/ 1788
1187. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

l’Académie est un salon ; pour qu’il reste le premier de tous, à de certains jours, il faut qu’il n’y manque aucune des formes et des distinctions possibles du langage.

1188. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Toutefois encore, on put remarquer dans le langage éloquent de cette muse éplorée les habitudes de sa vie première et la force de ses inclinations chéries.

1189. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Le style est d’un langage marotique hérissé de grec, et qu’on croirait forgé à l’enclume de Chapelain ; on ne sait pas où les prendre, et j’en dirais volontiers, comme Saint-Simon de M. 

1190. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

On peindra donc ses contemporains et ses compatriotes ; on marquera les détails les plus délicats et les plus fugitifs du ton, du langage, des manières, et le poëte, sans y songer, deviendra historien. — Cette recomposition des personnages recomposera l’action.

1191. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Réduites en langage commun, ses théories n’ont en général rien d’inacceptable, et beaucoup de ses jugements, encore que sévères, sont mérités.

1192. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Il avait encore une certaine grossièreté de sentiment moral et des instincts de mauvais sujet qui lui appartenaient bien en propre et à quoi correspondait, dans son style, un goût marqué pour les grossièretés de langage.

1193. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Il en fera uniquement l’homme qui passe, indifférent aux lieux, aux langages et aux foules, qui passe porteur d’une âme plus pure, d’un caractère plus beau, d’une éloquence et d’une charité plus altières, l’homme qui détient le secret des lois et des méthodes psychologiques, les raisons du cœur humain, les analogies et les idées générales de la société, l’homme qui, parmi les actifs du domaine transitoire, médite les vérités permanentes et les définit à travers les fluctuations de leurs formes.

1194. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

Elle ne conserva plus de son origine que quelques bribes de langage dont elle émaillait bizarrement son dialogue, ses types traditionnels qui lui faisaient une économie de costumes, enfin les formes purement extérieures de la commedia dell’arte.

1195. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Là, ils avaient licence de s’isoler de la clientèle ordinaire, clientèle assez mêlée et aussi peu experte en bonnes façons qu’en beau langage, à l’exception toutefois d’un cocher de fiacre, le père Moore, qui, piqué de la tarentule des vers, usait de la complicité de la poste, sans discrétion, pour bombarder de ses élucubrations les gens célèbres.

1196. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Croyez-en ma parole, le monde entier se renverserait plutôt, que la constance de mon étoile à me persécuter. » Ce sentiment habituel du malheur s’exprime quelquefois chez elle par des mots touchants, qui se font remarquer au milieu d’un langage dont le ton ordinaire n’était pas toujours très distingué.

1197. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Ce qui est incontestablement admirable, c’est la forme du langage, l’ampleur et la richesse des tours, le jet abondant et intarissable de la parole.

1198. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Mais il y a le Ducis homme et caractère, poète au cœur chaud, d’autant plus poète qu’il parle en prose et non en vers, et qu’il a le langage plus naturel, écrivant à ses amis des lettres charmantes, toutes semées de mots simples et grandioses, de pensées qui sentent la Bible, le livre de la Sagesse, et où résonne pourtant comme un lointain grondement du tonnerre tragique.

1199. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Franklin n’est pas géomètre, il est purement physicien ; ses travaux en ce genre ont un caractère de simplicité, d’analyse fine et curieuse, d’expérience facile et décisive, de raisonnement clair et à la portée de tous, de démonstration lumineuse, graduelle et convaincante : il va aussi loin qu’on le peut avec l’instrument du langage vulgaire et sans l’emploi du calcul et des formules.

1200. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Barthélemy, disait-il dans ce langage sentimental du temps, mais où perçait une affection sincère, Barthélemy fut un excellent homme à tous égards.

1201. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Par la lecture de certains livres de théologie, de certains volumes de poésie savante, par de justes inventions, il enrichit et pare son langage, de vocables assoupis, longuement harmonieux et doux ; il les sertit et les associe en de lentes phrases, qui joignent le poli soyeux des mots, à la suavité de l’idée : « Sous cette robe tout abbatiale signée d’une croix et des initiales ecclésiastiques : P.

1202. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Au lieu de nous parler la langue des passions qui est commune à tous les hommes, ils ont parlé un langage qu’ils avoient inventé eux-mêmes, et dont les expressions proportionnées à la vivacité de leur imagination, ne sont point à la portée du reste des hommes.

1203. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Sarcey rôdait par là… il s’avança et lui tint à peu près ce langage : “ Qui vous a permis de faire des contes romains ?

1204. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Thiers, qui a toujours triomphé de la tête de mulet des bourgeois par le prudhommisme, Mme Sand a, pour se faire goûter d’eux, de fortes teintes de prudhommisme dans le langage, lesquelles ne me paraissent pas absolument nécessaires à la composition des styles immortels.

1205. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Ils veulent des pièces de résistance, et comme ils ne lisent pas en général pour des raisons très littéraires, mais pour passer le temps, quand ils sont oisifs, et pour se distraire, quand ils sont occupés ; comme ce ne sont pas des questions pour eux dans un livre que la profondeur des caractères ou la beauté du langage, ils se détournent naturellement de ce qui est fin, est susceptible de dégustation, pour se retourner vers ce qui est gros et peut s’avaler comme une pâtée… Alors les nouvelles, qui sont des romans concentrés, doivent être, en raison de leur concentration même, d’un très rare et d’un très difficile succès.

1206. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Dans notre langue, le vers et la prose ne sont pas toujours deux langages différents.

1207. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Seules, elles peuvent être populaires, parce que seules elles peuvent être comprises sans peine ; seules, elles peuvent être traitées en beau style, parce qu’étant du domaine public, elles ne demandent pas un langage spécial ; seules, elles ouvrent une pleine carrière à l’orateur, parce qu’avec le devoir de convaincre, elles lui imposent l’obligation de toucher et de plaire ; seules, elles donnent des œuvres d’art, parce qu’avec la logique, elles ont à leur service la passion et le bon goût.

1208. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Ces mots magiques, nul raisonnement, nulle science ne les découvre ; ils sont le langage de l’imagination qui parle à l’imagination ; ils expriment un état extraordinaire de l’âme qui les trouve, et mettent dans un état pareil l’âme qui les écoute ; ils sont la parole du génie ; ils ne sont donnés qu’à l’artiste, et changent la triste langue des analyses et des syllogismes en une sœur de la poésie, de la musique et de la peinture.

1209. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

Ce qu’on exprime dans le langage ordinaire, en disant qu’entre les parties de l’espace pur il n’y a aucune différence.

1210. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Il apprit, en écoutant le langage exquis des gens de cour et des gens du monde, la différence du style enflé et du style noble, du style vague et du style élevé ; il se dépouilla d’une certaine rouille philosophique qu’il avait contractée en théologie, et comprit que, lorsqu’on faisait le portrait de personnes si élégantes et si mondaines, il ne fallait pas y apporter les habitudes philosophiques que la Sorbonne conservait dans ses argumentations d’apparat.

1211. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Dans la douleur commune, le langage se fait plus familier, plus bref. […] et, puisque c’est un langage de héros, patience ! […] » Ce langage n’est pas celui de Potterat, mais d’un jeune homme hier déraisonnable, et qui se repent, le fils de Frochon le cocher. […] Mais avant la Révolution ou pendant ses préludes, il est un révolutionnaire et qui tient avec rudesse le langage des revendications, qui fait parler haut sa haine et son mépris. […] Il a parlé ; il a énormément parlé : son langage n’était pas médiocre.

1212. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Ces trois volumes publiés en 1851 sont un dialogue entre Mirabeau et la royauté ou un monologue de Mirabeau devant la royauté, et, pour employer le langage de Bossuet, un Avertissement politique. […] Shakespeare, Gessner, la nature vue directement, les sources des livres et celles de la terre se transposent chez André Chénier en une forme plastique et diaphane, qui devient une sorte de langage général de la poésie comme elle l’était chez Racine. […] Sa doctrine célèbre du langage don direct de Dieu est d’une belle audace rectiligne. […] Les Pamphlets exposent moins des raisons politiques qu’ils ne traduisent les états de sensibilité qui empêchent la majorité de la bourgeoisie d’avoir un langage commun avec les Bourbons et avec l’ordre qu’ils représentent. […] Le poète a, avec cette foule, un langage commun, qui n’est pas toujours divin, mais dont les parties vulgaires sont soulevées et animées par la partie divine.

1213. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

C’est un morceau de haut goût, violemment plaisant par le contraste que font la dignité du langage, la majesté des arguments et l’élévation des pensées avec l’objet de la plainte et la condition de l’orateur. […] En 1647, reçu à l’Académie à la place de Maynard, il a recours, pour peindre sa reconnaissance, aux moyens les plus étranges : il emploie le langage de Tartufe ; il parle d’« épanouissement du cœur », de « liquéfaction intérieure. » Est-ce de l’ironie ? […] Or, Molière croyait que ce dont nos jeunes pessimistes ont fait à peu près la règle du langage humain n’y est, en somme, que l’exception ; il lui semblait que les hommes ne passent pas tout leur temps à être ignobles avec candeur, qu’ils reprennent haleine quelquefois, et que, au surplus, cette contradiction ininterrompue entre l’immoralité réelle des personnages et l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes serait fatigante à la longue, finirait par paraître un peu artificielle et mécanique. […] cette femme qui n’est pas bête et qui montrera, tout le long de la pièce la plus vive intelligence, n’a pu, devenue maréchale et duchesse, se défaire, même un peu, de ses façons et de son langage de blanchisseuse mal embouchée Oui, je sais, la maréchale Lefebvre est restée célèbre pour la familiarité populaire de son langage. […] Mais cette petite Jeanne Grandchamp ne parle point : elle n’a pour langage que les caresses frénétiques, la bouderie silencieuse, ou la pâmoison, surtout la pâmoison.

1214. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Je suis en danger d’oublier bientôt le peu de français que je sais ; je le désapprends tous les jours, et je ne parle tantôt plus que le langage de ce pays, qui est aussi peu français que le bas-breton. […]   Je disais autrefois qu’il y avait vingt-cinq siècles entre le langage de Pyrrhus et certains de ses actes. […] La vérité historique, celle des mœurs, du langage, du costume, Saint-Évremond en parle continuellement. […] Racine, en faisant parler ou de légendaires héros d’il y a trois mille ans, ou, comme dans Mithridate, des rois à demi barbares d’il y a deux mille ans, leur a prêté quelque chose du langage, des sentiments et des manières qui passaient pour les plus nobles en son temps. […] et madame de Montespan n’était-elle pas une personne intelligente, spirituelle, de façons raffinées et d’un très beau langage ?

1215. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Visiblement cette idée le hante ; il en vient à prendre les attitudes, le ton et le langage qui ont été, de tout temps, ceux des hiérophantes. […] Son langage est souvent cynique. […] Il entend la trivialité de leur langage. […] Dumas est deux fois trivial dans son langage, joignant « à la trivialité spontanée une trivialité factice qu’on n’acquiert pas sans l’avoir soigneusement cultivée ». […] Ils prêchent le devoir dans un langage qui offusque la plus élémentaire pudeur.

1216. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Lucrèce, Horace, Virgile, Tacite pouvaient fournir des exemples d’une langue pittoresque digne d’être étudiée ; nos livres ne formaient que des forts en discours latin, des élèves habiles à plaquer la banalité, mais incapables de créer les images et les mots du langage artiste. […] Il prodigue des mots plutôt que des pensées ; nous reconnaissons bien, il est vrai, le langage de la description poétique, mais nous ne concevons pas clairement ce qu’il décrit : au lieu qu’un vrai poète nous fait croire que nous avons l’objet sous nos yeux ; il en saisit les traits distinctifs ; il lui donne les couleurs de la vie et de la réalité ; il le place dans son vrai jour, en sorte qu’un peintre pourrait le copier d’après lui. […] Egger, et, malgré ce charme naturel qui caractérise le génis de Fénelon, je suis frappé de graves différence, entre ce style abstrait et métaphysique d’un peuple vieilli et la naïveté pittoresque du langage antique78 ». […] Puis ce sont les herbes, sainfoin, luzerne, coquelicots, boutons d’or… Puis c’est la futaie, les grands arbres qui prennent des attitudes voulues, un langage, des poses spéciales, érables, ormes, bouleaux, platanes, mélèzes, chênes, tout cela décrit avec le même procédé que les roses. […] Sa voix était douce, son aspect noble et gracieux, son langage animé et son attrait déjà fort grand.

1217. (1924) Critiques et romanciers

Voyez comme il a joliment parlé du Cid, qu’en sa jeunesse il préférait : « J’y trouvais, dans le langage, dans la passion, dans l’aventure, une fleur indicible. […] L’on dirait que le critique a modifié, par jeu, les habitudes anciennes du langage et qu’il s’amuse à prendre le ton plus haut comme ferait un fantasque musicien. […] Boileau n’est pas seul en son temps à n’aimer que médiocrement Ronsard ; et nous, qui l’aimons autant que nul poète de chez nous, l’aimons-nous à cause de ses néologismes latins et grecs, ou bien en dépit de ce langage mélangé ? […] Leur langage ne leur confère aucune digne supériorité sur les bêtes silencieuses. […] Et la similitude ainsi proposée nous invite à nous rappeler qu’une certaine liberté du langage, mais surveillée, n’est pas d’hier et est le ton de qui, chez nous, parle franc.

1218. (1894) Critique de combat

Je ne lui emprunterai pas son langage par trop parlementaire, voire ministériel. […] Son langage dégénère parfois en une sorte d’algèbre. […] Permis d’ailleurs à qui le désire de traduire en langage vulgaire ses notations algébriques ; c’est plus long, moins rigoureux ; mais le fond ne perd rien à ce changement de forme. […] Mais ceux qui ne craignent pas les épines du langage philosophique feront bien de recourir au texte même. […] Payot de restreindre son étude à l’élite de ce que le langage courant appelle encore « les classes dirigeantes ».

1219. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

S’il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde «  de l’obole, de la natte et de la cuvette », dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, s’il a, plus que nul autre et avec plus de talent que Dom Reneus, propagé le culte de sainte Muqueuse, s’il a chanté (à mi-voix) ce qu’il appelle modestement « des amours bizarres », ce fut, au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d’oratorien secret ; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d’un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d’autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l’art pur ; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation. […] Barrès, quelle que soit sa fortune future, a eu des idées originales et qu’il les a dites en beau langage ; c’est tout ce que l’on peut exiger, pour le mettre au premier rang, d’un écrivain qui s’est offert aux discussions des hommes : le reste, l’homme seul peut l’exiger de lui-même. […] et à les rendre notre présente réduction, ― nos germes à s’unir en ustïon de leur phosphore,                             cendre vivante et qui efferve… ceci ou cela n’appartient à aucun langage connu, et aucune musique verbale ne tempère l’horreur de telles incohérences. […] Jehan Rictus dit cela ironiquement, en son langage : Ah ! […] Or, dès que l’homme a un peu d’intelligence, de sensibilité, de goût pour les jeux de l’esprit, il se confesse en langage rythmé : telle est l’origine de la poésie intime et personnelle.

1220. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Ménalcas, qui vient de gronder son chien endormi, dit à ses brebis, avec ce naturel de langage qui anime toute chose : « Les brebis, ne soyez point paresseuses, vous autres, à vous rassasier d’herbe tendre ; vous n’aurez pas grand’peine pour la faire repousser de nouveau. » — Daphnis, à l’une de ses répliques d’amour, dira : « Et moi aussi, hier, une jeune fille aux sourcils joints, me voyant du bord de l’antre passer tout le long avec mes génisses, se mit à dire : « Qu’il est beau ! […] Mais il sut trouver le remède, et, assis sur une roche élevée, les yeux tournés vers la mer, il chantait des choses telles que celles-ci… » Vient alors la célèbre complainte où il apostrophe Galatée, l’appelant à la fois dans son langage « plus blanche que le fromage blanc, plus délicate que l’agneau, plus glorieuse que le jeune taureau, plus dure que le raisin vert. » Après une longue suite de traits plus ou moins naïfs et passionnés, ou même spirituels (car le poëte se joue par moments), l’idée du début se retrouve à la conclusion, et la pièce finit sur ce retour : « C’est ainsi que Polyphème conduisait son amour en chantant, et cela lui réussissait mieux que s’il avait donné de l’or pour se guérir. » Un poëte bucolique des âges postérieurs, né en Sicile comme Théocrite, Calpurnius, a résumé heureusement la recette du maître dans ce vers d’une de ses églogues : Cantet, amat quod quisque : levant et carmina curas.

1221. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

L’ensemble des sensations comme possibles forme ainsi un arrière-fond permanent à une quelconque ou à plusieurs des sensations qui, à un moment donné, sont actuelles, et les possibilités sont conçues comme étant, par rapport aux sensations actuelles, dans la relation d’une cause à ses effets, ou d’une étoffe aux figures qui sont peintes dessus, ou d’une racine à sa tige, à ses feuilles et à ses fleurs, ou d’un substratum à ce qui est étendu dessus, ou, en langage transcendantal, d’une matière à sa forme. […] Rien de plus en lui ; il n’a pas le langage, il lui manque le moyen de discerner et d’isoler les caractères de son image. — Nous avons ce moyen, et nous nous en servons.

1222. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Son application, ses progrès, son obéissance, sa modestie, la douceur de son caractère, la grâce de son langage et de ses manières en firent le modèle de l’école ; il fut chargé par le maître de le suppléer habituellement dans ses leçons aux plus jeunes de ses élèves. […] » dit-il au disciple en langage poétique et rhythmé et en s’accompagnant encore de sa lyre, « la montagne de Faij (la tête) s’écroule, et je ne puis plus lever le front pour la contempler.

1223. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

» Voilà le langage de cette philosophie sur le trône ! […] La métaphysique et la morale chinoise y parlent continuellement un langage dont les prédicateurs d’Europe, dit le missionnaire lui-même, ne désavoueraient pas la perfection.

1224. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Les premiers trouvent des vérités nouvelles ; les seconds développent les vérités trouvées et s’attachent à garder l’intégrité du langage. […] Si Buffon est aujourd’hui jugé pour ce qu’il vaut, nous en avons l’obligation principale à la science elle-même, complice d’abord de ces jugements dédaigneux qui réduisaient tout son mérite au beau langage.

1225. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

L’usage est que la mère prépare sa fille au changement d’état par lequel elle va passer ; une mère seule peut trouver dans sa tendresse et son respect pour son enfant la chasteté de langage qui sied à de telles confidences. […] Ce novateur dont la maxime est que tout le monde s’est trompé avant lui, n’est jamais meilleur écrivain que quand il a raison, à son insu, avec tout le monde, et qu’il descend de ses superbes rêveries dans le langage de l’expérience et de la pratique commune.

1226. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

L’extrême sobriété du langage, sa merveilleuse concision, font ressortir encore plus l’importance de ce que M.  […] Jamais la clarté du langage et le bon sens ne sont sacrifiés à la musique.

1227. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Il a autour de lui Éliphas, Bildad, Tsophar, trois implacables types de l’ami curieux, il leur dit : « Vous jouez de moi comme d’un tambourin. » Son langage, soumis du côté de Dieu, est amer du côté des rois, « les rois de la terre qui se bâtissent des solitudes », laissant notre esprit chercher s’il parle là de leur sépulcre ou de leur royaume. […] Jamais plus grand langage n’a été parlé, et plus extraordinaire : « Je vis des visions de Dieu.

1228. (1894) Textes critiques

Comme un grand nombre de hauts penseurs, de visionnaires géniaux, l’auteur anonyme de Lumière d’Egypte s’est créé une langue spéciale, où les mots n’ont plus la signification habituelle que nous leur attribuons ; et ce serait s’égarer que de prendre les mots Force, Polarité, Plan, dans le sens où les emploie la science : c’est tout autre chose ; on a laissé à dessein au lecteur le travail de chercher et le plaisir de trouver la clef de ce langage mystérieux.‌ […] L’erreur grave de là pantomime actuelle est d’aboutir au langage mimé conventionnel, fatigant et incompréhensible.

1229. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Les olympes et les enfers d’Homère, de Virgile, de Milton, de Fénelon, n’ont ni une plus belle scène, ni une rencontre plus pathétique, ni un plus divin langage. […] « Avec un soupir de tendre compassion », dit-il, « elle abaissa ses regards sur moi avec ce visage d’une mère qui se penche sur son petit enfant en délire. » Elle lui explique, dans un admirable langage, les lois de l’ordre matériel et de l’ordre moral.

1230. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Il aime à entremêler son langage de proverbes et de locutions populaires, fussent-elles un peu basses.

1231. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Ces poètes, en essayant de traduire les sentiments de Gabrielle, ne craignent pas d’employer les mots de chasteté et de pudeur, qui, dans leur langage, ne tirent pas à conséquence.

1232. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Il le redit en cent façons frappantes de vérité : « On commence par les passions ; les doutes viennent ensuite. » Ces doutes, il n’essaye pas de le dissimuler, étaient déjà dans le beau monde le langage le plus commun de son temps.

1233. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

À mesure qu’on avance, et tandis que la délicatesse et la pureté des manières ou du langage se retirent de plus en plus dans le coin de Mme de Maintenon et vont par moments chercher un refuge à Saint-Cyr, Madame se tient à part à Saint-Cloud, puis encore à part au Palais-Royal, et de là, soit sur la fin de Louis XIV, soit sous la Régence, elle fait, la lance en arrêt, la plume sur l’oreille, de fréquentes et vaillantes sorties dans ce style brusque qui est à elle, qui a de la barbe au menton, de qui l’on ne sait trop, quand on l’a traduit de l’allemand en français, s’il tient de Luther ou de Rabelais, et qui en tout est certainement l’opposé de la langue des Caylus.

1234. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Ces lettres de Lassay à la princesse sont assez jolies, mais pâles ; ce n’est point là le langage de la passion vraie : il a beau dire en dénouant et en s’éloignant : « Il vaut mieux que je meure et que vous viviez moins malheureuse.

1235. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

En ce qui est du langage en particulier, il se prononçait exclusivement dans le même sens absolu de la rectitude analytique.

1236. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Il en eut pourtant toujours quelque chose dans l’esprit, dans le tour raisonneur, appliqué, logique, en même temps que dans le docte, poli et pur langage.

1237. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

La lettre à M. de Fontanes qu’on vient de lire, écrite dans le feu de la composition du Génie du christianisme, est évidemment celle d’un homme qui croit d’une certaine manière, qui prie, qui pleure, — d’un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour parler le langage de Pascal22.

1238. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Il se destinait d’abord au barreau, mais il le suivait moins pour les affaires que pour les hors-d’œuvre et les gais propos ; il était du cercle de ceux qui se rangeaient autour de Patru près du pilier où présidait habituellement cet oracle familier du beau langage : Patru n’était cicéronien qu’en plaidant.

1239. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Diane et la naïade seront peut-être jugées de trop, et Ramond, en les faisant intervenir, mêlait, à son tour, de ses réminiscences classiques à une nature toute vierge et qui ne rappelle qu’elle-même : ou peut-être voulait-il parler aux critiques du temps leur propre langage pour les mieux réfuter.

1240. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

C’est-à-dire que, de ces hommes plus sages, les uns rient, et les autres pleurent : les uns se moquent et prennent tout par le ridicule, les autres penchent du côté de la plainte ou de la crainte, n’osent parler que bas et à demi-bouche ; ils déguisent leur langage ; ils mêlent et étouffent leur pensée ; ils ne parlent pas sec, distinctement, clairement : Je viens après eux et au-dessous d’eux, ajoute Charron ; mais je dis de bonne foi ce que j’en pense et en crois, clairement et nettement.

1241. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

En deux endroits (pages 95 et 196) je vois le mot luxure appliqué couramment aux galanteries de Henri IV ou de sa femme, et ce mot, qui est du style ascétique ou biblique, n’est plus du langage ordinaire et bienséant.

1242. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Les mânes de Santeuil, pour parler son langage, se sont donc encore moins indignés que réjouis.

