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1819. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Quand je songe que, dans l’âge voisin de la vieillesse et de ses infirmités, me voilà seul sur la terre, comme un célibataire débauché ou un homme personnel qui n’a vu que lui dans la nature ; que le sein sur lequel je m’appuie doucement, pour y chercher la consolation, est le sein d’une bonne mère de soixante-quinze ans ; que les objets qui devaient vivre avec moi et auprès de moi m’ont précédé si jeunes dans le tombeau ; quand je parcours tout cet espace qu’on appelle la vie, et que j’embrasse d’un coup d’œil cette longue chaîne de besoins, de désirs, de craintes, de peines, d’erreurs, de passions, de troubles et de misères de toute sorte, je rends grâces à Dieu de n’avoir plus à sortir du port où il m’a conduit ; je le remercie de la tendre mère qu’il me laisse, et des amis qu’il m’a donnés, et surtout de pouvoir descendre dans mon cœur, sans le trouver méchant et corrompu. […] je vois bien des crimes là-dessous. » Depuis lors, Talma appelait Ducis son parrain, et celui-ci l’avait baptisé son filleul : « La Tragédie, lui disait-il, a soufflé sur votre berceau. […] Et parlant de lui à Lemercier même, qu’il appelle un audacieux et « un brave sur les champs de bataille de Melpomène », — un de ces braves en effet presque toujours blessés et malheureux, mais revenant toujours à la charge : « Quel talent, s’écriait-il, que celui de notre Othello ! […] Ducis était sur le chemin de la tragédie, telle qu’il l’eut souhaitée et qu’il l’appelait de ses vœux en la demandant partout autour de lui aux poètes de son temps ; mais la tragédie ne se commande point.

1820. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Ce fut surtout après son initiation dans ce qu’on appelle le faubourg Saint-Germain, qu’il devint tout à fait équitable dans la répartition de ses éloges. […] Notre jugement sur quelques personnes historiques est différent, notre jugement sur les résultats actuels est peut-être différent encore ; mais j’avais la confiance d’en appeler avec vous aux idées générales… Dans un mois ou six semaines, je compte faire une course à Florence ; j’espère alors vous voir, j’espère encore vous trouver bonne pour moi, comme vous l’avez toujours été. […] Genève était alors un foyer de prosélytisme pour ce qu’on a appelé le réveil chrétien ou le méthodisme. […] Pour son Histoire des Français, que j’ai appelée précédemment une compilation, il protesterait contre un pareil terme, son livre étant réellement fait d’original et d’après les sources.

1821. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Mais enfin, le signal ayant été donné, même quand le moment n’était pas choisi, et que certaines conjonctures pouvaient sembler contrariantes, il y avait sans doute pour tous ceux qui étaient appelés à concourir à l’œuvre et à la rendre exécutoire, il y avait à entrer dans la nouvelle situation soudainement créée, à s’y faire de bon cœur dès qu’on l’acceptait, à y répondre d’une manière plus prompte, moins indécise et avec une largeur de concession qui eût paru de meilleure grâce. […] J’appelle cela un contre-sens à la loi. […] Il n’est pas bon de recourir, comme on le fait trop souvent, à ces armes législatives de ce que j’appelle les mauvais temps de la Restauration et qui lui ont si peu réussi. […] Boinvilliers a développé devant vous avec l’éloquence inflexible de la logique et des chiffres, ce qui n’est que la vérité la plus exacte : c’est que, si l’on a fait quelque chose pour la diminution du droit du timbre, on a fait trop peu ; le dégrèvement est trop faible : on n’a pas tenu compte des dures conditions qui pèsent sur cette entreprise morale appelée journal et qui devrait surtout porter une idée.

1822. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Non pas que le but de l’art soit d’exprimer les personnages historiques dans leur individualité, ni qu’il importe en soi si l’athée s’appelle Énée ou Mézence, ou le fratricide Néron ou Marc-Aurèle : mais ces noms évoquent dans les esprits certaines images indestructibles et irréfrénables, dans lesquelles doit nécessairement se couler l’étude de psychologie générale. […] Sans débattre la question s’il y a des poèmes en prose, et semblant même l’admettre, quand il appelle de ce nom les romans, Boileau, en général, regarde le vers comme la forme originale et propre de la poésie. […] Et puis, ne conviendrons-nous pas qu’un héros poétique fait mieux de s’appeler Rodrigue que Manco-Capac ? […] C’est beaucoup pourtant déjà qu’il ait dit que réduire l’ode au langage qu’on appelle communément naturel, lui imposer « un ordre méthodique », et « d’exactes liaisons de sens », ce serait, si le fond nécessite la forme qui l’exprime, « ôter l’âme à la poésie lyrique » : c’est beaucoup d’avoir compris en son temps qu’une ode n’est ni un discours ni une dissertation ni une narration d’histoire, et que ce genre a son ordre, sa clarté propres et d’un caractère tout spécial.

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