Henri II, qui est bien le roi de Montluc, celui qu’il a raison de regretter avec douleur, car sous lui il ne fit que de purs et d’honorables exploits, Henri II, en le revoyant, l’accueillit avec amitié, lui donna le collier de l’ordre (distinction encore intacte), une pension et d’autres grâces.
La même a eu des chants pour toutes les nobles et touchantes affections, pour les vives douleurs.
Il fera dire, par exemple, à Adolphe, racontant et définissant ses rapports avec son père, ce père qui était timide même avec son fils : Je ne savais pas alors ce que c’était que la timidité, cette souffrance intérieure qui nous poursuit jusque dans l’âge le plus avancé, qui refoule sur notre cœur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui dénature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par des mots vagues ou une ironie plus ou moins amère, comme si nous voulions nous venger sur nos sentiments mêmes de la douleur que nous éprouvons à ne pouvoir les faire connaître.
Thiers, qu’une dernière bataille livrée et gagnée jusque dans Paris, une victoire qui eût rétabli d’un seul coup la France dans sa juste grandeur, n’eût pas été trop payée, même au prix des splendeurs du Paris d’alors ; tous ceux qui, l’année suivante, avaient saigné et pleuré de douleur à la nouvelle de Waterloo, ceux-là étaient tous pour qu’on fortifiât.
Je l’ai vu en passant à Sospello, une amie le soignait ; et comme tout le monde longtemps m’avait cru mort, il avait, dans ses douleurs souvent parlé de moi et souvent envié mon sort.
Ce sont de ces choses qui me causent une vraie douleur quand je les lis chez M.
Mes pas suivent encor le char qui les emporte ; Dans la fosse mon cœur tombe encor par lambeaux ; Et comme les cyprès plantés sur leurs tombeaux, Ma douleur chaque jour croît et devient plus forte… Je recommande aussi le beau et triste sonnet qui exprime une pensée d’agonie : J’ai passé quarante ans.
Première question : Aucun des grands morceaux le plus souvent cités et devenus classiques de Mme de Sévigné (tels que le début de lettre sur le mariage de Mademoiselle, la lettre sur la douleur de Mme de Longueville et son entrevue avec Mlle de Vertus après la mort du comte de Saint-Paul, le récit de la mort de Vatel, etc.), aucun de ces endroits saillants se trouve-t-il atteint et renversé dans la nouvelle édition ?
S’il n’avait fait qu’y rétablir l’ordre, introduire plus de régularité et de décence dans ce bizarre parlement de Pau et dans la conduite extérieure des principaux officiers, mettre à la raison certain procureur général de trop folle humeur et des plus libertins, on n’aurait qu’à le louer ; on ne ferait que rire de quelques histoires singulières qu’il raconte : mais tout à côté de ces réformes de bon aloi, il faut bien prêter l’oreille à tous ceux que l’intendant proconsul va faire saigner et pleurer, et dont les cris de douleur sont venus jusqu’à nous.
Ces soldats, qui venaient de subir la cruelle défaite de Leipzig et une longue retraite avec ses privations, ses douleurs et ses dangers, n’avaient rien perdu de cette jovialité et de ce sans-souci qui caractérisent le soldat français.
Il lui arriva de dire un peu plus spirituellement, en se désolant avec son neveu le prince de Condé : « Ce n’était pas la peine à M. de Belle-Isle de m’envoyer un tuteur ; j’en aurais bien fait autant tout seul. » Ce prince, quand il parlait ainsi, n’avait plus rien de cet aiguillon de la gloire qui prend au cœur les nobles natures et les laisse dévorées de douleur après un affront.
Un organe pur, encore vibrant et à la fois attendri, un naturel, une beauté continue de diction, une décence tout antique de pose, de gestes, de draperies, ce goût suprême et discret qui ne cesse d’accompagner certains fronts vraiment nés pour le diadème, ce sont là les traits charmants sous lesquels Bérénice nous est apparue ; et lorsqu’au dernier acte, pendant le grand discours de Titus, elle reste appuyée sur le bras du fauteuil, la tête comme abîmée de douleur, puis lorsqu’à la fin elle se relève lentement, au débat des deux princes, et prend, elle aussi, sa résolution magnanime, la majesté tragique se retrouve alors, se déclare autant qu’il sied et comme l’a entendu le poëte ; l’idéal de la situation est devant nous. — Beauvallet, on lui doit cette justice, a fort bien rendu le rôle de Titus ; de son organe accentué, trop accentué, on le sait, il a du moins marqué le coin essentiel du rôle, et maintenu le côté toujours présent de la dignité impériale.
. — Deux points surtout sont importants : l’un est la prépondérance du roman intérieur, suggéré ou spontané, qui se déroule dans le patient sans répression possible et avec le même ascendant qu’auraient des perceptions vraies ; l’autre est l’abolition isolée ou l’exaltation isolée d’un sens ou d’une faculté (sensation de la douleur, du son, sens tactile et musculaire, appréciation de la durée, talent de discourir, d’écrire en vers, de dessiner, et parfois divinations de diverses sortes dont nous ne pouvons encore fixer la limite).
Il est libre et ne peut être retenu… L’amour surtout n’a pas de mesure, et s’exalte dans une ardeur sans mesure… L’amour ne sent point le poids ni la peine, il veut plus que sa force, et n’allègue jamais l’impossibilité, et se croit tout possible et tout permis… L’amour veille ; en dormant même il veille… Celui qui aime, sait la force de ce mot — On ne vit point sans douleur dans l’amour.
« Deuxième conclusion : Ce que l’on appelle valeur Est une espèce de folie ; La vertu véritable est la poltronnerie, Qui nous fait éviter la mort et la douleur.
Hugo a maintes et maintes fois décrit les souffrances de la douleur physique.
Les flots de l’Océan ont leur flux et leur reflux qui se calculent ; le sang dans nos artères et dans nos veines a un va-et-vient qui se mesure par les battements du pouls ; la fièvre comme le besoin de manger ou de dormir, revient à intervalles périodiques ; la danse, la versification, la musique nous plaisent par le retour régulier de certains sons et de certaines cadences ; les éclats de la douleur, comme ceux de la tempête, ont leurs intermittences de paroxysme et de répit ; le fleuve, qui coule intarissable, forme des courbes, qui, à moins d’obstacles entravant son cours, sont infléchies symétriquement tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre ; la lumière et le son se propagent par ondulations qui se creusent et se renflent comme les vagues de la mer.
Au moment où Mme Campan la revit après le retour de Varennes, la reine ôta son bonnet, et lui dit de voir l’effet que la douleur avait produit sur ses cheveux : « en une seule nuit ils étaient devenus blancs comme ceux d’une femme de soixante-dix ans ».
Que l’image de la dent subsiste avec celle de la douleur, le mouvement de fuite se produira et, l’identité se projetant du passé à l’avenir, l’être deviendra capable de prévision par le souvenir même.
Mais où le sens du joli éclate, c’est dans son nouveau livre, dans cette charmante étude de l’éclosion féminine qui forme la première moitié de Chérie, dans le geste mutin d’une petite fille perchée sur sa chaise et éventant sa soupe de son éventail ; dans la gaie répartie du maréchal consolant Chérie de s’apitoyer sur la douleur des parents des perdreaux servis à table ; dans la scène du baptême de la poupée ; dans l’inquiet effarement d’une troupe d’enfants enfermés dans les combles ; dans la bienveillante et aimable idée qu’a la maréchale de greffer sur les églantiers de de la forêt de Saiut-Cloud les roses du jardin impérial.
Les larmes délicieuses qu’il fit répandre, lui coûtèrent des larmes de douleur & bien édifiantes.
Lequel valait le mieux pour toi d’être l’appui de ton vieux père qui se meurt de douleur, de ta femme qu’on cherche à séduire depuis vingt ans quoiqu’elle n’en vaille pas la peine, de ton fils que les princes voisins vont dépouiller, de gouverner tes sujets avec sagesse, de nous rendre heureux en nous laissant pratiquer sous nos cabanes des vertus que tu aurais pratiquées dans ton palais ?
Quand ils s’adressent à l’humanité et qu’ils chantent un thème universel, comme Leopardi, ou quand ils se confinent dans la satire, comme Giusti, ou même dans le dialecte d’une province, comme Porta, Belli et Brofferio, c’est toujours l’Italie nouvelle qui palpite en eux ; et ce cri de douleur et d’espérance retentira longtemps encore, avec Rossetti, Mameli, Poerio, Mercantini, Zanella, jusqu’au jour où le roi Victor-Emmanuel y répondra.
Pour moi, c’est du plus profond de mon cœur que je m’associe à la douleur incomparable de sa veuve et de ses fils, ainsi qu’aux regrets profond de tous ses collaborateurs. […] nous renonçons même à cette espérance D’entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs ; Seigneur nous refusons jusqu’à ta récompense, Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs. […] Elle est inhumaine ; sa cruauté nous blesse ; elle nous anéantit dans la nature ; elle nous rapproche des animaux et des plantes en nous montrant ce qu’ils ont en commun avec nous, c’est-à-dire tout : les organes, la joie, la douleur et même la pensée. […] La douleur du père fut horrible et démesurée. […] Quand, dans les jours sombres, Æhnobarbus, son vieux compagnon, l’abandonna la veille de la bataille, pour passer à Octave, il renvoya à celui qui avait été si longtemps son ami ses équipages et tout ce qui lui appartenait, et l’on dit qu’accablé par cette générosité Æhnobarbus mourut de douleur et de honte.
En second lieu, la contrainte que le théâtre impose à l’imagination du spectateur crée pour le poète de véritables dangers auxquels Shakespeare n’a jamais songé à se soustraire : ainsi, par exemple, si cette contrainte est trop violente, elle devient une véritable douleur. […] Il faudrait cependant se dire que le spectateur est avant tout une manière d’épicurien qui est venu au théâtre pour chercher un plaisir et non une douleur. […] Oui, ils étaient là pêle-mêle, les diables et les damnés, les diables rugissant sous la douleur de leurs propres tourments et faisant rugir les damnés par les souffrances qu’ils leur infligeaient. […] Rien n’indique qu’un être quelconque ait vécu la minute précédente, si ce n’est une douleur cuisante à la main qui a touché ce rêve évanoui. […] Il y a là des ustensiles de ménage qui sont centenaires, des plaisanteries qui sont octogénaires et des douleurs qui ont plus que l’âge déjà respectable de M.
Quand il nous parle d’une femme qu’il aime, ce sont nos amours et nos douleurs qu’il éveille délicieusement dans notre âme. […] Ne voyez-vous pas qu’il est trempé dans la douleur ? […] Les sept glaives de douleur sont figurés, ici par sept petits poignards d’or, là par un simple stylet, mais il est de vermeil avec un manche ciselé. […] Il avait fini par goûter comme un bien « la stricte sécurité de ces lieux de douleur ». […] Au maître que nous avons perdu, mais dont la parole demeure, nous devons de vaincre notre douleur.
Notre sensibilité, aiguisée par la sécurité et le bien-être, est devenue plus frémissante, plus accessible à la douleur. […] Au cinquième volume, les bonapartistes répondirent par des cris de douleur et de rage. […] Toute œuvre d’art, vraiment digne de mémoire, implique une conception de l’univers et renferme, que l’artiste le veuille ou non, la confession d’une douleur intime. […] La douleur même, dans ce pays, prenait un air sensuel, caressant, naïvement immoral. […] Que serait le courage loin du péril et la pitié sans la douleur ?
Elle passa tout d’un coup de l’emportement à la douleur ; les pistolets lui tombèrent des mains, et elle se jeta aux pieds de Molière, le conjurant, les larmes aux yeux, de lui rendre son acteur, et lui exposant la misère où elle allait être réduite, elle et toute sa famille, s’il le retenait. « Comment voulez-vous que je fasse ? […] Tant sa douleur de tête était encor cruelle ! […] Pour moi, je vais faire des vœux afin que vous soyez bientôt content. » Là-dessus, il se retira et laissa Molière, qui rêva encore fort longtemps aux moyens d’amuser sa douleur. » (La Fameuse Comédienne, ou Histoire de la Guérin, auparavant femme de Molière.)
Une salle contenant le dessus du panier du tout-Paris, au milieu duquel figure le jeune ménage Daudet-Hugo, et où Jeanne, qui a ressenti, dans la journée, les premières douleurs de l’enfantement, est accompagnée de son accoucheur. […] Pauvre mère, une vie de douleur et de malheur ! […] » s’écriait-il avec un mépris, où il y avait presque de la douleur.
Tout compte fait, et malgré les chances de guerre en Europe, il aime mieux l’Afrique pour le quart d’heure, bien assuré que, si l’on se bat en Europe, tout le monde en sera : « Ici, je sers mon pays, et je m’éloigne des mauvaises passions. » Le maréchal Bugeaud, rappelé dès ce temps-là à des commandements importants et consulté par le prince président de la République, dut lui donner les premières impressions avantageuses sur Saint-Arnaud comme officier général de grand avenir et comme homme de nerf à employer dans l’occasion : sa mort soudaine arrache à Saint-Arnaud des témoignages bien dus de regret et de profonde douleur. […] Et encore, à la date du 11 juillet : « Les Russes m’ont causé une des douleurs les plus vives que j’aie ressenties de ma vie.
Et d’abord, si sincère qu’il se montrât dans le transport d’expression de ses douleurs juvéniles, il était trop poëte pour que son imagination, à certains moments, ne les lui exagérât point beaucoup, et, à d’autres moments aussi, ne les vint pas distraire et presque guérir. […] ce bouquet de cerises malicieusement promené sur les lèvres de celui qu’on croit endormi ; lorsque véritablement il paraît ne plus vouloir emprunter de ses précédents romans trop ensanglantés que les souriantes prémices ou les douleurs embellies, comme étaient dans Thérèse Aubert les adieux à la Butte des Rosiers et ce baiser à travers les feuilles d’une rose ; quand donc on se croit assuré qu’il en est là, tout d’un coup… qu’est-ce ?