1243. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Il y en a pourtant qui, pour n’être pas si polies, ne laissent pas d’imprimer du respect et de la révérence. » Ce jugement de l’abbé de Rancé est celui d’un homme de sens et de goût ; il fait les deux parts et reconnaît, même aux vieilles hymnes dont le langage rebute parfois, ce caractère qui imprime de la révérence.

1244. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Il avait forcé notre langue par des inversions trop hardies et obscures ; c’était un langage cru et informe.

1245. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le nouveau pays où l’on s’installe, et qui confine à la Picardie, « contrée bâtarde où le langage est sans accentuation comme le paysage sans caractère », est décrit avec une vérité non flatteuse ; le gros bourg et les principaux habitants, le curé, le percepteur, l’aubergiste, le sacristain, le notaire, etc., y sont pris sur le fait et restent fixés dans la mémoire.

1246. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On peut comparer ces morceaux avec ce que le chancelier Daguesseau a écrit sur son père ; mais ici le langage est plus antique, et le tableau, s’il a moins d’élégance, offre aussi plus de naïveté.

1247. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Baudelaire gagne à être vu, que là où l’on s’attendait à voir entrer un homme étrange, excentrique, on se trouve en présence d’un candidat poli, respectueux, exemplaire, d’un gentil garçon, fin de langage et tout à fait classique dans les formes.

1248. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Venir dire que la locution : « si les Belges prononcent pour les Français », au lieu de : « se prononcent », est d’une personne qui a dû longtemps séjourner en Espagne et qui en a pris le langage jusqu’à oublier le français, est une chicane aussi invraisemblable qu’ingénieusement trouvée.

1249. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

L’un accepte et comprend les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend, sans les disjoindre (car tout cela se tient, se correspond et, pour ainsi dire, se double), le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Éden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage.

1250. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Je donnerai ce préambule ; mais qu’on veuille bien distinguer et dégager la vérité de l’accent, sous ce qui nous semble aujourd’hui un peu déclamatoire et qui appartient au langage du siècle ; il n’est pas mal, d’ailleurs, de voir le sentiment des malheurs publics se mêler si intimement aux infortunes personnelles du rêveur ; les générations qui souffraient ainsi, et dont les âmes se soulevaient avec de tels gémissements sous toutes les sortes d’oppressions, méritaient de vivre assez pour assister et coopérer à la délivrance de 89.

1251. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Ce donc au commencement d’une phrase, et qui semble marquer le pas comme si l’on frappait en même temps du talon, est un reste du style moyen âge, gothique ou chevaleresque, mais n’est pas du tout de la langue de Térence ni du langage d’une mourante.

1252. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Sarpédon, voulant entraîner son ami Glaucus avec lui, et l’exhortant à faire tête en avant, lui tient un langage aussi naturel qu’élevé : « Nous sommes honorés dans la Lycie, lui dit-il, comme des rois, comme des dieux ; nous y avons, à ce titre, de riches domaines ; nous tenons la première place aux festins et ailleurs.

1253. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

En ce qui est de notre langue, on s’est détaché de plus en plus de cette manière de voir exclusive qui rapportait tout à un moment unique de politesse et d’élégance, qui ne voulait admettre qu’un seul patron de bon langage, et qui déclarait fautif ou barbare tout ce qui s’en écartait.

1254. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Après avoir montré avec beaucoup d’art et de finesse en quoi le langage employé dans la Princesse de Clèves est parfaitement délicat et comment il ressemble fort peu à ce qui, chez des poëtes ou des romanciers spirituels de nos jours, a été salué de la même louange ; après avoir reconnu l’accord et l’harmonie des sentiments et des émotions avec la manière de les exprimer, et avoir donné plus d’un exemple des scrupules et des exquises générosités de l’héroïne jusque dans la passion, M. 

1255. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Seulement l’auteur de l’Avenir répudiait dès l’abord un certain nombre d’erreurs violentes contre le régime de liberté, et, en tenant toujours au Clergé un langage d’exhortation, en le provoquant encore à une sainte ligue, il abjurait net toute espérance d’ordre temporel théocratique, dont cette soudaine révolution l’avait désabusé.

1256. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

L’intérêt politique même, mieux entendu, devrait, ce nous semble, lui interdire ce langage.

1257. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Il ne lui arrive jamais, aux heures de rêverie, de voir, dans les étoiles, des fleurs divines qui jonchent les parvis du saint lieu, des âmes heureuses qui respirent un air plus pur, et qui parlent, durant les nuits, un mystérieux langage aux âmes humaines.

1258. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Le langage de M. 

1259. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Cicéron, dans ses Offices, parle du décorum, c’est-à-dire, des formes extérieures de la vertu, comme faisant partie de la vertu même ; il enseigne, comme un devoir de morale, les divers moyens d’imposer le respect, par la pureté du langage, par l’élégance de la prononciation.

1260. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

On a l’art d’exciter une dispute sur deux propositions identiques, et l’on croit avoir deux idées, parce qu’en se servant d’un langage équivoque on fait paraître les objets doubles.

1261. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

La satire fait comme un accompagnement railleur aux préceptes didactiques : mais cela même, et certains dénis de justice, certaines duretés, font du poème une œuvre de polémique autant que de théorie : c’est le langage d’un homme qui ne sent pas encore son autorité très affermie ; un maître qui enseigne à plus de mesure et d’impartialité.

1262. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Quelle que soit la cause interne, la nature essentielle, tous ces mots expriment des faits, et le vulgaire les comprend : Rabelais donc en use sans crainte, largement, n’ayant souci que de tout voir et de tout dire, allant avec toutes les images du langage à toutes les apparences de la vie.

1263. (1886) De la littérature comparée

Benvenuto Cellini célèbre en un langage dithyrambique les perfections du corps humain.

1264. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

La réserve des mœurs ni celle du langage n’avaient pas attendu la sévérité des habitudes religieuses qui se déclarèrent plus tard, pour s’établir dans la bonne compagnie.

1265. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Ce qui semble naïveté chez eux n’est qu’une grâce et une fleur de langage qui orne leur maturité, et d’où leur expérience, si consommée qu’elle soit, prend à nos yeux je ne sais quel air de nouveauté précoce, qui la rend agréable et piquante, et qui l’insinue.

1266. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Pinel voulait, nous dit Pariset, qu’à l’exemple de la botanique et de l’histoire naturelle, la médecine se fît un langage tout en substantifs, sans verbes, sans conjonctions.

1267. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Il avait de plus écrit en vingt livres l’histoire des Guerres de Germanie, ce qui ne l’empêcha point de composer ensuite des livres de rhétorique et même de grammaire sur les difficultés du langage.

1268. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Mais quand Beringhen, poussé par la réserve même qu’il rencontrait, eut dit positivement qu’il venait de la part de la reine, ce fut comme une baguette magique qui opéra : À ce mot, le fin Italien change de conduite et de langage, et passant tout à coup d’une extrême retenue à un grand épanouissement de cœur : « Monsieur, dit-il à Beringhen, je remets sans condition ma fortune entre les mains de la reine.

1269. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

 » Si M. de Lamartine raconte cela, il a une de ces illusions et de ces exagérations de souvenir qui lui sont familières : car il est impossible que je lui aie dit une telle chose, n’ayant jamais l’habitude de mêler ainsi le nom de Napoléon à tout et de le prendre pour mesure de mon admiration : ce serait la première fois que j’aurais usé de ce langage.

1270. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Il ne se laisse point prendre au beau langage de Rousseau, ni à ses fastueux dehors qui affichent la vertu : selon lui, « cet étrange alliage de bien et de mal rend le mal plus dangereux en le déguisant ».

1271. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Il n’était pas de ceux qui affectent une parole brève, sentencieuse et courte, et il accusait précisément de cet abus la langue de la fin du xviiie  siècle : « Sous, prétexte de dire beaucoup de choses en peu de mots, écrit-il, on a multiplié les verbes, on a diminué les expressions moelleuses et mesurées qui marquaient les nuances. » Me pardonnera-t-on d’entremêler ainsi des remarques de langage à celles qui portent sur les plus grands objets de l’intérêt social ?

1272. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Parlant de la dévastation de Saint-Germain-l’Auxerrois, du sac de l’Archevêché, signalant la faiblesse de conduite et de langage des organes de la force publique, il en déplorait l’abaissement : Pour calmer l’émeute, disait-il, on s’humilie devant elle… Une république fondée sur les lois, la république du Consulat, par exemple, ne s’accommoderait pas du désordre, et l’étrange monarchie conçue par les centres de la Chambre, la monarchie attendant des lois et n’osant en faire, s’arrange de ces déplorables scènes

1273. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

« Ce langage, ajoute-t-elle, me fut fort nouveau pour avoir jusques alors vécu sans dessein, ne pensant qu’à danser ou aller à la chasse, n’ayant même la curiosité de m’habiller ni de paraître belle, pour n’être encore en l’âge de telle ambition. » La crainte qu’elle avait toujours eue de la reine sa mère, et le respect silencieux où elle vivait d’habitude avec elle, la retenait aussi.

1274. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

Le langage qu’il lui prête, ainsi qu’au spirituel courtisan son interlocuteur, est incroyable de faiblesse et d’anachronisme.

1275. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

j’y trouve bien un peu mon profit, je l’avoue : quand je marche au soleil, quoique ce soit pour tout autre chose, il arrive pourtant tout naturellement que mon visage prend le hâle : et c’est ainsi que lorsqu’à Misène (car à Rome je n’en ai guère le temps) je me suis mis à lire avec soin ces livres des historiens, je sens, comme à leur contact, que mon langage prend de la couleur (sentio illorum tactu orationem meam quasi colorari).

1276. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

A-t-il à parler du soleil, il dira en un langage que Copernic et Galilée ne désavoueraient pas : J’aperçois le soleil : quelle en est la figure ?

1277. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Il nous paraît donc plausible de le scander, en le considérant entre les syllabes environnantes comme un simple intervalle, et en cela nous sommes d’accord avec la déclamation instinctive du langage qui est la vraie base de la rythmique, et même la constitue dès qu’elle se met d’accord avec l’accent d’impulsion qui est son élément de variation, et l’intonation poétique, subordonnée à l’accent d’impulsion, accent et intonation qui comptent, puisque le vers et la strophe sont tout ou partie de phrase chantée et sont de la parole avant d’être une ligne écrite.

1278. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre II : Variations des espèces à l’état de nature »

De même, le terme de variété, en comparaison avec les différences purement individuelles, est appliqué non moins arbitrairement et encore par pute convenance de langage.

1279. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Il est du reste, souvent, très aimable à travers cette légère affectation et, sauf une certaine irritabilité qui lui est venue, comme par contagion, des poètes eux-mêmes, il est sociable, bon causeur avec un langage choisi, et épouse généralement les causes nobles. « Ô poète ! 

1280. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Même dans le langage de l’ancienne tragédie, il y avait pour lui beaucoup de choses choquantes, tout au moins inexplicables… .

1281. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Il y avait la largeur, l’épanouissement, la chaleur, le mouvement des idées, l’abondance, la plénitude et la richesse cultivée du langage, la faculté de grouper les choses les plus éloignées dans une époque de l’histoire littéraire ou politique et de les ramasser dans un centre lumineux qui les éclaire en les étreignant, toutes qualités qui se retrouvent dans Chasles à des degrés presque identiques.

1282. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

C’est peu à peu, par le simple langage des faits, et non par une idée préconçue, que je suis arrivé à cette conviction.

1283. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

C’est dans le Roman d’un spahi que se trouvent ces lignes, qui font songer au langage dans lequel les anciens disaient adieu aux soldats morts pour la patrie : « Ils firent des prodiges de valeur et de force, les pauvres spahis, dans leur défense suprême. […] Un langage qui ne vise qu’à être clair. […] Son langage est simple, dépouillé de toute espèce d’ornements et d’artifices. […] Au contraire, il faut aller à lui. « Que parmi les catholiques se trouvent les historiens les plus érudits, les savants les plus expérimentés, les philosophes les plus habiles. » C’est sous une autre forme le langage de Tertullien. Et c’est le langage même du bon sens.

1284. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

nous avons parlé souvent de notre amour pour le peuple, de notre respect pour ses volontés : si ce langage ne fut pas vain dans nos bouches, respectons avant tout des institutions si chères à la multitude. […] Nous n’avons pas besoin de répéter ici ces louanges sans mesure que lui-même dédaigne ; il nous suffit de dire, dans un langage plus simple parce qu’il est plus vrai : Oui, ce citoyen a bien mérité de son pays. […] Et en général, même quand il s’agit des meilleurs écrits de Camille Jordan, parlons moins de son style que de son langage soutenu, toujours noble, de sa parole même : elle a l’ampleur, l’abondance, le flumen ; elle se présente par de larges surfaces et se déroule d’un plein courant, comme il sied à ce qui tombe et s’épanche du haut d’une tribune : elle n’offre pas la nouveauté, l’imprévu, l’éclat, la finesse, qu’on aime à distinguer chez un écrivain proprement dit, les expressions créées, les alliances heureuses, la fleur du détail et ce qui accidente à chaque pas la route.

1285. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Swift ameuta contre elle le peuple en lui parlant son langage, et triompha du bon sens et de l’État968. « Frères, amis, compatriotes et camarades, ce que je vais vous dire à présent est, après votre devoir envers Dieu et le soin de votre salut, du plus grand intérêt pour vous-mêmes et vos enfants ; votre pain, votre habillement, toutes les nécessités de la vie en dépendent. […] Les curés sont près de crever d’envie. —  « Chère madame, bien sûr, c’est un homme de beau langage ; —  écoutez seulement comme sa langue mord bien le clergé. » — « Ma foi ! […] Un des frères ne goûta pas cela à cause de cette épithète d’argent, qui, dans son humble opinion, ne pouvait pas, du moins en langage ordinaire, être raisonnablement appliquée à un manche à balai ; mais on lui répliqua que cette épithète devait être prise dans le sens mythologique et allégorique.

1286. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Entendront-ils le langage de la vérité, ceux qui ne se plaisent que dans le mensonge ? […] il voyait trop que sa république venait de s’évanouir, et qu’en tenant le langage d’un courtisan il s’était replongé dans la foule. […] Ce style était évangélique aussi ; le pauvre comme le riche, le vieillard comme l’enfant avait entendu ce langage.

1287. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

On lui faisait parler souvent un langage plus que libre. […] » Voilà le langage de l’héroïsme véritable, qui n’exclut pas l’humanité. […] L’éloquence et la poésie ne vivent bien souvent que de lieux-communs, autrement dit de vérités moyennes, qui flottent vaguement dans l’esprit de la foule et auxquelles le beau langage des orateurs et le style des poètes viennent donner la forme précise qui les tire au dehors et les révèle. […] Et la tragédie elle-même, souvent, admet un langage plus terre-à-terre pour exprimer ses douleurs. » Ici encore, et pour la troisième fois dans cette épître, il se met à l’abri derrière l’Art poétique d’Horace, au moment même où il se hasarde de nouveau à prêcher pour l’innovation et la liberté.

1288. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

On a comparé cet énergique langage à celui du paysan du Danube en plein Sénat romain. […] Pour nous, qui n’avons jamais eu affaire aux rois ni aux empereurs de ce monde, mais qui avons eu maintes fois à nous prononcer devant ces autres rois, non moins ombrageux, ou ces prétendants de la littérature, nous qui savons combien souvent, sous notre plume, la louange apparente n’a été qu’un conseil assaisonné, nous entrerons de près dans la pensée de M. de Fontanes, et, d’après les renseignements les plus précis, les plus divers et les mieux comparés, nous tâcherons de faire ressortir, à travers les vicissitudes, l’esprit d’une conduite toujours honorable, de marquer, sous l’adresse du langage, les intentions d’un cœur toujours généreux et bon. […] La vie de M. de Fontanes est pleine de ces traits, et cela rachète amplement quelques faiblesses publiques d’un langage, lequel encore, si l’on veut bien se reporter au temps, eut toujours ses réserves et sa décence. […] Lainé, purent trouver ce langage faible : Bonaparte dut le trouver un peu froid et bien mêlé d’invocations à la paix : dans le temps, en général, il parut digne153. 1814 arriva avec ses désastres.

1289. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

En même temps, le provincial devenu Parisien a risqué des mots qui n’appartiennent pas au langage académique. […] Je veux dire qu’il est, en dépit de tout, fils d’une époque ardente, nerveuse, exaltée, portée aux extrêmes, et c’est pourquoi, paradoxe vivant, il parle de nos écrivains classiques avec des éclats d’admiration et des excès de langage qui le sont si peu. […] Brunetière et ses pareils le droit des penseurs à chercher et à dire librement la vérité, il a gardé de ses premières années certaines expressions du langage dévot. […] Présentez-nous le monstre dans sa grandeur et sa sauvagerie natives : les soubresauts des âmes effrénées qu’il fait agir, les bizarreries de leur langage choquent infailliblement notre raison raisonneuse. […] Il est venu, au moment où la France commençait à être lasse de la littérature brutale et sale, des couleurs crues, du langage violent, des prétentions à l’impassibilité, des romans voués par système à ce qu’il y a de plus grossier et de plus bestial en l’homme, et sans effort, presque du premier coup, il a été reconnu pour celui qu’on espérait sans le connaître.

1290. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Parmi les adversaires qu’il combat, il en est toutefois contre lesquels Bourdaloue a trop manifestement raison, et d’une manière qui paraît encore tout à fait piquante : ce sont ces jansénistes de mode et de langage, non de conviction, ces incrédules et libertins du monde (comme il y en avait déjà bon nombre alors) qui faisaient les rigoristes en parole, prenaient parti en matière de dogme, et ne plaçaient si haut la perfection du christianisme et la rigidité de la pénitence que pour mieux s’en passer : « Ou tout ou rien, dit-on ; mais bien entendu qu’on s’en tiendra toujours au rien, et qu’on n’aura garde de se charger jamais du tout. » Le travers, l’inconséquence de ces épicuriens mondains, jansénistes par raffinement et en théorie, a trouvé dans Bourdaloue un railleur sévère.

1291. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Dans le genre plus classique de Didon et d’Ariane, dans les romans du ton et de la couleur de La Princesse de Clèves, on prodigue moins les balles et les coups mortels, on a les plaintes du monologue, les pensées délicates, les nuances de sentiment ; quand on a poussé à bout l’un des genres, on passe volontiers à l’autre pour se remettre en goût ; mais, abus pour abus, un certain excès poétique de tendresse et d’effusion dans le langage est encore celui dont on se lasse le moins.

1292. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Comme le chèvrefeuille enlace l’arbre qu’il peut atteindre, aune rugueux, frêne à l’écorce unie ou hêtre luisant, enroule autour du tronc ses anneaux en spirale, et suspend aux branches feuillues ses glands dorés, mais il cause un dommage là où il prête une grâce, entravant la croissance par un embrassement trop étroit ; de même l’amour, lorsqu’il s’enlace aux plus fiers esprits, empêche le déploiement de l’âme qu’il subjugue : il adoucit, il est vrai, la démarche de l’amant, le forme au goût de celle qu’il aime, enseigne à ses yeux un langage, embellit son parler, et façonne ses manières ; mais adieu toute promesse de plus heureux fruits !

1293. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Franklin, à qui un ami l’envoya à Passy, où il était alors, y trouva, dit-il, « quelque chose de si nouveau dans la manière, de si aisé et pourtant de si correct dans le langage, de si clair à la fois et de si concis dans l’expression, et de si juste dans les sentiments », qu’il le lut d’un bout à l’autre avec plaisir (rare louange pour des vers, surtout de la part de quelqu’un qui n’en lisait plus), et il en relut même certaines pièces plus d’une fois.

1294. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Qu’il ne se hâte pas de répudier cette belle méthode, ce beau langage, qui ont fait de la chimie française une école de logique pratique, en même temps qu’elle est l’interprète le plus sûr de la philosophie naturelle, le moyen d’analyse le plus puissant dans la discussion des procédés des arts !

1295. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

monsieur, vous ne nous aviez pas préparés à ce langage-là. » La suite du compliment de M. de Noyon répond de tout point au début : Entrons, dit-il, dans notre sujet et remarquons les âges différents de l’Académie française, — née sous les auspices du cardinal duc de Richelieu fondateur ; — élevée par les soins du chancelier Séguier conservateur ; — fortifiée des doctes écrits de mon prédécesseur ; — consommée et comblée de toute la gloire de Louis le Grand son auguste et magnifique protecteur ; — ouvrages dignes de leurs auteurs !

1296. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Vauban est rude ; il a dans son action, comme dans son langage, des marques restantes du xvie  siècle ; il a des habitudes, des manières de dire comme d’agir à la Sully, à la L’Hôpital.

1297. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

mais, enfin, ce Bussy « au langage droit, pur et net », n’aurait pas été choisir précisément ce point-là pour flatter le maître, s’il n’y avait eu quelque lieu de le faire !

1298. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Delécluze a subi l’ascendant, le seul des romantiques à qui il ait pardonné de l’être, et de qui il nous disait un jour dans un langage moins que classique : « C’est égal, c’est un fameux lapin ! 

1299. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Car, quoiqu’il fût très fier de sentiments et de langage, Charles-Quint, outre qu’il aimait « la vérité dans sa simplicité », avait cela du vrai politique de ne point pousser les choses à l’extrême et de ne pas substituer avant tout l’orgueil à l’intérêt.

1300. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Derrièr’ chez nous il y’a-t-un vert bocage, Le rossignol il y chant’ tous les jours ; Là il y dit en son charmant langage : Les amoureux sont malheureux toujours.

1301. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Mais enfin abondance de preuves ne nuit pas, surtout quand elles sont d’un genre, nouveau, imprévu, et qu’elles se produisent en un langage que chacun comprend à l’égal au moins de celui du dessin et des images : je veux parler des preuves écrites et littéraires.

1302. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Parmi les sujets que vient de reproduire excellemment la photographie, je ne puis m’empêcher de signaler encore, pour le dessin comme pour le sentiment, cette scène de l’homme du peuple, de l’ouvrier faisant choix d’une épouse, lui posant la main sur l’épaule, et dans un langage grossier, que la légende a rendu au naturel, lui déclarant une affection grave pourtant et des plus sérieuses : l’attitude et le visage de cette femme debout, les yeux baissés, acceptant avec simplicité une vie commune qui lui sera rude, ont un véritable caractère de chasteté.

1303. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Cela lui imposait tout un langage et un style continu, une sorte de gamme et d’échelle harmonique où, la clé une fois donnée, rien ne fît fausse note et ne détonnât.

1304. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Noirmont cependant a tout vu et tout deviné ; avant de laisser son ami, il le gronde et lui fait honte de toutes ces duplicités ; et quand Herman s’étonne de cette sévérité de langage à laquelle un tel mentor ne l’avait pas accoutumé jusque-là, Noirmont lui explique ses principes, car il en a, et qui se réduisent presque à un seul sentiment bien arrêté, la haine de l’hypocrisie : « Il est vrai, lui dit-il, je suis en guerre ouverte avec les salons ; je scandalise un monde corrompu à qui je refuse la satisfaction des apparences.

1305. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Cette Épître nous montre par une suite d’exemples ou de remarques habilement choisies que pour qui veut connaître à fond un seul homme, un individu, tout trompe, tout est sujet à méprise, et l’apparence et l’habitude, et les opinions et le langage, et les actions même qui souvent sont en sens inverse de leur mobile : il n’y a qu’une chose qui ne trompe pas, c’est quand on a pu saisir une fois le secret ressort d’un chacun, sa passion maîtresse et dominante (the ruling passion), dans le cas où chez lui une telle passion existe.

1306. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

J’avoue que le frisson d’horreur me reprit plus que jamais à cette idée ; mais comme, en le voyant, on pouvait résumer en une demi-heure beaucoup d’idées dont il faudrait rechercher le détail en cent lettres éparses, et qu’on pouvait s’entendre et se concerter sur toute chose une bonne fois pour toutes, j’ai consenti à une entrevue secrète, j’ai donc vu le monstre ces jours derniers avec une émotion à être malade, mais que son langage a bien vite contre-balancée sur le moment.

1307. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

. — C’est le ventre qui teint l’enfant, disent-ils dans leur langage primitif24. » Dans la famille, la femme chez eux est pour le moins l’égale de l’homme.

