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1065. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

C’est depuis que la linguistique et la philologie, dans l’éducation de l’érudit, ont usurpé ce premier rang, qui n’appartenait autrefois et qui ne devrait toujours appartenir qu’aux seules humanités. […] Mais déjà ni les inventaires d’un roi, ni les comptes d’un argentier, ni les livres de cuisine n’appartiennent à la littérature : je veux dire que ces sortes de détails ne manquent pas ailleurs que dans les chansons ou dans les fabliaux, et qu’on les retrouve aussi bien dans la prose des chroniques latines. […] Et par là tombe le prétendu témoignage des frères Parfaict et de M. de Trallage ; le séjour de Molière à Bordeaux appartient à la tradition, non pas encore à l’histoire ; et nous restons libres de le placer dans le temps qui nous conviendra, jusqu’à démonstration authentique d’erreur. […] Mais enfin, ces sortes de menus détails appartiennent plutôt à l’histoire littéraire qu’à l’histoire même de Molière. […] Mais quand on a travaillé, comme Voltaire, pendant soixante ans, à jouer un rôle sur la scène de l’histoire et de la politique, et que, dédaignant les paisibles jouissances de l’artiste, on a tout fait pour devenir homme public, quand on a tout mis en œuvre, jusqu’aux pires moyens, pour confondre l’histoire de tout un grand siècle avec sa propre histoire, ce n’est plus l’écrivain seulement, c’est l’homme qui nous appartient, et qui nous appartient tout entier.

1066. (1883) Le roman naturaliste

C’est qu’en effet nous n’appartenons à la réalité que par les parties les moins nobles de nous-mêmes, ― cette nécessité du labeur journalier qui nous réduit au rôle de machines, ou les appétits qui nous confondent avec l’animal, ― et que tout ce qu’il y a de supérieur en nous, conspire à nous relever de la déchéance où nous maintient l’asservissement à la matière. […] Daudet obtient-il des effets vraiment extraordinaires, et qui n’appartiennent qu’à lui. […] Si vous n’admettez pas que la peinture suppléera systématiquement, par les moyens qui lui appartiennent et qui font qu’elle est la peinture, à la représentation du corps solide sous ses trois dimensions, il n’y a plus de peinture. […] « N’appartenons-nous pas, — dit le sentimental M. de Vandenesse à la non moins sentimentale madame de Mortsauf, — n’appartenons-nous pas au petit nombre de créatures privilégiées pour la douleur ou pour le plaisir, de qui les qualités sensibles vibrent toutes à l’unisson en produisant de grands retentissements intérieurs, et dont la nature nerveuse est en harmonie constante avec le principe des choses ?  […] Le bon naturalisme est essentiellement l’art, — en ne sacrifiant rien de la vérité profondément humaine, — de caractériser cette unique famille, una domus, par des traits qui n’appartiennent qu’à elle.

1067. (1922) Gustave Flaubert

En 1871, après la mort de son mari, ayant affaire à Trouville où l’hôtel Bellevue appartient à la succession, elle s’arrête à Croisset, le 8 novembre 1871. […] Je dis le sens de l’histoire, qui appartient au talent, et non le sens de l’archéologie, qui relève du métier. […] Les nations, comme des flots, mugissaient autour d’elle, et la moindre tempête ébranlait cette formidable machine. » Flaubert a surtout saisi avec justesse ce qui dans la psychologie politique de Carthage appartient au général plutôt qu’au local. […] La vie d’un être individuel, dans l’humble sphère où existe Félicité, n’appartient pas à l’histoire, mais elle est à elle toute seule une histoire. […] Les italiques indiquent qu’ils ne font pas partie du langage de l’auteur, mais donnent des exemples du langage par clichés qui appartient naturellement aux habitants d’Yonville.

1068. (1886) Le roman russe pp. -351

Les âmes n’appartiennent à personne, elles tournoient, cherchant un guide, comme les hirondelles rasent le marais sous l’orage, éperdues dans le froid, les ténèbres et le bruit. […] Tout ce qui passe sur la terre et dans le ciel russes lui appartient. […] Mais à ses débuts, alors qu’il appartenait encore à la « droite hégélienne » et qu’il restait sur le terrain littéraire, il a rendu de grands services. […] Dans les lettres comme en politique, un peuple suit d’instinct les hommes qu’il sent lui appartenir, qui sont faits de sa chair et de son génie, pétris de ses qualités et de ses défauts. […] Cette existence, ce milieu, et en particulier la sphère à laquelle j’appartenais, la sphère des propriétaires campagnards et du servage, — ne m’offraient rien qui pût me retenir.

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