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1320. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il en tire, selon son habitude, l’occasion d’une petite moralité à l’usage des capitaines ses compagnons qui lui feront l’honneur de lire sa vie : l’important, c’est de chercher dès ses débuts à montrer ce qu’on vaut et ce qu’on peut faire ; ainsi les grands et chefs vous connaissent, les soldats vous désirent et veulent être avec vous, et par ce moyen on a toute chance d’être employé : « Car c’est le plus grand dépit qu’un homme de bon cœur puisse avoir, lorsque les autres prennent les charges d’exécuter les entreprises, et cependant il mange la poule du bonhomme auprès du feu. » M. de Lautrec, à la première occasion, donne à Montluc une compagnie ; celui-ci n’avait guère que vingt ans. […] Il fait en cette occasion un retour sur lui-même et sur cette prétention, qui est la sienne, d’avoir toujours été un des plus heureux et des plus fortunés hommes entre tous ceux qui aient porté les armes, ce qui est bien aussi une manière de vanité : « Et si (et pourtant), dit-il, n’ai-je pas été exempt de grandes blessures et de grandes maladies ; car j’en ai autant eu qu’homme du monde saurait avoir sans mourir, m’ayant Dieu toujours voulu donner une bride pour me faire connaître que le bien et le mal dépend de lui, quand il lui plaît ; mais encore, ce nonobstant, ce méchant naturel, âpre, fâcheux et colère, qui sent un peu et par trop le terroir de Gascogne, m’a toujours fait faire quelque trait des miens, dont je ne suis pas à me repentir. […] Ce jour-là, il entendit quelqu’un qui disait au marquis de Saluces en le montrant : Monsieur, je connais maintenant que le proverbe de nos anciens est véritable, qui dit qu’un homme en vaut cent, et cent n’en valent pas un. […] Montluc s’en revient à pied pendant la plus grande partie du chemin, continuant de porter son bras en écharpe, « ayant plus de trente aunes de taffetas sur lui, parce qu’on lui liait le bras avec le corps, un coussin entre deux ; souhaitant la mort mille fois plus que la vie, car il avait perdu tous ses seigneurs et amis qui le connaissaient. » Il rentre en sa maison, est deux ou trois ans à s’y guérir, et plus tard, quand la guerre se réveille et qu’il reprend le service, il croit avoir tout à faire et à recommencer sa carrière comme le premier jour.

1321. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Jacques Demogeot, professeur agrégé de l’Université, connu par une histoire élégante de la littérature française et par des études d’art et de poésie. […] Mais qui nous dit que si, dès l’âge de vingt-cinq ans La Bruyère, dans un siècle différent du sien, avait été obligé pour vivre, pour se faire connaître, de tailler sa plume, d’écrire moins bien d’abord, mais vite, mais toujours, il n’aurait point tiré de lui autre chose encore que ce que nous en avons, et je veux dire autre chose de bien, qui sait ? […] Siméon Pécontal, poète bien connu, l’un des fervents disciples de l’art sérieux, et qui, tout récemment encore, en célébrant dans des stances le génie de Chateaubriand, a rencontré un des plus beaux exordes lyriques dont puisse s’honorer l’ode française. […] Louis Fortoul de la Société des gens de lettres, déjà connu par des écrits qui intéressent l’éducation de l’enfance.

1322. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Il avait mis d’ailleurs dans tout son jour et en pleine lumière le côté tendre, affectueux, de Vauvenargues, ce côté le plus connu, la beauté de sa nature morale, et avait parfaitement marqué le trait dominant de son caractère, la sérénité dans la douleur ; et il concluait en disant que l’espèce de gloire réservée à Vauvenargues était celle qui peut sembler le plus désirable aux natures d’élite, l’amitié des bons esprits et des bons cœurs. […] Fauris de Saint-Vincens, ami de Vauvenargues et de trois ans plus jeune que lui, était fils d’un conseiller à la Cour des comptes de Provence, et devint à son tour conseiller, puis président à mortier au parlement de la même province ; il ne mourut qu’en 1798 et était connu pour un érudit et un antiquaire des plus distingués, associé correspondant de l’ancienne Académie des inscriptions et belles-lettres. […] On sent dans cette lettre qu’il aurait pu, ce jour-là même, tracer le caractère de Sénèque ou l’orateur chagrin, l’orateur de la vertu, qui commence en ces termes : Celui qui n’est connu que par les lettres, n’est pas infatué de sa réputation, s’il est vraiment ambitieux ; bien loin de vouloir faire entrer les jeunes gens dans sa propre carrière, il leur montre lui-même une route plus noble, s’ils osent la suivre : Ô mes amis, leur dit-il, pendant que des hommes médiocres exécutent de grandes choses, ou par un instinct particulier, ou par la faveur des occasions, voulez-vous vous réduire à les écrire ? […] Je n’ai pas besoin de vous en dire davantage ; vous connaissez ma tendre amitié pour vous, et je crois pouvoir toujours compter sur la vôtre.

1323. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Demandez aux plus grands de ceux qui ont gouverné les hommes et qui ont le plus fait avancer leur nation ou leur race, à quelques croyances religieuses et métaphysiques qu’ils appartiennent, — Mahomet, Cromwell, Richelieu —, ils se sont tous conduits en vertu de l’expérience pure et simple, comme gens qui connaissent à fond l’homme pour ce qu’il esth, et qui, s’ils n’avaient pas été les plus habiles des gouvernants, auraient été les moralistes perspicaces les plus sévères. […] Je ne connais pas votre préfet, mais apparemment il m’avait deviné. […] C’est une partie de ses écrits que je connaissais peu, si toutefois on peut appeler cela des écrits ; ce sont des improvisations dans lesquelles son génie, moins contraint qu’ailleurs, m’a paru heurté et presque sauvage, mais plus vigoureux encore et peut-être plus grand que dans aucun de ses ouvrages. […] [1re éd.] comme gens qui connaissaient à fond l’homme pour ce qu’il est i.

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