1308. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Elle monte d’un élan, et moi, selon que va mon cœur, selon que va ma prière, j’adore aussi dans mon langage ; voilà tout. — Il ne fut jamais bestiole plus pauvre, il n’y eut jamais esprit moins calculateur ; je vais le long de mon sentier, je cueille ce qui se présente, je me sens un grand amour pour tout ce qui est beau.

1309. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Lui convient-il de parler leur langage ?

1310. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Théophile Gautier qui vient à eux cette fois, non plus seulement comme un curieux et comme un érudit, mais comme un franc auxiliaire ; il entre dans la question flamberge au vent et enseignes déployées, ou, pour parler son pittoresque langage, il y entre « comme un jeune romantique à tous crins de l’an de grâce mil huit cent trente. » Un tel point de vue, hardiment choisi, est bien fait pour éveiller l’intérêt, quand on sait à quelle plume vive, à quelle plume effilée, intrépide et sans gêne on a affaire.

1311. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Voilà ce qu’en langage du temps on appelait une terre ayant « de beaux droits ». — Ailleurs le seigneur hérite des collatéraux, frères ou neveux, s’ils n’étaient pas en communauté avec le défunt au moment de sa mort, et cette communauté n’est valable que par sa permission.

1312. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Il continua à parler en langage divin avec les hommes lettrés, et à s’entretenir, jusqu’à son dernier soupir, avec les hommes simples dont il avait décrit tant de fois les mœurs, les travaux et les misères dans ses poèmes.

1313. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

D’un côté, leur sensualité s’éveille et s’aiguise ; point d’ignorance ; peu de pudeur ; le langage libre ; l’allure risquée.

1314. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Pour en revenir à l’Œuvre, si les artistes qu’on nous y montre ont peut-être les allures et le langage de ceux du second empire, ils ressemblent assez peu à ceux d’aujourd’hui.

1315. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Augier ; il a dépensé beaucoup de talent dans sa pièce, et il en a tiré fort peu d’intérêt ; l’action est confuse, les situations s’embrouillent, les scènes traînent en longueur, l’esprit parfois brutal du langage ne recouvre pas l’indécision du plan et la faiblesse de l’intrigue.

1316. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Pas plus que Montaigne, il n’aime le style livrier ou livresque, celui qui sent l’encre et qu’on n’a jamais que la plume à la main : « Il faut qu’il y ait, dans notre langage écrit, de la voix, de l’âme, de l’espace, du grand air, des mots qui subsistent tout seuls, et qui portent avec eux leur place. » Cette vie qu’il demande à l’auteur, et sans laquelle le style n’existe que sur le papier, il la veut aussi dans le lecteur : « Les écrivains qui ont de l’influence ne sont que des hommes qui expriment parfaitement ce que les autres pensent, et qui réveillent dans les esprits des idées ou des sentiments qui tendaient à éclore.

1317. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

On nous a assuré que, quand il voulait plaire, il avait pour cela, et jusqu’à la fin, des séductions, des grâces, une jeunesse d’imagination, une fleur de langage, un sourire qui étaient irrésistibles, et nous le croyons sans peine.

1318. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Depuis Jean-Jacques, c’est dans la forme de langage établie et créée par lui que nos plus grands écrivains ont jeté leurs propres innovations et qu’ils ont tenté de renchérir.

1319. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Il l’admire et le salue, comme Vauvenargues bientôt également le saluera, sans rien entrevoir encore des défauts de l’homme, et d’après les seules beautés de son esprit et les grâces de son langage.

1320. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Aimables bergères au teint si blanc, malgré le soleil ; à la robe si propre, malgré l’étable ; au langage si élégant, sans écoles, sans Lancastres !

1321. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il remonta, dès le 31 décembre 1794, dans sa chaire du Lycée, y déclarant une guerre courageuse aux tyrans, à peine abattus et encore menaçants, de la raison, de la morale, des lettres et des arts ; il y invectiva la langue révolutionnaire dans un langage qui s’en ressentait quelque peu à son tour.

1322. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Cependant l’intérêt pour lui dans le public était extrême : sa jeunesse, sa fierté, sa constance à souffrir dans la prison, sa tenue ferme et simple aux audiences, son élévation naturelle de langage, ce quelque chose de contenu qu’il eut toujours et qui ne s’échappait que par éclairs, excitaient une sympathie universelle.

1323. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

La meilleure lecture au sortir de là, l’antidote le plus direct à prendre, c’est Pascal qui fait, à chaque instant, crier dans l’homme la contradiction éternelle, et qui, dans son langage ferme et nu, est le moins asiatique des écrivains.

1324. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Il est des moments, sans doute, où, en lisant de ses vers ou de sa prose, on croirait qu’elle a complètement accepté la Réforme ; elle en reproduit le langage, et même le jargon.

1325. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Seulement, nos sens raffinés ne font plus qu’effleurer avec délicatesse : ils glissent sans appuyer sur les plaisirs ou sur les déplaisirs, et leur langage est celui des demi-teintes.

1326. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Il nous paraît donc plausible de le scander, en le considérant entre les syllabes environnantes comme un simple intervalle, et en cela nous sommes d’accord avec la déclamation instinctive du langage qui est la vraie base de la rythmique, et même la constitue dès qu’elle se met d’accord avec l’accent d’impulsion qui est son élément de variation, et l’intonation poétique, subordonnée à l’accent d’impulsion, accent et intonation qui comptent, puisque le vers et la strophe sont tout ou partie de phrase chantée et sont de la parole avant d’être une ligne écrite.

1327. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Car les concepts sont également des constructions de l’esprit, partant, des idéaux ; et il ne serait pas difficile de montrer que ce sont même des idéaux collectifs, puisqu’ils ne peuvent se constituer que dans et par le langage, qui est, au plus haut point, une chose collective.

1328. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

La poudre magique qui rend intelligible le langage des bêtes (Le lièvre et le dioula).

1329. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Voici, d’ailleurs, le portrait d’un poète de ce groupe, extrait d’un livre à paraître : L’Amour et la Vie : « Léon Mateau est le type bâtard du bohème romantique mâtiné de bourgeois, au fond ce qu’il y a de pire au monde ; de ces hommes qui affectent des allures excentriques et parlent un langage paradoxal uniquement pour se faire de la réclame ; un de ces braillards qui crient que tout est mal quand ils sont dans la dèche et qui, une fois parvenus à une bonne situation, deviennent les plus impitoyables tenanciers de la routine et des abus.

1330. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Saint-Simon a les mœurs extérieures de son temps, qui créa peut-être l’hypocrisie, cet hommage que le vice rend à la vertu, mais qui, ayant l’inconvénient, a les avantages, la dignité dans le langage et dans la conduite, la convenance, la gravité.

1331. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

L’écrivain, chez lui, l’écrivain dont la force poétique est toujours donnée par la comparaison, a la comparaison surtout ingénieuse, et il la suit longtemps quand il la trouve… En somme, si le critique défaille souvent pour les causes que j’ai dites, l’écrivain se soutient toujours, et c’est ce souci d’être toujours écrivain qui fait de lui un esprit, avant tout, littéraire et inaliénablement tel, alors même que le critique littéraire a disparu dans l’historien à prétention, dans le whig incessamment présent, dans l’utilitaire, dans le scholar ; car il est resté scholar aussi, d’habitude intellectuelle et même quelquefois de langage, cet homme qui n’a pas, malgré une force incontestable, su rompre ces emmaillottements !

1332. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, — car il a des mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage.

1333. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Richepin pour que nous ne soyons pas dégoûtés jusqu’au vomissement de cette vile canaille, aux infâmes sentiments et à l’abominable langage.

1334. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Ainsi donc, ces différences superficielles de costumes, d’habitudes et de langage, sur lesquelles nos écrivains, depuis trois siècles, ont insisté tant et tant de fois, sur lesquelles ils ont bâti des livres, qu’ils ne se lassent point de décrire lorsqu’ils opposent la province à Paris, disparaissent de plus en plus.

1335. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Ceci peut s’appeler la métaphysique des métaphores ; des fautes de style font ici des fautes de science ; le langage faux produit la pensée fausse ; en comparant des qualités et des pouvoirs à des êtres, on les change en êtres ; l’expression pervertie pervertit la vérité.

1336. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Il est triste que les orateurs, chargés des éloges funèbres des hommes puissants, se soient trop souvent réduits eux-mêmes à ne parler que le langage des cours.

1337. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

C’est presque le langage de Lucrèce, de l’ami de Memmius, retrouvant les fables et les monstres de l’enfer dans les crimes et les souffrances dont était affligée la terre.

1338. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

» Ce pieux élan et bien d’autres affections du même cœur n’étaient pas, comme on l’a dit quelquefois, le langage d’un politique servant de ses vertus la domination anglaise dans l’Inde.

1339. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

En outre, elle supporte volontiers ce qui l’aurait choquée jadis ; elle a pris un langage très vif et de quelque effronterie. […] Il tenait à la séparation nette et absolue de ces deux modes du langage et signait de son glorieux nom les apophtegmes de Monsieur Jourdain. […] C’est qu’ils se dépêchent et n’attendent pas d’avoir trouvé, dans le riche trésor de notre langage, le mot dont ils auraient besoin. […] Un poète lyrique a une exubérance de langage et de pensée qui fait que nous le voyons mal, assidu au compte de ses gros sous. […] » Car il suffisait que se relâchât le moins du monde la contrainte de son esprit pour que Juliette revînt à ses anciennes habitudes de langage et de geste.

1340. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

La jeune fille, sédentaire par nature, aime souvent la lecture avec fureur ; n’essayez pas de tromper cette passion avec ces livres mal écrits qu’on ose réserver à la jeunesse ; donnez-lui ce que les enfants nomment dans leur langage si juste « de vrais livres ». […] « Lequel céderiez-vous le plus volontiers », s’écrie quelque part l’Anglais Carlyle, dans son langage saisissant, « lequel céderiez-vous le plus volontiers, vous autres Anglais, votre Shakespeare ou votre empire des Indes ?  […] Le nom, la nationalité même de son mari, tout était contesté ; la fortune, qui arrange tout, n’était pas encore venue : là encore, il restait à conquérir ce qu’en langage moderne on appelle une position. […] C’est ainsi, du reste, que Dante l’a entendu, et c’est méconnaître sa pensée que de donner une forme sensuelle et grossière à la faute qu’il a racontée dans le langage le plus chaste et le plus voilé que la pitié d’un poète ait jamais rencontré. […] Mais il est juste d’ajouter qu’il la réclame énergiquement et dans un langage qui a grande allure.

1341. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Il déteste les tendances que l’on désigne en langage vulgaire par le terme un peu vague, mais commode, de réaction. […] Plus loin, citant l’admirable lettre de René à Celuta, où les affinités de l’amour et de la mort sont notées en un langage magnifique, M.  […] La peinture et la musique sont aussi des langages. […] Les plus intenses émotions ne détermineraient qu’un vagissement informe et chaotique, si l’intelligence n’intervenait pour les traduire en un langage d’autant plus expressif qu’il est plus harmonieux et plus pur. […] Il y a de purs philosophes, absorbés par la construction de leurs systèmes, et qui emploient habituellement un langage hermétique, prohibitif pour les non-initiés.

1342. (1908) Après le naturalisme

Non pas, croyons-le bien, à cause des obscurités de langage ou de forme qu’il affecta. […] Son langage sera si rudimentaire qu’il ne se composera que de quelques onomatopées. […] Que lui chaut le bel esprit ou le vide beau langage.

1343. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Il vécut parmi les grands et les gens de cour, dans la société de mœurs artificielles et de langage calculé. […] Ces hommes n’ont plus la jeunesse des sens, la profondeur des impressions, l’originalité audacieuse et la folie poétique des cavaliers et des aventuriers de la Renaissance ; ils n’auront jamais les adresses de langage, la douceur des mœurs, les habitudes de la cour et les finesses de sentiment ou de pensée qui ont orné la cour de Louis XIV. […] Il élève au premier rang « l’admirable Boileau, dont les expressions sont nobles, le rhythme excellent, les pensées justes, le langage pur, dont la satire est perçante et dont les idées sont serrées, qui, lorsqu’il emprunte aux anciens, les paye avec usure de son propre fonds, en monnaie aussi bonne et de cours presque universel748. » Il a la roideur des poëtes logiciens, trop réguliers et raisonnables, blâmant l’Arioste, « qui n’a su ni faire un plan proportionné, ni garder quelque unité d’action, ou quelque limite de temps, ou quelque mesure dans son énorme fable, dont le style est exubérant, sans majesté ni décence, et dont les aventures sortent des bornes du naturel et du possible749. » Il ne comprend pas mieux la finesse que la fantaisie.

1344. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Ainsi, les mille degrés du désespoir ne trouvent déjà pour leur correspondre que peu de formes du langage, et quant à ses caractères aussi divers que ses causes, il est bien difficile sinon impossible de les faire ressortir. […] Je comprends toute la rudesse de langage et de procédés à propos d’actions et d’écrits répréhensibles ou jugés tels ; mais je n’admets pas que cette rudesse passionnée puisse descendre jusqu’à l’injure et compromettre ainsi l’insulteur plus encore que l’insulté. […] Mais l’idée seule de retremper dans l’idiome grec un langage issu du latin, suffît à condamner le bon sens et le goût du poète, et pour quelques vers semés dans ses nombreux volumes, auxquels on reconnaît avec plaisir des agréments de naïveté, débris gaulois restés debout malgré les efforts du maître, il est impossible de nier que Ronsard est à cent lieues de mériter l’honneur qu’on lui a voulu faire.

1345. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Même charme de langage, même élévation d’idées, même variété d’impressions que dans les livres précédents du même auteur. […] Toutes les fleurs sont un langage Qui nous recommande l’amour, Qui nous berce, et qui nous engage À mettre dans nos cœurs le jour. […] …………………………………………………………………………………………… Dès que le cérémonial accoutumé, que le maréchal de Saxe appelle dans son langage pittoresque, « un véritable sacrifice », eut été accompli et qu’on eut introduit les jeunes époux dans leur appartement, le Dauphin, se retrouvant dans la première chambre où il avait vu mourir sa première femme, voyant les mêmes meubles qu’on n’avait pas encore eu le temps d’ôter, se mit à pleurer à chaudes larmes, en dépit de la présence de la pauvre Marie-Josèphe. […] Il y réussit et il mourut l’année suivante ; — 2º que Meyerbeer, ainsi que je l’ai dit ailleurs, était plus poli, plus mesuré, plus prudent, plus exquis, plus sobre dans son attitude, sa physionomie, sa tenue et son langage qu’un diplomate de haut bord. […] Ce sera tant pis pour eux ; ce carnet n’est qu’un recueil des inutilités du langage, une sorte d’herbier contenant quelques centaines de ces plantes parasites sèches et banales qui germent dans notre conversation et viennent y prendre la place des mots de valeur, de ceux qui sont toujours expressifs et neufs, parce qu’ils ont leur racine dans la conscience, dans le cœur ou dans l’esprit.

1346. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

cache une idylle charmante, rappelant les belles peintures campagnardes de George Sand, en même temps qu’une douceur de langage à la façon du vieil Amyot. […] À quoi Pantaguel dit : — Que diable de langage est ceci ?… Je crois qu’il nous forge ici quelque langage diabolique ; il ne fait qu’écorcher le latin et croit ainsi pindariser et il lui semble être quelque grand orateur en français ! […] On y retrouve le charme de langage, la structure impeccable de la fable, des épisodes exquis de délicatesse et l’intérêt dramatique qui ont fait la solidité de sa réputation. […] À mesure qu’on s’éloigne de ce point initial, on rencontre les modes, les déviations de la forme, du langage, dont les précieuses ridicules, les incroyables, les décadents, etc., sont le spécimen.

1347. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Ajoutons que la Marcelle de Dumas, malgré son assurance de femme, sa liberté de langage, est restée pure d’âme et apportera à son mari un cœur tout neuf dans un corps sans tache. […] Vous pensez comme moi sans doute qu’il n’y a rien eu d’arbitraire dans la préférence accordée par l’oreille à certaines combinaisons harmonieuses que lui offrait le langage spontané. […] » Comme on le voit, peu de mots à effet, pas de recherches de pittoresque quand même, l’émotion par le seul exposé de la vérité ou le langage le plus simple. […] Poictevin, de belles inspirations, mais elles ne se dégagent pas assez selon moi du langage qui les emprisonne ; je devine qu’elles ont des ailes, mais je les vois dans une cage, espérant toujours qu’on va leur ouvrir la porte. […] C’est par des matins pareils qu’elles ouvraient à la lumière leurs yeux purs de pierres précieuses, et que s’essayait le langage en gazouillis de leur réveil.

1348. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Il y en a peu de plus profondes ; et, jadis, en avançant « qu’elle avait à sa date influé non seulement sur la poésie, mais sur la prose, sur ses destinées futures, et sur toute la direction nouvelle du langage », Sainte-Beuve n’en a pas exagéré l’importance. […] Tout le monde, malgré vous entendra toujours ce langage populaire qui explique par toute la terre le monde connu, et dans le monde connu une partie éclatante et considérable de ce grand tout. […] Et, en effet, ne pourrait-on pas dire, non seulement avec « le langage populaire », mais avec la philosophie même, que le premier caractère d’une Histoire vraiment universelle est de ne l’être pas6 ? […] Les philosophes, qui savent les moyens d’épurer les idées de ce que l’imperfection du langage humain y mêle inévitablement de sensible ou de matériel, ont en général préféré l’hypothèse de la Providence aux deux autres. […] L’entière liberté du langage lui paraissait évidemment une condition absolue de la liberté de la pensée.

1349. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

On ne parle point de leurs poètes parce qu’ils ignorent tous les artifices du beau langage, ne connaissent ni le style allitéré, ni les façons de parler fleuries et savantes ; d’ailleurs j’ai ouï dire que leurs langages ne sont au fond que des patois rudes et incorrects. […] Barrès employait l’ironie à parer et à pimenter son langage : ou lorsqu’elle était plus spontanée, elle se révélait très âpre et très caustique, car on ne connaît guère d’écrivain plus méprisant que M.  […] Mais on ne s’attend point à trouver de pareilles violences de langage dans un livre du critique habituellement impartial et réfléchi que M.  […] Cette dernière phrase résumait par avance les vues de Vigny, avec qui devait s’accorder aussi bien Renan : « La philosophie avait tout vu, tout exprimé en un langage exquis ; mais il fallait que cela se dît sous forme populaire, c’est-à-dire religieuse40. » Et Louis Ménard, lui-même, le païen mystique, avoue : « Il fallait un symbole nouveau. » Voilà le principal de la thèse de Vigny (qui avait sans doute lu Voltaire, mais non Louis Ménard ni Renan, et pour cause : il rédigeait Daphné en 1837). […] Patrie enviable pour tous les poètes, cette Perse où rien ne change, ni les formes de la pensée ni le langage, et où rien ne s’oublie !

1350. (1911) Études pp. 9-261

Car sinon qu’entendra-t-on au langage de celui qui est : … Comme un animal dans le milieu de la terre, comme un cheval lâché qui pousse vers le soleil un cri d’homme50. […] Sa récompense fut cette liberté de langage qui est la seule chose que ses disciples n’aient pas su imiter, — cette liberté qui toujours résulte d’une intention précise et de l’obligation ; comme il savait à chaque instant ce qu’il voulait dire, il n’était gêné par rien. […] Elle se dépense en vives instances ; elle est toute délibérée : elle va aussi vite que le langage de la prière ; rien n’embarrasse la naïve générosité de son transport. […] Tu lui parles avec toutes tes paroles en ia et en schka, avec tes longues phrases humbles, avec ton langage vif, bas et suppliant. […] Gide ne s’amuse pas à composer des mélodies verbales, à imiter vainement avec le langage écrit le langage des sons.

1351. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Horace, en effet, selon Leopardi et selon quelques autres, aurait été en son temps un grand novateur, un artiste aussi habile que peu timoré en fait de langage ; il s’était de plus montré sévère ou dédaigneux pour ses prédécesseurs, pour Plaute, pour Catulle, et dans cette réaction archaïque un peu tardive, dont Fronton était l’un des chefs, on le lui faisait payer136. […] Il nous semble que si, par ses audaces et ses rajeunissements de langage, par son culte de la forme retrouvée, Leopardi appartient à l’école des novateurs, il était du moins le classique par excellence entre les romantiques.

1352. (1813) Réflexions sur le suicide

— Asham, lui dis-je, vous savez avec quelles délices je lisais avec vous les philosophes et les poètes de la Grèce et de Rome ; les beautés mâles de leur langage, l’énergie simple de leur âme resteront à jamais incomparables. […] Asham revint le lendemain et nous allâmes encore une fois sur les bords de cette Tamise, l’orgueil de notre belle contrée ; j’essayai de reprendre mes sujets habituels d’entretien, je récitai quelques passages des beaux chants de l’Iliade et de Virgile, que nous avions étudiés ensemble, mais la poésie sert surtout à se pénétrer d’un noble enthousiasme pour l’existence, le mélange séducteur des pensées et des images, de la nature et de l’âme, de l’harmonie du langage et des émotions qu’il retrace, nous enivre de la puissance de sentir et d’admirer ; et ce n’était plus pour moi que ces plaisirs étaient faits !

1353. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Dans le langage du temps, cela s’appelle « rendre ses devoirs au roi ». […] « Il y avait à peu près une différence aussi sensible entre le ton, le langage de la cour et celui de la ville qu’entre Paris et les provinces. » (Comte de Tilly, Mémoires, I, 153.)

1354. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

La musique de Mozart I La parole n’est pas le seul mode de communiquer la pensée, le sentiment ou la sensation d’homme à homme ; chaque art a son langage, sa poésie et son éloquence. […] Comment l’artiste communique-t-il à cet air immobile et muet les idées, les sentiments, les passions de son âme en langage de son, et comment cet air immobile et mort tout à l’heure communique-t-il à son tour à notre âme les idées, les sentiments, les passions du musicien ?

1355. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Le philosophe n’a donc qu’à recueillir ces infaillibles oracles ; et mieux il les aura écoutés, plus son langage prendra de grandeur et d’autorité. […] Aristote le premier lui fit tenir le langage qui lui convient ; et le Traité de l’âme est son chef-d’œuvre, de même qu’avec la Métaphysique, il renferme ses théories les plus importantes.

1356. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Mais non un compromis d’élégante prose plus exacte : l’entière concordance du mot sous le mot, de l’archaïsme sous l’archaïsme, du néologisme sous le néologisme, de l’expression contournée, obscure, bizarre, sous l’expression contournée et obscure et bizarre, d’une phraséologie françaisement allemande sous la phraséologie du langage allemand ; chaque mot allemand scruté dans ses primitives racines et rendu par l’équivalent français également scruté, — oui, la traduction des mots suivant leur originelle et étymologique signification, rigoureuse ; et, nettement délimité, amené en son ordre, chaque vers, portant son accent propre, une vie et une puissance spéciales, spéciales à lui ; et, encore, — si cela est possible, — l’allitération et le rhythme des syllabes reproduits, l’aspect sonore du vers51 ; le décalque, en mots français, des mots Wagnériens… C’est l’œuvre qu’il faut essayer, l’œuvre modeste après les grandes, populaires et célèbres traductions vulgarisatrices ; l’œuvre intéressante à quelques rares curieux de l’œuvre Wagnérienne ; l’œuvre de petite renommée ; parmi les multiples éditions promises aux poèmes de M.  […] Chamberlain, de ce que je ne méconnaîtrais aucune nuance du langage Wagnérien, j’ai tenté cette tâche… Ce premier fragment est une épreuve ; avant que continuer en commun l’énorme travail d’une littérale traduction de la Tétralogie, il importait que fût soumis à la critique Wagnérienne le système, et un exemple.