Accablé de douleur, il pleurait assis sur le bord du fleuve. […] Le voyage est un arbre qui ne donne pour tout fruit que des inquiétudes. — Si les fatigues des voyageurs sont grandes, repartit l’Aimé, elles sont bien récompensées par le plaisir qu’ils ont de voir mille choses rares, et quand on s’est accoutumé à la peine, on ne la trouve plus étrange. — Les voyages, reprit l’Aimant, ne sont agréables que lorsqu’on les fait avec ses amis : car, quand on est éloigné d’eux, outre qu’on est exposé aux injures du temps, on a la douleur encore de se voir séparé de ce qu’on aime.
Il souffrait en silence ; ses traits, malgré la vive douleur qu’il éprouvait, conservaient leur dignité fière ; il était bien fait, agile, dispos ; sa physionomie, intelligente et candide. […] Tout-à-coup l’Indien se lève, passe devant moi, se promène dans la hutte : je crois que sa douleur devenue insupportable cause cette agitation qu’il laisse paraître.
Les conceptions du Maître presque entièrement pénétrées de la plus sublime sérénité, appartiennent, comme nous l’avons vu, spécialement, à cette période de son isolement bienheureux, où l’arrivée de la pleine surdité semble l’avoir entièrement dérobé au monde de la douleur. […] Nous avons vu, précisément, que la musique a pour objet cette révélation de l’Idée même du monde : or, il en résulte que le musicien créateur doit considérer tout ce que cette idée contient ; et c’est ainsi qu’il exprime, non sa propre opinion sur le monde, mais le monde lui-même, dans lequel alternent la douleur et la joie, le bien et le mal.
Hélas, hélas, que les voilà — mais exprimées, exprimées en un art et véritablement devenues elles — que les voilà mes fuyeuses émotions, et que les voilà les joies et les douleurs que j’entrevis au toucher d’une départie, et que vous chantez, oh musiques magiques du mage musicien ! […] en musicien ; c’était une âme musicale qui percevait ; ainsi, cris de joie, de douleur, de victoires, de chutes, de faims exangues, ils répugnaient en lui tous vocables de dictionnaire, toutes lignes, et, cris de sentimentalités, ils s’épanchaient par son âme en des effervescences de symphonie.
A force d’avoir versé sa douleur dans ses lettres, de l’avoir mêlée à seslectures, promenée dans la campagne et partout épandue, il l’avait presque tarie ; si bien que Mme Arnoux était pour lui comme une morte dont il s’étonnait de ne pas connaître le tombeau, tant cette affection était devenue tranquille et résignée. » En cette forme de style Flaubert s’exprime dans ses romans, quand apparaît une scène ou un personnage qui l’émeuvent ; dans Salammbô et la Tentation, quand l’exaltation lyrique succède au récit. […] Emma serrait son châle contre ses épaules et se levait. » Pénétrant davantage la sourde éclosion de ses sentiments, d’incessantes métaphores matérielles disent le néant de son existence à Tostes, son intime rage de femme laissée vertueuse, par le départ de Léon et son exultation aux atteintes d’un plus mâle amant : « C’était la première fois qu’Emma s’entendait dire ces choses ; et son orgueil, comme quelqu’un qui se délasse dans une étuve, s’étirait mollement et tout entier à la chaleur de ce langage. » Et encore la contrition grave de sa première douleur d’amour : « Quant au souvenir de Rodolphe, elle l’avait descendu tout au fond de son cœur ; et il restait là plus solennel et plus immobile qu’une momie de roi dans un souterrain.
Ce livre raconte en versets, dont chacun est un vers qui trouve son écho dans un autre vers, les pensées de Dieu, la création du monde en six grandes journées de l’ouvrier divin, qui sont peut-être des semaines de siècles ; la naissance du premier homme, son ennui solitaire dans l’isolement de son être, qui n’est qu’un morne ennui sans l’amour ; l’éclosion nocturne de la femme, qui sort, comme le plus beau des rêves, du cœur de l’homme ; les amours de ces deux créatures complétées l’une par l’autre dans ce premier couple dont le fils et les filles seront le genre humain ; leurs délices dans un jardin à demi céleste ; leur pastorale enchantée sous les bocages de l’Éden ; leur fraternité avec tous les animaux aimants qui parlaient alors ; leur liberté encore exempte de chute ; leur tentation allégorique de trop savoir le secret de la science divine, secret réservé seul au Créateur, inhérent à sa divinité ; leur faute, de curiosité légère chez la femme, de complaisance amoureuse chez l’époux ; leur tristesse après le péché, premier réveil de la conscience, cette révélation par sentiment du bien et du mal ; leur citation au tribunal divin ; les excuses de l’homme pour rejeter lâchement le crime sur sa complice, le silence de la femme, qui s’avoue coupable par les premières larmes versées dans le monde ; leur expulsion ; leur pèlerinage sur la terre devenue rebelle ; la naissance de leurs enfants dans la douleur ; le travail sous toutes les formes, premier supplice de l’humanité ; le premier meurtre faisant boire à la terre le sang de l’homme par la main d’un frère ; puis la multiplication de la race pervertie dans sa source ; puis le déluge couvrant les sommets des montagnes ; une arche sauvant un juste, sa famille, tous les animaux innocents ; puis la vie patriarcale, en familiarité avec des esprits intermédiaires appelés des anges, esprits tellement familiers qu’ils se confondent à chaque instant sur la terre avec les hommes, auxquels ils apportent les messages de Dieu ; puis un peuple choisi de la semence d’Abraham ; des épisodes naïfs et pathétiques, comme ceux de Joseph, de Tobie, de Ruth ; une captivité amère chez les Égyptiens ; un libérateur, un législateur, un révélateur, un prophète, un poète, un historien inspiré dans Moïse ; puis des annales pleines de guerres, de conquêtes, de politique, de liberté, de servitude, de larmes et de sang ; puis des prophètes moitié tribuns, moitié lyriques, gouvernant, agitant, subjuguant le peuple par l’autorité des inspirations, la majesté des images, la foudre de la langue, la divinité de la parole ; puis des grandeurs et des décadences qui montent et descendent de Salomon à Hérode ; puis l’assujettissement aux Romains ; puis un Calvaire, où un prophète plus surnaturel monte sur un autre arbre de science pour proclamer l’abolition de l’ancienne loi, et promulguer pour l’homme, sans acception de tribus, Juifs et païens, une loi plus douce scellée de son sang ; Puis une autre terre et un autre ciel pour l’univers romain devenu l’Europe. […] « Jetez les yeux de toutes parts », dit Bossuet : « voilà ce qu’a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros : des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n’est plus ; des figures qui semblent pleurer autour d’un tombeau, et de fragiles images d’une douleur que le temps emporte avec tout le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant ; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs, que celui à qui on les rend.
Elles sont interdites au poète tragique : il ne prend l’homme qu’en flagrant délit de passions brûlantes, et il n’en montre que les muscles torturés par la douleur comme ceux du Laocoon. […] J’ai donc appris avec douleur que vous fréquentiez plus que jamais des gens dont le nom est abominable à toutes les personnes qui ont tant soit peu de piété, et avec raison, puisqu’on leur interdit l’entrée de l’Église et la communion des fidèles, même à la mort, à moins qu’ils ne se reconnaissent.
Horace Vernet a suivi la même méthode ; grâce à cette méthode de feuilletoniste, la mémoire du spectateur retrouve ses jalons, à savoir : un grand chameau, des biches, une tente, etc… — vraiment c’est une douleur que de voir un homme d’esprit patauger dans l’horrible. — M. […] La sainte Thérèse, telle que le peintre l’a représentée, s’affaissant, tombant, palpitant, à l’attente du dard dont l’amour divin va la percer, est une des plus heureuses trouvailles de la peinture moderne. — Les mains sont charmantes. — L’attitude, naturelle pourtant, est aussi poétique que possible. — Ce tableau respire une volupté excessive, et montre dans l’auteur un homme capable de très-bien comprendre un sujet — car sainte Thérèse était brûlante d’un si grand amour de Dieu, que la violence de ce feu lui faisait jeter des cris… Et cette douleur n’était pas corporelle, mais spirituelle, quoique le corps ne laissât pas d’y avoir beaucoup de part.
Il y a du Pascal dans cette douleur du jeune incrédule.
Ce jour aurons honneur : chacun y gagnera Vaillante renommée…………………… Et Beaumanoir, que cette parole enflamme, se remet si vivement à l’action que, de colère et de douleur, la soif lui passa.
L’âge mûr est âpre, aride, occupé ; les rivalités et les ambitions, les passions sèches nous envahissent ; les haines nous troublent ; les injustices laissent des traces qui creusent et qu’on s’exagère : mais la jeunesse a échappé à tout cela ; ses douleurs même et ses infortunes ont revêtu je ne sais quel charme.
On dit que celui-ci, malgré sa douleur, prit sur lui de présider le Conseil le jour même de cette mort, comme à l’ordinaire.
Quand Bossuet, plus tard, dans son oraison funèbre du prince, parlera avec tant de répulsion des discordes civiles et « de ces choses dont il voudrait pouvoir se taire éternellement », il rendra un sentiment bien réel et vif qui lui avait arraché dans le temps même ce cri de douleur et d’alarme.
La jeunesse, bannie de son pays, ne l’a point quitté sans douleur ; elle a trouvé un ciel plus beau, une terre plus fertile, mais ce n’était pas le sol natal ; ce n’était plus ce ciel dont la lumière avait d’abord frappé sa vue, ce n’était plus cette terre où bon avait commencé à vivre, cette terre témoin des soins paternels, des jeux de l’enfance, où l’on avait reçu les premières impressions du plaisir et du bonheur.
comme je le comprends mieux, dans ce sens-là, le silence obstiné et boudeur des poètes profonds, arrivés à un certain âge et taris, cette rancune encore aimante envers ce qu’on a tant aimé et qui ne reviendra plus, cette douleur d’une âme orpheline de poésie et qui ne veut pas être consolée !
— Dépendance, erreurs, vains désirs, indigence, infirmités de toute espèce, de courts plaisirs et de longues douleurs, beaucoup de maux réels et quelques biens en fumée.
Les douleurs même, à cette distance, disparaissent dans la grandeur et la beauté du couronnement.
Dans les moments de séparation où il était privé d’elle, il a exhalé sa douleur en des poésies qui respirent passion et tendresse.
Depuis quinze jours je fais dans ce journal l’article Variétés… C’est avec un sentiment de douleur bien amère que je me vois forcé d’abandonner pour une chétive rétribution, un travail qui pourrait bien contribuer à me faire une réputation : car ce Mercier est un vrai corsaire.
Mélancolique et la tête penchée, était la jeune fille, avec sa douleur, et les larmes de ses yeux perlaient sur l’herbe de la prairie.
Racine que j’ai l’honneur d’accuser la réception de votre lettre du 14 avril et que j’ai, monsieur, la douleur de vous écrire qu’au bout de quarante-cinq jours d’une patience très-exemplaire, Dieu nous l’a ôté ce matin entre 3 et 4.
La pensée la plus fixe, la douleur de M.
Le jeune Millevoye perdit son père à l’âge de treize ans ; dix ans après, il célébrait cette douleur, encore sensible, dans l’élégie qui a pour titre l’Anniversaire.
L’homme y est considéré comme devant recevoir une impression profonde par la douleur de l’homme.
Les Italiens ont de l’invention dans les sujets, et de l’éclat dans les expressions ; mais les personnages qu’ils peignent ne sont point caractérisés de manière à laisser de profondes traces, et les douleurs qu’ils représentent arrachent peu de larmes.
Soit une sensation de saveur, puis une douleur dans la jambe, puis le souvenir d’un concert.
Qui de nous a jamais été jusqu’aux dernières bornes de la douleur, de la joie, de la haine ou de la tendresse ?
Pour traduire l’angoisse, la douleur, le désespoir, l’amour, la fureur, elle a trouvé des cris qui nous ont remués jusqu’à l’âme, parce qu’ils partaient du fond et du tréfond de la sienne.
Alphonse Daudet n’a pas besoin de remuer de si grandes douleurs pour nous induire en attendrissement.
Le jeune M. de Ciron n’avait pas attendu ce jour du mariage pour rompre avec le monde : voyant la ruine de ses plus chères espérances, il s’était tourné du côté de Dieu, et, dans son premier accès de douleur, il avait voulu se faire chartreux ; puis, son peu de santé s’y opposant, il s’était voué simplement à la prêtrise.
À voir l’ardeur que mit Franklin à cette question qu’il considérait comme nationale, on comprend que quinze ans plus tard, lorsque la rupture éclata entre les colonies et la mère patrie, il ait eu un moment de vive douleur, et que, sans en être ébranlé dans sa détermination, il ait du moins versé quelques larmes ; car il avait, en son âge le plus viril, contribué lui-même à consolider cette grandeur ; et il put dire dans une dernière lettre à lord Howe (juillet 1776) : Longtemps je me suis efforcé, avec un zèle sincère et infatigable, de préserver de tout accident d’éclat ce beau et noble vase de porcelaine, l’empire britannique ; car je savais qu’une fois brisé, les morceaux n’en pourraient garder même la part de force et la valeur qu’ils avaient quand ils ne formaient qu’un seul tout, et qu’une réunion parfaite en serait à peine à espérer désormais.
Par le fait du malaise ou de la douleur qui fixent sur eux notre attention, nos états pathologiques ainsi qu’on l’a noté déjà, nous sont mieux connus que les autres, en sorte qu’ils évoquent des idées plus claires et qui nous font mieux pénétrer dans la nature des choses.
