Le même principe, fécond en conséquences, s’applique à ces affections comme à tous les attachements du cœur ; si l’on y livre son âme assez vivement pour éprouver le besoin impérieux de la réciprocité, le repos cesse et le malheur commence. […] Sans cesse la main de fer de la destinée repousse l’homme dans l’incomplet, il semble que le bonheur est possible par la nature même des choses, qu’avec une telle réunion de ce qui est épars dans le monde, on aurait la perfection désirée ; mais dans le travail de cet édifice, une pierre renverse l’autre, un avantage exclut celui qui doublait son prix ; le sentiment dans sa plus grande force est exigeant par sa nature, et l’exigence détruit l’affection qu’elle veut obtenir.
Elles sont l’effet de la construction et de l’arrangement de ses organes, et sans cesse elles le poussent au penchant où est sa pente, naturam expellas furca tamen usque recurret. dit Horace. Il arrive encore que ces inclinations sont dans toute leur impétuosité, précisément dans l’âge où cesse la contrainte de l’éducation.
Flaubert avait une manière de travailler exceptionnelle ; mais, quand je vois Malherbe raturer sans cesse, Boileau se remettre vingt fois sur le métier, Chateaubriand refaire jusqu’à dix-huit fois la même page, je deviens rêveur, et je me dis qu’il est très possible que tous les grands écrivains aient à peu près autant travaillé. […] Quand Boileau conseillait de mettre vingt fois son ouvrage sur le métier, de le polir et de le repolir sans cesse, il ne distinguait pas, il s’adressait à tout le monde, et il n’avait pas tort.
On y trouve une imagination plus forte qu’étendue, peu d’art, peu de liaison, nulle idée générale, nul de ces sentiments qui tiennent au progrès de l’esprit, et qui sont les résultats d’une âme exercée et d’une réflexion fine ; mais il y règne d’autres beautés, le fanatisme de la valeur, une âme nourrie de toutes les grandes images de la nature, une espèce de grandeur sauvage, semblable à celle des forêts et des montagnes qu’habitaient ces peuples, et surtout une teinte de mélancolie, tour à tour profonde et douce, telle que devaient l’avoir des hommes qui menaient souvent une vie solitaire et errante, et qui, ayant une âme plus susceptible de sentiment que d’analyse, conversaient avec la nature aux bords des lacs, sur les mers et dans les bois, attachant des idées superstitieuses aux tempêtes et au bruit des vents, trouvant tout inculte et ne polissant rien, peu attachés à la vie, bravant la mort, occupés des siècles qui s’étaient écoulés avant eux, et croyant voir sans cesse les images de leurs ancêtres, ou dans les nuages qu’ils contemplaient, ou dans les pierres grises qui, au milieu des bruyères, marquaient les tombeaux, et sur lesquelles le chasseur fatigué se reposait souvent. […] Ce prince qui, au milieu d’une vie agitée, et occupé sans cesse de législation et de conquêtes, trouvait encore du temps pour aimer les arts, fit rassembler tous ces ouvrages, et les fit traduire en vers dans la langue des anciens Romains.