Ce n’est plus l’âge des La Vallière, des Soubise, des Montespan, dansant avec Louis ou autour de Louis « sous des berceaux de fleurs » ; mais c’est encore le beau moment des promenades des dames sur le canal de Versailles, des collations de Marly, de Trianon, et les enchantements n’ont point cessé. […] Cet appesantissement en partie physique qui augmentait avec l’âge, cet enchaînement aux habitudes, ce besoin d’avoir toujours autour de soi une grosse Cour, finirent par retenir le monarque à Versailles et dans ses maisons.
Mais qui nous dit que si, dès l’âge de vingt-cinq ans La Bruyère, dans un siècle différent du sien, avait été obligé pour vivre, pour se faire connaître, de tailler sa plume, d’écrire moins bien d’abord, mais vite, mais toujours, il n’aurait point tiré de lui autre chose encore que ce que nous en avons, et je veux dire autre chose de bien, qui sait ? […] Il est de ceux qui aiment à croire à un grand avenir, à une ère décidément nouvelle, et qui mettent l’âge d’or en avant : s’il y a quelque système en ceci et quelque illusion (et il en paraît convenir vers la fin), il anime ses tableaux du moins par un enthousiasme sincère et par des traits d’une imagination grandiose ; mais ce qui est mieux, il y met des tons de cordialité franche et de mâles effusions de tendresse.
De même dans la vie et la destinée des hommes, — des grands hommes —, quand les circonstances y prêtent, il est de ces heures où ils paraissent tout d’un coup se retrouver tels qu’au début pour les qualités les plus vives, pour celles même que l’âge et la fatigue avaient nécessairement diminuées. 1814 fut pour Napoléon général une de ces merveilleuses saisons de rajeunissement. […] Sans doute on aurait des jours difficiles ; il faudrait quelquefois se battre un contre trois, même un contre quatre ; mais on l’avait fait dans sa jeunesse, il fallait bien savoir le faire dans son âge mur.
C’est entre les hommes du même âge et de la même heure, ou à peu près, que le talent volontiers se choisit pour le reste de sa carrière ou pour la plus longue moitié, ses compagnons, ses témoins, ses émules, ses rivaux aussi et ses adversaires. […] Une des façons laudatives très-ordinaires à notre temps est de dire à quelqu’un qui vieillit : « Jamais votre talent n’a été plus jeune. » Ne les écoutez pas trop, ces flatteurs ; il vient toujours un moment où l’âge qu’on a au dedans se trahit.au dehors.