeter l’injure à la conscience de l’art, à l’amour unique et désintéressé des lettres, aux derniers écrivains qui méprisent l’à-propos, le savoir-faire, tous les succès qu’un talent, comme le sien, a ramassés dans la flatterie des passions et du public d’un jour ! […] Je ferai ma pièce comme cela… Et puis nous sommes les derniers venus, nous savons que vous êtes nos aînés, Flaubert et vous.

1464. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Bovary par exemple, et le Frédéric Moreau de L’Éducation sentimentale, peuvent paraître plus vraisemblables, d’une sorte de vérité banale mieux saisie que les comtesses d’Octave Feuillet ; mais ces dernières ont pu fort bien être faites et très exactement d’après nature, comme ont été peintes de même les vierges de Raphaël, les bacchantes de Rubens et les vieilles mères de Rembrandt. […] On peut suivre pas à pas les progrès de ces dispositions sentimentales depuis la première grande œuvre, La Guerre et la paix qui est presque impassible et constitue un tableau grandiose du monde, le plus large qu’aucune littérature ait produit, jusqu’à ces écrits des derniers temps qui sont presque des contes de nourrice par l’exiguïté de ce qu’ils décrivent, et des homélies par le sentiment dont ils débordent. […] Ici intervient la théorie moderne du plaisir et de la peine, pour expliquer comment cet être aux libres délicatement vivantes, au lieu d’être affecté, vivement mais également, par les sensations agréables et les douloureuses, tend plutôt çà s’assimiler ces dernières et transforme même les jouissances en sources de peine ; comment, en somme, tout artiste descriptif est exposé à ressentir dans sa vie plus de peines que de joies. […] Plus haut encore, les artistes, en percevant les objets par leur côté frappant, caractéristique, essentiel, un paysage en son accent de mélancolie ou d’exubérance, un homme dans la particularité de son tempérament, une civilisation dans son effigie spécifique, en viennent, par un détour, à effectuer dans l’univers cette connaissance par les causes, qui est à la fois le but de la science et le terme dernier de notre développement intellectuel. […] Il est en bon renom auprès de tous les organes supérieurs de la presse française ; il faut donc croire que le mélange de bonté attristée, d’observation délicate et de haute méditation qui le caractérisent sont compris et partagés par un groupe notable de lecteurs qu’il faut chercher dans la bourgeoisie riche des trente dernières années.

/ 2957