1357. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

La réalité est, pour parler le langage de Pythagore, dans les intervalles et non dans les limites, dans le continu et non dans le discontinu. […] Trompés par l’artifice de l’analyse réfléchie et du langage, la plupart des psychologues ne considèrent, dans la conscience et dans la mémoire, que des états déterminés et définis qui apparaissent l’un après l’autre : blanc, bleu, rouge, son, odeur, — autant de morceaux artificiellement tranchés dans l’étoffe intérieure ; aussi n’admettent-ils pas qu’on ait conscience de la transition même, du passage d’un terme à l’autre, de ce qui dans l’esprit correspond au mouvement et à l’innervation spontanée.

1358. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

C’est ce progrès qualitatif que nous interprétons dans le sens d’un changement de grandeur, parce que nous aimons les choses simples, et que notre langage est mal fait pour rendre les subtilités de l’analyse psychologique. […] Mais faites abstraction de vos souvenirs et de vos habitudes de langage : ce que vous avez aperçu réellement, ce n’est pas une diminution d’éclairage de la surface blanche, c’est une couche d’ombre passant sur cette surface au moment où s’éteignait la bougie.

1359. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

On a quelque peine à se faire au style de Bernis dans cette correspondance toute politique ; plus tard, en écrivant de Rome, il aura bien des familiarités encore ; mais la politesse du langage sera continuelle chez lui, et la décence de la pourpre romaine s’étendra graduellement sur les sujets qu’il aura à traiter.

1360. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Ils sont écrits avec des ménagements insidieux ; l’auteur parle toujours le langage de la religion et conclut en sa faveur, mais il l’attaque de tous les côtés, et ses conclusions sont toujours en contradiction avec les faits ou les raisonnements qui les précèdent.

1361. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Il est à remarquer qu’en fait de style, à force de le vouloir limpide et naturel, Beyle semblait en exclure la poésie, la couleur, ces images et ces expressions de génie qui revêtent la passion et qui relèvent le langage des personnes dramatiques, même dans Shakespeare, — et je dirai mieux, surtout dans Shakespeare.

1362. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Les jolies imitations en vers qu’on avait faites au xvie  siècle étaient oubliées, et l’on avait pris en dégoût ce vieux langage.

1363. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Tes paroles indistinctes semblent comme un langage murmuré dans un rêve ; pourtant elles me charment, quel qu’en soit le sens, ma Marie !

1364. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

La parole même et le langage le disent, et il est des images où reluisent les pensées : Rohan s’enveloppe là où Richelieu se déploie.

1365. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Mme de Créqui, née au commencement du xviiie  siècle, pouvait-elle, en parlant de je ne sais quelle cérémonie monastique dont elle avait été témoin dans son enfance, ajouter ce trait classique plus convenable chez une lectrice de La Gazette : « Je n’ai rien vu dans les nouveaux romans qui fut aussi romantique que cette scène nocturne et qui fût aussi pittoresque surtout. » Pouvait-elle, en citant une complainte du vieux temps qui se serait chantée au berceau de son petits-fils, dire à ce dernier : « Vous vous rappellerez peut-être, en lisant ceci, que Mlle Dupont, votre berceuse, vous chantait précisément la même complainte, et qu’elle en usait toujours de la sorte, en guise de somnifère et pour le service de votre clinique. » On rencontre à chaque pas de ces anachronismes évidents de couleur et de langage, et qui donneraient droit de conclure avec certitude que, quand même il y aurait eu un fonds primitif d’anciens papiers, d’anciens récits, l’éditeur les avait retouchés et arrangés à la moderne.

1366. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Voilà comme je raisonne : dites-moi présentement votre avis… Ces paroles de Louis XIV ont été citées un peu diversement ; il les redit au duc d’Harcourt pendant le siège de Landrecies, et il dut les répéter à peu près dans les mêmes termes : mais c’est à Viliars qu’il est naturel qu’il les ait dites d’abord ; et il est mieux qu’on les lise de la sorte dans le langage grave et simple, familier au roi, avec leur tour de longueur, et sans aucune ostentation, sans aucune posture à la Corneille.

1367. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Ne lui demandez pas de se soigner, de se relire : « Mes affaires et mes amis, dit-il, ont besoin de moi, et le peu de temps qu’on me laisse est mieux employé à composer qu’à m’appesantir sur des révisions de style… Si je me contraignais pour me rendre méthodique, je suis certain que je serais moins lu encore que je ne le serai dans toute la pompe de la négligence et des écarts2. » Dans la Théorie de l’impôt, qui est censée une suite à l’entretiens ou discours tenus et prêchés à Louis XIV par Fénelon, cet éloquent prélat parle le plus rébarbatif des langages ; il dira que « l’honneur, ce gage précieux dont le monarque est le principal et presque le seul promoteur, a comme toute autre chose, son acabit ou son aloi nécessaire ».

1368. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Les lettres patentes de 1635, et le projet qui avait précédé, exprimaient en termes très nets le but des études et l’objet des travaux de l’Académie ; l’espoir « que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu’on n’avait fait jusques ici de l’élocution, qui n’était pas à la vérité toute l’éloquence, mais qui en faisait une fort bonne et fort considérable partie » ; que, pour cet effet, il fallait en établir des règles certaines ; premièrement établir un usage certain des mots, régler les termes et les phrases par un ample Dictionnaire et une Grammaire exacte qui lui donneraient une partie des ornements qui lui manquaient, et qu’ensuite elle pourrait acquérir le reste par une Rhétorique et une Poétique que l’on composerait pour servir de règle à ceux qui voudraient écrire en vers et en prose : que, de cette sorte, on rendrait le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences, à commencer par le plus noble des arts, qui est l’éloquence, etc., etc.

1369. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Nous devions le signaler, parce que, sous une forme ou sous une autre, la question Rambouillet recommence toujours ; parce que, de plus, ces politesses excessives et ces complaisances de langage servent à revêtir de coulantes facilités de jugement.

1370. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

J’en viens au récit qu’il a donné lui-même de ses premières années, récit très simple, très naturel, je l’ai dit, philosophique d’impression et de résultat, mais nullement révolutionnaire de forme et de langage.

1371. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Ce ne peut être ni jalousie ni rivalité : vos génies sont différents ainsi que vos langages, ainsi que les matières que vous avez traitées.

1372. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Distinguée par le rang et la naissance, elle l’est infiniment plus par l’élévation et la délicatesse des sentiments, la beauté du génie, l’étendue des lumières, la pénétration de l’esprit, la précision et la vigueur du raisonnement, la pureté et l’élégance du langage, la justesse et la finesse du goût.

1373. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Mais il fut très-surpris d’entendre Mme de Staël en personne lui tenir un tout autre langage que l’auteur du roman.

1374. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Il est temps que la beauté du langage vienne faire oublier ce qu’il y a d’un peu singulier, et même d’un peu comique, dans la situation du vieillard : « Tout cassé que je suis, je cours toute la ville… » Dès que don Diègue et Rodrigue se sont rencontrés, Corneille retrouve ses accents et traduit admirablement son modèle, lequel, à cet endroit, est des plus beaux : « Touche ces cheveux blancs à qui tu rends l’honneur ; Viens baiser cette joue, et reconnais la place Où fut jadis l’affront que ton courage efface. » — Admirable !

1375. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Lui-même Collé, il nous dit et redit tout cela en vingt endroits de son Journal, et comme un Gaulois d’autrefois, dans le langage le plus simple et le plus uni du monde : « Je n’avais de mes jours pensé à être auteur ; le plaisir et la gaîté m’avaient toujours conduit dans tout ce que j’avais composé dans ma jeunesse.

1376. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Le mécontentement de Louis XIV fut des plus vils en apprenant les disgrâces de son armée d’Italie et les fâcheuses conséquences de toutes ces marches en arrière de Catinat ; il en était informé, à n’en pas douter, par des lettres de Tessé, qui servait dans cette armée, et que nous retrouvons avec tout son entrain habituel et son pittoresque de langage.

1377. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

C’est dans ce mémorable discours du 24 juillet 1821 qu’il rappelait dans un langage élevé de grandes vérités politiques : « Tenons pour certain que ce qui est voulu, que ce qui est proclamé bon et utile par tous les hommes éclairés d’un pays, sans variation pendant une suite d’années diversement remplies, est une nécessité du temps.

1378. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Ces personnages mêmes, l’artiste les a poussés d’ordinaire au profil le plus vigoureux et le plus simple, au langage le plus bref et le plus fort ; dans sa peur de l’épanchement et de ce qui y ressemble, il a mieux aimé s’en tenir à ce qu’il y a de plus certain, de plus saisissable dans le réel ; sa sensibilité, grâce à ce détour, s’est produite d’autant plus énergique et fière qu’elle était nativement peut-être plus timide, plus tendre, plus rentrée en elle-même ; elle a fait bonne contenance, elle s’est aguerrie et a pris à son tour sa revanche d’ironie sur le siècle : de là une manière à part, à laquelle toutes les autres qualités de l’auteur ont merveilleusement concouru. — Esprit positif, observateur, curieux et studieux des détails, des faits, et de tout ce qui peut se montrer et se préciser, l’auteur s’est de bonne heure affranchi de la métaphysique vague de notre époque critique, en religion, en philosophie, en art, en histoire, et il ne s’est guère soucié d’y rien substituer.

1379. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Gresset, dans son séjour d’Amiens, s’était extrêmement préoccupé, comme font volontiers les écrivains retirés en province, du néologisme qui s’introduisait en quelques branches du langage : « Il avait été frappé justement, mais beaucoup trop, dit Garat dans sa Vie de Suard, du ridicule d’une vingtaine de mots qui avaient pris leurs origines et leurs étymologies dans les boutiques des marchandes de modes, même dans les boutiques des selliers. » Il en forma comme le tissu de son discours ; toutes ces locutions exagérées dont il s’était gaiement raillé vingt-cinq ans auparavant dans le rôle du jeune Valère : Je suis comblé, ravi, je suis au désespoir, Paris est ravissant, délicieux, il les remit là en cause, il fit d’une façon maussade comme la petite pièce en prose à la suite du Méchant ; et tandis que Suard plaidait avec tact pour la raison, alors dans sa fleur, et pour la philosophie, Gresset souligna pesamment des syllabes, anticipant l’office que nous avons vu depuis tant de fois remplir à feu M.

1380. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Jaloux de défendre Homère, Boileau, au lieu d’accueillir bravement la critique de Perrault et d’en décorer son poëte à titre d’éloge, au lieu d’oser admettre que la cour d’Agamemnon n’était pas tenue à la même étiquette de langage que celle de Louis le Grand, Boileau se rejette sur ce que Longin, qui reproche des termes bas à plusieurs auteurs et à Hérodote en particulier, ne parle pas d’Homère : preuve évidente que les œuvres de ce poëte ne renferment point un seul terme bas, et que toutes ses expressions sont nobles.

1381. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Le génie français n’a jamais été très remarquable en ce genre ; et maintenant on ne peut ajouter aux effets de la poésie, qu’en exprimant, dans ce beau langage, les pensées nouvelles dont le temps doit nous enrichir.

1382. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

» — Mais ce langage d’esclaves offense l’oreille de Pélasgos, « pasteur » et non « conculcateur des peuples », comme s’intitulaient les rois égyptiens, monarque patriarcal de l’ordre homérique, c’est-à-dire premier entre des égaux. — « Je te l’ai déjà dit : quand j’en aurais le pouvoir, je ne déciderais rien sans le peuple, de peur qu’il ne me dise un jour, si quelque revers arrivait : — Pour sauver des étrangères, tu as perdu la cité. » Même sous cette condition, Pélasgos temporise et hésite encore.

1383. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Augier est une œuvre de sentiment et de beau langage ; peu d’action, des situations simples, l’entrain et les incidents de la vie commune, mais des émotions vraies, des indignations généreuses, la chaleur de l’idée, l’esprit du détail, et, par-dessus tout, le charme du style.

1384. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

On entend un langage ému, on retrouve des sentiments délicats et tendres.

1385. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

En un mot, une information si ample, puisée à des sources si directes, servie d’un langage si lucide et si étranger aux prestiges, constitue, chez l’historien qui traite un sujet contemporain, la plus rare comme la plus sûre des impartialités.

1386. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

La soirée, le vent, les nuages, la feuille volante, parlaient un langage attendrissant.

1387. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Le petit Stanhope n’a pas encore huit ans, que son père lui dresse une petite rhétorique à sa portée, et essaie de lui insinuer le bon langage, la distinction dans la manière de s’exprimer.

1388. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Et ce secret, qu’il cherche et qu’il arrache de toutes parts, jusque dans les entrailles, il nous le livre et nous l’étale, je le répète, dans un langage parlant, animé, échauffé jusqu’à la furie, palpitant de joie ou de colère, et qui n’est autre souvent que celui qu’on se figurerait d’un Molière faisant sa pâture de l’histoire.

1389. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Le Père Joseph se compose de quatre dialogues dans lesquels le père convertisseur et politique parle successivement à la vieille marquise, à sa fille la comtesse, et au fils de celle-ci, jeune officier, à trois générations, essayant auprès de chacune le langage qu’il croit le mieux lui convenir.

1390. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Toutes les fois qu’il veut exprimer un sentiment un peu profond et vrai, il est puni, la passion et la poésie manquent à son langage.

1391. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Le Président était presque aveugle, et il était si vif que, la plupart du temps, il oubliait ce qu’il voulait dicter, en sorte qu’il était obligé de se resserrer dans le moindre espace possible. » C’est ainsi qu’il expliquait ce qu’il paraît y avoir parfois d’écourté dans le langage de Montesquieu.

1392. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Raynouard ; mais, tout en suivant et caressant cet enfant gâté, l’érudit laborieux et sagace déchiffrait des manuscrits, recueillait d’anciens textes, retrouvait des poésies charmantes ; il trouvait même, sans trop le dire, ou du moins en ne le disant qu’incidemment, des grammaires en vieux langage où étaient indiquées avec précision les règles de l’ancienne langue des troubadours : il s’en prévalait adroitement pour dénoncer ces règles, pour les découvrir, pour remettre l’ordre et la régularité là où, au premier coup d’œil, on aurait été tenté de ne voir que hasard et confusionb.

1393. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

C’est ainsi qu’il se pose, dans sa défense devant l’avocat général Broé, comme étant du peuple et soldat : « Mais je suis du peuple ; je ne suis pas des hautes classes, quoi que vous en disiez, monsieur le président ; j’ignore leur langage et n’ai pas pu l’apprendre.

1394. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Ici, nous trouvons l’aveu d’une faute de Franklin, et ce qu’en son langage d’imprimeur il appelle l’un des premiers errata de sa vie.

1395. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker assez diversifié : je n’ai pas encore achevé de faire le tour de l’homme, pour parler son langage.

1396. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Horace à la vérité a fait aussi un art poétique ; mais ce sont les rhéteurs qui l’ont baptisé ainsi : pour lui, ce n’était qu’une lettre aux Pisons, lettre familière à des jeunes gens auxquels il donne des conseils en se jouant dans le langage de la plus libre et de la plus aimable conversation.

1397. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Le doute méthodique de Descartes est une bonne chose pour tout le monde ; l’analyse des erreurs des sens et de l’imagination est aussi vraie pour Helvétius qu’elle l’est pour Malebranche ; les sentiments moraux ont été analysés par les Écossais d’une manière que toute école peut admettre ; ainsi de la méthode inductive dans Bacon, de la théorie du langage dans Locke et Condillac, de la théorie de l’habitude dans Maine de Biran, etc.

1398. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Pour ma part, j’ai vu peu de choses sentimentalement aussi belles, J’ai peu vu de ces langages, inouïs d’ardeur, de mouvement, d’aspiration, d’expression inspirée, poignante, navrée ou héroïque dans la douleur et dans l’amour ; j’en ai peu vu de pareils, même dans les livres, religieux ou profanes, qui passent pour les plus passionnés, pour les plus chauffés au feu des brûlantes larmes humaines.

1399. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

… Je l’ignore, mais, pour mon compte, je ne crois pas au double Saint-Simon, et, malgré la différence et le contraste de ses langages, j’affirme qu’il n’y en a qu’un !

1400. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Sismondi lui-même, malgré tout ce sang versé qui l’aveugle et le fait frémir, y voit clair encore, et à la page 412 du VIe volume de son Histoire, frappé du langage d’Innocent dans ses lettres après que les ambassadeurs d’Aragon lui eurent dévoilé la vérité, il avoue que ce Pape put être trompé par ses légats.

1401. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Dans ces Aveux d’un poète si familiers et si nobles, si élevés et si intimes, Heine, qui nous a dit tout, parce qu’il a le don du langage avec lequel on peut tout dire, nous parle de son mariage catholique à Saint-Sulpice et des vertus chrétiennes de la femme qu’il a épousée.

1402. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Le comique significatif est un langage plus clair, plus facile à comprendre pour le vulgaire, et surtout plus facile à analyser, son élément étant visiblement double : l’art et l’idée morale ; mais le comique absolu, se rapprochant beaucoup plus de la nature, se présente sous une espèce une, et qui veut être saisie par intuition.

1403. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

J’ajoute que la nature n’a pas dû se donner le luxe de répéter en langage de conscience ce que l’écorce cérébrale a déjà exprimé en termes de mouvement atomique ou moléculaire.

1404. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Pourtant, elle parle encore le langage d’une femme. […] Son langage devient abstrait et pédantesque. […] Les plus grands saints n’ont jamais reculé devant les hardiesses de langage nécessaires pour exprimer avec précision les choses que les chrétiens doivent connaître afin d’en prendre horreur. […] Et les autres personnages s’expriment dans le même langage sur le cas de la jeune chrétienne. […] Le général Hulin, président du Conseil de guerre, interroge le duc avec une courtoisie et une modération de langage qui font trembler à la réflexion, car on sent que le jugement a été dicté d’avance par quelqu’un qui n’est pas là.

1405. (1903) Propos de théâtre. Première série

Seulement, elle enveloppe tout cela d’une rhétorique exquise et de grâces parfaites d’expressions, et de périphrases, et de circonlocutions et de tout un langage de bonne compagnie. […] Il faut songer à Shakspeare, à son Holopherne (Peines d’amour perdues), pédant au langage macaronique, dont toutes les phrases sont mêlées d’italien et de latin, qui lit des madrigaux pleins de pointes et de concetti, et qu’on peut tenir pour le véritable ancêtre du Cydias de La Bruyère et du Trissotin de Molière. […] Henriette est la franchise, le bon sens, le sang-froid, avec une certaine liberté, quelquefois un peu hardie, de langage et d’allures. […] Sa liberté de langage, qui étonnerait chez une jeune fille de nos jours, s’explique d’abord par les habitudes du temps, qui est très sévère, sans doute, du moins dans la classe moyenne, mais qui a beaucoup moins que le nôtre la pudeur des mots. […] » Britannicus dit, en homme (qui ne voit rien de plus malheureux que d’être indigne de la personne qu’on aime) : « Je connais mal Junie ou de tels sentiments ne seront pas pour lui plaire. — Ça m’est égal, répond Néron. — Pour moi, reprend Britannicus, quelques périls qui me menacent, sa seule inimitié me peut faire trembler. » Et voilà le vrai langage d’un cavalier de 1640.

1406. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

En même temps, il publiait dans des recueils périodiques plusieurs essais, entre autres celui qui, remanié, est devenu son livre sur l’Origine du langage, et il écrivait un ouvrage considérable sur l’Avenir de la science, qu’il n’a imprimé qu’en 1890. […] Il avait besoin de l’adapter à un vaste ensemble de faits, d’écrire un grand chapitre d’histoire littéraire qui serait en même temps un chapitre de l’histoire du cœur humain, un essai partiel de philosophie de l’histoire, ou pour parler son langage, d’anatomie et de physiologie historiques. […] Toutefois, bien que ses lectures fussent presque toujours, jusqu’en 1822, des lectures d’auteurs classiques ou de philosophes, un instinct secret le détournait des spéculations métaphysiques pour le tourner vers la philosophie du langage, l’histoire des idées, la philosophie de l’histoire. […] Il reconnut autour de lui, dans les animaux, dans les plantes, dans tous les éléments, des âmes sympathiques auxquelles il prêtait lui-même le langage et la voix. […] Il écrivait en 1853 à un ami spiritualiste : « Vous savez que sur les choses divines, je suis un peu hésitant… J’accepte de tous points votre morale ; j’y trouve la plus parfaite expression de ma manière de sentir sur ce point… En général, vous portez dans votre langage métaphysique, plus de détermination que moi ; j’ai un peu moins de confiance dans la compétence du langage humain pour exprimer l’ineffable… En même temps que je désirerais introduire le devenir dans l’être-universel, je sens l’absolue nécessité de lui accorder la conscience permanente.

1407. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

On y parle un langage exquis, très propre à tout bafouer en badinant et à tout détruire sans avoir l’air de toucher à rien. […] Il lui aurait tenu à peu près ce langage : Vertueux guerrier, ne vous laissez pas enjôler par cette créole câline. […] » Cela veut dire, en son langage : « Quelle partie de plaisir allons-nous organiser pour passer la journée ?  […] Ces messieurs lui plaisaient aussi, parce qu’ils avaient conservé quelque chose du langage et des manières de la cour. […] Il avait vu les derniers ambassadeurs de Venise, les « bailes », comme on disait dans le langage des chancelleries.

1408. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Je ne sais personne qui soit joli avec plus de fadeur, ni contrefait avec plus de grâce personne qui ait perfectionné à ce point le mauvais goût et donné aux délicatesses du langage la transparence diaphane de l’étisie. […] Sainte-Beuve, en parlant de l’Histoire de l’Astronomie par Bailly, « que dans certaines vues de développement et de lointain qu’offre ce bel ouvrage, il y des parties qui, à les presser, se trouvent plutôt élégantes et spécieuses que solides. » Presser les parties d’une vue, d’un lointain, cela ne vous semble-t-il pas une hardiesse de langage un peu forte ? […] Viennet entre dans une colère poétique épouvantable, en voyant le progrès toujours croissant de l’importation anglaise dans le langage hippique. […] Elle a la poésie, l’imagination, la puissance et parfois la profondeur elle parle un magnifique langage, tour à tour dramatique ou coloré, éloquent ou familier, substantiel ou plein de délicatesses ; le contour de la phrase a tant de netteté qu’elle rend transparents jusqu’aux nuages de la pensée et du sentiment. — Pourquoi faut-il, qu’avec de si rares, de si précieuses qualités, ce talent, — ce n’est pas assez dire, — ce génie soit faux avec une grandeur qui n’est qu’à lui et dans des proportions colossales ?

1409. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Plusieurs de ces petits poèmes qui composent le recueil des Épreuves expriment dans le plus suave langage la pensée la plus profonde. […] Si quelques-uns parlent d’amour, ils en parlent dans un langage ancien, avec des caractères d’autrefois, et ils font penser à la mort en même temps qu’à l’amour. […] La science du langage, rattachée aux sciences naturelles, les égale désormais en précision. […] L’artiste le plus savant est tenu de lui garder son caractère national et populaire ; il doit parler le langage public. […] J’ignore les artifices du langage et ne sais parler que pour exprimer ma pensée.

1410. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

En langage courant, cela peut se traduire : « Racine n’a pas beaucoup plus de génie que Corneille ; mais dame ! […] Les comédies du dix-septième siècle sont, en leur fond, en leur forme, en leur langage, représentatives des mœurs du dix-septième siècle. […] À la première déclaration d’Hippolyte, elle répond : « Je vous aime aussi. » Elle le dit à sa manière, elle le dit en langage choisi, elle le dit spirituellement ; mais elle le dit aussi nettement qu’on peut le dire. […] » voilà le fond de leurs ressources pour exprimer leurs pensées ; voilà presque tout leur langage. […] On n’a pas considéré qu’un langage au-dessus du langage ordinaire doit être débité d’un ton au-dessus du familier.

1411. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

  Boileau se moquait des faiseurs de romans qui prêtaient à Horatius Coclès ou à Mucius Scévola le langage de la galanterie. […] Ces récits nous montrent des peintures fidèles, exécutées vivement, des caractères au naturel, un pathétique vrai où la passion parle toujours son propre langage. […] Voilà un langage impropre, une versification énervée ! […] Le langage des Marionnettes, avant même qu’on l’ait compris, forme à ces pan pan un accompagnement mystérieux de cris, d’exclamations… Il est donc facile de comprendre qu’ici l’aspect matériel éclipse le moral… Par conséquent, montrer ce que disent les Marionnettes sans faire voir ce qu’elles font, est un problème difficile, redoutable même… » Malgré cela, Duranty fît paraître ses petites pièces sous le titre : Théâtre des Marionnettes du jardin des Tuileries. […] Le langage de tragédie employé par Shakespeare est d’ordinaire solennel et noble jusqu’à l’emphase.

