— Voici de son style quand il se fait critique. […] Rien autre chose qu’un livre de critique. […] Un génie si puissant qu’il est inventeur, et si varié et pénétrant dans divers sens qu’il est critique, voilà Montesquieu ; un livre de critique divinatrice, voilà l’Esprit des lois. […] Ici la création est la mesure juste du sens critique, et l’invention juge la théorie. […] Le sens critique que l’a conçue ; mais le génie de curiosité l’a exécutée.
Tant de discours amoureux, tant de descriptions galantes, une femme qui ouvre la scène par une tendresse déclarée et qui soutient ce sentiment jusqu’au bout, et le reste du même genre, lui fit dire que cet ouvrage était indigne non seulement d’un évêque, mais d’un prêtre et d’un chrétien… Voilà ce que M. de Meaux pensa de ce roman dès le commencement ; car ce fut là d’abord le caractère de ce livre à Paris et à la Cour, et on ne se le demandait que sous ce nom : le roman de M. de Cambray. » Et le dimanche 14 mars de la même année : Il paraît une nouvelle critique de Télémaque, meilleure que la précédente, où le style, le dessein et la suite de l’ouvrage, tout enfin est assez bien repris, et dont on ignore l’auteur. […] Les travaux critiques de Richard Simon sur l’Ancien et le Nouveau Testament, ses interprétations tout historiques et hardies sous forme littérale, et les explications philosophiques qui y étaient en germe, lui firent surtout pousser le cri d’alarme et l’occupèrent durant toutes ses dernières années : il travailla jusqu’au dernier moment à le réfuter, à le faire condamner, à faire supprimer ses livres par l’autorité ecclésiastique et séculière. […] Bossuet voulut, à cet âge, faire aussi des vers, et cela va sans dire, des vers religieux ; il s’appliqua à traduire en vers français quelques-uns des psaumes ; il s’en remettait pour la révision à l’abbé Genest, un des abbés de la Cour naissante de Sceaux, auteur d’une tragédie sacrée, un assez pauvre poète et, je pense, un mince critique ; mais Bossuet, qui traduisait ces psaumes par esprit de pénitence, les lui soumettait avec une égale humilité. […] Il y a bien des années, et avant qu’une critique investigatrice eût rassemblé autour de cette figure de Bossuet tous les éclaircissements et toutes les lumières, un écrivain de beaucoup d’esprit, s’essayant à définir le grand évêque gallican, disait : « Bossuet, après tout, était un conseiller d’État. » Si par là on ne voulait dire autre chose, sinon qu’il y avait en Bossuet un homme politique, un homme capable d’entrer dans le ménagement des personnes et la considération des circonstances, on avait raison ; mais si l’on prétendait aller plus loin, toucher au fond de sa nature et infirmer l’idée fondamentale du prêtre, on se tromperait : car au fond de cette nature, telle qu’elle ressort aujourd’hui de tous les témoignages et qu’elle nous apparaît dans une continuité manifeste, il y a avant tout et après tout un croyant.
La critique littéraire, par ses progrès mêmes et en marquant de traits de plus en plus distincts et individuels le caractère des talents originaux, a dégoûté des copies ambitieuses et a découragé les émules. […] Dire comme un de nos jeunes et spirituels critiques très au fait de l’Antiquité84 que Térence n’a que du talent tandis que Ménandre avait du génie, c’est sans doute marquer les degrés probables et faire la part de l’invention ; mais n’est-il pas juste aussi de considérer que, dans ce naufrage de l’Antiquité (j’y reviens toujours), une équité indulgente doit tenir compte à ceux qui ont survécu de ce qui a disparu à côté d’eux, derrière eux ? […] L’historiette est agréable ; elle a été bien des fois racontée avcc variantes et broderie, et on résiste de son mieux aux critiques qui, se fondant sur la date connue de la mort de Cécilius, n’y voudraient voir qu’un conte, bon tout au plus à être rimé par quelque Andrieux. […] Pour nous tous, qui sommes déjà d’autrefois, pour ceux qui, comme nous, ont été nourris des lettres dès l’enfance et qui sont plus volontiers critiques qu’artistes, plus des hommes de livres que des curieux de marbres et de statues, ce sont nos figures préférées, nos formes à nous, toutes poétiques et littéraires, lesquelles aussi, comme les trois ou quatre beaux groupes antiques conservés, nous apparaissent toutes les fois que nous regardons en arrière et décorent nos fonds de lectures et de souvenirs.
Un critique très-distingué de ce temps l’a fait déjà : Camille Selden (un pseudonyme et une femme) a donné dans un volume qui se publie en ce moment45 une analyse exacte et forte de trois femmes, à peu près contemporaines : — une Française catholique, Eugénie de Guérin précisément ; — une Anglaise et protestante, Charlotte Brontë, auteur du beau et douloureux roman de Jane Eyre ; — une Allemande et juive convertie, la célèbre Rahel de Berlin, Mme de Varnhagen. […] On critique, on chicane les individus, les talents à l’état simple et privé ; on ne chicane pas les types. […] Là-dessus un critique ami, un étranger qui nous connaît mieux que personne, M. […] Notre âme s’étend sur ce qu’elle voit ; elle change comme les horizons, elle en prend la forme… » C’est joli et gracieux sans doute, remarque le critique anglais ; mais quelle différence avec le pinceau de Maurice peignant la nature en traits profonds, trouvés et neufs, disant au retour d’une course où il a vu les rives de la Loire, Chambord, Blois, Amboise, Chenonceaux, les villes des deux bords, Orléans, Tours, Saumur, Nantes et l’Océan grondant au bout : « De là je suis rentré dans l’intérieur des terres jusqu’à Bourges et Nevers, pays des grands bois, où les bruits d’une vaste étendue et continus abondent aussi. » Et ailleurs il parle de ce beau torrent de rumeurs que roule la cime agitée des forêts.