Le peintre Cyprien n’est à l’aise que devant certains spectacles douloureux et minables ; il préfère « la tristesse des giroflées séchant dans un pot, au rire ensoleillé des roses ouvertes en pleine terre » ; à la Vénus de Médicis, « le trottin, le petit trognon pâle, au nez un peu canaille, dont les reins branlent sur des hanches qui bougent » ; formule son idéal de paysage en ces termes : « Il avouait d’exultantes allégresses, alors qu’assis sur le talus des remparts, il plongeait au loin… Dans cette campagne, dont l’épiderme meurtri se bossèle comme de hideuses croûtes, dans ces roules écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec les douleurs du malheureux, rentrant de sa fabrique éreinté, suant, moulu, trébuchant sur les gravats, glissant dans les ornières, traînant les pieds, étranglé par des quintes de toux, courbé sous le cinglement de la pluie, sous le fouet du vent, tirant résigné sur son brûle-gueule. » Et sur ce dolent idéal, des Esseintes renchérit encore : « Il ne s’intéressait réellement qu’aux œuvres mal portantes, minées et irritées par la fièvre » « … se disant que parmi tous ces volumes qu’il venait de ranger, les œuvres de Barbey d’Aurevilly étaient encore les seules dont les idées et le style présentassent ces faisandages, ces taches morbides, ces épidermes talés, et cegoût blet, qu’il aimait tant à savourer parmi les écrivains décadents ».
Cependant, comme sur un visage où régnait la douleur et où l’on a fait poindre la joie, je retrouverai la passion présente confondue parmi les vestiges de la passion qui passe, il peut aussi rester au moment que le peintre a choisi, soit dans les attitudes, soit dans les caractères, soit dans les actions, des traces subsistantes du moment qui a précédé.
Il est très probable que les travaux d’Hercule ne sont autre chose qu’une allégorie des travaux de l’homme pour assainir et féconder la terre, car la terre ne se laisse pas cultiver comme on le croit : elle commence par résister avec violence, elle cède avec déplaisir, et même avec douleur ; elle reprend ses droits avec un empressement terrible.
Lisez son Premier-Né, Le Jour de l’An en famille, les Vieux souvenirs, Les Petites Bottes, — qui rappellent, mais en vieux et en usé, le frais soulier de la Gudule dans Notre-Dame de Paris, — les Bébés et papas et la Première culotte, et voyez si dans tout cela l’enfant n’est pas toujours ajusté, toujours compris de la même manière, aimé pour le plaisir et la peine qu’il donne, — car il y a aussi l’épicurisme de la douleur, — et si la moitié du sentiment paternel, celle que Dieu élargit en la doublant du sentiment de son être, n’est pas restée, pure lumière, étouffée sous le boisseau de la chair !
En quelque lieu du monde qu’il y ait encore un vrai naturaliste, je comprends sa douleur.
Cousin à la ligne suivante, « que la volonté seule soit la personne ou le moi. » Mes douleurs, mes plaisirs, mes idées, mes souvenirs, m’appartiennent très-certainement.
Au cou, au lieu de la poitrine, pour l’ardeur du désir, selon l’expression consacrée ; oui, pour la douleur des affections, des rivalités, pour le trop d’angoisses des humaines tendresses, pour les larmes qui suffoquent un gosier sans voix, pour tout ce qui fait battre un cœur ou tout ce qui le ronge. […] Il se rappelait leur voix chevrotante, quand ils lui disaient les arcanes que leurs ancêtres tenaient des derniers sacerdotes : la mort d’Osiris, le Rituel des Juges, le Livre des Ames, la douleur d’Isis, le dévouement du fidèle Anubis, les cynocéphales gardiens des tombeaux. […] Percé bientôt de toutes les lances, blessé de ces traits pénétrants dont le fer courbé reste dans la plaie, l’animal bondit dans l’arène, pousse d’horribles mugissements, s’agite en parcourant le cirque, secoue les flèches nombreuses enfoncées dans son large cou, fait voler ensemble les cailloux broyés, les lambeaux de pourpre sanglants, les flots d’écume rougie, et tombe enfin épuisé d’efforts, de colère et de douleur. […] ) Plusieurs ont une douleur qui ne les change pas, mais qui les trompe ; plusieurs ont une honte qui veut qu’on la flatte, et non pas qu’on l’humilie ; plusieurs cherchent dans la pénitence d’être déchargés du passé, et non pas d’être fortifiés pour l’avenir : ce sont les trois caractères de fausses conversions.
Comme ils voulurent peindre l’époque, se conformer à elle, il était difficile que leur moyen d’expression fut autre puisque l’époque est elle-même fiévreuse, hétéroclite et pourrissante, puisque toute évolution a lieu dans le sang et dans la fange, enfante dans la douleur. […] Douleurs et joies qui se pénètrent et ne se peuvent déprendre... » (p. 79 de la Préface). […] Francis Vielé-Griffin, en grand peur d’un didactisme que personne ne songe à instaurer, nous offre le culte d’une idole vague tantôt éparse aux harmonies cosmiques tantôt recluse en « un lieu de solitude poignante où la joie et la douleur chantent d’accord l’hymne de la Beauté intangible dont nul n’a encore baisé la bouche ». […] Partout il trouve cette haine contenue contre les chefs, cette conscience plus ou moins obscure de l’ineptie du métier qui forment, malgré tout, l’état d’esprit foncier du soldat et du marin : « Pauvres vieux matelots aigris par tant d’années de douleurs, de privations, de haines rentrées, de rancunes inassouvies ! […] Il faut accepter l’existence qui nous vaut toutes douleurs et aussi toutes joies.
C’est la douleur qui l’emporte, en fin de compte. […] ils sont bien heureux de ne pas avoir une attaque de goutte, d’ignorer les insomnies de la fièvre quarte, les douleurs de la migraine, les ravages d’un coup de feu, les blessures que fait une épée. […] Arrivez tout de suite, et montrez-vous, ça suffira ; parlez, et soudain vous allez trouver, sans vous en douter, dans la prose la plus vulgaire, ou dans le vers le plus traînant, toutes sortes de mots touchants ou risibles ; soudain vous allez faire de rien quelque chose, une comédie d’un geste, un drame d’un seul cri : émue ou riante, à votre aspect, sans qu’elle se puise expliquer pourquoi son rire, et pourquoi ses larmes, la foule vous applaudit et vous regarde, bouche béante ; — vous, cependant, vous ne comprenez rien à tant de succès ; vous regardez d’où cela peut venir, vous vous demandez si en effet vous êtes bien un homme comme tous les autres, vous êtes prêt à prendre en pitié ces grands niais qui rient aux éclats de la gaîté que vous ne ressentez guère, qui pleurent à chaudes larmes d’une douleur qui est si loin de votre âme. […] Ainsi elle n’a supporté, qu’à moitié, les transes infinies de la profession ; elle n’a jamais su quelles douleurs sont cachées sous ces joies apparentes, quelles épines sous ces fleurs ! […] En ce moment, sa misanthropie est à son comble à force d’indécision, d’étonnement et de douleur.
Une grande douleur avait frappé M. […] La douleur de M.
. — Et dans le même chant, cette comparaison encore (car les comparaisons ici se succèdent et ne tarissent pas) de la jeune Écossaise, vaguement apparue au chasseur dans la nuée, au sein de l’arc-en-ciel, avec la belle forme vaporeuse de l’ange ténébreux aperçu de loin d’abord par Éloa ; — et au chant III, cette dernière image enfin, cette description si large et si fière de l’aigle blessé qui tente un moment de surmonter sa douleur, et qui ressemble plus ou moins au même archange infernal avec sa plaie immortelle : Sur la neige des monts, couronne des hameaux, L’Espagnol a blessé l’aigle des Asturies, Dont le vol menaçait ses blanches bergeries, Hérissé, l’oiseau part et fait pleuvoir le sang, Monte aussi vite au ciel que l’éclair en descend, Regarde son soleil, d’un bec ouvert l’aspire, Croit reprendre la vie au flamboyant empire ; Dans un fluide d’or il nage puissamment. […] Dans les trois cas sublimes, un même effet est produit par la haine orgueilleuse d’un héros, par la douleur délirante d’une mère, par le ressentiment implacable d’une amante.
Pesant, léger, piquant, uni, dur, mou, collant, humide25, tous ces termes ne désignent que le pouvoir de provoquer des sensations plus ou moins complexes, intenses et variées, de contact, de pression, de température, de contraction musculaire et de douleur. […] Quand je contracte un de mes muscles, j’ai une de ces sensations qu’on nomme musculaires, et je puis la considérer à deux points de vue. — En premier lieu, la sensation que j’ai est plus ou moins forte ; elle est extrême, si l’effort va jusqu’au déboîtement du muscle ; sa limite est la douleur qu’on appelle crampe ; son caractère est l’intensité plus ou moins grande, et à ce titre je puis comparer ma sensation à d’autres sensations du même muscle plus ou moins intenses.
Quel triste contraste que celui de la grande ville affairée, indifférente, et d’un homme seul poursuivi par une douleur vraie ! […] Les religions, leur gloire et leur ruine, le genre humain, ses douleurs et sa destinée, tout ce qu’il y a de sublime au monde lui est alors apparu dans un éclair.
Cette tiare empêche de voir entièrement le front ; il paraît haut, large, sans plis et sans rides, comme celui d’un homme qui ne donne aucune tension d’effort ou de douleur à sa pensée, mais qui reçoit la sagesse et l’inspiration d’en haut, comme la lumière. […] Il persista dans ce même état l’espace de cinq nouveaux jours, après lesquels, faisant réflexion que puisqu’il avait rempli avec la dernière exactitude tout ce que les anciens pratiquaient en pareille occasion, il était temps qu’il se rendît enfin à la société, et qu’il serait coupable envers elle s’il continuait à écouter sa douleur, préférablement à ce que lui suggérait la raison d’accord avec le devoir.
XXXIX On sait comment Charles-Albert, sans tenir aucun compte de ces conseils, lança les Piémontais en Lombardie, fut mal reçu et plus mal secondé par les Lombards, combattit en intrépide soldat, fut vaincu, n’osa reparaître à Turin sous le coup de sa témérité et de sa déroute, abdiqua le trône, s’éloigna sous un nom d’emprunt de l’Italie, et alla mourir de sa déception et de sa douleur en Portugal. […] Son nom repose défendu par sa mort, mort trouvée à la poursuite de ce rêve obstiné de la maison de Savoie ; coupable ou non, il est beau de mourir, même de douleur, pour sa patrie !
De ce sol, consacré par la douleur et le sacrifice, avait monté lentement une brume de mélancolie, où tous les prismes de l’art imitent leur féerie. […] Et, ce faisant, ils épargneront à leur maître Paul Bourget la douleur d’avoir à brûler son meilleur livre, les Essais de psychologie contemporaine, dédiés à la gloire d’un Renan, d’un Baudelaire et d’un Taine, et celui de ses ouvrages qui promet de lui survivre.
* * * — Il est peu de douleurs, si grandes qu’elles soient, qui ne soient que douleur ; et j’ai vu peu de larmes derrière les morts, qui ne fussent salies d’un intérêt ou d’une vanité.
En haut du boulevard Magenta, en un campement de baraques que loue aux plus misérables misères de Paris, le roi de la finance, — dans une chambre de ce baraquement aux planches disjointes, au plancher plein de trous, d’où jaillissent, à tous moments, des rats, des rats qui entrent encore, chaque fois, qu’on ouvre la porte, et les rats des pauvres, des rats effrontés, montant sur la table, emportant des michons de pain entiers, mordant parfois les pieds du sommeil en mangeant la couverture du lit ; là-dedans six enfants, les quatre plus grands dans un lit ; et sur leurs pieds qu’ils ne peuvent allonger, dans une caisse, les deux plus petits ; l’homme marchand des quatre saisons, ivre-mort pendant les douleurs de la femme, saoule comme son mari, sur une paillasse de paille. […] * * * — Le bon des douleurs insupportables, est de faire supporter les autres.
Et la douleur fuyante d’une sœur dépeignée, aux cheveux couleur de cendre, une douleur retournée vers le mur, avec le désespoir passionné et forcené d’une Guanamara, ajoutait encore à l’illusion.
Elle entre chez un pharmacien, et s’écrie, avec la tête d’expression de la Douleur, dessinée par Lebrun : « Ah ! […] Mais je passe toute la journée à relire sa maladie et sa mort, écrites, jour par jour, heure par heure, et cette relecture me décide à donner le morceau tout entier, dans le troisième volume de notre Journal, en dépit de la pudeur de convention commandée à la douleur, du cant littéraire infligé au désespoir : c’est vraiment une trop éloquente et une trop réelle monographie de la souffrance humaine.
Or la réalité est aussi riche en corruption qu’en pureté, en douleur qu’en joie, en cruauté qu’en bonté ; les carnages et les débauches y côtoient les innocences et les continences ; l’amour de l’or, l’ambition, la perversité, la soif de jouissances, sont des mobiles plus puissants que les vertus qui les contredisent ; celui-là seul peut trouver plaisir à contempler la vie, qui considère sans horreur le mal dont elle est faite comme le bien, sinon la colère et les froissements sont continuels ; l’on s’en détourne, l’on s’en indigne ou l’on s’en contriste, mais l’on cesse d’en connaître. […] Pour ceux qui connaissent la bienfaisance de l’art, son efficacité à rehausser la vie d’émotions intenses et nobles dont est retirée la souillure de la douleur et de l’égoïsme, c’est par ses œuvres mêmes que Tolstoï paraîtra avoir accompli, sans le savoir, la mission qu’il s’est assignée sur le tard.
Peut-être dans le silence attentif, lui qui fit l’éloge au début de la soirée du chant de la Douleur, les eût-ils récités vraiment magiques, avec sa face de Christ longue comme une main de saint, haut et noir sur la scène vide sauf la floraison des pupitres crucifères. […] Jésus mort repose sur l’herbe, le haut du corps soutenu par Joseph d’Arimathie ; la Vierge11, stupide de douleur, s’est pris le visage dans les mains et regarde son fils ; la tête du Mauvais Larron, du haut de la croix, semble un soleil noir.
Un vélum noir voilait de deuil l’Arc de Triomphe de la gloire impériale ; la lumière des becs de gaz et des lampadaires filtrait, lugubre, à travers le crêpe ; des couronnes d’immortelles et de peluches, des portraits de Hugo sur son lit de mort, des médailles de bronze, portant gravé : Deuil national…, enfin tous les symboles de la douleur désespérée avaient été réquisitionnés, et pourtant la multitude immense n’avait ni regrets pour le mort, ni souvenirs pour l’écrivain : Hugo lui était indifférent. […] — Les génies que l’on renomme ne savent trouver que douleurs dans l’exil, les commerçants qui s’expatrient au Sénégal, aux Indes, ces pays de fièvres et d’hépatites, après des dix et vingt ans d’exil ne parviennent à amasser qu’une pelote de quelques centaines de mille francs, s’ils ont en poupe le vent de la chance ; et lui Victor Hugo, le Prométhée moderne, vit dans une île délicieuse, où les médecins envoient leurs invalides, il s’entoure d’une cour d’adulateurs empressés, qui le font mousser, il voyage tranquillement en Europe, il thésaurise des millions et il obtient la palme du martyre !
