C’est pour cela qu’il excelle particulièrement dans la peinture de l’ambitieux pauvre, et que ses jeunes gens en lutte contre la société et ses hommes d’affaires implacables, un Rastignac, un Rubempré, un Nucingen, un Grandet, sont devenus des types légendaires auxquels nous comparons sans cesse la vie, pour dire de tel remarquable aventurier : « C’est un homme de Balzac », ou de telle ténébreuse intrigue : « C’est un roman de Balzac. » Il y a bien de l’injustice dans une opinion qui semble oublier que le créateur de Rastignac l’est aussi de d’Arthez, et que les magnifiques figures morales abondent dans cette fresque immense. […] Deux caractères paraissent avoir couru d’un bout à l’autre de cette sérieuse lignée bourgeoise : le goût des idées générales et le sens des affaires. […] Réalistes de doctrine, ils se piquaient de ne penser qu’avec exactitude et par observation, voilà le premier caractère. — Le second, c’est que sous le second Empire, comme à l’époque de l’Encyclopédie, ces réalistes professionnels vivaient dans le milieu le plus artificiel, le plus étranger à la réalité, hors des affaires publiques, hors du métier, hors de la société, sans contact intime avec la terre, puisqu’ils habitaient Paris, sans vision directe des hommes, puisqu’ils n’avaient jamais agi. […] Ce n’est pas davantage à sa majorité politique, et quand on l’invite à donner son opinion sur les affaires du pays par un bulletin de vote. […] Affaire, la Duchesse de Langeais, Splendeurs et Misères des courtisanes, — je cite au hasard : « Jetez-vous tout d’abord dans l’action.
C’est bien là son affaire ! […] Mais à bien regarder la chose, pour les gens qui, comme moi, veulent que les affaires d’art ne se traitent qu’entre aristocrates et qui croient que c’est la rareté des élus qui fait le paradis, tout est ainsi pour le mieux.
Alors, comme ils savaient à qui ils avaient affaire, ils se tenaient sur la réserve et ne lui accordaient que peu de chose. […] Ne croyez pas qu’il aime la vérité par curiosité passionnée, comme nous l’aimons trop souvent ; non, elle est pour lui une affaire de vie ou de mort ; il l’aime avec cette intrépidité philosophique qui pousse une grande âme à contempler son redoutable aspect, dût-elle mourir ensuite du secret pénétré, comme on mourait chez les Juifs, lorsque l’oreille avait reçu le son des syllabes du nom mystérieux d’Adonaï. […] On pense à l’existence d’une cour minuscule où le principal office du grand chambellan serait d’ordonner d’atteler pour la promenade journalière du prince, où les principales affaires du premier ministre seraient la destitution d’un jardinier négligent ou la promulgation d’ordonnances pour l’éclairage des réverbères. […] L’homme, dans notre société, obéit chaque jour à vingt maîtres différents, selon les affaires qu’il doit traiter ou les devoirs qu’il doit remplir ; le morave n’obéit jamais qu’à un seul, ou plutôt dans tous les maîtres il n’en voit qu’un seul, et c’est cette simplification qui fait de sa vie une vie absolument religieuse et qui lui donne une ressemblance trompeuse avec la vie des sociétés monastiques. […] Il eut dès lors toujours présent à ses côtés un spectre invisible pour tout le monde, visible pour lui seulement, et la pensée du néant, qui ne se présente à l’esprit des autres hommes que pour en être chassée par les préoccupations des plaisirs et des affaires, lui devint familière et chère entre toutes.
On a vu, lors d’une récente affaire, ces tombées brusques de la flèche, qui font songer aux balances du Dr Crookes impressionnées par l’inconscient. Le Jansénisme fut une affaire tellement semblable à la nôtre que c’en est humiliant. […] Les affaires valent mieux faites qu’à faire et le contentement qui dure est meilleur que celui qui finit34. » Ce fragment appartient bien à la philosophie des Jésuites. […] Les femmes se jetaient sur lui, le consultant sur leurs affaires, leurs migraines, l’avenir de leur dernier-né.