1412. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Du moins l’éditeur de 1833, M. de Lamennais, a eu le mérite de la franchise ; il a fait sa préface et l’a dirigée contre qui de droit, absolument comme si l’on vivait sous Tibère : « La Terreur a régné en Europe il y a quarante ans, disait-il : il serait curieux de voir aujourd’hui sur une couronne le bonnet rouge de Marat. » L’année suivante (1836), on réimprimait le même traité de La Servitude volontaire, transcrit en langage moderne pour être plus à la portée d’un chacun, voire des moins aisés, par Adolphe Rechastelet, anagramme de Charles Teste (Bruxelles et Paris).

1413. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il préfère à tout ce qui est plan et projet conçu dans le cabinet les idées fortuites nées à l’occasion, notées, prises sur le fait dans la vie du monde ; mais ces idées que lui suggère l’observation de chaque jour, il faut voir comme il les traduit dans son langage, même quand il les prête aux autres ou qu’il les met dans la bouche de ses personnages.

1414. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Et Sénèque lui-même n’a-t-il pas dit à son jeune ami Lucilius, dans un admirable langage : « Viget animus, et gaudet non multum sibi esse cum corpore ; magnam partem oneris sui posuit ; exsultat, et mihi facit controversiam de senectute : hunc ait esse florem suum… » — « Mon esprit est plein de vigueur, et il se réjouit de n’avoir plus beaucoup à faire avec le corps ; il a déposé le plus lourd de son fardeau ; il bondit de joie, et me tient toutes sortes de discours sur la vieillesse : il dit que c’est à présent sa fleur. » Je trouve dans un livre d’hier, et sur ce même sujet de l’âge, cette autre pensée juste et ferme, et si poétiquement exprimée : Me promenant, par une belle journée d’octobre, dans les jardins de la villa Pamphili, je fus frappé de la beauté merveilleuse d’un grand nombre d’arbres verts que je n’avais point aperçus durant l’été, cachés qu’ils étaient par l’épais feuillage des massifs, alors dans tout l’éclat de la végétation, maintenant dépouillés.

1415. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Avec Mme du Deffand et de la part de celle-ci, nous allons rencontrer plus d’une mauvaise humeur, plus d’une injustice également, plus d’une méchanceté même, comme les femmes du monde s’en permettent en langage envers des amies de tous les jours ; mais la suite aidera à corriger ce qui n’était que jugement hasardé, boutade, et à établir le vrai point.

1416. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Jal, dans l’article Saint-André de son très-utile Dictionnaire critique de Biographie et d’Histoire (1867), essaye de tout remettre en question, ne veut voir dans ces passages des rapports de Villaret relatifs à Jean-Bon que de la courtoisie de langage, et ne peut, sur le fond du procès, se résoudre à dire oui, ni se décider non plus à dire non ; heureusement les hommes qui sauvèrent la France coûte que coûte en 93 étaient plus prompts à prendre un parti.

1417. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

si l’on pouvait faufiler un peu de surnaturel et un aperçu de révélation dans cette mort si fière et si claire, comme bien des gens seraient disposés à s’adoucir envers la noble femme et à changer de langage !

1418. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

On aura déjà remarqué que, dans sa langue inélégante mais saine, Catinat prend volontiers les mots dans une acception un peu plus ancienne que sous Louis XIV ; quand il écrit, il est comme Vauban, un peu suranné de langage.

1419. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

— Seulement tâchons de ne les imiter, ni l’un ni l’autre, dans leurs incongruités de langage.

1420. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

On dit à la dauphine que la première, Madame Henriette, était assez sérieuse, et que Madame Adélaïde était fort gaie ; elle répondit : « Je prendrai donc conseil de Madame Henriette, et je me divertirai avec Madame Adélaïde. » Un tel mot, malgré les quelques incorrections de langage qui lui échappaient, la naturalisa Française du premier jour.

1421. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

On aura remarqué ce titre d’adjudant-commandant, qui n’est guère usité et qui ne se donnait pas en effet dans le langage courant.

1422. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Il est faible sur les origines du langage, on le conçoit aisément, et sur les origines de notre langue en particulier.

1423. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Il décerne à François Ier tous les éloges qui lui sont dus à cet égard, pour avoir commencé à restituer le langage français en sa dignité, et en avoir fait l’interprète public de la loi et de l’enseignement, au moins au Collège de France.

1424. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

C’est plaisir et douce surprise que de retrouver ces théories et ces œuvres nouvelles analysées, exposées, justifiées parfois, dans un langage courant et pur, avec accompagnement des réminiscences, des citations classiques que le critique y entremêle, et par lesquelles il les rattache sans effort à ce que souvent elles oubliaient.

1425. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Aveugle et rapide en son instinct, il porte du premier coup la main au sublime, au glorieux, au pathétique, comme à des choses familières, et les produit en un langage superbe et simple que tout le monde comprend, et qui n’appartient qu’à lui16.

1426. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

« Voltaire l’avait, les anciens ne l’avaient pas. » Le style de son temps, du xviiie  siècle, ne lui paraît pas l’unique dans la vraie beauté française : « Aujourd’hui le style a plus de fermeté, mais il a moins de grâce ; on s’exprime plus nettement et moins agréablement ; on articule trop distinctement, pour ainsi dire. » Il se souvient du xvie , du xviie  siècle et de la Grèce ; il ajoute avec un sentiment attique des idiotismes : « Il y a, dans la langue française, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. » Ce Gil Blas, que Fontanes lui citait, n’était son fait qu’à demi : « On peut dire des romans de Le Sage, qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la comédie. » Il disait de La Harpe : « La facilité et l’abondance avec lesquelles La Harpe parle le langage de la critique lui donnent l’air habile, mais il l’est peu. » Il disait d’Anacharsis  : « Anacharsis donne l’idée d’un beau livre et ne l’est pas. » Maintenant on voit, ce me semble, apparaître, se dresser dans sa hauteur et son peu d’alignement cette rare et originale nature.

1427. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Un jour, en avril 1822, M. de Ségur reçut une lettre timbrée de Montpellier dont voici quelques extraits : « Monsieur le comte, Souffrez qu’un inconnu vous rende un hommage qui doit au moins avoir cela de flatteur pour vous, que vous y reconnaîtrez, j’en suis sûr, le langage de la vérité.

1428. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Son âme, son langage, ses traits, y prirent la solennité des grands destins.

1429. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

De cette solitude sortirent des milliers de pages où respirent le génie littéraire de la plus pure antiquité et le génie moderne du christianisme, qui parlent de la divinité avec une admirable puissance d’esprit et de langage, souvent avec le plus tendre enthousiasme.

1430. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Quand nous lisons : Tes bons mots, autrefois délices des ruelles, Approuvés chez les grands, applaudis chez les belles, Hors de mode aujourd’hui chez nos plus grands badins, Sont des collets montés ou des vertugadins : nous ne pouvons nous figurer que cela a la même valeur, relativement aux habitudes du langage et du goût de son siècle, qu’ont à notre égard les vers de V. 

1431. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Assurément il s’entendait à manier les âmes, ce bon maréchal de Champagne et Romanie, qui savait que, là où échouent tous les arguments, quand il s’agit de persuader ce que le devoir, la conscience et parfois l’intérêt réprouvent, le mot magique qui perce les cœurs et l’ait tout faire, c’est l’honneur, l’honneur qu’on définit : « rester avec les autres, ne pas dépecer l’armée » : en langage moderne, ne pas lâcher les camarades.

1432. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

De là, en maintes occasions, des effets d’un comique délicat et savoureux par le contraste inattendu que font avec certaines idées et certains objets la gravité, la prudhomie, l’exactitude scientifique et, d’autres fois, la beauté antique du langage de M. 

1433. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Facilité, pétulance, esprit jaillissant et intarissable, art de plaire, flatteries qui ont l’air d’amitiés caressantes, louanges qui demandent du retour, art d’occuper les autres de soi sans les en fatiguer, et d’intéresser leur vanité à sa gloire ; toutes les grâces du langage poli dans la patrie de la société, comme Voltaire appelle Paris : c’est la France elle-même en coquetterie avec toutes les nations civilisées.

1434. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

Ici encore je puis faire cette constatation sans savoir la géométrie : et je n’ai pas besoin d’autre chose, mais je vais donner l’explication du fait en employant le langage géométrique.

1435. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Le naturel, l’élan de cœur, la vivacité, l’entraînement, un esprit prodigieusement inventif, joint à une fermeté à toute épreuve, font de madame Gros un exemple unique peut-être de l’art d’exprimer au peuple dans son langage les plus hauts sentiments.

1436. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il est presque banal de rappeler les aspects multiples de ce triomphe : le roman s’efforçant d’être impersonnel, documenté et de calquer le langage parlé ; le théâtre s’ingéniant à réduire au minimum la part de la convention et à porter au maximum l’exactitude de la mise en scène ; l’histoire se confinant dans les travaux d’érudition et dans les recherches minutieuses ; la critique se faisant scientifique, analytique, aussi impartiale qu’elle peut l’être ; la poésie même s’inspirant de la science ou de la vie familière.

1437. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

D’autre part, des auteurs qui se rattachent à l’époque antérieure, qui gardent quelque chose du temps de la Fronde : tels Corneille, Molière, La Fontaine, Retz, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, même Mme de Sévigné ; tout soumis et pacifiés qu’ils sont avec la France entière, ils ont par moments une indépendance de pensée, une liberté de ton et d’allure, une verdeur de langage, voire une veine de gaillardise qui rappellent que leur jeunesse s’est écoulée dans une société moins régulière.

1438. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Si le triomphe de madame de Maintenon était celui de toutes les femmes de sa société, de leur esprit, de leurs mœurs, de leur a me délicate et pure, sur les habitudes désordonnées du roi, à son tour le changement opéré dans l’esprit et dans les mœurs du roi en opéra un pareil dans cette innombrable multitude de personnes qui ne connaissaient d’autre règle de conduite, d’autre règle du langage que les exemples du monarque.

1439. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Le vers se ressent de cette indécision générale : il flâne d’A quoi rêvent les jeunes filles, aux Femmes savantes picorant ici et là une rime, un tour, une vieillerie de langage, une coquetterie de mots, une perle ou un grain de mil.

1440. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Ces excès de langage ont aussi le tort de rendre le dénouement impossible.

1441. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Je parle à M. de Pontmartin le langage qui lui est familier et qu’il aime.

1442. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

La touche de Lesage est toute française, et si notre littérature possède un livre qu’il soit bon de relire après chaque invasion, après chaque trouble dans l’ordre de la morale, de la politique et du goût, pour se calmer l’humeur, se remettre l’esprit au point de vue et se rafraîchir le langage, c’est Gil Blas.

1443. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Orateur, il avait un langage abstrait, terne et monotone comme son débit ; journaliste, il ne rencontre jamais un trait brillant, jamais une image vive ni une étincelle ; la précision et une certaine ironie froide sont, en ce genre, les seules qualités qu’on puisse lui trouver.

1444. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Je n’y trouve pas plus de ce naturel véritable qui, né de la pensée ou du sentiment, et jaillissant de la passion même, pénètre dans tout le langage et y circule comme la vie.

1445. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Si cette mère idolâtre s’occupait, par ses conversations et par les lettres qu’elle lui dictait, à lui façonner l’esprit au bon langage et à la politesse du monde, elle lui apprenait encore mieux à idolâtrer sa petite personne : Ma mère, dit-il, avait tant de faiblesse pour moi, qu’elle était continuellement à m’ajuster.

1446. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Enfant, j’ai bien souvent, à l’ombre des buissons, Dans le langage humain traduit ces vagues sons ; Pauvre écolier rêveur et qu’on disait sauvage, Quand j’émiettais mon pain à l’oiseau du rivage, L’onde semblait me dire : « Espère !

1447. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

En un mot, il n’avait ni les formes ni le langage de la société dans laquelle il se trouvait ; et quoique, par sa naissance, il allât de pair avec ceux qui le recevaient, on voyait néanmoins tout de suite à ses manières qu’il manquait de l’aisance que donne l’habitude du grand monde.

1448. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Dans ses manières, dans son langage, ce n’était ni l’air ni le ton d’une femme élevée à l’école des arts, formée à l’école du monde.

1449. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Si l’abbé Maury n’a pas dans le détail cette fertilité ingénieuse de métaphores et d’images qui égaie continuellement le langage de la critique chez Quintilien, il n’est nullement dépourvu de comparaisons et de similitudes.

1450. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Nos galettes de sarrasin (cela s’appelle dans le langage du pays des tourtous), humectées, toutes brûlantes, de ce bon beurre du mont d’Or, étaient pour nous le plus friand régal.

1451. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Si nous trouvions à redire à ce langage, ce serait plutôt à l’ironie du ton et à cet accent de dédain envers ceux mêmes qu’on défend, accent qui est trop naturel à Rivarol, que nous retrouverons plus tard à Chateaubriand, et qui fait trop beau jeu vraiment à l’amour-propre de celui qui parle.

1452. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Il était dit que jusqu’à la fin, et même à l’article du testament, il y aurait jour à un coin de plaisanterie dans la conduite et le langage de celui qui, en ayant bien des parties du juge, ne vient pourtant qu’au second rang des judicieux17.

1453. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

On se croirait reporté au temps des Caylus et des Simiane, autant par la fleur des sentiments que par celle du langage.

1454. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Chez Saussure, selon l’éloge que lui accorde sir Humphrey Davy, on sent un dessin aussi animé que correct, et des traits qui, autant que le langage en est capable, éveillent les peintures dans l’esprit : il offre une alliance parfaite d’une imagination puissante associée avec le plus froid jugement, quelque chose des sentiments du poète joints à l’exacte recherche et à la profonde sagacité du philosophe.

1455. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

On se met à table, et c’est chez chacun une verve, venant de la sympathie intelligente et de la compréhension à demi-mot des autres ; et bientôt d’aimables folies, et des bêtises, et des enfantillages, et des gaietés dans de jolies libertés de langage.

1456. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Pour bien comprendre un artiste, dit Guyau, il faut se mettre « en rapport » avec lui, selon le langage de l’hypnotisme ; et, pour bien saisir les qualités de l’œuvre d’art, il faut se pénétrer si profondément de l’idée qui la domine, qu’on aille jusqu’à l’âme de l’œuvre ou qu’on lui en prête une, « de manière à ce qu’elle acquière à nos veux une véritable individualité et constitue comme une autre vie debout à côté de la nôtre. » C’est là ce que Guyau appelle la vue intérieure de l’œuvre d’art, dont beaucoup d’observateurs superficiels demeurent incapables.

1457. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Ce livre, en effet, s’annonçait comme une large composition d’histoire littéraire et de critique, dominée par une philosophie, — ou comme parle l’auteur, et nous aimons ce langage — par une théodicée, il devait donc être cela, — purement et doctement.

1458. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Dans sa Virginie de Leyva, ce n’est qu’un libertin par la pensée et un précieux dans le langage, et, dans son impossibilité d’être énergique, parce qu’il n’est pas passionné, il nous déteint l’indécente Religieuse de Diderot, ce vermillon obscène, et nous raconte, avec des chatteries de style comme il en a, même dans les sujets les plus graves, une histoire de la Gazette des Tribunaux d’Italie qui, pour faire balle dans nos âmes et y éveiller l’écho de haine qu’on y voudrait entendre, ne demandait qu’une poignante simplicité.

1459. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Évidemment, c’est une contradiction : la Muse de Joseph Delorme doit ignorer tous ces langages ; évidemment, elle n’est pas là !

1460. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Pour un bonheur imperceptible, Souffrir un mal intraduisible À tous les langages humains !

1461. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Pascal a le langage de toutes les passions. […] George Sand était encore jeune à cette époque, et Stendhal s’amusa à l’inquiéter par un langage hardi jusqu’à l’obscénité. […] Autour du bateau, dans l’ombre mouvante du remous se signale déjà, par son rude langage, la canaille des colporteurs. […] Et pour la première fois, il me semble, donnez à penser qu’appartient séculairement et comme son patrimoine libre de toute daté et de tout lieu, à la corporation des poètes, un langage à eux propre, et perpétuel. […] Avez-vous remarqué ce passage de la première lettre : qu’appartient séculairement et comme son patrimoine libre de toute date et de tout lieu, à la corporation des poètes, un langage à eux propre et perpétuel  ?

1462. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Pourtant on pourrait avec pas mal de raison employer, en ce genre de langage, les mots de Symbolisme des Réalistes, qui, tout en paraissant réunir des antipodes, expriment une vérité. […] Cette hérésie catholique d’orgueil est peut-être plus commune chez les prêtres que l’hérésie chrétienne d’amour ; emprunte-t-elle le langage de celle-ci — le seul langage avouable de l’hérésie — c’est un masque fragile, et qui, pour un œil perspicace, ne tient pas. […] Le terme d’aveugle n’appartient d’ailleurs qu’à l’un des deux langages critiques en lesquels on peut traduire le livre. […] Il se compare à Stésichore, qui, ayant mal parlé d’Hélène, perdit la vue, et ne la retrouva que lorsque, tenant sur la plus belle des créatures le langage des vieillards aux portes Scées, il eut écrit sa palinodie. […] Le langage ici nous avertit.

1463. (1886) Le roman russe pp. -351

Imaginez les Martyrs traduits, trahis dans un autre langage ; il faudrait beaucoup de courage pour les lire ; il en faut déjà un peu pour aborder l’original, ajouteraient les gens irrévérencieux. […] La vie va lui montrer d’autres expériences, qui nécessitent un langage nouveau ; il continuera de les enregistrer, avec l’ardeur et la docilité de la machine que l’on transforme pour un labeur différent. […] Chacun sait que les paysans, les « âmes », comme on disait dans le langage courant, étaient une valeur mobilière, objet de négoce au même titre que les autres valeurs. […] Mais comme les discussions politiques et sociales étaient proscrites en Russie, elles devaient se couvrir du manteau de la philosophie et lui emprunter un langage hiéroglyphique. […] Le Bazarof, ce fils de paysans cynique, amer, qui va crachant sur toutes choses ses brèves sentences en langage tour à tour populaire et scientifique, brave d’ailleurs, incapable d’une action vile, refoulant par orgueil les instincts de son cœur, c’est au fond un sauvage subitement instruit qui nous a volé nos armes.

1464. (1881) Le naturalisme au théatre

C’est ainsi que l’art marche avec l’humanité, en est le langage même, va où elle va, tend comme elle à la lumière et à la vérité, sans pour cela que l’effort du créateur puisse être jugé plus ou moins grand, soit qu’il se produise au début soit qu’il se produise à la fin d’une littérature. […] Cette pièce où l’on mange tout le temps, où l’amoureux parle un langage si familier, aurait révolté à la fois les classiques et les romantiques. […] Et ce fut tout, car les conventions scéniques ne firent que se déplacer, les personnages restèrent des marionnettes autrement habillées, rien ne fut modifié que l’aspect extérieur et le langage. […] La bonhomie de l’existence, les promiscuités tolérées, les libertés permises de langage et de sentiments, tout ce train-train qui fait la vie, prend immédiatement dans nos œuvres écrites l’apparence d’une diffamation. […] Car les faits sont là, ce qui a pris le public, ce sont les scènes entre Guillaume et Ursule, c’est la peinture de ce monde ouvrier, étudié dans ses mœurs et dans son langage.

1465. (1929) La société des grands esprits

Non seulement il n’a souci que d’Athènes, mais il ne tiendrait pas un langage très différent s’il était citoyen d’Olynthe ou de Mégare. […] Mais si l’on abuse aujourd’hui et depuis quelque cent cinquante ans du style descriptif et impressionniste, il n’en est pas moins vrai que les mots peuvent peindre et que tout langage peut tout exprimer parce que tout objet parle à l’esprit. […] La plaisanterie était le langage naturel de Voltaire, qui ne lui servait pas seulement à exprimer la gaieté, mais aussi la colère et l’indignation. […] La pensée humaine est une et les formes artistiques ne sont que ses divers langages. […] Mais s’il constate tantôt avec colère, tantôt avec pitié, cette impuissance de la majorité des hommes, et cet aspect de niaiserie que leur pauvre cervelle et leur langage disgracié impriment aux plus nobles idées, il continue pourtant de croire à ces idées mêmes, d’en proclamer l’inappréciable valeur, et de considérer qu’elles suffisent à justifier le monde comme les dix justes auraient suffi à sauver Sodome.

1466. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Cet homme sévère, qui passe pour le plus rigoureux des orthodoxes en littérature et qui l’est en effet, mais qui l’est avec des audaces d’hérésiarque et qui ne connaît pas de plus grand plaisir que de bousculer la tradition et de prêter à la raison même le langage insolent du paradoxe, a eu tout à coup un de ces mouvements oratoires auxquels les foules ne résistent pas. […] Il n’a pas fait attention que telle pauvre vieille fille, de vie vraiment sainte et héroïque, a pourtant l’extérieur et le langage d’une bigote et n’en saurait avoir d’autres. […] J’ai peur que tout amoureux passionné, quels que soient sa condition, son esprit et son langage, ne soit en un sens un jocrisse de l’amour. […] Ils sont bizarres et lointains ; on sent d’ailleurs que leurs propos sont traduits d’une langue étrangère (et la traduction est telle, il faut le dire, qu’elle accroît encore l’étrangeté de ce langage). […] Et, d’autre part, les personnages, qui sont encore des primitifs, ont une profondeur, une violence de sentiments, une spontanéité et une candeur de langage qu’on ne trouve plus guère à ce degré dans nos civilisations d’Occident.

1467. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Je ne puis cependant ne pas citer cette page qui donnera une idée en même temps que de la supériorité de l’analyste, du langage de l’écrivain et de son intensité de description. […] L’auteur aura beau dire qu’il a voulu persifler dans leur langage les naturalistes de la poésie, il ne sera pas cru par tout le monde, et ce sera son châtiment. […] Dans leur argot sinistre, qui a trouvé pour la guillotine un nom épouvantablement expressif, la veuve, ils appellent la conscience, dont jamais ils n’ont en effet entendu le langage, la muette. […] Ses tendances sont celles qui commencent déjà à se manifester ; outre ses belles qualités d’action, de forme et de langage, il devra, selon nous, une grande partie de son succès à un mouvement des consciences qui protestent contre la tyrannie et le despotisme de notre école matérialiste. […] Mais que ne pardonnerait-on pas au charme de cette forme exquise de ce langage sincère.

1468. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Et si le langage fait assurément l’un des liens les plus étroits et les plus forts des sociétés humaines, peut-on séparer l’art d’avec la vie sociale ? […] Ou bien enfin, la tragédie produit en nous quelque impression de dignité, de noblesse et de poésie : c’est que le langage n’en est pas celui de la conversation familière, mais un langage choisi, recherché, noble, et poétique par sa rareté même, — oratio gravis, cuit a, a vulgi dictione aversa. […] C’est que toutes ces figures expriment les rapports secrets de la parole avec la pensée ; c’est que la métaphore est le procédé naturel de fructification ou d’enrichissement du langage ; et c’est enfin qu’une hyperbole ou une litote, qui différencient du tout au tout la nuance d’un même sentiment ou d’une même idée, ne sont pas seulement de la rhétorique : elles sont de la psychologie. […] Et rappelons enfin l’anecdote célèbre : Quand on lui demandait son avis sur quelque mot français, il renvoyait ordinairement aux crocheteurs du Port au Foin, et disait que c’étaient ses maîtres pour le langage. […] — Parce qu’il n’est pas naturel qu’on emploie le langage à obscurcir la pensée, toujours assez obscure d’elle-même ; et parce qu’il n’est pas raisonnable, si l’on converse ensemble, de parler justement pour n’être pas entendu. — Pourquoi encore la proscription du Merveilleux chrétien ?