. — Mais les révolutions intellectuelles, au contraire, ne sont-elles pas les secousses que l’esprit humain se donne à lui-même pour enfanter dans le travail et dans la douleur ce qu’il porte en lui ? […] Je n’ai encore qu’âge d’homme, et j’y ai vu de mes yeux ensevelir Alfieri dans le marbre de Santa Croce, sculpté par Canova ; j’y ai entendu Monti réciter ses poèmes aussi dantesques que le Dante ; j’y ai serré la main de Manzoni, qui venait d’écrire ses mâles cantates ; j’y ai été l’ami de Nicolini, qui agitait de l’accent de Machiavel les fibres toscanes ; j’y ai entrevu Ugo Foscolo, ce Savonarola de la liberté, qui prêtait ses rugissements de douleur patriotique aux lettres de Jacobo Ortis ; j’y ai vécu en familiarité avec Canova, cet émule de Phidias à Rome ; enfin j’y ai entendu les premiers accents de Rossini, cet homme sans parallèle parmi les hommes vivants, qui a plus de poésie, de vibration, de littérature inarticulée dans une de ses notes que son siècle entier dans toutes ses œuvres !
»af Et certes, cette possibilité d’errer ne va pas sans des menaces de douleur, des nécessités de batailles. […] Mais que, grâce à des hommes, leurs semblables, à portée de la main soit ce point sensible, cette corbeille de surprises, de dangers et de douleurs, c’est bien ce que ne sauraient pardonner tous ceux qu’effraie le risque et cependant tente l’aventure.
Il lui fiait (à Gabrielle) les avis et rapports qu’on lui faisait de ses serviteurs, et, lui découvrant les blessures de son esprit, elle en apaisait incontinent la douleur, ne cessait que la cause n’en fût ôtée, l’offense adoucie et l’offensé content ; en sorte que la Cour confessait que cette grande faveur dangereuse à un sexe impérieux soutenait chacun et n’opprimait personne ; et plusieurs s’éjouissaient de la grandeur de sa fortune.
Avec quel sentiment chevaleresque ce noble chanoine réserve ses belles expressions de douleur pour la mort du brave et noble chevalier dont la perte est à déplorer, tant sa loyauté était grande, sa foi pure, sa valeur terrible à l’ennemi, et son amour fidèle !
Elle publia, avant la fin de cette même année 1714, son livre intitulé Des causes de la corruption du goût, une des productions solides de l’ancienne critique française, et où il y a plus d’esprit qu’on ne pense : La douleur, dit-elle en commençant, de voir ce poète si indignement traité, m’a fait résoudre à le défendre, quoique cette sorte d’ouvrage soit très opposée à mon humeur, car je suis très paresseuse et très pacifique, et le seul nom de guerre me fait peur ; mais le moyen de voir dans un si pitoyable état ce qu’on aime et de ne pas courir à son secours !
J’ai déjà nommé du Périer, un des grands poètes latins de ce temps-là, et aujourd’hui tout à fait oublié ; il était neveu de cet autre du Périer, le seul connu, parce qu’une belle ode de notre Malherbe a couronné son nom : Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle !
Sénecé, à peine âgé de quarante ans, redevint donc, à sa grande douleur, provincial et Mâconnais ; le reste de sa vie (et il vécut longtemps), il se considéra comme exilé, un exilé de cet Olympe dont il avait été l’un des Mercures secondaires et où il ne pouvait remonter.
Et toutefois il n’y a pas une de ces lettres qui soit, à proprement parler, agréable : il y en a de vraies, de fortes, de bien sensées ; j’en citerai une, la prochaine fois, qui est de tout point admirable de douleur et d’âme ; mais l’agrément proprement dit, il n’est pas là pour nous autres Français.
Cette affection pour la personne de Lamennais, survivant aux contradictions des systèmes et aux déchirements des croyances, s’est rencontrée chez d’autres encore ; il avait le don d’attacher ; et c’est ainsi qu’on a vu à son lit de mort les représentants des diverses époques de sa vie, étonnés de se trouver là ensemble, et réunis dans une commune douleur, dont les motifs ne laissaient pas d’être différents.
Swetchine, vous faites de la douleur de Priam !
Dès que les Allemands ont passé le Rhin, elle n’a plus désiré que la paix avec Bonaparte, et elle a senti avec une profonde douleur l’humiliation de la France et sa dépendance.
Bientôt se déclare la première atteinte d’un mal singulier qui tourmenta Louis XIV toute sa vie, le tint perpétuellement en échec, et qu’il ne parvint à dissimuler qu’à force de bonne contenance et d’empire sur lui-même, devant sa Cour et aux yeux de son entourage : ce sont des vapeurs, « une douleur de tête sourde et pesante, avec quelques ressentiments de vertiges, maux de cœur, faiblesse et abattement. » C’est en 1662 que les premiers signes de cette indisposition inquiétante apparaissent.
Le malheureux père, depuis ce jour funeste, ne voulut d’autre remède à sa douleur que celui qu’avait autrefois trouvé dans son abandon l’infortunée Ariane.
. — Tu seras en joie, et jamais ne te lasseras, — et en déduit, ni douleur ne sauras. — Je te le dis à toi, et je veux qu’Ève l’entende ; — si elle ne l’écoute, elle s’afoloie (elle fait folie). — De toute terre avez la seigneurie, — d’oiseaux, de bêtes et de toute la maisnie. — Peu vous souciez de qui vous porte envie, — car tout le monde vous sera enclin et soumis. — En votre corps (votre personne) je mets le bien et le mal ; — qui a tel don n’est pas lié à un pal (à un pieu, — c’est-à-dire est libre), etc., etc… » On le voit, Dieu parle d’une manière bien enfantine : nous voilà tombés dans la rue et dans le populaire ; adieu la belle liturgie !
Elle l’aborde résolument, et sur la question que lui adresse Pamphile au sujet de Glycère, elle répond que la pauvre jeune femme est à la fois dans les premières douleurs du travail et dans l’inquiétude d’être délaissée par lui.
Un mois après le retour d’Issy et ce qu’on appelait alors une seconde Journée des dupes, il nous fait part d’une confidence de la reine et de ce qu’il répondit : « La reine, nous dit-il, me mena le même jour (20 janvier) dans son cabinet, et me parla avec une vive douleur des changements qu’elle voyait dans l’amitié du roi.
La seule chose qui pourrait t’attacher à la vie serait l’espoir de faire partager aux autres tes sentiments ; mais tu vois quelle douleur c’est de ne trouver qu’opposition dans le commerce des hommes.
Il fallait l’entendre raconter comment, retenu au lit pendant quarante jours par une jambe cassée, il revint à Rome juste à temps pour ne pas trouver sa femme remariée : ce n’est pas que sa douleur eût été inconsolable, si le second mariage avait rompu le premier ; car, libre alors, peut-être serait-il devenu cardinal, peut-être pape, qui sait ?
Électre, sous le vestibule du palais de Micènes, erre depuis des années, criant et hurlant sa douleur ; c’est un voceratrice sublime d’attente et d’attitude.
Le directeur de l’Académie a laissé tomber au début quelques paroles de douleur et de respect sur la tombe de M.
Il faut bien approuver, quand on songe à la détresse d’un Sully Prudhomme enfant, quand on réfléchit à l’enfer familial d’un Gérard de Nerval, d’un Baudelaire, d’un Glatigny, d’un Corbière, d’un Rimbaud, d’un Jules Laforgue… Qui de nous n’a compati à la douleur résignée de Poil de Carotte ?
En supposant qu’un jour vienne où l’humanité n’aura plus besoin de croire à l’immortalité, quelles angoisses la destruction prématurée de cette foi consolante n’aura pas causées aux infortunés sacrifiés au destin durant notre âge de douleur.
Dans l’épitre à Racine, il se demande : Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse De Phèdre, malgré soi perfide, incestueuse, Ne bénira d’abord le siècle fortuné Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles, Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles ?
Peut-être aussi la besogne mécanique de remonter ses vieilles marionnettes et de ranger dans un ordre différent toute sa vieille armée de formules invariables, lui était nécessaire comme un mouvement endormeur, comme un balancement monotone sans lequel il eût craint de s’éveiller enfin à la douleur de penser.
Et lorsqu’il a dépeint la première entrée des troupes alliées dans Paris le 31 mars 1814, M. de Lamartine, montrant la curiosité succédant à la douleur à mesure qu’on avançait dans les quartiers brillants et le long des boulevards, avait dit : « Tout est spectacle pour une telle ville, même sa propre humiliation. » Quand on a écrit et pensé de telles paroles, on devrait être guéri, ce semble, du rôle de tribun, d’orateur populaire et ambitieux.
Au sortir de Namur, à Liège, on a la touchante et pathétique histoire de cette pauvre jeune fille, Mlle de Tournon, qui meurt de douleur d’avoir été méconnue et trahie par son amant qu’elle allait retrouver avec confiance, et qui lui-même, se ravisant trop tard et raccourant pour la consoler, ne rencontre plus que son cercueil.
C’est le sentiment vif de cette incomparable et idéale agonie qui lui inspira un Dialogue entre Platon et Fénelon, où celui-ci révèle au disciple de Socrate ce qu’il lui a manqué de savoir sur les choses d’au-delà, et où il raconte, sous un voile à demi soulevé, ce que c’est qu’une mort selon Jésus Christ : Ô vous, qui avez écrit le Phédon, vous, le peintre à jamais admiré d’une immortelle agonie, que ne vous est-il donné d’être le témoin de ce que nous voyons de nos yeux, de ce que nous entendons de nos oreilles, de ce que nous saisissons de tous les sens intimes de l’âme, lorsque, par un concours de circonstances que Dieu a faites, par une complication rare de joie et de douleurs, la mort chrétienne, se révélant sous un demi jour nouveau, ressemble à ces soirées extraordinaires dont le crépuscule a des teintes inconnues et sans nom !
Une des grandes douleurs de la fin de sa vie, après la perte du Constitutionnel qui échappa de ses mains, ce fut de sentir l’arrivée à l’Académie d’une génération littéraire qui, pourtant, l’avait toujours personnellement excepté et ménagé.
Avez-vous besoin de croire, d’aimer, de pleurer, de vous frapper la poitrine, de tomber à genoux, de lever vos mains au ciel avec confiance et sérénité, écoutez ces poëtes, ils vous aideront à monter vers la douleur saine et féconde, ils vous feront sentir l’utilité céleste de l’attendrissement.
En effet, le génie peut certainement placer l’homme dans des conditions sociales très douloureuses : la supériorité d’un homme sur son temps peut lui rendre l’existence très difficile, et ainsi devenir pour lui cause occasionnelle de certaines douleurs, qui amèneraient la folie tout aussi bien chez un autre que chez lui, si elles s’y produisaient.
Fervaques est un esprit ardent, enthousiaste, remuant, sensitif, d’une vie littéraire dans laquelle palpite l’autre vie, — la vie réelle, — qui en est toujours le fonds et le tréfonds, et sans les passions, les souvenirs, les douleurs de laquelle le talent n’est pas.
Il est tel chœur de Sophocle, tel sonnet de la Vita nuova, telle tragédie de Racine, qui résonnent dans l’âme comme le chant d’un dieu d’amour et de douleur ; et tant que l’humanité vivra, elle retrouvera, dans ces syllabes assemblées par un homme disparu, l’immortelle expression d’une âme toujours présente.
La matière et la pensée, la planète et l’homme, les entassements de soleils et les palpitations d’un insecte, la vie et la mort, la douleur et la joie, il n’est rien qui ne l’exprime, et il n’est rien qui l’exprime tout entière.
Il y avait dans ce rire des grincements de dents, des douleurs infinies, les larmes des filles pleurant sur le sein de leur mère… ce que la fille de Jephté pleurait sur la montagne ; le déshonneur des vieillards, le désespoir des amants. […] Ces pages chrétiennes exhalent les angoisses et les douleurs de cette âme en peine, et l’on se sent plus attendri, voyant cette illustre personne hésiter, que si elle se jetait, comme on nous la montre au théâtre, au beau milieu de l’abîme, la tête la première ! […] Une fois que vous soumettez cette pauvre créature à des outrages impossibles, il lui est impossible à elle d’égaler vos outrages par sa douleur. […] Bulwer eût seulement lu une seule des tragédies de Racine, il eût appris comment pleuraient, comment s’enveloppaient dans leur chaste douleur, comment mouraient les femmes de Louis XIV ; il se fût dit que toutes les femmes de Racine étaient faites à l’image de mademoiselle de La Vallière et de quelques âmes d’élite qui ont honoré ce siècle, afin que rien ne manquât à sa beauté, comme rien ne manque à son génie ; il eût respecté à la fois Louis XIV et mademoiselle de La Vallière, et comme tout respect bien placé porte sa récompense, M.
Cette révolution opérée, la langue de l’art trouvée et fixée, — et c’est là incontestablement2 le meilleur titre de l’école romantique, — il s’agissait, pour qu’un monde nouveau fût découvert en littérature, non plus de traduire dans cette langue, par la bouche de héros fantastiques et imaginaires, nos doutes, nos défaillances et nos espérances dans l’avenir, mais de peindre à l’aide de types façonnés à notre image, à nous, les hommes du dix-neuvième siècle, les douleurs et les misères du temps présent, les hontes et les splendeurs de la vie contemporaine. […] Deux bedeaux de village à trogne rouge, deux sacs à vin, serviront de thème à ces critiques frottés de littérature dont je vous parlais tout à l’heure ; opposez-leur, dans le même tableau, les charmants enfants, le groupe des femmes, les pleureuses, aussi belles dans leur douleur que toutes les Antigones de l’antiquité, il est impossible d’avoir raison. […] Champfleury, qui sait être complaisant pour ses amis, y a trouvé des femmes « aussi belles dans leur douleur que les Antigones de l’antiquité ». […] L’art est comme l’amour, comme le vin, comme la lumière, comme le travail, comme la douleur, comme la mort, enfin comme toutes les grandes choses qui forment notre bagage, en se servant les unes aux autres de corollaires, l’art est un niveau rigoureux sous lequel nous devenons tous égaux.
