Il s’est laissé aller un peu longuement, dit-il, à raconter les événements et les choses nouvelles qui étaient voisines de lui et qui inclinaient à son plaisir, et pourtant le bruit des exploits qui se passent en pays lointains le préoccupe : il se sent arriéré et veut se remettre au pas de ce côté : Et pour ce, dit-il, je, sire Jean Froissart qui me suis chargé et occupé de dicter et écrire cette histoire, considérai en moi-même que nulle espérance n’étoit qu’aucuns faits d’armes se fissent aux pays de Picardie et de Flandre, puisqu’il y avoit paix ; et point ne voulois être oiseux, car je savois bien qu’encore au temps à venir et quand je serai mort, sera cette haute et noble histoire en grand cours et y prendront tous nobles et vaillants hommes plaisance et exemple de bien faire ; et, tandis que j’avois, Dieu merci ! […] Pendant ce séjour à Orthez, Froissart interroge les seigneurs et chevaliers qu’il a sous la main, et le comte lui-même, sur les grands faits d’armes arrivés de l’un et de l’autre côté des Pyrénées. […] Mais, certes, quant à quelques centaines de vilains nés pour labourer la terre, le noble historien témoigne pour eux aussi peu, peut-être moins de sympathie que John Grahame de Claverhouse lui-même. » Froissart cependant a presque besoin d’être justifié et lavé d’un tel éloge, dont il ne faut accepter pour lui que l’enthousiasme, en laissant de côté ce qui tient au fanatisme.
C’était au reste un très bel esprit, capable de tout ce qu’il voulait entreprendre : ses Fables, au sentiment des plus habiles, ne mourront jamais, et lui feront honneur dans toute la postérité… Ce sont ces Fables et tout ce côté de génie auquel Maucroix n’atteignit et n’aspira jamais ; il avait du reste le bel esprit, les grâces, la candeur. […] Voilà un côté de Maucroix administrateur qu’on ne trouverait pas chez La Fontaine. […] C’est là qu’il recevait Boileau et Racine lorsque ceux-ci faisaient quelque voyage de ce côté à la suite du roi ; et, à l’époque de la mort de La Fontaine, Boileau rappelait à Maucroix le souvenir de ces visites dans une lettre touchante et plus sensible qu’on ne l’attendrait du sévère critique : … Le loisir que je me suis trouvé aujourd’hui à Auteuil m’a comme transporté à Reims, où je me suis imaginé que je vous entretenais dans votre jardin, et que je vous revoyais encore, comme autrefois, avec tous ces chers amis que nous avons perdus, et qui ont disparu velut somnium surgentis.
La vertu ou vraie prud’homie, que Charron veut édifier là-dessus, est à son tour « libre et franche, mâle et généreuse, riante et joyeuse, égale, uniforme et constante, marchant d’un pas ferme, fier et hautain, allant toujours son train, sans regarder de côté ni derrière, sans s’arrêter et altérer son pas et ses allures pour le vent, le temps, les occasions ». […] Toutefois, sa pensée et sa recommandation, pour être appréciées comme il faut, ne doivent point se séparer des temps où il écrivait : qu’on se reporte, en effet, à ce lendemain des guerres civiles et des fanatismes sanglants, à ces horreurs récentes exercées des deux parts au nom de la religion et d’une fausse piété, et l’on concevra tout le sens et l’application de cet endroit ; il redoute la confusion si facile à faire quand un zèle excessif s’en mêle ; il craint à bon escient et par expérience que l’on ne traite comme malhonnêtes gens et criminels tous ceux qui ne pensent point en matière de foi comme nous-mêmes, et il cherche, en émancipant moralement la probité, à bien établir qu’il y a des vertus respectables qui peuvent subsister à côté et indépendamment de la croyance. […] Il a des pages très ingénieuses, très fines, sur l’instinct et la raison, sur les caractères qui les spécifient, perfection prompte, courte et immobile, d’un côté, perfectibilité de l’autre.
On le traite comme un classique, comme un classique d’arrière-garde, et qui prête flanc par bien des côtés. […] Cependant il se formait à cette époque, et surtout chez les jésuites, toute une génération polie, assez mondaine, qui avait un pied dans la littérature du temps et un autre dans la littérature scolaire, et qui sut faire de la poésie latine une branche de côté, une plate-bande étroite, mais encore admise dans le riche parterre du grand règne. […] « — Et ne croyez pas, jeune homme, que dans ce premier vers la césure qui manque soit un défaut ; c’est la fatigue de monter, c’est la respiration inégale des Nymphes qu’il s’agissait de rendre. » — Santeul a dû bien des fois faire remarquer cette beauté d’harmonie à quelque écolier qui passait devant la fontaine ; et si l’écolier avait été un peu émancipé déjà et un peu précurseur de l’âge futur, ou seulement s’il avait eu pour mère une d’Hervart ou une La Sablière, il aurait pu lui répliquer aussi tôt, en le narguant ; Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé.