Il s’y plaint de cette éducation lâche, qui affaiblit à la fois l’un et l’autre ; détruit le ressort de l’âme, en énervant la volonté ; détruit les moyens des grandes actions, en énervant les forces ; prépare la crainte avant le danger, et la faiblesse dans le malheur. Tel est un autre endroit sur l’utilité de mettre de bonne heure un jeune prince en action ; de familiariser et ses yeux et son âme avec les périls, les combats, les peuples et les armées ; de lui faire connaître par lui-même, dans son empire, la situation des lieux, l’étendue des pays, la puissance des nations, la population des villes, le caractère des peuples, leur force, leur pauvreté, leur richesse.
On citerait les grandes actions ; on citerait cette foule de traits qui, dans le cours d’une campagne ou d’une guerre, échappent à des héros que souvent on ne connaissait point ; car il est des hommes qui, simples et peu remarqués dans l’usage ordinaire de la vie, déploient dans les grands dangers un grand caractère, et révèlent tout à coup le secret de leur âme. […] Mais, si en rappelant le souvenir de ces batailles, monuments de deuil et de grandeur, si en retraçant les actions et la mort de tant de guerriers, on voyait une larme s’échapper de l’œil du souverain ; si l’orateur, s’interrompant tout à coup, la faisait remarquera la jeune noblesse qui l’écoute, croit-on qu’un jour, dans les combats, elle n’eût pas sans cesse présent le spectacle qui l’eût frappée dans son enfance ?
III De là un autre tiroir s’ouvre, et celui-là nous ramène plus directement à l’action très complaisamment étudiée des romans populaires. […] Il s’avoua qu’il avait commis une action extrême et blâmable ; qu’on ne lui eût peut-être pas refusé ce pain, s’il l’avait demandé ; que dans tous les cas il eût mieux valu l’attendre, soit de la pitié, soit du travail ; que ce n’est pas tout à fait une raison sans réplique de dire : Peut-on attendre quand on a faim ? […] « Pour résumer en terminant ce qui peut être résumé et traduit en résultats positifs dans tout ce que nous venons d’indiquer, nous nous bornerons à constater qu’en dix-neuf ans, Jean Valjean, l’inoffensif émondeur de Faverolles, le redoutable galérien de Toulon, était devenu capable, grâce à la manière dont le bagne l’avait façonné, de deux espèces de mauvaises actions : premièrement, d’une mauvaise action rapide, irréfléchie, pleine d’étourdissement, toute d’instinct, sorte de représailles pour le mal souffert ; deuxièmement, d’une mauvaise action grave, sérieuse, débattue en conscience et méditée avec les idées fausses que peut donner un pareil malheur.
Mais dans Don Juan, le temps est de convention, au moins pour certaines scènes : afin d’en avoir l’équivalent réel, il faut diluer la brièveté rapide de l’action dans un temps plus long. […] Mais le resserrement de l’action dans la convention dramatique en fait saillir vigoureusement et le comique et la moralité. […] Ce n’est pas que, quand le sujet l’y porte, il ne sache dresser une intrigue vraie, ou même se passer î d’intrigue, et laisser la vie même par son mouvement naturel déterminer l’évolution de l’action comique : le Misanthrope, Georges Dandin nous en offrent des exemples. […] Emboîter ces réalités individuelles les unes dans les autres, équilibrer les actions et les réactions, établir partout des correspondances si exactes, que, les personnages une fois posés, l’auteur soit seulement le secrétaire de leurs propos, l’enregistreur de leurs actions, voilà peut-être la partie la plus délicate de l’œuvre comique, et où le génie de Molière apparaît le plus.