Nulle hardiesse d’écrivain ne peindra cette épaisseur éclatante et forte, ces couleurs solides, entières, jamais équivoques, ces grandes diversités rudes qui s’étagent avec aisance depuis la zone des orangers jusqu’aux glaces étincelantes. […] Lemaître répugne à ce que la même couleur lui serve encore pour parvenir à Racine et à Chateaubriand.) […] Les toits coniques des temples heptagones, les escaliers, les terrasses, les remparts, peu à peu se découpaient sur la pâleur de l’aube ; et tout autour de la péninsule carthaginoise, une ceinture d’écume blanche oscillait, tandis que la mer couleur d’émeraude semblait comme figée dans la fraîcheur du matin. […] Il est fort possible que « la mer couleur d’émeraude semblait comme figée dans la fraîcheur du matin » ait été, ainsi que bien des phrases du Télémaque, natif et beau dans son temps. […] De Rimbaud, nous avons un volume entier de lettres : rien, absolument rien, dans ces notations sèches, pas même une tache de couleur ou une coupe de phrase ne rappelle la moindre chose des Illuminations ou d’Une Saison en Enfer.
Mais comment caractériser un siècle sans physionomie, sans couleur ? […] Les plus attrayantes couleurs de notre idéal, par la suite, sont dérobées à ces reflets d’une époque légèrement antérieure où nous berce la tradition de famille et où nous croyons volontiers avoir existé. […] Qu’on se représente ensuite, comme un brillant accessoire de ce tableau, au fond, le ciel de l’Inde avec son azur éblouissant ; d’un côté, les crêtes sourcilleuses et sombres de l’Himalaya, de l’autre Delhi, la ville impériale, avec ses toits dorés et ses pagodes étincelantes ; au milieu une table immense, chargée de bronzes, de cristaux, de magnifique argenterie ; des mets exquis dans des porcelaines de la Chine, des vins de France dans les glaces du Thibet ; tout autour, les officiers de la résidence, vêtus de leurs brillants uniformes, avec des rubans tricolores à la boutonnière ; aux quatre coins de la salle, les couleurs de la France flottant en nobles pavois, confondues avec les drapeaux tant de fois ennemis de la vieille Angleterre ; et sur le premier plan, à la place d’honneur, un jeune homme en simple frac ; c’est Victor Jacquemont, le héros de la fête. […] Pour soutenir une semblable thèse, il fallait de toute nécessité et de longue date, s’appliquer à noircir les hommes, à les peindre sous des couleurs ridicules ou odieuses.
Voilà qui va bien, et le « libertin » Molière a dû être fort satisfait de cette caricature, très belle et très haute en couleur, de la canaille dévote. […] la couleur locale, comme elle triomphe ! […] De couleur plus « locale » que celle-là, n’essayez pas d’en imaginer une ! […] Ce dénouement pouvait avoir une couleur mystique : la mère expiait, par le sang versé de son fils légitime, le crime d’avoir abandonné son autre enfant… Mais cela était bien dur. […] Il n’y avait pas d’autre moyen de vous donner quelque idée du ton et de la couleur du drame.
Mais ne vous y fiez pas trop : sous ces couleurs de convention, si vous y regardez de près, vous reconnaîtrez l’ennemi. […] Il appartenait à un autre romancier de notre temps de l’orner de couleurs plus séduisantes, et, par une conception vraiment neuve, de lui imprimer un cachet d’élégance mondaine, tout en lui laissant ce masque de spiritualisme, ce manteau de religion dont toutes les doctrines, même les plus perverses, ont pris soin de s’affubler de nos jours. […] Ne donnez pas les couleurs de l’héroïsme à un acte de désespoir, qui peut sans doute être inspiré quelquefois par un sentiment vrai, mais où souvent les défaillances du cœur, les découragements prématurés, les exaltations factices ont plus de part que l’horreur sincère du mal. […] Sauf la passion irréligieuse qui n’était plus de son temps, l’auteur de La Peau de Chagrin a peint en général la société sous les mêmes couleurs que l’auteur de Rouge et Noir. […] L’écrivain que nous avons entendu plus haut jeter à la société, dans Le Brigand et le Philosophe, de si étranges insultes, est un de ceux aussi qui ont mis à la scène, sous les couleurs les plus-violentes, ce contraste odieux et forcé du pauvre et du riche.