1469. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Ils aimaient sa probité littéraire, le réalisme classique de son langage, son ironie subtile et profonde. […] On y trouve, en un langage sobre et clair, le souci qui fut la principale préoccupation du duc d’Aumale, et qui donne à sa vie, malgré tant de traverses et de déboires, une belle unité. […] Cette noblesse de sentiment et ce beau souffle d’épopée animent, d’un bout à l’autre, les sept volumes où il a conté d’une plume alerte, en un langage lucide et précis, la vie des princes de Condé. […] Nous sommes tentés de leur crier, avec ces gentillesses de langage qui de Montmartre ont passé dans la littérature, et de la littérature dans les salons : « Eh ! […] Le dilettantisme, même paré de toutes les grâces du langage, est une posture dont le spectacle, à la longue, pourrait devenir pénible.

1470. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Songez au langage. Le langage est la prison de l’esprit. […] Le langage est donc conservateur des erreurs anciennes ou peut-être des vérités anciennes ; mais à coup sûr il est conservateur et antilibérateur. […] Mais lorsque nous sommes entre nous, il faut que le langage soit plus loyal. […] Mais vous, si votre foi vous rend bienheureux, donnez-vous aussi pour tels… » Il faut donc reconnaître que dans la vertu qui semble consister dans l’exclusion même de l’égoïsme, que dans la vertu qui porte pour nom précisément abolition de tout égoïsme, il entre tant d’égoïsme encore qu’on se demande si cette vertu n’est pas l’égoïsme lui-même, et, après cet exemple assez frappant et les conclusions légitimement tirées de cet exemple, il semble que nous n’ayons plus besoin d’aller plus loin et que nous devions convenir que les vertus, pour parler le langage commun des hommes, sont des formes subtiles de l’égoïsme, des hypocrisies de l’égoïsme et des dégradations de l’égoïsme.

1471. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Tout d’abord, la plupart se révélèrent inaptes aux abstractions, aux développements ou même au simple langage des idées. […] Je n’en comprends pas le langage et je ne saisis pas l’utilité de l’apprendre. […] Or, compris comme plus haut, et c’est ainsi qu’on doit le comprendre, le langage est au-dessus de la musique, car il décrit, suggère et définit nettement le sens. […] D’ailleurs ces libertés de langage sont classiques et essentiellement dans les traditions françaises des mystères et des vieux fabliaux ; c’est l’éternel style de la querelle entre la chair de l’esprit, entre le précis et l’imprécis. […] J’aime dans le journalisme la notation possible de sensations au jour le jour, comme j’aime le langage rare de Huysmans, la poésie de nature et la musique extraordinaire de Rollinat, le Prélude des poèmes anciens et romanesques de Henri de Régnier, comme je m’intéresse aux psychologies de M. 

1472. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Et puis, ne sens-tu pas qu’un voyageur, longtemps absent et longtemps seul, retrouve avec une joie d’enfant un langage qui répond aux secrètes émotions de son cœur ? […] J’ai cependant la satisfaction de voir que les passions irréfléchies ne cherchent pas leur aliment à mes leçons ; qu’un assez grand nombre d’auditeurs fidèles et sérieux s’accoutument à l’indépendance et à la modération de mon langage, et qu’en somme on est disposé à me suivre dans les voies moyennes où me mène ma sincérité.

1473. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

I L’astre de Malherbe n’a pas influé seulement sur la poésie, il a influé sur la prose française, sur ses destinées futures et sur toute la direction nouvelle du langage ; c’est un fait constant. […] Il était en cour l’arbitre juré du langage ; on ne consultait que lui.

1474. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Dans cette page charmante, il n’a eu qu’à se ressouvenir et à nous raconter son propre secret : « Mais qui mieux que l’auteur lui-même, nous dit-il, ressent cette harmonie mutuelle du langage et du chant ? […] Aujourd’hui on étale moins ses vrais principes ; au besoin on en a même de solennels pour les jours de montre ; l’époque est à la fois épicurienne de fait et ampoulée de langage.

1475. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Qu’est-ce donc que la gaieté en langage précis et sans métaphores ? […] La plaisanterie amère et la moquerie caustique peuvent s’unir au sérieux, et l’on voit que leur langage a fourni quelquefois des armes à l’indignation et à la haine, ainsi que le prouve l’exemple des iambes chez les Grecs et des satires chez les Romains.

1476. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Car le monde choisi raffine le langage. […] Les bienséances du monde, qui atténuent les expressions, émoussent le style ; à force de régler ce qui est primesautier et de tempérer ce qui est véhément, elles amènent le langage effacé et uniforme.

1477. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Aussi la douleur intérieure d’un héros pourra-t-elle, traduite en langage psychologique, nous émouvoir plus que si on se contente de nous dire : « Il éclata en sanglots. » Cependant rien de plus contagieux que les larmes, mais à condition qu’on soit déjà dans une certaine disposition à la tristesse : les larmes sont la conséquence ultime de l’émotion, et ne peuvent à elles seules la produire si on ne devine pas la série de causes qui les ont amenées, ou si ces causes ne nous paraissent pas suffisantes. […] Plus remarquable que son contenu est pour moi sa forme, ce langage qui est pour ainsi dire un produit de la nature, comme un arbre, comme une fleur, comme la mer, comme les étoiles, comme l’homme lui-même… Le mot s’y présente dans une sainte nudité qui donne le frisson. » La Bible a eu une influence littéraire considérable, principalement sur tous les écrivains dits romantiques ou réalistes.

1478. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Cette scène de violence se fond aussitôt dans une scène de coquetterie, de séduction par le regard, par l’attitude, par la caresse de la voix, enfin par la caresse même du langage (elle lui parle basque) ; « notre langue, monsieur, est si belle que, lorsque nous l’entendons en pays étranger, cela nous fait tressaillir. » — « Elle mentait, monsieur, elle a toujours menti. […] Voici la familiarité et le langage imagé du peuple : Quand on n’a pas mangé, c’est très drôle. — Savez-vous, la nuit, quand je marche sur le boulevard, je vois des arbres comme des fourches, je vois des maisons toutes noires grosses comme les tours de Notre-Dame, je me figure que les murs blancs sont la rivière, je me dis : Tiens, il y a de l’eau là !

1479. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Or, si l’on suppose M. de Maistre recevant, ainsi qu’il est très-probable, la communication de cette brochure dans le temps où il écrivait son pamphlet de Claude Têtu, mûr comme il était sur la question et tout échauffé par le prélude, il lui suffit d’un éclair, pour l’enflammer ; il dut se dire à l’instant, dans sa conception rapide, que c’était le cas de refaire la brochure de Saint-Martin, non plus avec cette mollesse et cette fadeur à demi inintelligible, non dans un esprit particulier de mysticisme et dans une phraséologie béate qui tenait du jargon, mais avec franchise, netteté, autorité, en s’adressant aux hommes du temps dans un langage qui portât coup et avec des aiguillons sanglants qui ne leur donneraient pas envie de rire. […] Il n’y a point ici un théâtre pour parler un certain langage. […] Et pour que l’on comprenne mieux dans quel sens analogue à celui de M. de Maistre, voici ce qu’après un préambule sur ses principes spiritualistes et sur la liberté morale, Saint-Martin disait à son ami : « Supposant donc… toutes ces bases établies et toutes ces vérités reconnues entre nous deux, je reviens, après cette légère excursion, me réunir à toi, te parler comme à un croyant, te faire, dans ton langage, ma profession de foi sur la Révolution française, et t’exposer pourquoi je pense que la Providence s’en mêle, soit directement, soit indirectement, et par conséquent pourquoi je ne doute pas que cette Révolution n’atteigne à son terme, puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule. » « En considérant la Révolution française dès son origine, et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées, et où les justes et les méchants reçoivent dans un instant leur récompense ; car, indépendamment des crises par lesquelles la nature physique sembla prophétiser d’avance cette Révolution, n’avons-nous pas vu, lorsqu’elle a éclaté, toutes les grandeurs et tous les ordres de l’État fuir rapidement, pressés par la seule terreur, et sans qu’il y eût d’autre force qu’une main invisible qui les poursuivît ?

1480. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Il est comme lui chef d’une bande de voleurs, il a comme lui un registre pour inscrire les vols, il reçoit comme lui de l’argent des deux mains, il fait comme lui prendre et pendre ses amis quand ses amis lui sont à charge, il se sert comme lui du langage parlementaire et des comparaisons classiques, il a comme lui de la gravité, de la tenue, et s’indigne éloquemment quand on soupçonne son honneur. […] Sire, écrit Junius au roi, c’est le malheur de votre vie et la cause originelle de tous les reproches et de toutes les calamités qui ont accompagné votre gouvernement, que vous n’avez jamais connu le langage de la vérité, tant que vous ne l’avez point entendu dans les plaintes de votre peuple. […] Il n’importe, on l’a trahi ; il veut punir les traîtres, et voici à quel pilori il attache « les janissaires d’antichambre » qui, par ordre du prince, viennent de déserter au milieu du combat : Le domaine entier du langage ne fournit pas de termes assez forts et assez poignants pour marquer le mépris que je ressens pour leur conduite.

1481. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

De plus, elle parlait, selon lui, un trop correct langage, car il avait à cet égard le même sentiment que Pouschkine, qui a dit : « Je n’aime point les lèvres roses sans sourire, ni la langue russe sans quelque faute grammaticale. » En un mot, Sophie Cirilovna était de ces femmes qu’un amant nomme des femmes séduisantes ; un mari, des êtres agaçants, et un vieux garçon, des enfants espiègles. […] Les grands mots d’art, de poésie diapraient constamment son langage. […] Avant d’en venir à cette dernière résolution il voulut, pour essayer de se distraire, revoir Sophie Cirilova ; mais le langage prétentieux, le sourire affecté, la folle coquetterie de la jeune veuve ne produisirent sur lui qu’une impression désagréable. — Quelle différence, s’écria-t-il, avec la vraie simple nature de Viéra, et cependant il ne pouvait renoncer au projet de s’éloigner de Viéra.

1482. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

La vérité est qu’on obtient ainsi une imitation artificielle de la vie intérieure, un équivalent statique qui se prêtera mieux aux exigences de la logique et du langage, précisément parce qu’on en aura éliminé le temps réel. […] C’est pourquoi l’on pourrait supposer que le flux du temps prît une rapidité infinie, que tout le passé, le présent et l’avenir des objets matériels ou des systèmes isolés fût étalé d’un seul coup dans l’espace : il n’y aurait rien à changer ni aux formules du savant ni même au langage du sens commun. […] C’est pourquoi nous estimons que le langage du transformisme s’impose maintenant à toute philosophie, comme l’affirmation dogmatique du transformisme s’impose à la science.

1483. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Il ne serait même pas déraisonnable d’affirmer que l’histoire proprement dite des différentes époques est moins instructive que leurs fables… Gardons-nous de croire avec les esprits chagrins que l’homme aime et embrasse l’erreur pour l’erreur elle-même : il n’y a pas, et même il ne peut y avoir de folie qui n’ait son coin de vérité, qui ne tienne à des idées justes sous quelques rapports, mais mal circirconscrites et mal liées à leurs conséquences 61. » En ce qui concerne le stoïcisme, Cabanis ne fait en quelque sorte, dans cette lettre, que poser la doctrine d’un stoïcisme moderne plus perfectionné, et traduire, interpréter dans le langage direct de la science, et sous forme de conjectures plus ou moins probables, les conceptions antiques de cette respectable école sur Dieu, sur l’âme, sur l’ordre du monde, sur la vertu. […] En s’appliquant à la composition de ses tragédies historiques indépendamment de toute règle factice, en combinant l’étude sévère et la passion, la fidélité à l’esprit, aux mœurs et aux caractères particuliers de l’époque, et les sentiments humains généraux s’exprimant dans un langage digne et naturel, Manzoni ne faisait autre chose que réaliser avec originalité le vœu déjà ancien de son ami, et donner la vie poétique aux idées qu’ils avaient autrefois agitées ensemble. […] Entre ces juges, j’ai assez marqué qu’il n’en était aucun auquel il s’en remît plus absolument et avec plus de confiance qu’à Fauriel ; mais c’est peut-être tandis qu’il s’occupait d’écrire son roman des Promessi Sposi, que ces questions fines, qui touchent à la forme du langage et comme à l’étoffe même de la prose italienne, revenaient plus habituellement entre eux. […] Fauriel, en qui la sagacité, la justesse d’esprit et la grâce de langage semblent s’être personnifiées.

1484. (1903) Le problème de l’avenir latin

Il y a une phrase qui reparaît dans les Commentaires de César avec l’insistance d’un leitmotiv, celle-ci : « Les Gaulois changent aisément de volonté ; ils sont légers et mobiles ; ils aiment les révolutions. » Bien avant César, le vieux Caton avait enregistré ces deux traits essentiels : « Les Gaulois pour la plupart poursuivent deux choses avec ardeur : la guerre et le beau langage. » Ces deux notations contemporaines, à défaut de plus amples renseignements, suffiraient à fixer la psychologie de nos aïeux. […] Or pour un peuple, l’abandon absolu de sa langue est le signe de l’abandon de sa personnalité, le langage étant l’expression directe, le symbole adéquat de la vie intérieure, « la représentation fidèle du génie des peuples, comme l’a dit Michelet, l’expression leur caractère, la révélation de leur existence intime, leur verbe, pour ainsi dire ». […] Cette substitution de langage a, en réalité, une importance de tout premier ordre. […] Qu’est Charlemagne lui-même, le Franc, le Barbare d’apparence, le Germain de costume et de langage, sinon l’apôtre du latinisme ? […] On sait que de nos jours un pur « Latin » se doit à sa race et à lui-même de considérer — intérieurement tout au moins, et alors même que par courtoisie, intérêt ou dilettantisme, son langage trahirait son intime pensée — comme inférieur et grossier tout ce qui n’est pas directement sorti de l’antiquité gréco-latine.

1485. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

» Aussitôt, une imposante majorité, comme on dit dans le langage de la politique, vint se ranger à la droite de Charles-Emmanuel, qui, s’adressant à la petite troupe des obstinés et des inflexibles, s’écria : « C’est donc vous qui êtes des ennemis de Dieu et de votre prince, et qui voulez me tenir tête ? […] Les visitandines ont gardé dans leur maison, fermée aux bruits du siècle, sinon le génie original des instituteurs de leur règle, du moins la tradition du langage mesuré, ample, grave, que parlait la bonne compagnie, au temps où naquit leur congrégation. […] L’esprit charmant de saint François de Sales, son effusion, sa tendresse prévenante et un peu mièvre, son langage caressant et orné de gentillesses menues, fit de la communauté naissante un lieu de délices. […] Les dames de la Visitation raffinaient dans la vertu au moment où les dames de l’hôtel de Rambouillet raffinaient dans le langage. […] Notez que ce commandant était la sévérité même, impitoyable sur le service, généralement brusque dans son langage, ennemi juré des permissions.

1486. (1902) Propos littéraires. Première série

Il n’est personne parmi mes lecteurs qui ne connaisse M. de Vogüé et qui par conséquent ne sache que cela n’empêche nullement M. de Vogüé d’avoir les plus hautes et les plus nobles convictions, l’optimisme même le plus vaillant et le plus sain, et d’exprimer tout cela en un très beau langage. […] Et puis on s’attendait à de l’extraordinaire, et après tout, en langage plus élevé, peut-être, et surtout en plus longs discours, le Pape n’y dit à l’abbé Froment que ce que bien d’autres ecclésiastiques romains lui ont déjà dit. […] De certaines religions on a dit qu’elles étaient de simples maladies du langage. […] Même union constante de l’homme avec la nature et quasi-absorption de l’homme dans la nature, même simplicité, qui semble un peu voulue et factice (n’oublions pas que le théâtre indien n’est nullement un théâtre primitif) de tous les sentiments, de toutes les passions et de tous les états d’âme : même quasi-inconscience et débilité de réflexion chez les hommes et femmes mis en scène ; même langage d’enfants qui seraient des poètes, ou de poètes restés enfants par l’imprécision de la pensée et le flottement lent des idées vagues.

1487. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Victor Hugo est le chef et le représentant, au mouvement poétique que donnaient à l’esprit français les jeunes gens du cénacle : Alfred de Vigny, Sainte-Beuve et toute l’école du Globe, ces poètes, ces prosateurs, ce monde unanime à la révolte, ces chercheurs d’idées, de langage et d’aventures ; ces passions, ces batailles, ces extases, ces délires, ces élégies, ces œuvres qui ont fait vivre et espérer le monde entier : les Orientales, les Feuilles d’automne, les Consultations du docteur Noir, les États de Blois, le Vase étrusque, Volupté, les Soirées de Neuilly, les Mémoires du Diable, le Mouchoir bleu, Indiana, Valentine, Notre-Dame de Paris resplendissante du sauvage éclat du vieux âge ; ce théâtre où l’esprit de M.  […] quelle grâce exquise en ce discours empreint de l’abondance du langage français, ubertatem gallici sermonis , disait un de ces Pères de l’Église3, si chers à M.  […] Comme à chaque page, à chaque parole de son livre, on retrouve en ce grand écrivain, qui est le maître et l’exemple de tous les écrivains de notre âge, avec toute la science et la force de la pensée, l’abondance et l’ornement du beau langage ; et quelle grâce infinie ! […] » La justice et le bon sens, que soutient un beau langage, tels sont les premiers mérites de l’histoire ; ajoutez une âme libre, et une parfaite connaissance des choses que l’historien raconte. […] Tel était l’homme qui devait représenter par l’esprit, par la grâce, par l’atticisme du langage, cette race incorrigible et charmante de grands seigneurs et d’exilés, qui n’avaient rien voulu apprendre de la vieille histoire.

1488. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Ce n’est qu’en Allemagne que la bonté est toujours bonne… » À mesure qu’il s’avançait vers le Nord proprement dit, il sentait le calme descendre en lui, sa gaieté prête à renaître, même au milieu de la mélancolie légère que lui apportait l’aspect des landes uniformes et des horizons voilés : « L’atmosphère brumeuse était partout embellie par le caractère et la bonté des habitants. » Sortant d’un pays où il laissait ses biens en séquestre, sa réputation calomniée, où il avait entendu siffler de toutes parts l’envie, et vu se dresser la haine, il entrait dans des régions paisibles où la bienveillance venait au-devant de lui : « Les hommes, dit-il spirituellement, qui ne témoignent leur bienveillance qu’après y avoir bien pensé, me font l’effet de ces juifs besogneux qui ne livrent leur marchandise qu’après en avoir reçu le payement. » Je ne puis ici raconter tout ce qu’il apprit et découvrit dans ces régions du Nord. « Pour écrire sur l’histoire de ce pays, il faut vivre aux bords de la Baltique, avec les hommes distingués et les livres que l’on ne trouve que là. » Il ne s’en tint pas au Danemark ; il fit une petite excursion en Scanie, et en reçut des impressions vives : « Quand j’eus passé la Baltique, je me sentis dans un pays nouveau : le ciel, la terre, les hommes, leur langage, n’étaient plus les mêmes pour moi.

1489. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Sentiments, pensée, langage, tout cela est grand, fier et beau : « (Châteauvieux, 28 septembre 1837.)

1490. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

»49 Certes, ce n’était pas là le langage d’un disciple révolté ; et pourtant Wagner était déjà, par le cinquième volume qu’il ajoutait en 1841 aux quatre tomes de Heyne, un disciple qui ne se tenait pas pour entièrement satisfait de ce qu’on possédait et qui voulait faire un pas de plus.

1491. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Il est « le premier auteur, en aucun temps, qui ait tiré des campagnes des plus grands généraux les vrais principes de guerre et qui les ait exprimés en clair et intelligible langage. » C’est le témoignage que lui rendent à leur tour les généraux américains de la dernière guerre, les tacticiens sortis de l’École de West-Point53.

1492. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Et certes, si en parlant du lyrique Malherbe et surtout de l’autre Balzac, solennel pourtant, et si savant en beaux mots, le bon Tallemant a trouvé moyen d’amasser tant de traits piquants de caractère, d’enregistrer tant d’indiscrétions de langage, tant de superstitions fastueuses d’auteur et de jactances naïves, que n’aurait-il pas à moissonner d’abondant autour de chacun des nôtres !

1493. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Il oublie que les Mémoires d’Outre-Tombe, ce monument d’ordre composite, où tous les styles se fondent (quand ils ne se heurtent pas), où il y a innovation et rénovation de langage en même temps sans doute que tradition, et dont le titre seul est déjà une audace, donneront un complet démenti à cette théorie qui tend à nous renfermer dans une charte de style légitime, et à échafauder, à partir de M. de Chateaubriand, une barrière infranchissable, comme, avant lui, on en posait après Jean-Jacques et Bernardin.

1494. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Il est une dernière remarque que j’oserai glisser ici, bien que contraire à la prévention qui règne aujourd’hui en faveur du langage du siècle de Louis XIV ; tous ces hommes d’esprit dont j’ai parlé causaient à merveille, mais comment écrivaient-ils pour la plupart ?

1495. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Sa physionomie ouverte et bonne, la politesse décente de son langage, laissent transpirer à son insu une sensibilité intérieure profondément tendre, et, sous la généralité de sa morale et la multiplicité de ses récits, il est aisé de saisir les traces personnelles d’une expérience bien douloureuse.

1496. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

La vérité de l’émotion ne prévient pas en lui l’effort du langage ; mais il a de l’âme et du talent ; il peint de traits énergiques, sans être assez simples, le chancelier de L’Hôpital, et il ajoute encore à l’admiration pour Henri IV. » Si quelque chose peut servir à marquer l’esprit et l’intention qui ont dicté la pétition de Saint-Étienne, c’est la proscription d’un tel livre, tout en l’honneur de la tolérance.

1497. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Des hommes demi-nus ou vêtus de peaux de bêtes sont assemblés sous un grand chêne ; au milieu d’eux, un vieillard vénérable se lève, et leur parle « le langage de la nature et de la raison » ; il leur propose de s’unir, et leur explique à quoi ils s’obligent par cet engagement mutuel ; il leur montre l’accord de l’intérêt public et de l’intérêt privé, et finit en leur faisant sentir les beautés de la vertu435.

1498. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Il convient de faire une place au roi354, qui dans ses Mémoires et dans ses Lettres, se montre à son avantage, avec son sens droit et ferme, son application soutenue aux affaires, sa science délicate du commandement : une intelligence solide et moyenne, sans hauteur philosophique, sans puissance poétique, beaucoup de sérieux, de dignité, de simplicité, une exquise mesure de ton et une exacte justesse de langage, voilà les qualités par lesquelles Louis XIV a pesé sur la littérature, et salutairement pesé.

1499. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Mais, dans les pages qui suivent, le voilà qui veut tout brouiller : il se plaint de la pauvreté de la langue, il regrette l’épuration à laquelle Malherbe, Vaugelas et leurs contemporains ont procédé ; il regrette le court, nerveux et pittoresque langage du xvie  siècle.

1500. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Donc, ne pouvant mieux, il convertit la sensualité en indécence de langage.

1501. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Même quand il lui arrive d’être subtil et délicat, leur langage doit avoir néanmoins et toujours la clarté et le mouvement.

1502. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Enfin j’entends le langage non plus d’un enfant, mais d’un homme.

1503. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

À cette heure un langage humain serait profane.

1504. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Dans le langage exact que doit parler la philosophie, la cause est donc « la somme des conditions positives et négatives prises ensemble, le total des contingences de toute nature que le conséquent suit invariablement, quand elles sont réalisées. » Cependant cette définition de la cause n’est encore que partielle.

1505. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Vous n’ignorez pas, cher Lecteur, que c’est-là le langage qu’ont tenu & que tiennent encore les Protecteurs, les Partisans, Amis, Confreres, Journalistes, Familiers & autres Valets de la Philosophie.

1506. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

L’onction de son langage a d’abord commencé par amollir les cœurs féroces, & ces êtres auparavant dépourvus d’humanité, ont d’abord commencé par devenir Hommes avant d’être Chrétiens.

1507. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Son langage redevient naturel et simple, elle répond aux questions du Chœur avec un triste abandon.

