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1212. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Le problème consiste alors à marcher pendant quelque temps sans le secours des habitudes acquises, au moyen des seules forces naturelles, en pliant adroitement celles-ci à un mode d’activité nouveau et imprévu ; mais bientôt la nature aura été domptée pour la seconde fois, de nouvelles habitudes auront été créées. […] Ajoutons maintenant que les mêmes rapports créent pour chaque idée une spécificité indirecte, qui, s’ajoutant à la première, a pour effet d’en compenser en quelque mesure la faiblesse. […] V, § 2 et 3], parce qu’elles ont été souvent énoncées devant nous, sans soulever de contradiction, comme des axiomes indiscutables ; suivant passivement l’exemple de nos éducateurs, nous nous habituons à associer certains concepts, sans jamais avoir fait d’effort pour saisir la nature et la raison du lien qui les unit ; les habitudes des mots ont créé en nous des habitudes de pensée, à l’établissement desquelles notre personnalité n’a pris aucune part. […] Après avoir créé le langage à son usage, l’esprit doit lutter pour la vie contre le langage.

1213. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

Appréciez ma réserve, mon cher Monsieur ; j’ai pu vous répéter les observations, les secrets qu’offre la fréquentation des autres écrivains, parce que je ne trahissais rien en écrivant pour vous les envoyer, et en quelque sorte sous la dictée d’un tiers, ces révélations auxquelles vous avez créé un écho retentissant. […] Il est déjà vieux et a beaucoup vécu ; il a traversé toutes les phases de la République et de l’Empire ; il a de l’esprit et crée l’anecdote avec un naturel infini. […] Ce fut de cette époque que data le mot, créé pour M.  […] Et vous Bocage, et vous Frédéric Lemaître, et vous Lockroy, et vous Mme Dorval, et vous Mlles Georges et Ida, vous êtes aussi bêtes et méchants, pour avoir créé d’une façon si retentissante, qui Yacoub, qui Richard Darlington, qui Buridan, qui Marguerite de Bourgogne, qui Angèle, qui Catherine Howard ! […] J’ai bien senti quelques grands hommes descendre du piédestal que mon opinion leur avait bâti ; j’ai bien vu quelques personnages que j’avais peine à accoler aux figures que je m’étais créées par tels noms, ou par telles œuvres ; mais je dois dire aussi, qu’à les connaître, quelques hommes se sont élevés dans mon estime, et que le résultat de mes enquêtes m’a causé autant de véritables plaisirs que de déceptions.

1214. (1886) Le naturalisme

Théâtre, poésie, roman, histoire, tout fut créé, régénéré et agrandi par l’école romantique. […] Et réellement, Alexandre Dumas est le type de la littérature secondaire, pas précisément basse, mais pas comparable non plus à celle que créent de grands écrivains avec lesquels l’auteur des Mousquetaires ne peut se mesurer. […] Son histoire se réduit à travailler et à travailler toujours, pour satisfaire ses créanciers et se créer une fortune indépendante. […] Il se déclara docteur ès-sciences sociales ; il voulut créer la Comédie humaine, résumé caractéristique de notre époque, comme le poème de Dante fut le résumé du moyen-âge. […] Il est vrai qu’ils ne procèdent ni comme Balzac, ni comme Zola, qui ont créé des personnages logiques, agissant conformément à des antécédents indiqués par le romancier, et allant où les conduisent la fatalité de leur complexion et la tyrannie des circonstances.

1215. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Elle n’a fait qu’irriter toutes les passions sans les épurer et les ennoblir, et de jour en jour on s’apercevra que ce moyen, si commode quand on veut détruire, n’est pas si sûr quand on veut créer et maintenir de nouvelles institutions. […] En effet, quand ces grands hommes avaient créé des habitudes et des sentiments dans l’esprit et dans l’âme de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée : ils faisaient des systèmes de mœurs plutôt que des systèmes de lois ; ils avaient même tant de respect pour la toute-puissance des habitudes qu’ils ménagèrent d’anciens préjugés peu compatibles en apparence avec un nouvel ordre de choses. […] On nous apprend aujourd’hui que ce n’est point dans le climat le plus favorisé de la nature, chez le peuple le plus sensible, dans la plus belle de toutes les langues, que l’esprit humain a créé le plus de prodiges. […] Mais ici, les inconséquences redoublent encore ; elle avoue, contre son propre système, qu’on peut avoir des langues parfaitement analytiques sans le secours des philosophes (je me sers toujours des expressions de ceux que je combats), et qu’enfin les poètes seuls ont créé le plus merveilleux instrument de la pensée. […] Il serait presque aussi raisonnable de soutenir que la vieille chanson de Roland et les airs de Thibaud, comte de Champagne, ont créé Corneille et Racine.

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