Il est fâcheux que, chez lui, tout reste si souvent à l’état confus. […] Victor Hugo revient souvent sur cette idée que la nuit, loin d’être un état accidentel et passager dans l’univers, est l’état propre et normal de la création spéciale dont nous faisons partie : « Le jour ; bref dans la durée comme dans l’espace, n’est qu’une proximité d’étoile. » Et cette nuit semée de rares lueurs est le symbole sensible du monde moral : Les êtres sont épars dans l’indicible horreur. […] « L’âme qui aime et qui souffre est à l’état sublime 183. » Aimer, voilà le vrai lien des êtres, voilà ce qui change le monde en une société infinie : Nul être, âme ou soleil, ne sera solitaire. […] De là, chez le lecteur, ces antipathies ou ces sympathies qui ne se formulent pas toujours, mais qui n’en sont pour cela que plus fortes ; de là, parfois, ce mauvais vouloir apparent de toute une génération pour un poète, quelque grand qu’il soit d’ailleurs, au moment où il cesse de représenter exactement l’état intellectuel et moral d’une époque. […] C’est-à-dire l’annonce d’un état où ce qu’il y a d’inconnu en nous sera « adhérent à l’infini inconnu ».
Quelle que fût sa langue, latine, ou franque, ou romane, le peuple n’a pas cessé de chanter ; il est impossible, de par les lois psychologiques et de par l’expérience, d’admettre un seul instant un silence séculaire ; au contraire, la nouvelle religion, le nouvel état politique et social devaient provoquer une nouvelle poésie. […] On s’explique que la poésie lyrique soit demeurée longtemps orale et qu’elle ait disparu sans laisser d’autres traces que des refrains et des motifs ; on s’explique encore que la farce, véritable commedia dell’ arte, n’ait pas nécessité de notation écrite ; mais on ne saurait admettre une floraison épique à l’état oral ; c’est trop demander à la faculté créatrice et à la mémoire du poète. […] Quoi qu’il en soit, la mode fût-elle prouvée, je n’en fais pas état ; la vogue du roman suffit à ma démonstration. […] La littérature, il importe d’y insister, est à la fois effet et cause ; elle exprime un état des esprits, et contribue à transformer cet état ; c’est ainsi que, par la précision des mots et des formes, par le nombre des auteurs et par le goût du public, elle établit, mieux que les « documents » historiques, les phases successives des conditions politiques et sociales dont elle est l’expression. […] On sauverait ainsi l’unité d’impression lyrique ; et, ne sortant pas du rêve, de la féérie, on rendrait en même temps les états d’âme dramatiques.
Ballanche a peint plus tard, au début de la Vision d’Hèbal, son état psychologique en cette douloureuse convalescence : « Des souffrances vives et continuelles avaient rempli toute la première partie de sa vie. […] Ballanche à leur premier état de spontanéité et ceux qu’a consacrés la lyre des Méditations nous a singulièrement frappé ; nous le retrouverons bientôt dans les Fragments. […] Nulle puissance ne serait en état de résoudre le problème posé ce jour-là. […] Ballanche disait à son jeune désespéré de 1819 pourrait s’adresser fructueusement à beaucoup des jeunes néophytes qui embrassent les siècles et l’univers : « Je veux essayer, mon fils, de guérir en vous une si triste maladie, état fâcheux de l’âme qui intervertit les saisons de la vie et place l’hiver dans un printemps privé de fleurs. » — La destinée de l’homme se compose, en effet, de deux destinées qu’il doit simultanément accomplir, une destinée individuelle proportionnée à son temps de passage sur cette terre, une destinée sociale par laquelle il concourt pour sa part à l’œuvre incessante de l’humanité.
La tristesse qu’un tel état nourrissait naturellement n’empêchait pas l’agrément et le sourire de reparaître aux moindres intervalles. […] C’est assez que d’être, disait-elle d’ordinaire, en acceptant son état inactif. […] M. de La Rochefoucauld étoit sédentaire aussi : cet état les rendoit nécessaires l’un à l’autre, et rien ne pouvoit être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. […] Ainsi, ma chère madame, nous regardons cette communion, qu’elle avoit accoutumé de faire à la Pentecôte, comme une miséricorde de Dieu, qui nous vouloit consoler de ce qu’elle n’a pas été en état de recevoir le viatique. » — Ainsi mourut et vécut dans un mélange de douceur triste et de vive souffrance, de sagesse selon le monde et de repentir devant Dieu, celle dont une idéale production nous enchante.