Tout le monde connaît : « lasciate » et « le souvenir heureux dans les jours de douleur » sans avoir lu Dante, comme on connaît : « Sais-tu le pays où fleurit l’oranger ? […] Demain viendra le jour, demain, désabusée, La trop fidèle Noun, par la douleur brisée, Rejoindra sous les eaux l’ombre d’Ophélia. […] » avec une sorte de familiarité tragique que je serais bien en peine d’analyser et de définir, mais qu’on sentait qui était le naturel même, la nature même. — Je ne saurais dire à quel point Mlle Leconte a été exquise de grâce chaste, de fierté pudique, de douleur concentrée et ombrageuse. […] Elle chasse littéralement Juliette, qui se retire avec dignité et avec douleur et, pour la première fois de sa vie, Jacques blâme sa mère avec respect, mais avec force […] Il y renonce après résistance et avec douleur, sentant bien qu’il n’a guère le droit de revendiquer les droits paternels, après avoir traité si cavalièrement les devoirs conjugaux.
Perrault de votre part a été un terrible coup de foudre, qui m’a rendu tout à fait immobile et qui m’a ôté tout sentiment, hormis celui d’une extrême douleur de vous avoir déplu.
Les lettres d’amour et de douleur, qu’il écrivait à celle dont il avait espéré la main, se terminaient presque invariablement par ces mots : « J’ai l’honneur d’être, mademoiselle, avec les sentiments qui font le désespoir de ma vie, votre très humble et très obéissant serviteur.
Cette mortelle douleur de la pieuse et vertueuse Blanche en apprenant le vœu chrétien de son fils eût pu être dissimulée par un auteur plus soigneux des convenances extérieures, par un écrivain de la classe de ceux qui font les éloges ou les oraisons funèbres ; mais Joinville, comme Homère et comme les narrateurs primitifs, dit tout, et il ne songe à rien de ce qui est pose et attitude convenue.
« Son cœur était à découvert et, pour ainsi dire, transparent », a écrit de lui le docte Huet qui, dans les dernières années, le voyait tous les jours, et qui eut la douleur de lui survivre.
Mme de Coulanges était sans doute de celles qui avaient le plus pris sa défense : aussi était-elle outrée plus tard au nom de tout son sexe quand elle vit qu’il n’y avait plus moyen de se faire illusion, et que le héros de roman n’était décidément qu’un joueur, un voluptueux et le plus spirituel des libertins : « La Fare m’a trompée, disait-elle plaisamment, je ne le salue plus. » Cette trahison de cœur et la douleur qu’elle en ressentit conduisirent Mme de La Sablière, âme fière et délicate, à une religion de plus en plus touchée, qui se termina même, par des austérités véritables : elle mourut plusieurs années après aux Incurables, où elle avait fini par habiter.
Consumé de douleurs vers la fin de leur cours, Il voit dans le tombeau ses amis disparaître, Et les êtres qu’il aime arrachés à son être.
puissé-je, s’écrie le poète par une transition facile et tout indiquée, puissé-je vivre exempt (tant que je vivrai innocent de tout excès glouton et funeste) de toutes ces douleurs arthritiques qui torturent l’orteil de l’intempérant !
Mais cette chère enfant, ainsi échappée au danger, — cette enfant, l’unique soin de sa mère et la joie de la maison, — meurt quelques mois après, et elle laisse dans l’âme du père une douleur qui s’épanche en plus d’une page.
Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M.
Il est encore tout entier dans cette lettre à un jeune homme triste, souffrant, entravé dans ses goûts, et à qui il dit pour le consoler : « Ne vous laissez pas aller aux longues et secrètes douleurs : Dieu le défend à notre nature… J’ai connu tout cela, Monsieur, voilà pourquoi je me permets de vous en parler.
Avec quelle vérité et quelle discrétion il indique son premier mouvement de douleur à lui-même, en apprenant sa blessure !
Je ne le vis jamais moins las ni moins se plaignant de ses douleurs, ayant l’esprit, et par chemin et en logis, si tendu à ce qu’il rencontrait, et recherchant toutes occasions d’entretenir les étrangers, que je crois que cela amusait son mal.
La fin du journal de Mlle de Guérin offre plus de variété que le début : elle est formée, elle est mûre : elle a reçu tous les enseignements de la douleur.
Quand Gardilanne est parvenu à découvrir et à posséder le fameux violon de faïence qu’il avait flairé chez un marchand de vieilleries et qu’il emporte à la barbe de Dalègre, la douleur de celui-ci, son envie surexcitée, son impossibilité de vivre heureux sans le violon unique, achèvent cette description d’un cas de pathologie morale.
Thomas, plus jeune de quelques années, est plus malade de corps que ce dernier, mais il a l’esprit tranquille, bien que souvent découragé ; lui, il ne se plaint pas : « Il semble que les âmes douces habitent dans des corps douloureux, où elles supportent leur détention sans murmure et sans emportement. » Ducis prévoit le malheur prochain de le perdre : « Nous ne vivons qu’une minute ; et, dans cette minute, que de secondes pour la douleur !
Mais, assistant à des spectacles militaires avec des goûts si prononcés, il s’imbut de l’esprit de ces dernières années de l’Empire ; quand les revers survinrent, et mirent à nu la fibre patriotique, il sentit aussi fortement qu’aucun les douleurs de l’humiliation et de là défaite : garde national zélé, militaire amateur exemplaire, il mérita la croix en 1814 pour les services qu’il avait rendus dans la défense de Paris.
Sa nomination, proclamée avec d’autres en séance solennelle au Louvre, fut accueillie par une double salve d’applaudissements, Quelque temps après, Gavarni, qui s’entend peu aux compliments, alla chez M. de Nieuwerkerke : « J’ai voulu voir, lui dit-il, celui qui a eu l’idée de décorer Gavarni. » Arrivé à la plénitude de la vie, à la conscience du talent satisfait qui désormais peut indifféremment continuer ou se reposer, et qui a fait sa course, — après bien des traverses et une de ces douleurs cruelles qui éprouvent à fond le cœur de l’homme35, — Gavarni ne formait plus qu’un souhait : rêver, travailler encore, et trouver son dernier bonheur, comme Candide, à cultiver son jardin.
Il disait un jour à un ami : « J’ai toujours été particulièrement frappé de ce passage d’Homère où il nous représente Priam transporté de douleur pour la perte d’Hector, au point d’éclater en reproches et en invectives contre les serviteurs qui l’environnent et contre ses fils.
Burty, « c’est, je crois, le plus intime, et la physionomie de cette reine, si fine et si douce, y a une teinte de résignation qui fait pénétrer plus avant dans l’histoire de ses secrètes douleurs. » 54.
Livrée à elle-même, elle est à l’allégresse ; elle a besoin de s’avertir, de se donner de temps en temps un coup de coude, pour se reprendre aux douleurs communes et aux angoisses.
S’être fait battre dans une telle rencontre et par un neveu de Mme de Maintenon, quelle douleur !
L’aîné des jeunes Saint-Hilaire était là, dans le groupe ; on a son récit : « Un spectacle aussi tragique, dit-il, me pénétra d’une douleur si vive, que j’éprouve encore aujourd’hui qu’il est plus facile de la ressentir que de la bien exprimer.
Mais sans doute son ange était là pour la secourir, car si forte fut sa douleur, qu’au moment et avant de se frapper, elle tomba morte.
Après t’être affligé pense à te réjouir : Qui t’a fait la douleur t’a laissé les remèdes, etc.
… Douleur inexprimable !
Colère du roi, douleur du prudhomme qui va avoir la tête tranchée : mais le saint, apparaissant, sans se ménager, aux trois filous, au roi, à son sénéchal, oblige les uns à restituer, les autres à retrouver le trésor.
Laissant la peinture du monde et des ridicules mondains, La Chaussée prend pour objet la vie intime, les douleurs domestiques : il développe les tragédies des existences privées, le mari libertin ramené à sa femme par la jalousie, le riche ou noble fils de famille épris d’une pauvre fille, le fils naturel en face de son père, etc.
Depuis l’invasion barbare jusqu’à la révolution française, il nous donne moins l’histoire objective, impersonnelle, scientifique de la France, que les émotions de Jules Michelet lisant les documents originaux qui peuvent servira écrire cette histoire : on entend ses cris de joie, de douleur, d’amour, de haine, d’espérance, de dégoût, tandis que les pièces qu’il dépouille font passer sous ses yeux les passions, les désirs, les actes de nos ancêtres.
Voici la première : « En cette parfaite association, sans joie… une seule note humaine et naturelle, l’enfant ; et cette note troubla l’harmonie. » Et voici l’autre : « … L’évolution toute naturelle de la douleur débordante à ce complet apaisement s’accentuait ici de l’appareil du veuvage inconsolable, etc…).
Comme elles sont échappées à l’auteur à l’occasion de ce qui arrivait à ses héros et à ses héroïnes, elles ont souvent la vertu de rappeler quelque joie ou quelque douleur de la vie ; et il y en a qui résument si bien une situation dramatique, que malgré soi on se laisse aller à rêver sur la scène de roman qui a dû les inspirer : l’imagination ne s’arrête pas longtemps à ce jeu qui serait bientôt un travail, mais cette excitation n’en a pas moins du charme.
Les trois douleurs intimes sont étudiées avec une apparence de conscience et les caractères ne sont pas maladroitement établis.
Je ne dirai point les causes de cette catastrophe ; outre qu’elles ne sont pas de mon sujet, il répugne au fils de la patrie de creuser trop avant dans les douleurs nationales, et il laisse volontiers au temps tout seul le soin d’éclaircir les leçons renfermées par Dieu même au fond des revers.
Le coup pourtant lui fut pénible et sensible, surtout à titre de procédé : ce fut la seule douleur de ses dernières années, si consolées d’ailleurs et si heureuses.
» qui se croit privilégiée en douleur, en malheur ; qui a des étonnements, des attendrissements sur elle-même, sur ses propres fortunes ; qui, à chaque chance humaine qui lui arrive, se dit : « Cela n’arrive qu’à moi !
C’est une disparate si singulière, que la tête m’en a tourné de douleur.
Il a reconnu les vices et les défauts des hommes, mais il les a reconnus avec douleur, sans cette joie maligne qui ressemble à une satisfaction et à une absolution qu’on se donne en secret, de même qu’il a maintenu les grandes lignes, les parties saines et fortes de la nature, sans cet air de jactance par lequel on semble s’exalter en soi et s’applaudir.
Et il continue de les montrer travaillant jusqu’à l’extrémité, même dans leur douleur, même dans leurs maladies, jusqu’au moment où la force leur manque : « Celui-là qui fouit mon jardin, il a ce matin enterré son père ou son fils… ils ne s’alitent que pour mourir. » Tout ce chapitre est beau, touchant, approprié, se sentant à la fois d’une noble élévation stoïque, et de cette nature débonnaire et populaire de laquelle Montaigne se disait à bon droit issu et formé.
J’avoue que toutes mes craintes n’avaient pas été jusqu’à prévoir que nous serions réduits à désirer de voir le roi et la reine d’Espagne détrônés : il n’y a point de paroles, madame, qui puissent exprimer une telle douleur ; le roi en est pénétré.
Retiré à la campagne, à Bellegarde, au mois d’avril 1707, il épanche, dans ce premier moment de douleur, ses réflexions sur l’homme, sur la destinée, sur ce que sont pour nous fatalement la naissance, l’éducation première, sur le peu qu’est la raison dans notre conduite et sur l’inefficacité de ses conseils quand nos goûts et nos passions la contrarient ; et il se prend lui-même à partie pour sujet de démonstration et pour exemple.
Encore chaud de ma lecture, je fis chez le magistrat un plaidoyer brûlant qui bientôt l’échauffa lui-même : il donna les plus grands éloges à la malheureuse détenue, à sa douceur, à sa douleur, au ton pénétrant de ses plaintes… Tout cela se passait en 1781 et se termina alors par la sortie de la pauvre femme à qui Beaumarchais, qui avait couru à Versailles chez tous les ministres, était venu annoncer lui-même la délivrance.
Il n’en reste que la base, sur laquelle j’ai écrit avec un crayon : Lugete, Veneres Cupidinesque, et les morceaux dispersés qui feraient mourir de douleur Mengs et Winckelmann, s’ils avaient eu le malheur de vivre assez longtemps pour voir ce spectacle.
À la mort de M. de Suhm, Frédéric avait eu un cri plein de douleur.
Ce sont ces gens-là qui décident à tort et à travers des réputations ; qui ont pensé faire mourir Greuze de douleur et de faim ; qui ont des galeries qui ne leur coûtent guères ; des lumières ou plutôt des prétentions qui ne leur coûtent rien ; qui s’interposent entre l’homme opulent et l’artiste indigent ; qui font payer au talent la protection qu’ils lui accordent ; qui lui ouvrent ou ferment les portes ; qui se servent du besoin qu’il a d’eux pour disposer de son temps ; qui le mettent à contribution ; qui lui arrachent à vil prix ses meilleures productions ; qui sont à l’affût, embusqué derrière son chevalet ; qui l’ont condamné secrètement à la mendicité, pour le tenir esclave et dépendant ; qui prêchent sans cesse la modicité de fortune comme un aiguillon nécessaire à l’artiste et à l’homme de lettres, parce que, si la fortune se réunissait une fois au talent et aux lumières, ils ne seroient plus rien ; qui décrient et ruinent le peintre et le statuaire, s’il a de la hauteur et qu’il dédaigne leur protection ou leur conseil ; qui le gênent, le troublent dans son attelier, par l’importunité de leur présence et l’ineptie de leurs conseils ; qui le découragent, qui l’éteignent, et qui le tiennent, tant qu’ils peuvent dans l’alternative cruelle de sacrifier ou son génie, ou son élevation, ou sa fortune.
