Tous ces vers que l’on sait par cœur, et qui ont immortalisé leurs victimes, d’où en est venue la force ? […] Il a le cœur bon : mais sa bonté ne passe pas dans son imagination ; elle se réalise en jugements, puis en actes, jamais en émotions, en représentations capables d’exciter le sentiment seul en dehors d’un objet présent qui sollicite aux actes. […] Sans philosophie originale, sans expérience personnelle du cœur humain, incapable d’aller au-delà du décor et du masque, il ne pouvait faire, il ne fît dans ses Satires et ses Épîtres morales, que répéter des lieux communs. […] Si la poésie vient du cœur, comment ne serait-il pas poète en parlant des lettres, la seule passion ardente de sa vie, et qui l’emplit tout entière ?
Le Roy n’est pas un sceptique ; s’il regarde l’intelligence comme irrémédiablement impuissante, ce n’est que pour faire la part plus large à d’autres sources de connaissance, au cœur par exemple, au sentiment, à l’instinct ou à la foi. […] Nominaliste de doctrine, mais réaliste de cœur, il semble n’échapper au nominalisme absolu que par un acte de foi désespéré. […] Le cœur, l’instinct, peuvent la guider, mais non la rendre inutile ; ils peuvent diriger le regard, mais non remplacer l’œil. Que le cœur soit l’ouvrier et que l’intelligence ne soit que l’instrument, on peut y consentir.
Bref, l’époque est française, très française ; ses grands hommes sont pour la plupart du cœur de la France, de Paris, de la Champagne, du bassin de la Seine et de la Marne ; on imprime même alors un caractère national aux choses qui paraissent le comporter le moins. […] La vie intérieure est également laissée dans l’ombre, et j’entends par là aussi bien la vie du cœur que la vie domestique, l’expression des sentiments en chaque individu aussi bien que dans l’intimité du. foyer. […] Il n’y a guère que ce rêveur de La Fontaine, cet ancien maître des eaux et forêts, qui sache apprécier et ose nommer veau, vache, cochon, couvée, qui plaigne d’un cœur fraternel l’arbre dépouillé de ses rameaux par l’ingratitude de l’homme, qui aime jusqu’à la solitude et lui trouve une douceur secrète. […] Clovis, roi des Francs, leur apparaît comme un petit Louis XIV ; ils lui prêtent une cour, des palais splendides, un pouvoir presque absolu ; ils suppriment si bien l’élément pittoresque, ils se donnent si peu la peine de se figurer le costume et les usages des hommes d’autrefois, et surtout ils imaginent si naïvement la persistance à travers les âges d’un « cœur humain » identique à lui-même, que le tissu de l’histoire devient quelque chose de terne et de grisâtre où rien ne se détache en relief.
Il éclaire, il instruit, il élève plus qu’il n’émeut : là même où ses sentiments sont en jeu et où il s’agit de questions qui lui tiennent à cœur, il s’adresse surtout à la raison. […] M. de Broglie eut en ces années (1828-1829) un véritable rêve d’homme de bien, de philosophe élevé qui croit à Dieu, à la vérité idéale et suprême, à la vérité et à l’ordre ici-bas, à la perfectibilité de l’esprit humain, à la sagesse et au progrès de son propre temps, au triomphe graduel et ménagé de la raison dans toutes les branches de la société et de la science, dans l’ensemble de la civilisation même : « N’en déplaise aux détracteurs officieux de notre temps et de notre pays, écrivait-il en 1828, tout va bien, chaque jour les saines idées gagnent du terrain ; l’esprit public se forme et se propage à vue d’œil. » Il s’agissait, dans ce cas, d’une simple pétition sur les juges auditeurs ; mais on sent la satisfaction généreuse qui déborde du cœur d’un homme de bien. […] Ce double dédain est rare et lui semble facile ; c’est ici qu’on pourrait trouver que la hauteur de cœur et un reste de hauteur de race se confondent en lui. […] Ses amis particuliers auraient seuls le droit de dire si, sous une réserve un peu froide, sous une écorce un peu uniforme, ils n’ont pas souvent reconnu en lui toutes les délicatesses du cœur.