Soit donc qu’il s’agisse de règles pour la conduite, ou de peintures de l’homme, nous sommes, au premier degré, juges compétents de la vérité du sermon. […] Elle était digne de Bossuet, et j’admire qu’avec une science si profonde des cœurs, quand il pouvait les ouvrir, pour ainsi parler, et les étaler tout vifs sur la chaire, il aime mieux poursuivre et harceler son auditoire d’austères explications du dogme, et songe plutôt à lui faire peur de ne pas croire qu’à l’intéresser par l’imagination à bien agir. […] S’agît-il d’autrui, nous y prenons un double plaisir, celui de n’être pas dans le cas signalé par le prédicateur, et celui d’y voir les autres. […] Enfin Marie, la médiatrice, il n’ose pas la contempler dans la dignité ineffable que le mystère lui a faite ; il ne la voit pas comme Bossuet, avec ses grâces qui rendent le mystère plus aimable ; il s’en fait des images sévères et tristes, et quand il parle « de son exacte régularité, de son attention à ne se relâcher jamais sur les moindres bienséances, de sa conduite à l’épreuve de la plus rigide censure », ne dirait-on pas qu’il s’agit de quelque pénitente ou d’une personne en religion ?
S’il s’agit, pour un littérateur, de désigner un arbre particulier, une nuance précise de bleu perçu, une façon de frapper, il n’y parvient qu’en accouplant à grand’peine une série de mots toujours génériques mais qui se bornent réciproquement et, à force de se préciser les uns les autres, parviennent enfin à cerner, pour ainsi dire, mais toujours à distance, l’objet qu’il s’agit de montrer. […] Dostoïewski poussant plus loin encore la déformation que ces observateurs passionnés font subir à ce qu’ils voient, en vient, à force de perpétuel et trépidant émoi, à fantastiser, si l’on peut dire, la réalité, à réduire les personnages en des sortes de fous constamment furieux ou hagards, les descriptions en hallucinations de songe, les scènes en péripéties de cauchemar, et agit ainsi sur le spectateur, moins par le contenu réel de ce qu’il lui montre, que par le sentiment qu’il donne de l’état de conscience trouble et dément dans lequel l’auteur dut se trouver pour déformer ainsi tout ce que le monde lui montre. […] S’il est doublé d’un psychologue, à plus forte raison, les romanciers de l’âme et les poètes sensitifs, les hommes à la Stendhal et à la Baudelaire se regardent vivre, vouloir, aimer, haïr, sentent sans cesse, à côté des portions d’homme normal et instinctif qui subsistent en eux, un impassible et perspicace témoin, qui mine leur activité spontanée en la contrôlant : Il semble avoir deux âmes, dit M. de Maupassant dans un article récent, l’une qui recueille et commente chaque sensation de sa voisine, l’âme naturelle commune à tous les hommes ; et il vit condamné à être toujours, en toute occasion, un reflet de lui-même et un reflet des autres, condamné, à se regarder sentir, agir, aimer, penser, souffrir, et à ne jamais souffrir, penser, aimer, sentir comme tout le monde, bonnement, franchement, simplement, sans s’analyser soi-même après chaque joie et après chaque sanglot…..
Il était, nous dit Huet qui l’avait beaucoup connu, et qui même s’était senti dévotement enflammé par lui pendant une semaine sainte, il était d’un naturel hardi et ardent ; nulle considération ne l’arrêtait lorsqu’il s’agissait des intérêts de Dieu et de la charité. […] Mais doit-on s’en étonner, puisqu’il est assez visible qu’il n’agit que par vos conseils, et que vos conseils peuvent tout ?
Ce merveilleux petit ouvrage, qu’il ne fut, dit-on, que six semaines à écrire, se compose de dix sermons dans lesquels, tout en se faisant petit par moments et en se mettant par quelques exhortations à la portée du roi enfant qu’il s’agissait d’instruire, Massillon s’adresse le plus souvent aux grands qui l’écoutent, et, tout en les enchantant, les morigène sur leurs vices, sur leurs excès et leurs endurcissements, sur leurs devoirs, sur les obligations chrétiennes qui sont imposées à la grandeur. […] Dans cet âge où les affections de l’esprit et celles de l’âme ont une communication réciproquement si soudaine, où la pensée et le sentiment agissent et réagissent l’un sur l’autre avec tant de rapidité, il n’est personne à qui quelquefois il ne soit arrivé, en voyant un grand homme, d’imprimer sur son front les traits du caractère de son âme ou de son génie.