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236. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Avant d’être célèbre comme écrivain par son Voyage du jeune Anacharsis, qu’il publia seulement à l’âge de soixante-douze ans, Barthélemy ne fut longtemps qu’un antiquaire en effet, et c’est à ce titre qu’il avait acquis sa première et toute paisible renommée. […] Cette jeune femme, sur laquelle tous les portraits s’accordent, était, dès l’âge le plus tendre, une perfection mignonne de bon sens, de prudence, de grâce et de gentillesse : Mme de Stainville, à peine âgée de dix-huit ans, nous dit l’abbé Barthélemy, jouissait de cette profonde vénération qu’on n’accorde communément qu’à un long exercice de vertus : tout en elle inspirait de l’intérêt, son âge, sa figure, la délicatesse de sa santé, la vivacité qui animait ses paroles et ses actions, le désir de plaire qu’il lui était facile de satisfaire, et dont elle rapportait le succès à un époux digne objet de sa tendresse et de son culte, cette extrême sensibilité qui la rendait heureuse ou malheureuse du bonheur ou du malheur des autres, enfin cette pureté d’âme qui ne lui permettait pas de soupçonner le mal. […] Elle réfléchissait dans un âge où l’on commence à peine à penser… L’abbé Barthélemy a peint en mainte occasion Mme de Choiseul ; il l’a placée, elle et son mari, sous les noms de Phédime et d’Arsame dans le Voyage du jeune Anacharsis : « Phédime discerne d’un coup d’œil les différents rapports d’un objet ; d’un seul mot, elle sait les exprimer. […] Lorsque, arrivé à l’âge de soixante-dix ans, on lui conseilla de ne plus différer de publier son Jeune Anacharsis, l’ouvrage de toute sa vie, il hésita longtemps, et, lorsqu’il se décida enfin à le laisser paraître, en décembre 1788, c’est-à-dire à la veille des États généraux, son espoir était que l’attention publique, occupée ailleurs, ne se porterait que peu à peu et insensiblement sur le livre, et qu’il n’y aurait lieu ainsi ni à un succès ni à une chute : « Je voulais, dit-il, qu’il se glissât en silence dans le monde. » En tout ce qui précède, je n’ai voulu présenter l’abbé Barthélemy que dans l’ensemble de son existence et dans la distinction tempérée de son caractère : il nous en sera plus facile de parler de l’ouvrage même.

237. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Puis, tout à côté, vous la voyez redevenir, ou plutôt rester croyante à la manière des meilleurs catholiques de son âge, donner dans les moindres pratiques, et ne craindre même pas d’y associer des inconséquences. […] Ces rigueurs des âges suivants, ainsi adoucies et tempérées comme elles le sont par les mœurs générales, eussent été les bienfaits des siècles passés : il y a des points gagnés au civil qui ne se perdent plus. […] Ce ne sont pas des gaietés ni des péchés de jeunesse que ces contes ; elle les fit dans un âge très mûr ; elle les écrivit la plupart dans sa litière, en voyage, et par manière de délassement ; mais le délassement avait du sérieux. […] Telle que je viens de la montrer dans l’ensemble, en fâchant de ne pas forcer les traits et en évitant toute exagération, elle a mérité ce nom de gentil esprit, qui lui a été si universellement accordé ; elle a été la digne sœur de François Ier, la digne patronne de la Renaissance, la digne aïeule de Henri IV par la clémence comme par l’enjouement, et, dans l’auréole qui l’entoure, on aime à lui adresser ce couplet que son souvenir appelle et qui se marie bien avec sa pensée : Esprits charmants et légers qui fûtes de tout temps la grâce et l’honneur de la terre de France ; qui avez commencé de naître et de vous jouer dès les âges de fer, au sortir des horreurs sauvages ; qui passiez à côté des cloîtres et qu’on y accueillait quelquefois ; qui étiez l’âme joyeuse de la veillée bourgeoise, et la fête délicate des châteaux ; qui fleurissiez souvent tout auprès du trône ; qui dissipiez l’ennui dans les pompes, donniez de la politesse à la victoire, et qui rappreniez vite à sourire au lendemain des revers ; qui avez pris bien des formes badines, railleuses, élégantes ou tendres, faciles toujours, et qui n’avez jamais manqué de renaître au moment où l’on vous disait disparus ! les âges, pour nous, deviennent sévères ; le raisonner de plus en plus s’accrédite ; tout loisir a fui ; il y a, jusque dans nos plaisirs, un acharnement qui les fait ressembler à des affaires ; la paix elle-même est sans trêve, tant elle est occupée à l’utile ; jusque dans les journées sereines, les arrière-pensées et les soins sont en bien des âmes : c’est l’heure ou jamais du réveil, c’est l’heure encore une fois de surprendre le monde et de le réjouir ; vous en avez su de tout temps la manière, toujours nouvelle : n’abandonnez jamais la terre de France, Esprits charmants et légers54 !

238. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Mon âge, le feu des passions, le désir de la gloire, la curiosité même (pour ne te rien cacher), enfin un instinct secret m’ont arraché à la douceur du repos que je goûtais, et la satisfaction de voir mon nom dans les gazettes et ensuite dans l’histoire m’a séduit. […] Fouqué, à chaque présent dont il sent l’intention, est attendri ; il ne sait comment reconnaître cette amitié qui, depuis plus de trente ans, le cherche et l’honore, mais qui se multiplie surtout depuis que lui n’est plus bon à rien et n’est plus propre à y répondre que par ses sentiments : « Ce qui vous distingue, Sire, des autres princes, c’est que vous faites tant de bien à un homme qui ne peut, par le moindre service, vous en témoigner sa reconnaissance. » Quand il le voit étonné d’être l’objet de tant de soins, Frédéric le rassure simplement et par des mots naturels, puisés dans la meilleure et commune humanité : « Vous vous étonnez que je vous aime : vous devriez plutôt vous étonner si je n’aimais pas un officier de réputation, honnête homme, et de plus mon ancien ami. » Quoique Frédéric n’ait que cinquante-quatre ans lorsque Fouqué en a soixante-huit, il se fait exprès vieillard comme lui ; très brisé lui-même par les fatigues, il se suppose du même âge que son vieux compagnon : J’attends ici tranquillement dans mon trou le retour du printemps (9 février 1766) ; cette saison-ci n’est pas faite pour notre âge. […] À l’âge de cinquante ans, on forme difficilement de nouvelles liaisons ; et qu’est-ce que la vie sans les agréments de la société ? […] Ce vieil et dernier ami, objet de ses respects et de ses soins, ne mourut qu’à l’âge de quatre-vingt-douze ans, le 25 mai 1778.

239. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Il me prit fantaisie d’éprouver l’impression que j’en ressentirais, et si l’âge aurait affaibli en moi les échos de cette poésie qui m’avait autrefois transporté. […] Ce n’était pas seulement l’âge qui l’avait mûrie ; un nouvel élément l’avait transfigurée : j’étais chrétien. […] honneur à tous ceux que les préjugés d’hier n’ont pas arrêtés davantage et n’arrêtent pas chaque jour dans l’interprétation des fouilles terrestres profondes, dans la perscrutation intime et atomistique de la vie, ou dans l’exploration ascendante et le déchiffrement graduel des vieux âges ! […] Vous n’êtes plus sans doute un enfant ; mais, à tout âge, le poison est toujours dangereux.

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