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365. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Mais, quoi qu’il en soit, représentons-nous, autant que possible, cette disposition si universelle et si prononcée, et demandons-nous quel accueil aurait reçu à une telle époque, en la supposant formée, la philosophie positive, dont la plus haute ambition est de découvrir les lois des phénomènes, dont le premier caractère propre est précisément de regarder comme nécessairement interdits à la raison humaine tous ces sublimes mystères que la philosophie théologique explique, au contraire, avec une si admirable facilité jusque dans leurs moindres détails. […] Craignons que l’esprit humain ne finisse par se perdre dans les travaux de détail. […] Une classe distincte, incessamment contrôlée par toutes les autres, ayant pour fonction propre et permanente de lier chaque nouvelle découverte particulière au système général, on n’aura plus à craindre qu’une trop grande attention donnée aux détails empêche jamais d’apercevoir l’ensemble. […] Qu’un bon esprit veuille aujourd’hui étudier les principales branches de la philosophie naturelle, afin de se former un système général d’idées positives, il sera obligé d’étudier séparément chacune d’elles d’après le même mode et dans le même détail que s’il voulait devenir spécialement ou astronome, ou chimiste, etc. ; ce qui rend une telle éducation presque impossible et nécessairement fort imparfaite, même pour les plus hautes intelligences placées dans les circonstances les plus favorables. […] (3) je n’ai pas besoin de plus grands détails pour achever de convaincre que le but de ce cours n’est nullement de présenter tous les phénomènes naturels comme étant au fond identiques, sauf la variété des circonstances.

366. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Et, je l’ai dit déjà, — je l’ai dit même au lendemain de Madame Bovary, d’où sortit, d’un coup, toute sa réputation, cette réputation à laquelle il ôtera, sans rien y ajouter… Madame Bovary, que je m’obstine à croire un souvenir personnel, — un de ces romans comme tout le monde, sans être romancier, en a un ou plusieurs dans le sac de sa vie, — Madame Bovary, sur un fonds moins sec et moins dénué que Salammbô et que L’Éducation sentimentale, avait déjà la dureté de style, le repoussé de détail, la crudité d’enluminure, le pointillé fatigant, qui tiennent autant, chez Flaubert, à l’organisation de l’homme qu’au système. […] Je dis qu’il n’y a là qu’un livre médiocre : médiocre de talent d’abord, ennuyeux d’atmosphère, fatigant de peinture pointue, grossier et monotone de procédé, ignoble souvent de détails, et dépassé dans ce genre par sa conclusion. […] Il n’y a mis que les plus petits détails d’une érudition pédantesque et tout à la fois enfantine. […] C’était un cul-de-lampe magnifique, et Flaubert, après s’être frotté les mains, l’a exécuté avec le détail chinois de sa manière, avec ce pointillé exaspéré qui veut faire tout voir, comme le microscope appliqué à des infusoires, et ce n’est pas là ce qui étonne. […] Quinet, qui n’est un Gœthe que pour sa femme, mais qui n’est qu’un Allemand pour qui ne l’a pas épousé, débuta dans la célébrité par son poème en prose d’Ahasvérus, lequel n’a pas plus de composition, d’unité, de cohérence, que La Tentation de saint Antoine, mais a réellement plus de richesse de détails, d’étendue, d’intérêt, par la très bonne raison qu’Ahasvérus (le Juif errant) parcourt le monde, qu’il reflète ou qui le réverbère, tandis que saint Antoine est bloqué dans un cercle de tentations qui ne sont pas très variées.

367. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Il ne faut donc pas s’y méprendre : l’étincelante théorie de Balzac n’est individuelle que par le détail et la forme, par cet art inouï qui bâtit des Alhambras aux mille labyrinthes sur la pointe de deux aiguilles, avec une truelle enchantée ! […] Maisons, châteaux forts, églises, rues, hommes d’armes, hauts barons et baronnes, moines, routiers, écoliers, ribauds et truands, il nous a montré tout cela comme tout cela fut (pittoresquement parlant), avec des détails infinis d’archéologie et des connaissances appropriées ; mais, selon moi, ce mérite, que je reconnais, est bien inférieur à celui qu’il a quelquefois (s’il l’avait toujours !) […] Pour qui connaît les Contes de Balzac, il n’existe pas le moindre rapport entre la sénéchale d’Armignac, le Succube, « la preude et chaste femme, la dame d’Hocquetouville », la Blanche « du bonhomme Bruyn » et « Berthe-la-Repentie », et pourtant, à cela près de quelques détails de costume, d’un profil plus net, d’un menton plus ou moins empâté, c’est toujours le visage mat (la beauté de la chair sans intelligence) de la courtisane Impéria qui passe sous tous ces hennins comme une domination, comme une fatalité de la pensée de l’artiste, et qui nous fait nous demander si cette hantise obstinée du même type est une obsession dont le peintre est trop homme pour pouvoir se débarrasser. […] Les détails de cette scène épouvantable sont traités avec une brutalité de vérité et une grandeur de nature physique qui rappelle les tragédies et les exploits d’un temps où les hommes envoyaient leur cœur à leurs maîtresses, où les maris le faisaient manger à leurs femmes, et où Godefroi de Bouillon partageait, d’un revers d’épée, un Sarrasin jusqu’à la ceinture, en entamant le garrot du cheval ! […] Doré, qui comprend si bien le côté physique du Moyen Âge et n’a peur d’aucun détail poignant ou immonde des passions naïves de ce temps, n’en comprend pas si bien le côté pur, fermé, intime et religieux.

368. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

L’explication de Roederer se terminait amicalement par quelques détails domestiques et de famille. […] (Journal de Paris, 16 août 1795.) — Dès qu’il a vu la Convention sortie victorieuse des insurrections jacobines de Prairial, il réclame d’elle enfin « un gouvernement énergique, républicain sans populacité, un gouvernement qui ramène tous les royalistes de bonne foi, ceux qui ne veulent que la sûreté des personnes et des propriétés » (26 mai 1795). — Mettant à profit ce qu’il a vu en 1792, et écrivant, comme il le dit, non d’imagination, mais de mémoire, il rappelle les principes auxquels on ne revenait qu’avec lenteur, car les révolutions aussi ont vite leur routine ; il montre le nouveau pouvoir exécutif tel qu’on l’a conçu avec méfiance, incomplet, démembré, mutilé : Il était très bon sans doute d’ôter les forces à un mauvais gouvernement, disait-il, mais il est absurde de n’en pas donner à celui qu’on travaille à rendre bon. — Le Directoire exécutif, tel que le projet l’annonce, est un berceau, qu’on nous passe ce mot, un nid de factions ennemies ; et sa destinée serait de ressembler bientôt à tous les conseils de gouvernement que nous avons vus en France depuis trois ans, où Roland et Pache, Robespierre et Billaud se sont tour à tour arraché la puissance… Je n’entre pas dans le détail des voies et moyens, des remèdes plus ou moins efficaces qu’il proposait ; je ne fais qu’indiquer la ligne générale de Roederer en ces années. […] Dans les premiers jours de Brumaire et pendant qu’on discutait avec détail la révolution qui devait s’opérer le 19, Bonaparte lui disait : Il n’y a pas un homme plus pusillanime que moi quand je fais un plan militaire ; je me grossis tous les dangers et tous les maux possibles dans les circonstances ; je suis dans une agitation tout à fait pénible. […] Il faudrait voir, en bien d’autres détails, comme il était réellement épris et enthousiaste de la gloire, de la vertu du premier consul à cette époque, comme il luttait de toutes ses forces et avec passion contre l’influence de Fouché en laquelle il dénonçait un danger, et, qui pis est, une souillure pour la réputation immaculée du jeune chef d’empire.

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