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622. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Il est rare qu’un être qui n’est pas tout entier à son action ne soit pas maniéré. […] Les mouvements souples, gracieux, délicats qu’il donnait aux membres, écartaient l’animal des actions simples, réelles, de la nature, auxquelles il substituait des attitudes de convention, qu’il entendait mieux que personne au monde.

623. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Les Chinois, les Phéniciens, les Arabes célébraient par des chants les grandes actions et les grands hommes. […] Ces chants se conservaient par la mémoire, et passaient d’âge en âge ; on les répétait dans les familles ; on les chantait dans les fêtes ; la veille des batailles ils servaient de prélude aux combats ; ils animaient le guerrier et servaient de consolation aux vieillards ; le héros qui ne pouvait plus combattre, assis sous le chêne, entendait chanter les exploits de sa jeunesse, et il était entouré de ses fils et de ses petits-fils, qui, appuyés sur leur lance, écoutaient en pleurant les actions de leurs pères.

624. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ; a mieux tiré de grands résultats des plus petits événements ; a mieux fait à chaque ligne, dans l’histoire d’un homme, l’histoire de l’esprit humain et de tous les siècles ; a mieux surpris la bassesse qui se cache et s’enveloppe ; a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l’âme se dissimule ; a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l’assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires ; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécile dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien, les crimes de la domination et ceux de l’esclavage, la fierté qui sert d’un côté pour commander de l’autre, la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie, le caractère et l’esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l’instinct féroce et avide du soldat, l’instinct tumultueux et faible de la multitude, et dans Rome la stupidité d’un grand peuple à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu’on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu’il aurait foulé aux pieds si un autre eût vaincu ? […] Moi-même, quand j’exhorterai ton épouse et ta fille à honorer ta mémoire, je leur dirai de se rappeler sans cesse et tes actions et tes discours, d’embrasser ta renommée, et, pour ainsi dire, ton âme, plutôt que de vaines statues ; non que je veuille défendre de reproduire sur le marbre ou l’airain les traits des grands hommes ; mais ces images sont mortelles, comme ce qu’elles représentent, au lieu que l’empreinte de l’âme est éternelle.

625. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Une seule voix sans parole, non pas sans harmonie, sans force, mais irrésistible, proclame un Dieu au fond de notre cœur : tout ce qui est vraiment beau dans l’homme naît de ce qu’il éprouve intérieurement et spontanément : toute action héroïque est inspirée par la liberté morale ; l’acte de se dévouer à la volonté divine, cet acte que toutes les sensations combattent et que l’enthousiasme seul inspire, est si noble et si pur, que les anges eux-mêmes, vertueux par nature et sans obstacle, pourraient l’envier à l’homme. […] « Si la plupart des hommes corrompus se sont appuyés sur la philosophie matérialiste, lorsqu’ils ont voulu s’avilir méthodiquement et mettre leurs actions en théorie, c’est qu’ils croyaient, en soumettant l’âme aux sensations, se délivrer ainsi de la responsabilité de leur conduite. […] « Si le calcul doit présider à tout, les actions des hommes seront jugées d’après le succès : l’homme dont les bons sentiments ont causé le malheur, sera justement blâmé ; l’homme pervers mais habile sera justement applaudi. […] » LII L’enthousiasme lui révèle la beauté suprême du sacrifice, cette foi en action dans l’immortalité. […] Il n’a manqué à cette femme, pour être la première des femmes d’action et des femmes de gloire, que l’échafaud de Marie-Antoinette ou de madame Roland.

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