Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce ; recula parmi nous la décadence de la peinture de plus de cent ans peut-être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre. C’est le génie d’un seul qui fait éclore les arts ; c’est le goût général qui perfectionne les artistes.
Il n’en pouvait être, ainsi pour Wagner, car il était artiste, c’est-à-dire le plus homme des hommes. […] Quand on considère l’attitude du public envers lui, envers Berlioz, envers tous les grands artistes enfin, il est difficile de ne pas lui donner raison sur ce point. […] Ceci revient à dire que Lohengrin n’est pas seulement la tragédie de l’artiste, mais qu’elle est aussi celle de l’homme moderne en général. En effet l’artiste n’est rien autre chose que l’homme en qui les conflits, dont le champ est l’humanité toute entière, se manifestent avec le plus de force. […] Déjà, d’ailleurs, des bourses de voyages et des places aux Représentations de Bayreuth, ont été données, en 1883 et en 1884, spécialement par l’Association, à des artistes et amateurs, de toutes les nations.
Enfin, et c’est le dernier facteur du génie de Mme de Staël qu’il nous faille considérer, elle n’a pas du tout une nature artiste. […] L’art antique ne lui dit rien ; comparez encore les descriptions de Corinne à certains passages des Martyrs et de l’Itinéraire : ici les visions d’un artiste puissant, là les notes d’un touriste curieux. […] Impuissante à créer, elle excelle à noter ; et si elle a le style le moins artiste du monde, comme écrivain d’idées elle est supérieure. […] Comme elle n’est pas artiste, elle voit dans la perfection artistique presque un inconvénient, une infériorité : la beauté formelle lui rend plus difficile à saisir la personnalité de l’œuvre. […] Cette Allemagne, qui n’est pas celle de Henri Heine, qui n’est pas celle dont nous avons eu la révélation en 1870, a été vraie à une certaine date : ce qui nous intéresse ici, c’est que, malgré Henri Heine, elle est restée jusqu’en 1870 l’Allemagne de nos littérateurs et de nos artistes.
Mais passons, car ces mérites, d’autres artistes les possèdent au même degré. […] Bien des gens nerveux, capricieux et frivoles à moins qu’ils ne soient, au contraire, très philosophes ne tiennent guère compte que de la personne même de l’artiste, qui leur est sympathique ou antipathique, voilà tout. […] Mais voici la plus grande originalité de cette artiste si complètement personnelle. […] Et le jeu de cette grande artiste n’est point seulement poignant et enveloppant à la fois ; il est personnel jusqu’à l’excès et pour ainsi dire coloré. […] Vous allez vous montrer là-bas à des hommes de peu d’art et de peu de littérature, qui vous comprendront mal, qui vous regarderont du même œil qu’on regarde un veau à cinq pattes, qui verront en vous l’être extravagant et bruyant, non l’artiste infiniment séduisante, et qui ne reconnaîtront que vous avez du talent que parce qu’ils payeront fort cher pour vous entendre.