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20. (1890) L’avenir de la science « V »

Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers. […] On eût mis l’esprit humain au défi de concevoir les plus étonnantes merveilles, on l’eût affranchi des limites que la réalisation impose toujours à l’idéal, qu’il n’eût pas osé concevoir la millième partie des splendeurs que l’observation a démontrées. […] Il faut bien se figurer que ce qui est surpasse infiniment en beauté tout ce qu’on peut concevoir, que l’utopiste qui se met à créer de fantaisie le meilleur monde n’imagine qu’enfantillage auprès de la réalité, que, quand la science positive semble ne révéler que petitesse et fini, c’est qu’elle n’est pas arrivée à son résultat définitif. […] Héraclite concevait les astres comme des météores s’allumant à temps dans des réceptacles préparés à cette fin, sortes de chaudrons, qui, en nous tournant leur partie obscure, produisent les phases, les éclipses, etc. Anaxagore croit que la voûte du ciel est de pierre et conçoit le soleil et les astres comme des pierres enflammées.

21. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

On ne conçoit même pas comment ils pourraient l’être. […] Mais comment concevoir le mouvement comme une chose existant en soi ? […] On peut aussi bien la concevoir comme suite que comme condition du mouvement. […] Voilà un exemple de loi psychique conçue en un sens idéologique. […] A l’occasion de ce phénomène, la raison humaine conçoit le bien général.

22. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

La finalité de l’entendement est un rapport conçu, représenté, entre une fin et un moyen ; mais, à l’origine, la volonté n’a pas besoin de l’entendement. […] En un mot, l’objet conçu par l’entendement ne peut être pris par lui pour fin que s’il est conçu comme un bien, que s’il est primitivement discerné comme bon, senti bon, c’est-à-dire s’il plaît, et si, à ce titre, il est immédiatement voulu d’une volonté spontanée, antérieure à toute réflexion de l’entendement. […] En résumé, on pourrait définir la volition : le désir déterminant d’une fin et de ses moyens, conçus comme dépendants d’un premier moyen qui est ce désir même et d’une dernière fin qui est la satisfaction de ce désir. […] Délibérer, c’est concevoir une alternative et juger la valeur des termes. […] Il y a ainsi un côté pratique jusque dans les plus idéales spéculations, en ce sens que nous les acceptons ou ne les acceptons pas dans le monde par nous conçu.

23. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Il n’est pas de manifestation plus triomphante du pouvoir qui lui fut départi de se concevoir autre qu’il n’est. […] L’homme composé et résultante d’instincts et de moments multiples se conçoit un. […] Ainsi avec la passion de l’amour, l’homme se conçoit autre qu’il n’est. […] L’homme se conçoit doué du pouvoir d’augmenter ses joies, il ne réussit qu’à augmenter son savoir. […] L’homme se conçoit doué du pouvoir de modifier l’Univers à son profit, c’est ici comme ailleurs se concevoir autre qu’il n’est et tandis qu’il tend vers cette fin égoïste toute son énergie, il développe une force qui est utilisée pour une fin étrangère.

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