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1351. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Et tant qu’à choisir entre les petites et les grosses ficelles, ma foi, je préfère les grosses, les toutes franches : ce sont celles de l’ancien répertoire. […] Or, avec les nouveaux censeurs, — qui, je crois bien, sont toujours les anciens, — je n’ai pas seulement à appréhender qu’ils trouvent notre pièce ou trop légitimiste ou trop révolutionnaire ; par le fait cruel des derniers événements, j’ai à craindre qu’ils ne découvrent, en notre troisième acte — écrit en 1867, dans la prévision certaine de la guerre future, — des allusions, des manœuvres tendant à une agitation dangereuse pour nos relations avec la Prusse. […] Voici la route de Bellevue, et, sur cette route, nous rencontrons tenant par la main un joli enfant, la jeune fille, jeune femme aujourd’hui, que l’un de nous a eu, au moins pendant huit jours, la très sérieuse pensée d’épouser… et qui nous rappelle du vieux passé… Il y a des années qu’on ne s’est vu… On s’apprend les morts et les mariages… et l’on nous gronde doucement d’avoir oublié d’anciens amis… Puis nous voilà dans la maison de santé du docteur Fleuri, causant avec Banville, et croisant dans notre promenade, le vieux dieu du drame, le vieux Frédérick Lemaître… « … Dans tout cela, par tous ces chemins, en toutes ces rencontres, au milieu de toute notre vie morte que le hasard ramène autour de nous et qui semble nous mener à une vie nouvelle, nous roulons, les oreilles et les yeux aux bruits et aux choses comme à des présages bons ou mauvais, et prêtant à la nature le sentiment de notre fièvre… En rentrant : rien. » Une semaine après, nous apprenions que notre pièce n’était ni reçue ni refusée, que Beaufort voyait un danger dans la mise à la scène de la petite presse… qu’il attendait. […] Au contraire, elle mettait en nous la volonté entêtée et presque colère de faire une dizaine de pièces coup sur coup, et cette fois sans aucune concession aux ingénieuses ficelles, au secret, à tout ce charpentage moderne dont n’a jamais usé l’ancien, le classique répertoire. […] Avec l’évolution des genres qu’amènent les siècles, et dans laquelle est en train de passer au premier plan le roman, qu’il soit spiritualiste ou réaliste ; avec le manque prochain sur la scène française de l’irremplaçable Hugo, dont la hautaine imagination et la magnifique langue planent uniquement sur le terre-à-terre général ; avec le peu d’influence du théâtre actuel en Europe, si ce n’est dans les agences théâtrales ; avec l’endormement des auteurs en des machines usées au milieu du renouveau de toutes les branches de la littérature ; avec la diminution des facultés créatrices dans la seconde fournée de la génération dramatique contemporaine ; avec les empêchements apportés à la représentation de pièces de purs hommes de lettres ; avec de grosses subventions dont l’argent n’aide jamais un débutant ; avec l’amusante tendance du gouvernement à n’accepter de tentatives dans un ordre élevé que de gens sans talent ; avec, dans les collaborations, le doublement du poète par un auteur d’affaires ; avec le remplacement de l’ancien parterre lettré de la Comédie-Française par un public d’opéra ; avec… avec… avec des actrices qui ne sont plus guère pour la plupart que des porte-manteaux de Worth ; et encore avec des avec qui n’en finiraient pas, l’art théâtral, le grand art français du passé, l’art de Corneille, de Racine, de Molière et de Beaumarchais est destiné, dans une cinquantaine d’années tout au plus, à devenir une grossière distraction, n’ayant plus rien de commun avec l’écriture, le style, le bel esprit, quelque chose digne de prendre place entre des exercices de chiens savants et une exhibition de marionnettes à tirades.

1352. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

L’examen des crânes, des momies, des ossements, des monuments iconographiques les plus anciens montre qu’il y eut/en chaque groupe social, aussi loin que nous pouvons remonter, plusieurs types somatiques distincts qui se perpétuent et se croisent de manière à durer et à se multiplier. […] Tous les historiens modernes ont remarqué celle progression de la liberté individuelle de penser, des temps anciens aux nôtres, et M.  […] Stendhal admire le mélange de passion et de réalisme des anciennes chroniques italiennes, la douce volupté de la musique de Cimarosa ; il n’aime point le style oratoire des romantiques qu’il défend cependant pour la sincérité de leur lyrisme ; Mérimée dénigre Victor Hugo, admire Stendhal et parfois Byron ; Musset ne cachait pas sa préférence pour Byron ; Lamartine aimait Ossian ; Théophile Gautier et les parnassiens admirent Victor Hugo, dans lequel cependant ils préfèrent le versificateur et le styliste au penseur ; Baudelaire affectionne Poe, Gautier et Delacroix ; Flaubert admire à la fois Balzac, Hugo et certains livres de science, certaines cadences de phrase ; les Goncourt vont à Balzac, à Heine, aux peintres du joli et du mouvement, les Japonais et ceux du XVIIIe siècle ; M.  […] Que l’on néglige les cas de la Renaissance en France et du XVIIIe siècle en Angleterre où des causes politiques et perturbatrices sont en jeu ; ce qui s’est passé à Rome dès le premier éveil de la littérature, ce qui s’est passé en France au XVIIe siècle pour la tragédie, au XVIIIe pour la philosophie et pour le roman, au XIXe pour la poésie lyrique, ne peut être éclairé par aucune des lois de l’ancienne critique sociologique. […] Consulter Taine, Ancien régime, la Cité antique.

1353. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

En Suède, elle retrouve Bernadotte, ce cadet de Gascogne qui avait si parfaitement oublié ce qu’il devait à son ancien compagnon d’armes. […] Les grands chefs militaires, ses anciens compagnons d’armes, le jalousent et ne lui font cortège qu’en maugréant. […] Les cadres de l’ancienne société avaient été brisés et, par suite, les traditions qui y étaient attachées avaient sombré. […] Ruy Gomez et plus tard Nangis et Saint-Vallier sont des vieillards qui semblent détachés de nos anciennes chansons de geste. […] Quels liens le souvenir d’anciennes voluptés a-t-il noués entre ces deux êtres ?

1354. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

C’est pourquoi, au théâtre, l’ancienne unité décorative ne correspondrait plus en rien à nos idées actuelles. […] Quant à ce que nous appelons la couleur locale et la vérité historique, les anciens ne s’en préoccupaient nullement. […] Chez les anciens, le rôle du chœur était bien plus considérable que ne l’est jamais chez les modernes la figuration. […] Plus les types sont généraux, et c’est le cas de la tragédie et de l’ancienne comédie, plus les images initiales sont générales. […] Le plus souvent, il sera prudent de s’en tenir à l’ancienne conception décorative qui ne recherche qu’un effet simple et général.

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