1508. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Tout cela est dit dans un irréprochable langage, avec des respects et des ménagements infinis.

1509. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

M. de Chateaubriand, en 1814, était moins désabusé en effet qu’il ne voudrait le paraître, il espérait encore beaucoup, il espérait tout, et parlait de Louis XVIII en conséquence : « Il marche difficilement, disait-il de lui avec toutes les ressources et les complaisances du langage, mais d’une manière noble et touchante ; sa taille n’a rien d’extraordinaire ; sa tête est superbe ; son regard est à la fois celui d’un roi et d’un homme de génie. » Plus tard il empruntera, pour peindre Louis XVIII, quelques-unes des couleurs de Béranger ; mais alors, quand il attendait encore de ce roi impotent sa fortune politique, il le voyait ainsi dans sa majesté.

1510. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Par un sentiment délicat, il voudrait faire arriver une parole de consolation à son cœur : Puisse-t-il lire avec quelque plaisir, écrit-il, ces expressions d’une respectueuse estime de la part d’un homme sans intérêts comme sans désirs, qui n’a jamais écrit que sous la dictée de sa conscience ; à qui le langage des courtisans sera toujours inconnu ; aussi passionné que personne pour la véritable égalité, mais qui rougirait de lui-même s’il refusait un éclatant hommage à des actions vertueuses par lesquelles un roi s’efforce d’expier les maux que tant d’autres rois ont faits aux hommes !

1511. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

., ces originaux complexes qui sont un résumé et un assemblage d’un tas de choses, ces hommes au langage concret, dont la vie, selon la phrase du dessinateur, « se passe à être un objet d’étude et de jouissance pour l’intelligence de ceux qui boivent avec eux, et cela sans qu’il reste rien de cela dans une œuvre écrite ou peinte ».

1512. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

Le langage des animaux devenu intelligible grâce a un aliment-talisman. — Cf. 

1513. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Il y a un couplet qui est un peu connu parce qu’il a été cité dans quelques manuels de littérature, c’est une description, un portrait de Vénus : C’est pourquoi nous dirons en langage rimé Que l’empire flottant en demeura charmé.

1514. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Sous ce langage insuffisant et délicieux (on dirait une mauvaise traduction du Cantique des Anges), je vois et j’admire combien la discipline de la guerre a vaincu dans les jeunes cœurs les ferments d’anarchie auxquels nous trouvions tant de beauté, jadis.

1515. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille.

1516. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Nous sentons clairement que le Dieu des chrétiens n’était comme tous les autres qu’un fantôme d’erreur ; et cependant la totalité de notre vie journalière, les moindres actions du monde, tous les faits qui nous environnent, la famille, les affaires, les institutions, le langage, ne sont-ils pas encore pétris de cette conception ruinée, que nous savons mensongère et néfaste, mais que la vie commune retient encore dans son inextricable complexité ?

1517. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Quand un homme écrit en vue d’un public déterminé, il s’asservit inconsciemment à lui ; il en prend les préjugés, les goûts, le langage, les travers, il se condamne à évoluer dans un certain ordre de sentiments et d’idées qui sont ceux d’une coterie, d’une école et d’une mode.

1518. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

La recette en est déposée dans le langage.

1519. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

N’est-ce pas là le langage qui convient au roi d’une aristocratie ?

1520. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

. — En langage ancien cela s’entend pour agréablement doué : c’est bien son nom. — Madame, on dit qu’il est pauvre. — Il s’appelle Tchâroudatta. » Et plus loin : « Madanika, prends ce portrait. […] « Vous savez que la grande originalité de Dumas, dans la Dame, c’est de nous avoir montré, sur les planches, des gens qui, au travers de l’action principale, font un tas de petites choses ordinaires et qui parlent, le plus souvent, le langage vrai de la conversation ; bref, d’avoir apporté au théâtre plus de vérité… Je me souviens que, toutes les fois : qu’on parlait à Barrière de la Dame aux camélias, ou plutôt toutes les fois) qu’il vous en parlait (car c’était lui qui y revenait toujours), il criait que Dumas l’avait volé ; que Marguerite, c’était Mimi ; qu’Armand, c’était Marcel ; que le père Duval, c’était l’oncle Durantin. […] Nous comprendrions un peu de laisser-aller professionnel, une involontaire liberté de langage et d’allures qui feraient un piquant contraste avec la décence un peu prude de cet intérieur familial. […] Les deux personnages du drame (car il n’y en a que deux), appartiennent à la fois, par leur allure extérieure, par une certaine outrance de langage, par le caractère exceptionnel de leur état civil, ou de leur condition sociale, ou de leurs qualités soit physiques, soit morales, bref, par ce qu’ils ont de « panache », à l’auteur de Monte-Cristo, et, par la vérité, par la logique secrète de leurs mouvements intérieurs et de leurs actes, à l’auteur du Demi-Monde. […] — le langage ni les manières d’une demi-vierge ; et cela contribue encore à tromper le public sur son cas et, par suite, à rendre le dénouement plus dur.

1521. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Rousseau écrit ici, sur l’origine du langage, quelques pages que je trouve excellentes. […] Autrement dit : — L’homme, en inventant le langage, a été contre le vœu de la nature ; et la preuve, c’est que cette invention lui a donné un mal de tous les diables. — Ainsi, après avoir regretté, dans le premier Discours l’invention de l’imprimerie, Rousseau déplore ici l’invention du langage. […] N’ayant jamais voulu vivre qu’avec mes amis, je n’ai qu’un langage, celui de l’amitié, de la familiarité. Je n’ignore pas combien, de mon état au vôtre, il faut modifier ce langage : je sais que mon respect pour votre personne ne me dispense pas de celui que je dois à votre rang… Je suis toujours dans le doute de manquer à vous ou à moi, d’être familier ou rampant… Et ça continue. […] Et ainsi, au cours des âges suivants, tous les romans où sont affirmés la fatalité et le droit de la passion, tous les romans de mésalliances sociales ou morales, tous ceux où l’amour triomphe, souvent contre la raison, des préjugés ou des convenances de classes, et ceux où le vice parle le langage de la vertu, et ceux où abondent les courtisanes touchantes, et ceux où les personnages se font une morale particulière, supérieure à la morale commune, prennent le sentiment pour la conscience et commettent des actions douteuses avec des discours et des gestes avantageux, tous ces romans où règne ce que j’appellerai « l’illusion sur la moralité des actes », les Indiana, les Lélia, les Jacques et leurs innombrables petits… on peut dire que, directement ou non, — et sans que peut-être ce soit « la faute à Rousseau », — ils découlent de la Nouvelle Héloïse, mère gigogne des sophismes romantiques et des rêves orgueilleux.

1522. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

C’est que ces personnages ont tous le même langage ; c’est qu’ils n’ont pas de langage individuel. C’est la façon personnelle de parler qui marque que l’on est un tel et non pas un autre : « Shakespeare ne possède pas le moyen principal, sinon unique, de la peinture des caractères : la langue, l’appropriation du langage à chaque caractère. […] Tolstoï ni moi ne lisons assez couramment dans l’anglais pour être si absolument sûrs qu’il n’y a aucune différence entre le langage parlé par les différents personnages, et il faut un peu ici en appeler et s’en rapporter, non aux Anglais, qui n’ont jamais leur sang-froid quand ils parlent de Shakespeare ; mais aux anglicisants de France, d’Allemagne et autres lieux. […] « La raison, qui l’a tirée de son inclination première, l’a conduite à l’affection conjugale, car au milieu des exaltations de langage et de croyance (?) […] L’un accepte les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend sans les disjoindre… le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Eden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage.

1523. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Une même loi gouverne le développement et la décadence de cet autre organisme qui est le langage. […] La psychologie la plus moderne tend à démontrer, en effet, que la volition tient étroitement à l’intelligence, et, dans cette occasion comme dans beaucoup d’autres, le langage aurait devancé la science en attachant un certain discrédit de moralité au terme de « sceptique ». […] Cette faculté a façonné ce style dans lequel vous chercherez vainement la chaude couleur de la vie physique, cette violente animalité du langage qui fait la puissance des visionnaires d’individus, comme Saint-Simon, comme Shakespeare. […]  » Il fondait donc sa théorie de la cadence sur un accord entre notre personne physique et notre personne morale, comme il fondait sa théorie du choix des mots et de leur place sur une perception très nette de la psychologie du langage. […] Je vois rouge. » Ceux qui goûtent la finesse des analyses à la Sainte-Beuve et qui s’intéressent aux rapports mystérieux du tempérament et du langage étudieront ici sur place comment les sensations s’écrivent naturellement chez un prosateur de race.

1524. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Cependant toutes ses accusations ne peuvent éteindre l’enthousiasme qu’il inspire ; les femmes lisent, malgré lui, au fond de son âme: ce sont les reproches de l’amour et non de la haine ; il les décrie et les adore, il les blâme et les rend aimables, il les accable et les déifie, et, dans ses emportements les plus terribles, on reconnaît le langage d’un amant qui veut, mais en vain, rompre ses chaînes. […] Celle-ci traita la difficulté légèrement, comme si rien ne lui eût paru plus naturel. « Vous avez écrit, lui dit-elle, qu’il y avait douze portes au ciel. — Cela est vrai. — Vous avez dit que les oiseaux chantaient leurs hymnes, chacun dans son langage, et que tous ces hymnes étaient agréables au Créateur: ainsi, vous vous ferez protestant, et vous épouserez mon amie. — Ah !

1525. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Choqués de la roideur, de l’apparat, du pomposo de cette prétendue poésie dramatique, ils ont cru que les éléments de notre langage poétique étaient incompatibles avec le naturel et le vrai. […] Ce n’était plus seulement le Cromwell militaire, le Cromwell politique de Bossuet ; c’était un être complexe, hétérogène, multiple, composé de tous les contraires, mêlé de beaucoup de mal et de beaucoup de bien, plein de génie et de petitesse ; une sorte de Tibère-Dandin, tyran de l’Europe et jouet de sa famille ; vieux régicide, humiliant les ambassadeurs de tous les rois, torturé par sa jeune fille royaliste ; austère et sombre dans ses mœurs et entretenant quatre fous de cour autour de lui ; faisant de méchants vers ; sobre, simple, frugal, et guindé sur l’étiquette ; soldat grossier et politique délié ; rompu aux arguties théologiques et s’y plaisant ; orateur lourd, diffus, obscur, mais habile à parler le langage de tous ceux qu’il voulait séduire ; hypocrite et fanatique ; visionnaire dominé par des fantômes de son enfance, croyant aux astrologues et les proscrivant ; défiant à l’excès, toujours menaçant, rarement sanguinaire ; rigide observateur des prescriptions puritaines, perdant gravement plusieurs heures par jour à des bouffonneries ; brusque et dédaigneux avec ses familiers, caressant avec les sectaires qu’il redoutait ; trompant ses remords avec des subtilités, rusant avec sa conscience ; intarissable en adresse, en pièges, en ressources ; maîtrisant son imagination par son intelligence ; grotesque et sublime ; enfin, un de ces hommes carrés par la base, comme les appelait Napoléon, le type et le chef de tous ces hommes complets, dans sa langue exacte comme l’algèbre, colorée comme la poésie.

1526. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Les ombres des montagnes commençaient à s’alonger, et la fumée à s’élever au loin au-dessus des hameaux ; ou en langage moins poétique, il commençait à se faire tard, lorsque nous vîmes approcher une voiture. […] Chaque sens a son langage ; lui, il n’a point d’idiôme propre, il ne voit point, il n’entend point, il ne sent même pas, mais c’est un excellent truchement.

1527. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

N’est-ce pas dommage, après cela, que le naturaliste qu’il avait été dans sa jeunesse ait trop souvent contrarié le moraliste ou le moralisateur qu’il a fait vœu d’être ; que son style, toujours vivant, mais brutal et banal à la fois, se sente jusqu’à son dernier jour des lieux ou des milieux qu’il avait autrefois fréquentés ; et que ses honnêtes femmes, et surtout ses raisonneurs, — qui les uns et les autres concluent mieux qu’ils ne raisonnent, — semblent prendre un plaisir inconscient et paradoxal à célébrer les « espérances de l’âme » dans le langage assez cru de sa Suzanne d’Ange ou de son Albertine de la Borde ? […] 2º Le Théoricien du pouvoir. — Deux mots sont inséparables du nom de Bonald : — « l’homme est une intelligence servie par des organes » ; — et « la littérature est l’expression de la société ». — On sait encore qu’il est l’auteur d’un paradoxe hardi sur l’Origine du langage ; — et d’un remarquable Essai sur le divorce. — Mais ce qu’il est de plus, et de plus important, c’est le « théoricien du pouvoir » ; — et l’homme qui a le plus fait contre l’auteur de l’Esprit des lois ; — ou contre celui du Contrat social ; — pour établir que la société n’était l’œuvre ni des hommes ; — ni de la nature ; — mais de Dieu même. — Moins éloquent que Jean-Jacques, et moins spirituel que Montesquieu ; — il a d’ailleurs su trouver, pour exprimer diversement cette unique ou principale idée, — des formes non seulement diverses ; — mais souvent lapidaires. — D’autres « écrivent » et d’autres « parlent » : Bonald « formule » ; — et pour toutes ces raisons, ayant été le métaphysicien de la rénovation religieuse, — il a droit à plus de place qu’on ne lui en donne souvent dans nos histoires. […] Notre-Dame de Paris, La Confession d’un enfant du siècle, Colomba], — le caractère, pour Flaubert et pour le naturalisme, — comme pour la science de son temps, — a consisté dans l’élément durable et permanent des choses changeantes. — On peut donc traiter l’aventure d’Emma Bovary comme on fait celle de la fille d’Hamilcar ; — et incarner, dans l’une comme dans l’autre, — tout un « moment » de l’histoire ; — toute une famille de femmes ; — et toute une civilisation. — C’est ce que Flaubert entend par la « solidité du dessous ». — Enfin, et en troisième lieu, il faut communiquer à l’œuvre « la vie supérieure de la forme » ; — par le moyen d’un style « rythmé comme le vers et précis comme le langage des sciences » ; — dont le pouvoir ait quelque chose d’intrinsèque ou d’existant par soi ; — « indépendamment de ce que l’on dit » ; — et dont la beauté propre ait quelque chose d’analogue à celle d’une ligne ; — qui est harmonieuse, gracieuse et voluptueuse en soi. — Et ce sont toutes ces exigences auxquelles s’est conformé Flaubert, — dans Salammbô comme dans Madame Bovary, et dans L’Éducation sentimentale comme dans La Tentation de saint Antoine. […] Les premiers travaux de Renan ; — Averroès et l’averroïsme, 1852 ; — Histoire générale des langues sémitiques, 1857 ; — Études d’histoire religieuse, 1848-1857 ; — Essai sur l’origine du langage, 1858 ; — et que ces travaux ne sont pas les moins remarquables qui nous restent de lui. — Le caractère commun en est d’avoir voulu sauver de la « religion » tout ce qu’on en peut sauver sans croire à cette religion même ; — ce qui serait tout simplement du Voltaire ; — si ce n’était plutôt encore du Chateaubriand ; — à cause de la sincérité sentimentale dont Renan a fait preuve dans cette partie de son œuvre ; — et du charme infini de style dont il a enveloppé ce que son entreprise avait de contradictoire. — Un autre caractère de ces premiers travaux en est la solidité scientifique [Cf. le Livre de Job, 1858 ; le Cantique des Cantiques, 1860 ; et surtout le Discours sur l’état des beaux-arts au xive  siècle]. — Collaboration de Renan à l’Histoire littéraire de la France. — Comment tous ces travaux ont contribué à étendre sensiblement le domaine de la littérature, — en y faisant entrer, par l’intermédiaire du style, — les résultats de l’érudition, de la philosophie, et de l’exégèse. […] 1º Œuvres d’érudition pure ; ce sont : Averroès et l’averroïsme, [Thèse de doctorat], 1852 ; — Histoire générale et comparée des langues sémitiques, 1857 ; — Essai sur l’origine du langage, 1858 ; — ses Mémoires dans le Journal asiatique ou dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions [sur Sanchoniathon, sur l’Agriculture nabatienne, sur les Lysanias d’Abylène, etc.] ; — et ses articles dans l’Histoire littéraire de la France, t. 

1528. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Naïf dans le principe, parce qu’il parlait à la foule son langage et répondait à ses instincts ; complet, parce qu’il s’occupait peu de la longueur de la représentation et avait confiance dans l’attention de son spectateur qui n’avait pas encore peur de son portier ; vrai, parce qu’il employait des hommes de bonne volonté qui ne sortaient pas du Conservatoire, et qu’il déroulait ses articles de foi sous le ciel : tel a été le théâtre au premier jour. […] Cette comédie qu’on a voulu vous montrer sous des masques impossibles, dans un langage épuré, ennobli, renfermée entre des murs de papier et éclairée au gaz, vous pourriez la voir tous les jours si vous aviez de bons yeux et une intelligence ; mais si vous ne possédez pas ces deux qualités et que vous ne puissiez vous nourrir que de pain mâché par d’autres, s’il vous faut absolument un théâtre, demandez au moins à ce théâtre qu’il essaye de se rapprocher de la vérité, qu’il cherche à mettre en scène la vie réelle, alors, au moins vous saurez à quoi vous en tenir sur ce qu’on vous sert, et il y aura quelque utilité à travailler pour vous. […] D’autres veulent synthétiser les aspirations des âmes vers l’amélioration, la liberté, l’émancipation, l’amour universel, en les faisant représenter par des personnages convenus comme les signes topographiques et embellis par un langage imagé, noble, tendant même au sublime, seul propre à élever l’esprit du lecteur. […] Cette odieuse phrase ne peut être que d’un prosateur, d’un de ces vils coquins qui, parce qu’ils ne peuvent faire de vers, rabaissent à tout propos la poésie et profitent des facilités ridicules que leur offre leur bas langage prosaïque pour critiquer longuement et à leur aise.

1529. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

URL Gallica: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35501h/f235.image Pour le physiologiste, le cœur est l’organe central de la circulation du sang, et à ce titre c’est un organe essentiel à la vie ; mais par un privilège singulier, qui ne s’est vu pour aucun autre appareil organique, le mot cœur est passé, comme les idées que l’on s’est faites de ses fonctions, dans le langage du physiologiste, dans le langage du poète, du romancier et de l’homme du monde, avec des acceptions fort différentes. […] Comme nous savons maintenant que les influences sensitives ne peuvent agir sur le cœur qu’en excitant ses nerfs moteurs, nous sous-entendrons désormais cet intermédiaire dans le langage, et quand nous dirons : la sensibilité ou les sentiments réagissent sur le cœur, nous saurons ce que cela signifie physiologiquement. […] Cependant ce corps en était également entouré pendant la vie ; leurs affinités pour ses molécules étaient les mêmes, et celles-ci y eussent cédé également, si elles n’avaient pas été retenues ensemble par une force supérieure à ces affinités, qui n’a cessé d’agir sur elles qu’à l’instant de la mort. » Ces idées de contraste et d’opposition entre les forces vitales et les forces extérieures physico-chimiques, que nous retrouvons dans la doctrine des propriétés vitales, avaient déjà été exprimées par Stahl, mais en un langage obscur et presque barbare ; exposées par Bichat avec une lumineuse simplicité et un grand charme de style, ces mêmes idées séduisirent et entraînèrent tous les esprits.

1530. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Un citadin de Boston eût pris beaucoup d’agrément à ces leçons données à un Allemand par un Français, dans un langage que nous comprenions tous deux, mais que nous prononcions également mal, avec un accent particulier et du professeur et de l’élève. […] 9 Mais une certaine régularité, une beauté manquant peut-être un peu de variété en son langage pure et facile, pourrait, quoique bien injustement, être considérée parfois comme monotone ; je vais donc m’efforcer de justifier ma profonde conviction quant à la fausseté d’une semblable accusation. […] la construction même du drame Shakespearien ne pouvait autoriser, avant l’extrême fin, l’emploi de ce sobre langage — trop sobre peut-être, au goût de bien des gens — qui reste l’honneur suprême de ce Racine, essentiellement, sincèrement, profondément, — et malgré, si l’on veut, cette qualité — lui qui peut à bon droit revendiquer aussi le sceptre du lyrisme, car lui et Victor Hugo sont certainement les plus grands lyriques français. […] Et quelle soudaine disparition de toute sincérité, même dans le langage !

1531. (1895) Hommes et livres

L’esprit pousse alors dans tous les sens : s’il outre la délicatesse des sentiments et la finesse du langage, il ne répudie pas la franchise éclatante du rire, le mot plaisamment cru, la grosse farce. […] Mais le théâtre anglais, où les règles classiques n’avaient jamais pu s’acclimater, avait gardé une liberté d’allure, une violence d’action, une familiarité de langage, qui donnaient aux œuvres une forte saveur bien différente du sérieux réglé des pièces françaises. […] Ces pièces suggérèrent à Diderot beaucoup de vues nouvelles : à défaut de la vérité, elles avaient le mouvement et l’énergie qui manquaient tant à nos comédies ; la grossièreté même de leur style mélodramatique était efficace pour nous désabuser de l’esprit chatoyant et du langage épigrammatique. […] Amalgamant les idées de Diderot et les exemples des Allemands, il répudie l’idéal classique, le style classique, et il conçoit un drame démocratique qui glorifiera la vertu du peuple dans le langage du peuple. […] Peut-être est-ce notre faute : nous sommes devenus trop brutaux, trop matériels, trop ignorants des finesses du beau langage.

1532. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On convient sans doute qu’alors tout était grossier, langue, mœurs, manières ; mais on n’a pas assez reconnu que cette grossièreté du langage tenait au dérèglement des mœurs. […] C’est un Romain de beaucoup d’esprit qui écrit en français ; ses latinismes embellissent souvent son langage ; ils communiquent à l’idiome national l’énergie de la langue d’Horace. […] On y peut goûter aussi une certaine bonhomie familière de langage, une parole sentencieuse, quelquefois pittoresque, un parler bref qui rappellerait celui de Montaigne. […] Il va aussi plus loin de temps en temps, et occupe hardiment tout le terrain ; mais s’il le fait pour quelques vertus, il ne le fait pas pour toutes ; et le peu de rigueur scientifique de son langage peut faire penser que, même dans ces cas, il ne tranche que pour abréger, ou que l’absolu de l’assertion n’est qu’une figure de langage. […] Or, s’il en était ainsi, si la notion de devoir et d’amour était réellement anéantie, le langage de l’Écriture serait une énigme pour nous.

1533. (1898) La cité antique

Vieilles croyances, qui à la longue disparurent des esprits, mais qui laissèrent longtemps après elles des usages, des rites, des formes de langage, dont l’incrédule même ne pouvait pas s’affranchir. […] On voit par deux passages de Plaute et de Columelle que dans le langage ordinaire on disait indifféremment foyer ou Lare domestique, et l’on voit encore par Cicéron que l’on ne distinguait pas le foyer des Pénates, ni les Pénates des dieux Lares76. […] Les paroles de cet hymne changèrent peut-être avec le temps, s’accommodant aux variations des croyances ou à celles du langage ; mais le refrain sacramentel subsista toujours sans pouvoir être altéré : c’était le motTalassie, mot dont lesRomains du temps d’Horace ne comprenaient pas mieux le sens que les Grecs ne comprenaient le mot ὺμέναιε, et qui était probablement le reste sacré et inviolable d’une antique formule120. […] Consultons encore le langage : les noms des gentes, en Grèce aussi bien qu’à Rome, ont tous la forme qui était usitée dans les deux langues pour les noms patronymiques. […] Ce n’en était pas moins le vrai nom ; dans le langage journalier on pouvait désigner l’homme par son surnom individuel, mais dans le langage officiel de la politique ou de la religion, il fallait donner à l’homme sa dénomination complète et surtout ne pas oublier le nom du γένος306. — Il est digne de remarque que l’histoire des noms a suivi une tout autre marche chez les anciens que dans les sociétés chrétiennes.