Les romantiques chérissent l’idéal, le vague, le mystérieux : c’est, après la douleur, ce dont ils font le plus de cas ; et ils reprochent assez durement aux classiques leur prédilection pour le matériel et le positif.
Au plus fort de ses douleurs, Henri Heine s’occupait de l’édition de ses œuvres et soignait sa gloire acquise.
Sous sa main, elle était devenue humaine ; elle écoutait aux portes du cœur ; et pas de doute que si son cœur, à lui, avait souffert, si la destinée lui avait fait goûter à ses savoureuses amertumes, si la divine Marâtre qu’on appelle la Douleur lui avait mis au front ce baiser mordant qui le féconde, pas de doute que comme critique même (comme écrivain, ce n’est pas douteux), il aurait été plus profond et plus grand… L’homme n’est jamais assez intellectuel pour pouvoir se passer de sentiments, et les plus forts sont les sentiments blessés.
Cela fait, tout sera fait… Il y a des arracheurs de dents qui prétendent nous les arracher sans douleur.
Si pour Byron la première douleur de l’existence ne fut bientôt que ce rêve inouï qu’il a si divinement chanté ; pour Brizeux, le rêve lui-même était la vie, et quand, éphémère comme tous nos songes, le rêve douloureux s’en alla, la vie qu’il était, la vie poétique de l’auteur de Marie, s’en fut avec lui !
Le sacrifice, c’est une véritable création pour chacun à faire en soi-même, avec toutes les douleurs d’une création.
Ils croiraient moins à la couleur locale, ils croiraient plus à la dramatique humanité, à l’égalité des âmes et des douleurs, qui fait que le reste est secondaire, le temps, le lieu et toute l’enveloppe de ces âmes.
Il comprenait et ressentait naturellement ses joies, ses douleurs, ses regrets, ses espérances, — aussi fut-il tout à fait moderne. […] Où le plaisir fut silencieux, la douleur pousse un soupir. […] L’auteur blâme l’homme qui veut se soustraire à la fatalité de la douleur et ne s’élève vers un paradis artificiel que pour retomber bientôt dans un plus noir enfer. […] Cette douleur qui ne veut pas être consolée, il était réservé sans doute, pour expier leur gloire, aux deux plus grands poëtes de notre temps de la sentir. […] Tout le monde pleurait ou sanglotait convulsivement, et cependant ceux qui marchaient derrière ce corbillard étaient des philosophes, des artistes, des écrivains faits à la douleur, habitués maîtriser leurs âmes, à dompter leurs nerfs et ayant la pudeur de l’émotion.
Placé plus haut que tous les assistants, Socrate les domine encore par la sérénité de son visage, qui contraste avec la douleur, le désespoir ou la taciturnité de ceux qui l’entourent. […] « Encore tout pénétré, dit-il, de la douleur que nous avons tous ressentie en assistant au convoi funèbre dont vous avez honoré les restes inanimés de notre collègue, je vous propose de faire élever un monument en marbre, qui transmette à la postérité la figure de Lepelletier, comme tous l’avez vue hier, lorsqu’il a été porté au Panthéon. […] Sous un ciel aussi pur, sous un gouvernement aussi beau, la mère alors enfante presque sans douleur et fait consister sa véritable richesse dans le nombre de ses enfants. […] Guérin exposa la scène de Marcus Sextus revenant d’exil, trouvant sa femme morte et sa fille plongée dans la douleur. […] Quoique déjà âgée, elle conservait encore toute la vivacité de son esprit et de ses souvenirs, et rien n’était plus intéressant que de l’entendre parler, lorsque, étendue dans un grand fauteuil près du lit sur lequel Fabre était couché, et usant de toutes les ressources de son esprit, elle s’efforçait de lui faire oublier, par mille récits piquants, les affreuses douleurs de goutte dont il souffrait si fréquemment.
La mère et la fille s’abandonnaient à la douleur, lorsque les portes s’ouvrent avec violence. […] Eh bien, Sénèque, brisé par une vie triste et pénible qui durait au moins depuis trois ans, désolé de la mort de sa femme et d’un de ses enfants, aura atténué sa misère pour tempérer la douleur de sa mère, et l’aura exagérée pour exciter la commisération de l’empereur. […] Agrippine semble succomber à la douleur ; elle serre Britannicus dans ses bras ; elle retient par de pareils artifices Antonia et Octavie : toutes les portes sont gardées ; de temps en temps elle fait répandre que l’empereur est mieux. […] ces malheureux souverains mourraient de douleur, sans les momeries dont on use pour leur en imposer par le fantôme de leur grandeur passée. […] On les plonge dans le bain, où ils expirent ; le père, les yeux attachés sur sa fille ; l’aïeule, sur sa petite-fille ; celle-ci, sur les deux autres ; tous trois invoquant en même temps les dieux, tous trois les conjurant de hâter leur mort, et de leur épargner la douleur de survivre à ce qu’ils ont de plus cher.
Ils jouissaient de tous les biens, et mouraient sans douleur « comme domptés par le sommeil ». […] Elles leur apportent la douleur en silence, car le sage Zeus les a privés de voix. » Cet en silence est admirable. […] Il nous fera rire des grimaces dont la douleur contracte les visages, des dehors scrupuleux de la piété, des contorsions de la maladie. […] Là encore, il semblait annoncer par ses cris les douleurs qui l’atteindraient un jour. […] Ils respectèrent sa douleur ; et même il remercia sa mère d’avoir pensé à commémorer le funèbre anniversaire et de lui parler des enfants que la morte avait laissés.
Âme pure, s’écriait Goethe, et Goethe caractérisait d’un mot cette grande âme altérée d’amour et accablée de douleur. […] L’auteur y parle de la douleur d’un chrétien « en voyant le théâtre révolté contre l’autel, la Farce aux prises avec l’Évangile, un comédien qui se joue des mystères, et qui fait raillerie de ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré dans la religion ». […] Jamais homme a-t-il été plus bafoué et plus calomnié, calomnié et bafoué dans sa vie, dans ses œuvres, dans sa femme, dans sa douleur, dans le mal mortel dont il mourait ? […] Mais s’ils se résignent à se taire, ou s’ils n’ont pas le génie pour peindre leur douleur, ils glissent à travers la vie comme une barque sur un lac, et, après avoir vécu méconnus, ils meurent oubliés, demandant la grande consolation à l’éternel repos. […] Il nous en a fait répandre de joie, versons-en de douleur auprès de son tombeau ; honorons-le de toutes manières.
La vraie douleur, sans aucune dramatisation, avec des pleurs qu’elle comprime. « Hier, dit-elle, en phrases scandées par de petits sanglots, je me suis échappée d’ici un moment… j’ai été poussée par un pressentiment… J’ai trouvé ma mère qui pleurait et qui m’a dit que mon père était en train de lui dire des choses désolantes… Il se plaignait d’être faible, faible à toute extrémité… J’ai compris qu’il était bien mal, parce qu’il ne demandait des nouvelles de personne… Cependant il a mangé un peu le soir, et mon frère est passé me rassurer… Dans la nuit il a voulu dire des choses qu’il n’avait plus la force de dire… Enfin, ce matin, on m’a prévenue à huit heures… Il ne m’a pas reconnue… Il est mort à neuf heures. » Lundi 11 mars Enterrement du père de Mme Daudet. […] Oui c’est l’image de la vraie et sincère douleur. […] » On apporte une salade de tomates très réussie pour des palais blasés, quand Daudet, qui est muet depuis quelques instants, pris de douleurs intolérables d’estomac, demande à aller se jeter, une minute, sur un divan dans la chambre de Drumont.
Un duel avec un journaliste, parti d’une brasserie de Paris pour faire là-bas de haute politique d’opposition, duel dans lequel périt le journaliste, précipite les incidents de la passion du jeune homme et de la jeune femme ; par hasard, M. de Serpenoise apprend la trahison de celle à qui il a donné son nom, et dans son étonnement et sa douleur, meurt d’une attaque d’apoplexie. […] Triste et morne captif, ô comble de douleurs, Qui pleure sans pouvoir même essuyer ses pleurs ! […] Sa douleur est racontée avec une poignante réalité. […] Un soir, hébété par la douleur, il entre au hasard de ses pas au Théâtre-Français. […] Les années de séminaire sont navrantes de douleurs dissimulées.
Mais il demeure sans paroles, fou de surprise et de douleur, devant la « vertu » de cette femme qui ne pourrait se réhabiliter que d’une façon : en ayant le courage de l’adultère. […] Nihil humani a me alienum puto , toute douleur humaine est ma douleur, je veux ma part de toutes les larmes ! […] Qui pourrait dire l’universel frisson dont les spectateurs ont été glacés, quand le misérable Œdipe a paru sur les degrés du palais, se soutenant à peine dans son ivresse de douleur, s’appuyant aux murs, les yeux tout sanglants encore de l’horrible blessure faite par l’agrafe arrachée au manteau de Jocaste ? […] quelle ne fut pas ma douleur en voyant que, pour mordiller épargné, quatorze strophes avaient disparu ! […] Rien de ce qui s’y passe et nous impressionne, aucune joie, aucune douleur n’altèrent la sérénité de ces lyriques à l’envers.
Les Fantômes, la Douleur du Pacha, le Klephte, l’Enthousiasme, les Têtes du sérail, voudraient un examen et surtout un éloge spécial. […] Dans les poésies de Joseph Delorme, il y avait une âme découragée, sans ressort, qui se plaisait à étaler un certain cynisme de douleur. […] S’il s’approche des choses de la vie commune, c’est comme l’aigle, en planant ; c’est pour y jeter un insouciant regard, et pour y prendre en passant quelque image qu’il agrandit et qu’il idéalise ; s’il s’abaisse à parler de nos souillures, c’est en homme qui n’a jamais mis la main dans les plaies de l’humanité ; il a besoin d’ennoblir jusqu’à nos douleurs, pour les plaindre et y compatir. […] Il n’est pas jusqu’à la douleur, cette autre routine qui assoupit notre âme et qui nous vieillit sans nous rien dévoiler de sa fin dernière, où le poète ne trouve à méditer profondément et à rechercher quelle influence ou quel bienfait la Providence y a mis. […] Étonné d’avoir fait tant de mal innocemment, il s’interroge avec douleur.
On voit dans Tacite la douleur de la vertu, dans La Bruyère son impatience. […] L’offense d’un esprit juste à voir un tel ramas d’incohérences, la douleur d’un jeune homme à voir un vieillard s’égarer si violemment, le ressentiment d’un homme nouveau qui prend sa part dans l’injure proférée par le patricien endurci, et le zèle du futur historien à venger des noms vénérés, le respect aussi des cheveux blancs qui, sans l’amortir, rehausse plutôt et aggrave la vigueur de la réplique, tous ces sentiments très-mesurés, très-apparents, respirent dans l’excellent article que le jeune publiciste, par une forme anticipée, convertit volontiers en une sorte de discours directement adressé à l’adversaire : « Non, s’écrie-t-il, non, nous n’avions pas, avant 89, tout ce que nous avons eu depuis ; car il eût été insensé de se soulever sans motif, et toute une nation ne devient pas folle en un instant.
Meyer a demandé un moment pour se remettre du coup ; il sort de la salle, agitant en lui la douleur, la honte, et même, faut-il le dire ? […] Cela même finit par une catastrophe, et, de piqûres en douleurs, il arrive au désespoir : il se tue.
Callisthène cependant pénétra près de lui avec Anaxarque et tâcha d’abord doucement, et selon les règles de la morale, de se rendre maître de sa douleur en s’insinuant peu à peu auprès de lui par ses discours et en tournant adroitement tout autour, sans toucher à la plaie et sans lui rien dire qui pût réveiller son affliction. […] Quelques-uns prétendaient que, ayant été renfermé dans une cage de fer, on l’y laissa dévorer par les poux ; d’autres, qu’on lui avait coupé le nez, les oreilles et d’autres membres, supplices usités chez les Orientaux et les nations barbares, qui ne comptent pour rien la plus grande peine que la société puisse infliger s’ils n’y ajoutent la durée et l’intensité de la douleur.
Et je vous prie, en finissant, d’être persuadés que j’ai la plus vive affection pour cette grosse mère-la-joie qui fut à certaines minutes, je le crois, une mère de douleur. […] Et enfin, parmi les veuves, il en est une dont la souffrance ne fut connue des profanes qu’en tant qu’elle était liée à un deuil public ; dont toute la conduite récente ne fut que modestie, dignité simple et discrète, charité, désintéressement sans effort, et que nous avons saluée tous avec le respect le plus ému pour le noli me tangere de sa profonde et silencieuse douleur.
. — Dans Le Drame de la jeunesse, où il reprit l’idée d’Aimée (l’influence des livres et du théâtre sur la pensée et la moralité modernes, l’altération du naturel par les réminiscences littéraires, la pose, la comédie éternelle jouée entre nous et Dieu, et qui nous empêche d’avoir l’originalité même de nos vices et de nos douleurs), il poussa au comble du suraigu cette ironie15 qui est le caractère de son esprit et le symptôme de sa force, et qui pourrait faire de Paul Féval, s’il la développait dans des sujets de cœur, un romancier d’un comique amer de la plus poignante originalité. […] Sa bouche s’ouvre dans le sourire de ceux qui ont béni la douleur ardemment.
