/ 1977
13. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Tant que l’homme n’a pas, de son propre mouvement, dépouillé et disséqué sa fibre secrète à laquelle il obéit sans le savoir, ne la lui démontrez pas, ne la lui nommez pas : car il y a dans cette ignorance même une autre fibre plus délicate, si je puis dire, un nerf plus sensible, qui est précieux à ménager et qu’on ne coupe pas impunément. […] La Rochefoucauld échappe à cette loi presque inévitable, et, dans ces matières délicates et subtiles, lui qui n’avait pas lu les anciens et qui les ignorait, n’obéissant qu’aux lumières directes de son esprit et à l’excellence de son goût, il a, aux endroits où il est bon, retrouvé, soit dans l’expression, soit dans l’idée même, une sorte de grandeur. […] C’est le même qui, parlant de Mme de La Fayette et de sa liaison avec M. de La Rochefoucauld, sur laquelle, dans ses lettres à Ménage, elle se taisait volontiers, dira : « C’était là, probablement, la partie délicate et réservée sur laquelle la belle dame ne consultait guère ses savants amis. » C’est lui qui, parlant de ce monde délicat des Longueville et des La Vallière, de leurs fragilités et de leur repentir, s’écriera tumultueusement : Ah ! […] Cousin a traité si sévèrement M. de La Rochefoucauld, il a été envers lui d’une partialité si exagérée et si plaisante, qu’il a donné le droit à ceux qui goûtent ce parfait honnête homme de la vie privée, ce modèle de l’homme comme il faut dans la société, de s’informer des qualités délicates de l’adversaire. La Rochefoucauld termine son chapitre « De la conversation » en disant : « Il y a enfin des tons, des airs et des manières qui font tout ce qu’il y a d’agréable ou de désagréable, de délicat ou de choquant, dans la conversation. » Cela n’est pas seulement vrai de ce qu’on dit en causant, mais de ce qu’on écrit sur ces choses du monde et de la société.

14. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gayda, Joseph »

Elle se peut définir en deux mois : l’amour délicat de la femme et la pieuse terreur de la beauté. — L’alcôve de Phryné ne le tente pas, et c’est Galatée qu’il poursuit volontiers sous les saules. […] Dans ce volume, j’ai noté un délicat sonnet sur Édel, cette Édel qu’a chantée M. 

15. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Joubert fut en son temps le type le plus délicat et le plus original de cette classe d’honnêtes gens, comme l’ancienne société seule en produisait, spectateurs, écouteurs sans ambition, sans envie, curieux, vacants, attentifs, désintéressés et prenant intérêt à tout, le véritable amateur des belles choses. […] Mais, en tombant dans une âme si délicate et si légère, ces idées de réforme littéraire et de régénération de l’art qui, chez Diderot, avaient conservé je ne sais quoi de bourgeois et de prosaïque, de fumeux et de déclamatoire, s’éclaircirent et s’épurèrent, revêtirent un caractère d’idéal qui les rapprocha insensiblement de la beauté grecque ; car c’était un Grec que M.  […] C’est principalement en cela qu’il faisait consister la beauté : Les Athéniens étaient délicats par l’esprit et par l’oreille. […] Un philosophe de ce temps-ci, homme d’infiniment d’esprit lui-même, a coutume de distinguer ainsi trois sortes d’esprits : Les premiers, à la fois puissants et délicats, qui excellent comme ils l’entendent, exécutent ce qu’ils conçoivent, et atteignent le grand et le vrai beau ; une rare élite entre les mortels ! Les seconds, délicats surtout, et qui sentent leur idée supérieure à leur exécution, leur intelligence plus grande encore que leur talent, même quand celui-ci est très réel.

16. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Morhardt, Mathias (1863-1939) »

Et c’est aussi un sentimental, non pas tant délicat que sincère, pénétrant, ému. […] Le poète s’est émerveillé de vivre en mots qui le confessent délicat et doux, ayant la pudeur de sa joie, la reconnaissance d’aimer ; ce livre est une parole basse, dite pour une seule et dont le hasard d’une surprise involontaire nous a fait le confident indulgent.

/ 1977