1534. (1898) Essai sur Goethe

Il y entra en relations avec Herder, son aîné de peu d’années, que la publication des Fragments sur la nouvelle littérature allemande et des Forêts critiques avait déjà rendu célèbre, et qui travaillait à son traité sur l’Origine du langage. […] Hermann Grimm, dans ses célèbres conférences, les discute avec plus de sagacité, relève la contradiction qui existe entre l’ardeur de leur langage et le ton détaché des Mémoires, et s’efforce de résoudre cette contradiction par des explications extrêmement ingénieuses — trop ingénieuses pour être acceptables —, reconstituant en quelque sorte toute une scène inédite du roman authentique. […] Puis vient la publication du roman, la mauvaise humeur des époux Kestner, les protestations de Goethe, la réconciliation, le pardon, la joie : tout cela en langage enflammé — mais avec la prudente recommandation de ne communiquer la lettre à personne. […] Cette illusion a duré longtemps, aussi longtemps qu’ont subsisté les modes, les habitudes d’esprit et de langage qui constituent, pour ainsi dire, l’aspect extérieur de son œuvre. […] Une fois de plus, pour employer le langage abstrait de M. 

1535. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

J’avoue que c’est une grande douceur pour moi de trouver parmi tous les volumes que je reçois, un roman de bon sens dont l’auteur ne soit pas domestiqué au langage, aux idées de ces petits vieillards avant l’âge qui se disent modestement « les jeunes » et qui ne peuvent pas écrire trois lignes sans que les b…, les f…, les N. d. […] Celui qui, au commencement de cette courte analyse, a tenu ce beau et fier langage, le parle d’autant mieux que son cœur a souffert et souffre encore par d’indignes amours. […] L’affaire Froideville n’est tout d’abord qu’un volumineux dossier « classé », comme l’on dit en langage administratif, pour ne pas dire enterré. […] C’est là-dedans que nous avons lu pour la première fois Musset, Mérimée, Théophile Gautier et tous ces grands écrivains à qui, malgré ses profonds dédains, l’école actuelle ne peut s’empêcher d’emprunter un peu de leur langage prétendu démodé, pour se présenter convenablement dans le monde des lecteurs. […] De ce minuscule ouvrage de poésies, souvent volontairement risquées et vraiment peu recommandables dans les couvents et dans les lycées, j’extrais une pièce qui m’a paru charmante de grâce et de forme ; elle est écrite sans prétention et rappelle par certains côtés la délicate manière de Murger et de Thiboust : LE CHAT BOTTÉ Matou charmant des contes bleus, Chat, l’unique trésor des gueux ;             Chat qu’on adore En son enfance et que, très vieux, Pour son langage merveilleux,             On aime encore ; Chat qui vaut cent fois le cheval D’Alexandre, chat sans rival,             En cabriole, Angora plus fort qu’un lion, Dont chaque poil, comme un rayon,             Chauffe et console ; Chat invisible et toujours là, Qui se rit de la prison la             Plus cellulaire, Et dont chaque homme sous son toit Possède, si pauvre qu’il soit,             Un exemplaire… Ah !

1536. (1923) Nouvelles études et autres figures

Son grand livre, son Trésor, qu’il a écrit « selon le parler de France… pour ce que la parleure françoise est plus délitable et plus commune à tous langages », ce Trésor, que du fond de l’Enfer il recommandait à Dante, est charge de science et de philosophie arabes. […] On a même supposé que Molière cherchait peut-être à créer une forme intermédiaire entre la prose et la poésie, une forme analogue à celle dont se servaient les anciens comiques latins et qui distinguait à peine le langage de la scène du langage de la vie ordinaire. […] On lui décerna même le titre de Lord High Atheist, ce qui, dit Rabbe, signifiait, dans le langage des Etoniens, contempteur des dieux d’Eton. […] Harriet ne fut point jalouse de cette grande personne osseuse et très brune, à qui la barbe poussait, « symbole de la sagesse », dit l’impayable Hogg, et qui valait beaucoup mieux que son langage précieux et didactique. […] Mon Dieu, qu’il est donc agréable d’entendre un homme nous parler de ce qu’il a vu, « de cet extraordinaire Orient », sur le ton de la conversation, sans affectation, sans vanité, sans prouesse de langage, dans une prose aussi unie en apparence que celle de nos classiques, où rien ne trahit l’effort ni l’ambition, en ayant presque l’air de s’excuser, non des émotions qu’il a ressenties, mais des nouveautés qu’il nous apporte, ne se laissant jamais glisser aux confidences sentimentales, mais s’interrompant volontiers pour nous exposer ses inquiétudes d’artiste, pour causer de son art en homme du monde, en honnête homme, avec tant de compétence et tant d’ouverture d’esprit que ce qu’il nous dit de la peinture éveille chez les profanes des réflexions et des idées qui s’appliquent à tous les arts !

1537. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Paul Déroulède applaudirait des deux mains à ce langage… Le bourgeois. — Si Coppée aime les batailles, il ne déteste pas les douceurs du coin du feu. […] Désiré Nisard, de l’Académie française, n’eût pas tenu un autre langage ! […] Daniel ne comprit pas entièrement leur langage : l’argot des salons était une nouvelle langue pour lui, et il les prit d’abord pour des étrangers. […] Et décrivant tous deux la même province (les environs de Rouen), ils en arrivent à se rencontrer, ils mettent en scène les mêmes types, ils leur prêtent le même langage et la même âme.

1538. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Elle sera la langue naturelle, d’usage aussi universel et aussi commun que notre prose écrite ou imprimée ; celle-ci est une sorte de notation sèche par laquelle aujourd’hui une pure intelligence communique avec une pure intelligence ; comparée au premier langage tout imitatif et corporel, elle n’est plus qu’une algèbre et un résidu. […] La comparaison des mythologies a montré récemment que les mythes grecs, parents des mythes sanscrits, n’exprimaient à l’origine que le jeu des forces naturelles, et que, des éléments et des phénomènes physiques, de leur diversité, de leur fécondité, de leur beauté, le langage avait peu à peu fait des dieux. […] Pour comprendre ce langage, il nous suffit de sortir de nos villes artificielles et de nos cultures alignées ; celui qui va seul en un pays montueux, sur les côtes de la mer et se laisse occuper tout entier par les aspects de la nature intacte, converse bientôt avec elle ; elle s’anime pour lui, comme une physionomie ; les montagnes, immobiles et menaçantes deviennent des géants chauves ou des monstres accroupis ; les eaux qui luisent et bondissent sont de folles créatures babillardes et rieuses ; les grands pins silencieux ressemblent à des vierges sévères, et quand il regarde la mer du midi, azurée, rayonnante, parée comme pour une fête, avec l’universel sourire dont parlait tout à l’heure Eschyle, il est tout conduit, pour exprimer la beauté voluptueuse dont l’infinité l’entoure et le pénètre, à nommer la déesse née de l’écume, qui, sortant de la vague, vient ravir le cœur des mortels et des dieux.

1539. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Non, aucun langage ne représenterait la tendresse qui animait ses yeux et son maintien ; je ne ferais rien que de gauche et de lourd.

1540. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Il lit Homère, il lit la Bible ; il associe les plus grands des cultes ; il en a pour toutes les heures et pour toutes les dispositions d’esprit, et chaque fois il parle de chaque chose dans un langage égal à ses sources : « Quand je suis dans l’état de force, je sens mon pouls qui bat héroïquement dans l’Iliade : malade, il bat sagement dans l’Odyssée ; cette lecture me charme.

1541. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Pas trop de poètes on de peintres métaphysiques, je t’en conjure ; pas trop de messieurs de l’Empyrée, ni d’abstracteurs de quintessence : deux ou trois, par génération, suffisent ; mets-les à part et en haut lieu pour la rareté et pour la montre, garde-les pour tes grands dimanches ; mais, les jours ouvrables, sois heureuse encore et contente de retrouver de tes favoris et de tes semblables, de ces talents ou de ces génies faciles, qui, de tout temps, t’ont défrayée et charmée, qui te parlent ton langage et t’y entretiennent, qui te font passer tes plus agréables heures, et non pas les moins salutaires, en t’offrant à toi-même en spectacle sous tes mille aspects vivants, avec tes qualités et défauts divers : crânerie, héroïsme, gaieté, sentiment, humeur légère, audace brillante, coup d’œil net et bon sens pratique37.

1542. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne vois âme qui vive de ce monde littéraire qui forme le goût, qui épure le langage.

1543. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Il désapprend, dit-il, à parler français, et cela le mène à composer des vers latins (lui qui en a tant médit) : il fait comme Marc-Antoine Muret et comme les beaux esprits de son temps devenus citoyens romains : il faut bien parler à Rome le langage qu’on entend le mieux à Rome !

1544. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Quoi qu’il en soit, et sans faire injure à nos mérites laborieux, son premier petit in-12 devrait être à demeure sur notre table, à nous tous écrivains modernes, si abondants et si assujettis, pour nous rappeler un peu à l’amour de la sobriété, à la proportion de la pensée au langage.

1545. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Voilà certes Larivey fort rabaissé comme ancêtre de Molière ; il lui reste l’honneur d’avoir été l’un des bons artisans du franc et naïf langage.

1546. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Dimanche, entre M. de Sotenville lui-même et George Dandin, l’intervalle était immense : habits, logis, mœurs, caractère, point d’honneur, idées, langage, tout différait.

1547. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Une admirable poésie, dont on parlera plus tard, s’y fond, et s’y résout en langage pratique.

1548. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Catulle Mendès vient de publier un beau volume in-8º, contenant toutes ses œuvres, depuis les premiers vers du poète, au rythme élégant, à la vive allure, légèrement inspiré de Th. de Banville, jusqu’aux Poèmes épiques d’un si fier langage Jusqu’à Hespérus et au Soleil de minuit où l’auteur donne complètement sa note originale.

1549. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Le français-gaulois, si vif pour tout ce qui est détail familier, fine moquerie, trait d’humeur, idées nées du sol et qui ne nous seraient jamais venues du dehors, y tient sa place à côté de ce grand langage, fruit de l’esprit français, alors qu’il est devenu la plus pure image de l’esprit humain.

1550. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Le 2 ou 3 novembre 1845, je franchis le dernier seuil par lequel l’Église avait voulu me retenir, et j’allai m’établir dans une institution du quartier Saint-Jacques, relevant du lycée Henri IV, comme répétiteur au pair, c’est-à-dire, selon le langage du Quartier Latin d’alors, sans appointements.

1551. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

Parsifal, c’est nos désirs, nos vouloirs, nos regrets, nos vouloirs éteints, l’homme réel : et, par le tout divin langage des musiques (à notre faiblesse facilité par le symbole des gestes et des mots), c’est, vécue, la vie qu’il faut vivre, — expliquée, l’explication, — une formule inventée au très vieil idéal. » 32.

1552. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

tout a sombré, et nous qui connaissons l’unique, l’incomparable langage du poème wagnérien, nous n’entendons plus qu’un vague flux de mots quelconques, déshonorés, depuis La Harpe, Campistron et Scribe, par tous les fabriquants d’opérette14.

1553. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Sa harangue est mâle et concise comme le langage qu’il tient durant tout le drame ; l’accent de la volonté y domine, il y a de l’Imperatoria brevitas romaine dans son laconisme.

1554. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

On ne devrait pas laisser les cuistres toucher à des organismes aussi délicats que le langage : du moins pourra-t-on désormais leur enseigner que les « tropes » sont une branche de la psychologie générale et qu’il faut réfléchir très longtemps avant que d’oser couper en deux morceaux et tailler à arêtes vives un bloc verbal que l’esprit humain laisse volontairement informe.

1555. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

On dit souvent, dans le langage courant : mettez-vous à ma place, mettez-vous à la place d’autrui, — et chacun peut en effet, sans trop d’effort, se transporter dans les conditions extérieures où se trouve autrui.

1556. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Littré dans un langage qui rappelle même pour la forme la page que nous venons de citer, est absolument inaccessible à l’esprit humain ; mais inaccessible ne veut pas dire nul ou non existant.

1557. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Cette tradition, qui pesait sur le monde romain, comme l’indique l’archéologie de son langage (le mot exil, à Rome, ne voulait-il pas dire ex ilium ?)

1558. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Traduit dans le langage de la critique, ce sage précepte peut s’énoncer ainsi : « C’est aux œuvres des disciples que se voit la valeur des théories littéraires. » Quel que soit en effet le système auquel s’arrête et que recommande un artiste supérieur, on peut dire que lui-même n’en est jamais complètement l’esclave : ses doctrines ne représentent qu’une partie de lui-même et pas toujours la plus originale.

1559. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

Ne jamais oublier que ces catégories sont factices, c’est déjà en corriger sensiblement le défaut ; et si la pensée s’efforce de combiner toujours ce que le langage analytique est forcé de scinder, si l’on procède (dans une sage mesure) par anticipations et par rappels, on arrive peu à peu à la vision synthétique, à l’intuition de la vie.

1560. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Quel plaisir, par exemple, ne goûte-t-il pas, lorsqu’au milieu d’une forêt, il prête un langage aux arbres, comme aux animaux, ou lorsque dans le silence de la nuit, il maîtrise, pour ainsi dire, l’univers, par l’avantage de ne trouver alors ni critiques, ni contradicteurs, de n’avoir alors aucuns devoirs à remplir, que celui d’écrire ou de méditer tout à l’aise. […] Nous connoissons tous cet homme avantageux qui se présente insolemment à tous les théâtres, ayant un habit & des bijoux qui annoncent la plus belle garde robe ; ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’il porte tout sur lui, & que lorsqu’il voudra se donner une nouvelle parure, il aura recours au crédit ; mais comme il a le ton fier, la parole assurée, & que rien n’est plus affectueux que son langage, lorsqu’il veut tromper, dix tailleurs épient le moment où il aura besoin de leurs services pour tomber dans ses filets. […] Imposer silence à toute une compagnie, soutenir une opinion absurde avec emportement, persiffler toutes les femmes, faire des affaires à toutes mains pour se ruiner plus promptement, dire à tout propos qu’on se brûlera la cervelle, ou qu’on se noyera, propos de vingt-cinq ans, & langage ordinaire de ces jolis messieurs qui se tiennent ici par le bras, & qui méditent quelque nouvelle piraterie. […] Ne vous étonnez pas, si celui-ci marche d’un pas fier, & si la jactance est son langage ordinaire. […] Il n’est question dans leur langage que d’entreprises, que d’améliorations, & tout est en désordre dans leur cœur comme dans leur esprit.

1561. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Les nouveaux chants qui surgissaient sans cesse ne faisaient pas oublier les anciens quand ceux-ci, par quelque circonstance particulière, méritaient de survivre : une génération les transmettait à l’autre, en les renouvelant pour le langage, en les modifiant et les amplifiant avec plus ou moins de bonheur. […] Et au-dessous est « le nom d’un autre, qui me semble des parties de France ou d’Angleterre, selon le langage de son nom, qui s’appelle Thomin de Pons ou de Pous : je ne sais si la lettre à deux jambages est une n ou un u. […] En tout pays où il est venu, il en parlait le langage. […] Il a toutes les trois sciences, hébraïque, grecque et latine, et il connaît tous les langages et a à sa disposition tous les mots les plus choisis de toutes les provinces, en sorte que s’il parle avec des Florentins tu diras qu’il est né et nourri à Florence, et ainsi avec des Génois et avec des Bergamasques et avec des Siciliens, et avec des gens de n’importe quel autre lieu, si bien que c’est une chose de grande admiration que le fait de cet homme. […] « Un doux langage irrite un vilain. » 266.

1562. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Cependant, essayons de deviner un peu précisément cet extraordinaire Bjœrnstjerne Bjœrnson, qui portait avec bonhomie un nom si difficile à prononcer et qui, en son langage si redoutable, n’avait peut-être rien que de très simple à nous dire. […] Quant à la langue, Moréas voulait qu’on l’enrichît ; et voici ce qu’il demandait : « La bonne et luxuriante et fringante langue française d’avant les Vaugelas et les Boileau-Despréaux, la langue de François Rabelais et de Philippe de Commines, de Villon, de Rutebeuf et de tant d’autres écrivains libres et dardant le terme acut du langage, tels des toxotes de Thrace leurs flèches sinueuses. » Évidemment ! […] La guerre de 1809, qui a été fatale à cette alliance, il se demande si Alexandre Ier n’aurait pu l’empêcher : « S’il eût, ainsi que Napoléon l’en conjurait à Erfurt, tenu à l’Autriche un langage sévère, peut-être eût-il arrêté cette puissance prête à pousser contre nous ses armes reconstituées. » À maintes reprises, interviennent, dans le récit d’Albert Vandal, de telles hypothèses. […] C’est le second degré de l’art, quand l’âme n’est plus contente de parler d’elle, même en un langage qui lui donne le change. […] Ou bien, si l’on veut, nous n’avons guère d’écrivains chez qui la corruption du langage français soit, à notre époque, moins visible.

1563. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Nous ne l’analyserons pas, tout le monde la connaît, nous nous bornerons à citer pour tout commentaire les passages les plus saillants de ce langage poétique où il commençait à exceller. […] Elmire est le nom de la femme d’Orgon ; madame Pernelle est sa mère ; Cléante, homme froid et judicieux, est son beau-frère ; Dorine est la suivante de Marianne, ancienne dans la maison à qui tout langage est permis.

1564. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Pour saisir sa richesse de coloris, il faudra pouvoir sentir Chateaubriand, Flaubert ; pour comprendre la sonorité de son langage, il faudra apprécier les artistes de mots comme ce même Flaubert, Théophile Gautier, nos Parnassiens ; seulement, sous les mots, il y a très souvent des idées élevées et profondes, tandis que sous les vers ciselés des Parnassiens, il n’y a rien. […] Hugo à la « grandiosité vague et verbale » et en induisant qu’il devait y avoir en lui prédominance des éléments figurés du langage et circonvolution frontale ».

1565. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

On y trouve quelquefois des fautes de langage, des expressions on peu trop familieres, des circonlocutions languissantes qui se ressentent de la précipitation avec laquelle ce professeur écrivoit. […] “Vous trouverez en mon Philippe de Comines, dit Montagne, avec ce beau naturel qui lui est propre, le langage doux & agréable d’une naïve simplicité, une narration pure, & en laquelle la bonne foi de l’auteur reluit évidemment, exempte de vanité parlant de soi, & d’affection & d’envie parlant d’autrui.”

1566. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Wordsworth pense avec Akenside, dont il prend le mot pour devise, que « le poëte est sur terre pour revêtir par le langage et par le nombre tout ce que l’âme aime et admire ; » et Lamartine nous dit quelque part en son Voyage d’Orient :« Je ne veux voir que ce que Dieu et l’homme ont fait beau ; la beauté présente, réelle, palpable, parlant à l’œil et à l’âme, et non la beauté de lieu et d’époque.

1567. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

Mais l’avocat n’a fait que traduire en langage littéraire les sentiments du villageois.

1568. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Il faudrait ici avoir le génie de ces discours dont il illumine l’histoire ancienne pour le faire parler dans sa langue ; mais, sans prétendre à son nerveux et sublime langage, laissons parler seulement son rude et clair bon sens.

1569. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Les soulèvements spontanés des peuples conquis sont des droits, les soulèvements artificiels par l’étranger sont des crimes : nous ne ferons jamais la diplomatie des crimes. » J’envoyai, peu de temps après cette conversation, un diplomate confidentiel en observation à Vienne pour y tenir le même langage, et, sans la guerre d’agression du roi de Piémont à l’Autriche, un système d’alliance, fondé sur des concessions libérales et nationales en Italie, pouvait s’ébaucher entre la république et l’Autriche.

1570. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Ici l’ambitieux usurpateur du trône change tout à coup de rôle, d’esprit, de langage, par une de ces révolutions d’esprit qui déconcertent souvent l’histoire.

1571. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

« Le libre et mâle langage de Copernic, témoignage d’une conviction profonde, contredit assez cette vieille assertion, qu’il aurait donné le système auquel est attaché son nom immortel, comme une hypothèse propre à faciliter les calculs de l’astronomie mathématique, mais qui pouvait bien être sans fondement.

1572. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Dès l’âge de dix à douze ans, elle avait compris d’elle-même qu’il y avait un langage souverainement expressif dans les poses et dans les attitudes du corps, comme il y en a un dans les sons.

1573. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Il ne dissimulait pas ses efforts pour rendre à ces poésies de famille, obscurcies par la vétusté de la langue romane et par l’obscurité des termes, la clarté et la fraîcheur du langage moderne.

1574. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

On ne connaît que par les sourdes rumeurs des salons les noms, les aventures, les scandales, les déchirements de cette époque de sa vie ; mais les faits et les demi-confidences parlent un langage qu’il est impossible de ne pas croire.

1575. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Et il ne se rattache guère qu’au xviiie  siècle sceptique et sec ; Mérimée est un homme du monde, de tenue parfaite, d’esprit aigu et mordant, sans illusion, sans élan, volontiers cynique, avec la plus exquise correction de langage.

1576. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

De même que, populairement, il n’était bon bec que de Paris, il ne fut que de Paris beau langage et savante lyre.

1577. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Que penserait-on, si quelque dramaturge excentrique, au lieu de dérouler rigoureusement sa fiction en attribuant à ses héros le langage qui leur sied, rompait à tout instant sa trame en mettant des sonnets et des stances dans la bouche de ses personnages supposés agissants ?

1578. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Son esprit souriant à tout et son âme indifférente à tout lui permettent de s’assimiler rapidement n’importe quel sujet et de le traiter précisément avec les grâces de langage qu’attend son public.

1579. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Il n’y a point encore là de fin proprement dite, sinon pour un spectateur du dehors, qui traduit le phénomène dans le langage de l’entendement.

1580. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

nous les romanciers, les ouvriers du genre littéraire triomphant au xixe  siècle, nous renoncerions à ce qui a été la marque de fabrique de tous les vrais écrivains de tous les temps et de tous les pays, nous perdrions l’ambition d’avoir une langue rendant nos idées, nos sensations, nos figurations des hommes et des choses, d’une façon distincte de celui-ci ou de celui-là, une langue personnelle, une langue portant notre signature, et nous descendrions à parler le langage omnibus des faits divers !

1581. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Une institution nouvelle, l’Académie française, contribuait puissamment, contre l’intention de Richelieu son fondateur, sinon à créer (car ce ne sont pas les grammairiens qui créent les langues, ce sont les ignorants), du moins à conserver et à épurer le langage.

1582. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Aujourd’hui, les monologues conservent la même mesure des vers que le reste de la tragédie ; et ce style alors est supposé le langage commun : mais Corneille en a pris quelquefois occasion de faire des odes régulières, comme dans Polieucte et dans le Cid, où le personnage devient tout à coup un poète de profession, non seulement par la contrainte particulière qu’il s’impose, mais encore en s’abandonnant aux idées les plus poétiques, et même en affectant des refrains de ballade où il fallait toujours retomber ingénieusement.

1583. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Sa préciosité changea lors de langage.

1584. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Ce qu’on n’a pas assez remarqué, c’est qu’une quatrième dimension d’espace est suggérée par toute spatialisation du temps : elle a donc toujours été impliquée par notre science et notre langage.

1585. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Car, sans doute, la mer est encore une « gueuse » dont le poète nous décrit symboliquement les faits et gestes dans un langage qui n’a rien de timide ; et les marins sont encore des « gueux », les gueux de la mer ; mais déjà M.  […] On y trouvera, plus exactement et plus agréablement qu’ailleurs, les mœurs et comportements, les tics, le langage et le tour d’esprit des personnes frivoles et élégantes du second Empire et du commencement de la troisième République. […] » C’est peut-être « du théâtre » ; mais, si je n’étais obligé ici à quelque dignité de langage, j’oserais dire que c’est du fichu théâtre. […] Ce sanguin de Maxime, l’énergique grand’mère elle-même, terrible et belle de maternité immorale, ont le même langage précieusement métaphorique et tourmenté que la délicate aveugle et le subtil névropathe, et le même air d’assister en rêve à leur propre vie. […] Elle n’apparaît plus du tout terrible, tant le langage des amants y est douceâtre et banalement fleuri, et tant leur crime est aisément absous, dès l’abord, par ceux mêmes dont il viole les droits et dont il broie les cœurs.

/ 1788