Accablé par l’âge et les fatigues, usé par les chagrins domestiques, tourmenté de douleurs convulsives dans les cuisses et dans les jambes, en proie à un mal rongeur qui lui a déjà dévoré une partie considérable de la tête, il a renoncé entièrement aux études, et a envoyé au père Louis-Dominique, si recommandable par sa bonté et par son talent dans la poésie élégiaque, le manuscrit des notes sur la première édition de la Science nouvelle, avec l’inscription suivante : AU TIBULLE CHRÉTIEN AU PÈRE LOUIS DOMINIQUE JEAN BAPTISTE VICO POURSUIVI ET BATTU PAR LES ORAGES CONTINUELS D’UNE FORTUNE ENNEMIE ENVOIE CES DÉBRIS INFORTUNÉS DE LA SCIENCE NOUVELLE PUISSENT ILS TROUVER CHEZ LUI UN PORT UN LIEU DE REPOS [Après avoir rappelé les obstacles, les contradictions qu’il rencontra, il ajoute ce qui suit :] « Vico bénissait ces adversités qui le ramenaient à ses études. […] « Lecteur impartial, dit-il en terminant, il est bon que tu saches que j’ai dicté cet opuscule au milieu des douleurs d’une maladie mortelle, et lorsque je courais les chances d’un remède cruel qui, chez les vieillards, détermine souvent l’apoplexie.
avec quel plaisir je rendrais compte de la douleur de l’ami et du citoyen dont j’ai été le témoin et le dépositaire !
Il eut la douleur de la perdre en 1589, après cinq ans de mariage.
Cette lettre de Sophie Arnould est datée de son lit où la clouaient la maladie et la douleur : Mais parlons, lui disait-elle, du bonheur que m’a procuré la lecture de votre Épître.
Elle compatit aux pauvres gens et aux affligés que frappe cette banqueroute ; elle en donne les détails et les chiffres précis à Senac de Meilhan, son correspondant très cher ; et, voyant la superbe famille de Rohan si humiliée et par cette catastrophe et par d’autres accidents qui bientôt suivirent, elle en revient aux réflexions morales ; elle se félicite au moins de ne tenir à rien, et de ne point prêter à ces revers subits du faste et à ces chutes de l’ambition ; elle se rejette dans la médiocrité, comme disait La Bruyère : Ô obscurité, s’écrie-t-elle avec un sentiment moral qui ferait honneur à toutes les conditions, tu es la sauvegarde du repos, et par conséquent du bonheur ; car qui peut dire ce qu’on serait en voulant des places, des biens, des titres, des rangs au-dessus des autres, où on arrive par l’intrigue, où on se maintient par la bassesse, et dont on sort avec confusion souvent, et toujours avec douleur ?
Mais suspendons mes douleurs sur les malheurs domestiques, et voyons ce qui se peut faire pour prévenir ceux du royaume.
L’Idole est dans la plus grande douleur ; elle s’est retirée à Auteuil.
Bonstetten, l’aimable, le léger, l’étourdi, l’éternellement jeune, sur lequel glissent les années et les chagrins, que la douleur n’atteint pas, « car l’imagination est le fond de son être, c’est par elle qu’il est sensible et par elle qu’il est consolé » ; Bonstetten, qui, dans un temps loge avec Sismondi sons le même toit, et qui le taquine souvent ou le désole par ses malices, par ses pétulances, par ses frasques ; à qui ridée prend subitement un jour de demander la mère de son ami en mariage ; Bonstetten qui a au moins vingt-cinq ans de plus que lui, et que Sismondi ne peut s’empêcher cependant de regarder, comme un jeune homme qui lui serait recommandé et confié ; le même « qui oublie, il est vrai, ses amis à tous les moments du jour, mais qui, aussi, ne les abandonne jamais » ; cet espiègle qui communique quelque chose de sa vivacité et de son genre d’esprit à tous ceux qui veulent le définir, Bonstetten n’est qu’un contraste : Schlegel était une antipathie.
Aussi finira-t-il, tous rêves évanouis, toutes douleurs épuisées, par se faire propriétaire rural, non pas médiocre, comme il le dit lui-même (il ne faut jamais prendre au mot ces faiseurs de confessions), mais modéré, distingué et assez tristement heureux.
À un moment, cette reine fière, sensible, élégante, bonne au fond et d’un cœur bienfaisant, s’aperçut avec douleur, avec indignation, qu’elle était méconnue, calomniée, outragée même du peuple de Paris ; qu’elle était impopulaire : Versailles était alors bien loin de Paris, et tout ce qu’on en racontait en mal était accueilli avidement et grossi à l’envi par la crédulité ou par la haine.
Un redoublement de douleur éclata, mais sans que la faiblesse prît le dessus.
Que de folie, que d’inanité, à leurs yeux, dans nos désirs, nos regrets, nos craintes, nos espérances, nos vaines joies et nos douleurs encore plus vaines !
Je suis dans un grand redoublement de douleur.
C’est dans la vie réelle, à travers les passions et les épreuves, que ce cœur de femme, sans autre maître que la voix secrète et la douleur, a dès l’abord modulé ses sanglots.
Ce roman est donc, en somme, une histoire d’expiation, l’histoire de deux âmes purifiées par la douleur.
Une tradition, rapportée par Stobée, disait que celle fange charmante avait été détrempée de larmes : symbole mélancolique de toutes les puissances de douleur que la femme possède et qu’elle exerce sur l’homme.
Le drame se recueillait dans son attente et dans sa douleur, il se retournait des maux passés vers les calamités à venir.
Au sortir de cet élan romanesque, Rousseau rentre dans la réalité plus qu’il ne faudrait, en étalant à ces deux jeunes femmes, qu’il ne connaît pas, le détail de ses maux physiques, de ses infirmités : Vous parlez de faire connaissance avec moi ; vous ignorez sans doute que l’homme à qui vous écrivez, affligé d’une maladie incurable et cruelle, lutte tous les jours de sa vie entre la douleur et la mort, et que la lettre même qu’il vous écrit est souvent interrompue par des distractions d’un genre bien différent.
Mais sa santé, de tout temps délicate, s’était altérée avant l’âge, et son père eut la douleur de le voir mourir avant lui, à peine âgé de trente-six ans (1768).
C’est alors que dans un village de la vallée de la Meuse, aux confins de la Lorraine, vallée qui venait elle-même d’être envahie par des bandes et d’avoir sa part de douleurs communes, une jeune fille, née d’honnêtes laboureurs, simple, pieuse, régulière, crut entendre une voix.
Les connaisseurs pourtant ont retenu et me signalent du doigt dans ces volumes un vrai bijou, la vie et la mort de Mayeux, le fameux Mayeux (le type grotesque de notre versatilité politique), venu au monde à Paris le 14 juillet 1789, et qui s’est successivement appelé Messidor-Napoléon-Louis-Charles-Philippe Mayeux, selon les noms des divers régimes qu’il a, tour à tour, épousés ou répudiés, Mayeux un moment porté sur le pavois après 1830, et qui meurt, vers 1833, de douleur et de honte d’avoir été renvoyé des rangs de la Garde nationale et rayé des contrôles comme coupable de faire rire.
La Restauration s’était établie en 1814, et, quels que fussent les regrets légitimes et les douleurs brûlantes de ceux qui soutiraient des revers de nos armes et de l’envahissement de la patrie, on ne peut nier que les choses en étaient venues au point que la Restauration, sans être désirée ni prévue de la France, fut acceptée d’un grand nombre, à cette première heure de 1814, comme un soulagement, il ne s’agissait, pour la faire vivre, que de la bien engager dans sa voie et de la bien diriger.
Saint-Évremond ne croit en rien à l’avenir, et toutes ses espérances, comme tous ses bonheurs, se terminent pour lui au moment prochain ou présent : « Je n’ai pas en vue la réputation, dit-il… je regarde une chose plus essentielle, c’est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire après la mort… Il n’y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi… Vivez ; la vie est bonne quand elle est sans douleur. » Lui, qui a si bien pénétré le génie des Romains, voilà pourtant ce qui lui a manqué peut-être pour être leur peintre durable et définitif ; il a laissé cet honneur à Montesquieu.
Il y montre le bien l’emportant généralement sur le mal, et le plaisir sur la douleur, dans la nature physique de chaque être sentant.
Le fameux vers que la reine Jeanne dit au roi pour infirmer la gravité des aveux arrachés aux Templiers : La torture interroge, et la douleur répond ; ce vers était venu à Raynouard à l’occasion d’une suppression exigée par la censure.
qu’il te sera doux, aux jeux de Melpomène, De voir Aménaïde en pleurs Intéresser à ses douleurs Les larmes de ta jeune reine !
Le plaisir que j’en ai éprouvé, je ne puis vous l’exprimer, mais je puis vous peindre la douleur et l’affliction que j’ai ressentie en me reportant au temps présent, et voyant disparaître cette atmosphère lumineuse qui un moment avait apparu à mes yeux et venait de s’évanouir comme un songe.
Montesquieu, aux abords de sa publication, nous paraît, par sa correspondance, dans toute la douleur et la fatigue extrême de l’enfantement.
En qualité de solitaire, nous confesse Rousseau, je suis plus sensible qu’un autre ; si j’ai quelque tort avec un ami qui vive dans le monde, il y songe un moment, et mille distractions le lui font oublier le reste de la journée ; mais rien ne me distrait sur les siens ; privé du sommeil, je m’en occupe durant la nuit entière ; seul à la promenade, je m’en occupe depuis que le soleil se lève jusqu’à ce qu’il se couche : mon cœur n’a pas un instant de relâche, et les duretés d’un ami me donnent dans un seul jour des années de douleurs.
Ma douleur n’est qu’une émotion passagère, dont j’ai presque perdu le souvenir à l’aspect du bonheur des deux amants.
Il est comme l’acteur de profession, chez qui tout geste et toute parole perd son caractère spontané pour devenir une mimique ; c’est Talma cherchant à tirer parti même du cri de douleur sincère qui lui est échappé à la mort de son fils, et s’écoutant sangloter.
Il n’y a pas d’analyste plus profond des ravages et des périls de l’amour que l’auteur de Fumée et Eaux printanières ; il n’y eu a pas qui sache mieux toutes les nuances de dégradation par où passent les âmes faibles, intelligentes et lasses de ces infamies de la vie spirituelle, les ratés ; ses âmes féminines, avec leurs bontés d’enfants et leurs vues de captives, leurs variations, leurs perfidies, leurs candeurs et leurs infinies douleurs, sont pénétrées et décrites par Tourguénef avec un charme, une intimité qu’on ne se lasse ni de goûter ni d’admirer.
Tous les esclavages, tous les accablements, toutes les douleurs, toutes les infortunes, toutes les détresses, toutes les faims et toutes les soifs, ont droit au poëte ; il a un créancier, le genre humain.
Le ton de zéle doit dominer dans le Sermon, le ton de l’admiration dans le Panégyrique & le ton de la douleur dans l’Oraison funèbre.
Il est monté jusqu’à ce crime pour le raconter, et ce qui fait la beauté de son Mémoire, c’est le sentiment de cette angoisse respectueuse qui s’y déchire, c’est le prosternement de l’homme qu’il admire et que le crime de celui qui admire humilie plus bas que la poussière, et qui se débat éloquemment dans cette poussière ; c’est la douleur enfin d’un royalisme qui voit dans le Roi la Monarchie, et la Monarchie périr par le Roi !
Heureuse chance déjà, car la douleur apprend aux hommes bien autre chose que la pitié.
Et je veux vous le dire aussi, le Dieu infiniment puissant et miséricordieux, dans lequel nous croyons tous, quoique différents de religion, dans lequel votre fils croyait (il me l’a dit), a pris auprès de lui, je l’espère, l’âme droite et loyale, qui s’est sacrifiée pour le devoir, et il l’a prise pour l’immortalité… J’ai prié du fond de mon cœur hier, aujourd’hui, ce Dieu de miséricorde, de recevoir votre fils auprès de lui, et de vous réunir à lui, quand le temps sera venu pour une réunion éternelle et heureuse… Puisse cette parole d’un ministre de Dieu, non pas calmer votre douleur, mais vous apporter l’espérance, soutenir votre courage, vous aider à supporter le sacrifice.
Le rire et la douleur s’expriment par les organes où résident le commandement et la science du bien ou du mal : les yeux et la bouche.
Lorsque Gambetta nous recommandait le silence, il croyait que ce silence ne serait que la pudeur d’une douleur muette et inapaisée. […] Veuillez écouter, messieurs : Nous voyions avec douleur le drapeau français flotter sur cette merveilleuse cathédrale de Strasbourg, chef-d’œuvre de l’architecture allemande. […] Il confie ses secrètes douleurs à son oncle, le patriote Ulrich Biehler. […] La pauvre petite Frisson-de-Bambou nous est révélée par une sœur lointaine qui compatit aux douleurs de son corps fragile et aux peines de sa petite âme fantasque et effarée. […] Mais il y a des réalités qui associent, à travers les océans, toutes les portions de l’humanité vivante : ce sont les larmes des femmes, la plainte ingénue des enfants, toute la douleur éparse, à travers l’infini, dans l’innombrable diversité des cœurs unis par la souffrance.
Il s’imagine que, dans la nature et dans le monde, tout n’existe que pour lui faire cortège ; les vents n’ont un murmure et l’océan n’a une voix que pour orchestrer sa douleur ; les forêts n’ont de verdure et les matins n’ont de clartés que pour encadrer sa joie ; les hommes eux-mêmes ne vivent, ne sentent, ne souffrent que pour offrir à ses propres sentiments des termes de comparaison : et c’est cela qui fait l’ampleur et la variété de sa poésie. […] Puis l’ébranlement causé chez Victor Hugo par ce qui fut la grande douleur de sa vie, la fin tragique de sa fille Léopoldine, l’incline par une pente qui n’est que trop naturelle aux rêveries sur la mort. […] Musset n’a jamais rien su que l’amour ; mais de cet amour, joie et tourment de nos cœurs, charme et supplice de notre vie, il a su de bonne heure la double nature : Amour, fléau du monde, exécrable folie, Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie, Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur ! […] Une idée s’empare fortement de notre esprit, descend dans la sensibilité, s’y imprègne d’émotion, devient le principe de conduite au service duquel nous mettons notre puissance de supporter la douleur, de braver l’insulte, d’affronter le danger. […] La douleur de l’affront peut disparaître dans les satisfactions du cabotinage.
La pauvre fille, accoutumée à fléchir, même sous ses nièces, se laissait dévaliser et gouverner sans mot dire ; et je voyais avec douleur qu’épuisant ma bourse et mes leçons, je ne faisais rien pour elle dont elle pût profiter. […] Elle n’a que la douleur sourde et légère qui, depuis quelques années, ne me quitte point dans cette région. […] Le plaisir de vous lire ne nuira point à celui de vous entendre ; et vous aurez longtemps la douleur de voir le Devin du Village détruire tout le bien que vos écrits contre la comédie auraient pu nous faire. […] Je n’aurai pas la douleur que vous me deviez un refus. […] Beauté, charme, attrait, sympathie, être ou chimère inconcevable, abîme de douleurs et de voluptés !
