En en lisant le narré exact, on se demande où et comment était née cette longue et assommante torture morale et physique, à quelle époque elle s’était ainsi régularisée, réglementée avec un faste pédantesque, composée qu’elle était en partie d’anciens us et coutumes féodales et, en dernier lieu, d’idolâtrie asiatique, singulier mélange de magnificence, de luxe, de grossièreté et, pour tout dire, de barbarie. […] il avait secoué poudre et perruque ; il parut à la Cour dans cet état naturel ; ce que le duc de Luynes a eu soin de noter dans son journal : « Jeudi dernier (21 décembre) M. le maréchal de Saxe arriva ici (à Versailles) ; il porte présentement ses cheveux qui lui donnent l’air plus jeune. » Revenu à Chambord à la paix et y passant le plus de temps qu’il pouvait pendant les deux dernières années, y menant un train de prince, il se livrait à la chasse, aux plaisirs, à tous les exercices violents.
On y découvrirait même une sorte de mode littéraire, si l’on y joignait les essais de poésie, odes ou odelettes, composées sur les rythmes de Ronsard, par des auteurs, alors très-jeunes, appartenant à nos dernières générations. […] Ce n’est qu’en ces dernières années qu’on a vu des hommes très au fait de l’ancienne et première poésie du moyen âge, et dont ç’avait été d’abord le point de vue préféré, se porter successivement sur celle du xvie siècle, en observant pour ainsi dire les étages et les gradations, en ne prenant pas la file à un moment quelconque, mais en suivant la chaîne dans toute son étendue. […] On le sait maintenant, grâce aux travaux qui se poursuivent avec ardeur et qui ne remontent guère au-delà de ces trente dernières années : dans le haut moyen âge, époque complète, époque franche, qui, sortie d’un long état de travail et de transformation sociale, avait rempli toutes ses conditions et s’était suffi à elle-même, la langue, la littérature française qui était née dans l’intervalle, qui était sortie de l’enfance, qui était arrivée à la jeunesse (de même que l’architecture, que la théologie, que la science en général et que les arts divers), avait eu son cours de progrès et de croissance, une sorte de premier accomplissement ; elle avait eu sa floraison, son développement, sa maturité relative : poétiquement, une belle et grande végétation s’était produite sur une très-vaste étendue, à savoir l’épopée historique, héroïque.
À défaut du Roland devenu impossible, il y aurait eu moyen, j’imagine, d’aller choisir quelque grand fait, quelque épisode de nos chroniques nationales, de nos dernières guerres séculaires, comme les récits chevaleresques de Froissart en sont pleins ; quelque combat des Trente ; et, sans tant chercher, que n’est-on allé donner la main à la dernière chanson de geste de la seconde moitié du xive siècle, à la chronique de Du Guesclin ! […] C’est ce sentiment tout romain et tout sabin qui fait la vie des six derniers livres de l’Énéide. […] Il y a chez lui comme un premier plan et aussi un second plan de citations, ces dernières se croisant et se perdant en quelque sorte dans le lointain.
Jamais on n’a mieux senti, au sein de la littérature usuelle et de la critique active, le manque de tant d’écrivains spirituels, instruits, consciencieux, qui avaient pris un si beau rôle dans les dernières années de la Restauration, et qui, au moment de la révolution de Juillet, en passant brusquement à la politique, ont fait véritablement défection à la littérature. […] M. de Balzac a rassemblé, dernièrement, beaucoup de ces vilenies dans un roman qui a pour titre Un Grand Homme de Province, mais en les enveloppant de son fantastique ordinaire : comme dernier trait qu’il a omis, toutes ces révélations curieuses ne l’ont pas brouillé avec les gens en question, dès que leurs intérêts sont redevenus communs. […] J’ai nommé la contrefaçon étrangère, et je l’ai nommée la dernière parce qu’en effet elle ne vient qu’en dernier lieu dans ma pensée, et qu’il y a bien d’autres causes mortelles avant celle-là.