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846. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Nous avons vu de nos jours de ces hommes d’esprit, témoins de tout, consultés sur tout, qui faisaient au besoin les mots spirituels des grands jours et des circonstances d’apparat ; qui écrivaient sous main les discours, les déclarations solennelles, et quelquefois rédigeaient des chartes : ces hommes-là ont trop vu, trop regardé la tapisserie par l’envers ; ils ne prennent les choses ni les personnages bien au sérieux, et ne s’y prennent pas trop eux-mêmes ; éclairés d’ailleurs, serviables, indulgents, d’un amour-propre aussi commode que d’autres l’ont ombrageux et cruel. […] On ne saurait dire ce qui manque à sa prose : elle est pure, harmonieuse, exacte, mais elle n’invite point à continuer… Marié et veuf d’assez bonne heure, le président ne se remaria point ; il donne à sa femme, Mlle de Montargis, des regrets qui peignent assez bien le mélange de ses sentiments : « Et d’ailleurs, dit-il, où aurais-je jamais retrouvé une femme telle que celle que je venais de perdre ? […] Formey et non Fermey, nous connaissons moins, mais pourtant nous ne pouvons ignorer le jurisconsulte Des Jariges (et non Jouvriges), qui fut d’ailleurs grand chancelier et célèbre dans son pays

847. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Il n’y aura d’ailleurs nulle singularité ni originalité en tout ceci. […] L’influence de M. de Chateaubriand (juge d’ailleurs assez équitable de Voltaire), celle de Mme de Staël, c’est-à-dire de Rousseau toujours, le réveil d’une philosophie spiritualiste et respectueuse pour la nature humaine, l’action aussi de la renaissance religieuse qui atteignait au moins les imaginations quand ce n’était pas les cœurs, l’influence littéraire enfin qui soufflait tantôt de la patrie de Goethe et de Schiller, tantôt de celle de Shakespeare, de Walter Scott et de Byron, ces diverses causes générales avaient fort agi sur plusieurs d’entre nous, jusque dans nos premières lectures de Voltaire. […] Elle ne change rien d’ailleurs à ce qu’on connaissait, elle n’y ajoute rien d’imprévu ; avec Voltaire, il ne faut plus s’attendre depuis longtemps à des révélations ; il a tout dit du premier coup.

848. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Ernest Naville est d’ailleurs, jusqu’à un certain point, indépendant de l’opinion qu’on a des écrits philosophiques et de la doctrine particulière de Maine de Biran ; c’est l’histoire d’un espritet d’une âme. […] Les défaillances fréquentes qui retardent son avancement et son progrès, en le montrant homme toujours sincère, et, malgré sa portée d’esprit, semblable d’ailleurs aux plus faibles, ne sont pas sans exciter de la sympathie : J’ai souvent pitié de moi-même, confesse-t-il ; je déplore mes écarts d’esprit ou de raison, la faiblesse et les courtes limites de mes facultés physiques et morales. […] [NdA] Il y a d’ailleurs dans cet écrit de quoi venir en aide aux points de vue les plus opposés.

849. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Du sein même de ses études, de ses méditations économiques, dans un séjour au château de ses pères, où il s’est retiré pour une saison, Mirabeau confesse le vice qui est celui de tout son temps et qui lui gâtera sa vie, d’ailleurs intègre : « La volupté, mon cher ami, est devenue le bourreau de mon imagination, et je payerai bien cher mes folies et le dérangement de mœurs qui m’est devenu une seconde nature ; hors de là, je suis maintenant comme un poisson dans l’eau. » À côté de cet aveu que justifieront trop les futurs scandales et les éclats de sa vie domestique, mettez la sagesse et la sobriété de Vauvenargues, à qui son peu de santé interdirait sans doute les plaisirs, mais qui en est éloigné encore plus par la haute et pure idée qu’il se fait de l’amour, par le peu de goût qu’il a pour les femmes, « celles du moins qu’il connaît ». — « Je hais le jeu comme la fièvre, et le commerce des femmes comme je n’ose pas dire ; celles qui pourraient me toucher, ne voudraient seulement pas jeter un regard sur moi. » Vauvenargues avait toujours pris l’amour au sérieux : « Pour moi, je n’ai jamais été amoureux, que je ne crusse l’être pour toute ma vie ; et, si je le redevenais, j’aurais encore la même persuasion. » C’est pour cela qu’il recommençait rarement. […] Voilà où se bornent mes soucis… Mirabeau toujours expansif, abondant dans son propre sens, et d’ailleurs aussi cordial en ceci que clairvoyant, pousse sa thèse et, imbu des idées du jour, il prononce le grand mot, celui des lettres dont l’avènement et le règne étaient prochains dans la société et qui allaient faire l’opinion publique, cette autre reine : Je sais, dit-il à Vauvenargues, que votre peu de disposition3 et de santé ne vous permet pas de courir ce que quelqu’un comme vous doit appeler fortune ; mais quelle carrière d’agréments ne vous ouvrent pas vos talents dans ce qu’on appelle la République des lettres ! […] À travers ces perpétuels et insipides changements de résidence, il vivait d’ailleurs très retiré et sans prendre part à la vie commune de ses camarades ; en dehors des heures de service, il se renfermait chez lui, et ne voyait familièrement que quelques jeunes officiers, comme de Seytres, qui étaient plus sages que les autres et qu’il aimait assez à morigéner agréablement.

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