III Il semble qu’une âme si violente, si enthousiaste et si sauvage, si abandonnée aux folies de l’imagination, si dépourvue de goût, d’ordre et de mesure, ne soit capable que de divaguer et de s’user en hallucinations pleines de douleur et de danger. […] Il y a un état extraordinaire de l’âme par lequel elle sort de l’égoïsme, renonce au plaisir, ne se soucie plus d’elle-même, adore la douleur, comprend la sainteté1438. […] Il les choque encore bien mieux quand il entre dans le dogme ; il considère le christianisme comme un mythe, dont l’essence est « l’adoration de la douleur.
Ce fut de là qu’elle partit pour vivre la sienne avec héroïsme et avec certitude, car elle savait déjà qu’il n’y a pas d’ivresses sans lendemains, de joie sans douleur, de gloire sans amertume, que toute flamme se résout en cendre et que tout ce que nous sommes est fait déjà d’un peu de mort. […] La voix éloquente a cessé son hymne d’amour à la vie, à la beauté, à la douleur. […] Il savait comment les gens d’alors vivaient, comment ils agissaient, dormaient, mangeaient, tuaient, aimaient, mouraient ; leurs attitudes dans la douleur et dans la joie, dans la débauche ou la prière.
Le premier président de Mesmes ouvre la séance par un compliment au duc de Berry, qui oublie la réponse qu’il devait faire et qui reste court après avoir répété plusieurs fois : « Monsieur… Monsieur… » De là, à son retour à Versailles, une amère douleur du jeune prince qui s’en prend au duc de Beauvilliers, son gouverneur, et au roi, et qui accuse l’éducation qu’on lui a donnée : Ils n’ont songé, s’écrie-t-il, qu’à m’abêtir et à étouffer tout ce que je pouvais être.
Quelques heures après, Marianne, retournée chez sa marchande lingère et obsédée par M. de Climal, a la douleur de voir entrer Valville, qui trouve à son tour son oncle presque dans la même posture auprès d’elle, c’est-à-dire à ses pieds.
Les hommes de désir, en ceci, me paraissent prendre leur parti des douleurs publiques un peu trop commodément.
— La douleur, dans l’homme et hors de l’homme, lui paraissait le cri universel, et il eût dit volontiers avec l’Apôtre : « Toutes les créatures soupirent et sont comme dans le travail de l’enfantement, attendant avec grand désir la manifestation des enfants de Dieu. » Il se rapprochait et se séparait de Rousseau par bien des points.
Tout l’honneur de l’avoir conjuré revient à Villars, à sa fermeté, à son choix d’un bon poste, à sa sagesse à s’y maintenir, à l’esprit excellent dont il avait animé ses troupes, et qui fit perdre à l’adversaire l’idée qu’on les pût entamer. « Mes affaires, par le parti que vous avez obligé le duc de Marlborough de prendre, lui écrivait Louis XIV satisfait, sont au meilleur état que je les pouvais désirer ; il ne faut songer qu’à les maintenir jusqu’à la fin de la campagne ; si elle était heureuse, je pourrais disposer les choses de manière à la finir par quelque entreprise considérable. » Marlborough, en s’éloignant, crut devoir s’excuser auprès de Villars même (une bien haute marque d’estime) de n’avoir pas plus fait ; il lui fit dire, par un trompette français qui s’en revenait au camp, qu’il le priait de croire que ce n’était pas sa faute s’il ne l’avait pas attaqué ; qu’il se retirait plein de douleur de n’avoir pu se mesurer avec lui, et que c’était le prince de Bade qui lui avait manqué de parole.
Ses amis ressentent une douleur profonde de le voir à la veille d’être entièrement aveugle ; sa vue, qui s’éteint par degrés insensibles, le rappelle sans cesse à sa prochaine infortune et le sollicite au découragement ; tandis que nous travaillons à le consoler et à le distraire de ce triste objet, il s’imprime dans Paris des livres cruels où l’on insulte lâchement à son malheur.
Ses années de direction à Rome (1828-1835) forment une époque unique dans sa vie : une fille belle et adorée qui était sa gloire, et dont il a consacré l’image en maint endroit, faisait avec sa mère les honneurs de la Villa Médicis ; devenue Mme Paul Delaroche et morte à la fleur de l’âge, elle devait lui apprendre ce que c’est que la première grande douleur.
Lorsque cette dernière dut le quitter pour aller à Lisbonne épouser le prince de Portugal, don Carlos éprouva une vive douleur : « Que va devenir l’enfant, s’écriait-il avec sanglots et en s’attendrissant sur lui-même, seul ici, sans père ni mère, l’aïeul étant en Allemagne et mon père à Monzon !
En mourant, il a échappé au sentiment prolongé des malheurs publics et aux douleurs patriotiques qu’il ressentait si vivement déjà ; il n’a pas moins échappé à la persécution individuelle, à la proscription par catégorie qui l’aurait immanquablement atteint sous les Bourbons, à des tentations peut-être aussi de fautes ou de faiblesses en 1815, avant et depuis.
Tout le monde sortit avec une espèce de douleur, car cela avait l’air d’un sacrifice, et elle a trouvé le moyen d’intéresser tout le monde pour elle.
Un décret de l’Empereur, du 4 janvier 18il, assignait une pension de 6,000 francs à Mlle la baronne veuve Franceschi, « en considération des services distingués de son mari. » Elle ne lui survécut que de seize mois à peine et succomba à sa douleur.
Le procès du roi lui rend l’énergie de la douleur.
Les Pensées de Pascal, qu’il lut beaucoup à cette heure de crise et sous l’interprétation de cette grande douleur, lui furent (comme j’espère que, pour qui les lira de même, elles n’ont pas cessé de l’être) salutaires et fortifiantes.
Pour un public léger, égoïste, il ne fallait pas trop de sérieux ni de douleurs : railler et rire, c’était le mieux.
La douleur qui nous vient du sacrifice accompli porte d’ailleurs avec soi sa consolation.
Molière reprend et calme la douleur qu’il a fait naître en faisant attester au brave milicien son inaltérable fidélité, et en lui faisant annoncer qu’il presse de tous ses vœux le jour de leur mariage.
Dans la passion qui est dans la galerie de Florence, il a peint la Vierge debout qui regarde son fils crucifié sans douleur, sans pitié, sans regret, sans larmes.
Poète débutant, il avait manqué une des couronnes de l’Académie ; pauvre, les gens de lettres en renom l’avaient rebuté : Insensé, jusqu’ici croyant que la science Donnait à l’homme un cœur compatissant, Je courus à vos pieds plongé dans l’indigence ; Vous vîtes mes douleurs et mon besoin pressant.
Déchaînés aussi, mais liturgiques, sur les dômes et par les vals, que le tympanon et la saquebute ; que les cymbales clair-sonnantes et les harpes funéraires ; que le psaltérion décacorde ; que la viole d’amour et les orgues de douleur ; que les flûtes onaniaques des ithyphalliques adônies ; que les trompettes écarlates, les buccins de pourpre et de sinople, les tubas ; que les clairons vermeils ; que les hautbois agrigentins ; que le tambour des Mimallonnes où s’effare l’Evohé ; que le cri des Thyades et le rugissement des panthères ; que la fureur des Béhémoth et le souffle du Léviathan ; que l’onagre et l’étalon gorgé de chair humaine ; que la licorne et l’unicorne ; que l’hircocerf et le caprimulge ; que le guivre et l’alérion ; que l’âne priapique aux dons joyeux, vocifèrent la louange de ce poète bien venu… » Ce faire-part de naissance continuait longtemps sur ce ton et le Timbalier ne manquait pas d’ajouter : « Par un jeu coutumier à la professionnelle modestie, l’Auteur, exposa naguère, sous des noms aimés, ses poèmes, aveuglants joyaux, curieux de savoir, peut-être, ce que la vitre du pseudonyme interposée entre son œuvre et lui absorbait de rayons.
Même en fureur ou au désespoir, il est contenu, réservé ; sa douleur sera bienséante, sa colère gardera une noblesse décente.
D’une part, la réserve que chacun s’impose empêche le poète d’épancher ses joies et ses douleurs en effusions sincères.
Une ivresse de douleur et de colère lui a monté au cerveau ; elle a voulu mériter la trahison de son amant par une souillure volontaire ; elle s’est fait une joie poignante de profaner sa nuit nuptiale.
On se dit « qu’une grande âme doit contenir plus de douleurs qu’une petite » ; et on ajoute tout bas qu’on pourrait bien être cette grande âme.
Choisy dut s’en excuser auprès du roi, qui lui dit pour toute parole : Cela suffit, et qui lui tourna brusquement le dos : « Je crus qu’il fallait laisser passer l’orage, ajoute le pauvre mortifié, et je m’en allai à Paris m’enfermer dans mon séminaire, où une demi-heure d’oraison devant le Saint-Sacrement me fit bientôt oublier tout ce qui venait de m’arriver. » Il ne fallait pas moins que cette oraison devant le Saint-Sacrement pour soulager l’abbé courtisan de la douleur d’avoir pu déplaire un instant à son maître, — à son autre maître.
L’état où je vis ici, en attendant les nouvelles (écrivait-il en octobre 1809) pourrait s’appeler travail, comme les douleurs d’une femme.
Ce livre heureux, qui contient l’histoire de l’enfance, de la famille, des premières études et même des premières amours, se termine par la brusque nouvelle de la mort du père, c’est-à-dire par la première grande douleur qui initie au sérieux de la vie.
Étonnée de l’attitude de cette douleur profonde, elle en demande la cause ; c’est à travers mille sanglots que le saint homme lui dit : « Madame, comment n’aurais-je pas le cœur brisé ?
Mais, dans un article sur les obsèques de Sautelet (16 mai), Carrel lui-même ne disait-il pas, en voulant expliquer l’âme douloureuse de son ami : La génération à laquelle appartenait notre malheureux ami n’a point connu les douleurs ni l’éclat des grandes convulsions politiques… Mais, à la suite de ces orages qui ne peuvent se rencontrer que de loin à loin, notre génération a été, plus qu’une autre, en butte aux difficultés de la vie individuelle, aux troubles et aux catastrophes domestiques… Et pourquoi, s’il en était ainsi de cette génération, pourquoi interdire à la sensibilité particulière et sincère son expression la plus naturelle et la plus innocente qui est la poésie lyrique, consolation et charme de celui qui souffre et qui chante, et qui ne se tue pas ?
qui ne jetterait un cri de douleur en la voyant ainsi dépouillée de grâces, de vertus, et même de ces nobles traits de la physionomie qui semblaient héréditaires !
Hennin le 7 février 1781 ces paroles qui sont comme un chant ; il y a au fond de Bernardin une âme pastorale qui, du milieu de ses douleurs, s’éveille au moindre motif et se met à chanter : J’irai, dit-il, vous voir à la première violette ; j’aurai bien près de cinq lieues à aller, j’irai gaiement, et je compte vous faire une telle description de mon séjour, que je vous ferai naître l’envie de m’y venir voir et d’y prendre une collation.
Jamais, avec lui, un grand mot de Job ne vient traverser l’âme humaine et faire parler ses douleurs ; jamais l’aigle du prophète ne s’élève à l’horizon et ne plane sur les ruines.
Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur, et l’on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la présence des grands, et de tous ceux que l’on respecte : Est-ce une peine que l’on sent à laisser voir que l’on est tendre, et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujet faux, et dont il semble que l’on soit la dupe ?
Du moins si les sons par lesquels les hommes marquent leur surprise, leur joïe, leur douleur et leurs autres passions ne sont pas entierement les mêmes dans tous les païs, ils y sont si semblables que tous les peuples les entendent.
Mais passons un moment du sacré au profane, et donnons encore un exemple des avantages de la simplicité d’expression, pour rendre avec autant de vérité que d’énergie les idées nobles ou pathétiques ; rappelons-nous de quelle manière Virgile dépeint Orphée, seul avec sa douleur sur le rivage de la mer, pleurant sa chère Euridice depuis la naissance jusqu’au déclin du jour.
pour Chasles et les libres-penseurs, qu’il mécontentera avec son livre, il valait mieux cent fois laisser tranquille la grosse chose connue, le mélodrame du cachot, la bourde séculaire, avalée et ravalée à chaque génération sans aucune douleur.
Sainte-Beuve, bravant le dégoût, et réel, comme depuis ne l’ont pas plus été les réalistes, nous la représentait ainsi : … Quand seule, au bois, votre douleur chemine, Avez-vous vu, là-bas, dans un fond, la chaumine Sous l’arbre mort ?
Il faut au prêtre une dose peu commune d’orgueilleuse illusion et de fière ignorance pour s’estimer capable, lui, pauvre être malade et inquiet, de dominer la vie et les vivants, dont les douleurs et les joies lui demeurent inconnues.
Ces invocations, ces prières, ces spectacles pathétiques présentés par un homme éloquent, et soutenus de l’accent de la douleur et de la pitié, faisaient la plus forte impression sur un peuple sensible.
le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards. […] Si j’avais la folie d’espérer une longue existence, j’oserais me flatter de concilier un jour la Douleur et l’Art. […] Mais que je retourne à ma douleur ! […] On fit briller les lumières dans la salle à manger, et la faim humilia nos douleurs morales. […] Ô douleur !
Mais nous sommes au temps et au pays d’Hildegarde, de Mechtilde et d’une autre Christine, aussi énervée, aussi languissante d’amour et de douleur ; et nous sommes au pays de Catherine Emerich, la créature miraculeuse. […] -D. des Sept Douleurs ; Jupiter Ammon, dans le Moyse cornu. […] Par les actes d’amour et de pitié qui souvent se confondent (surtout chez les femmes, et c’est un socle où elles haussent délicieusement), l’homme conquiert la sensation de se grandir et même de devenir unique ; créateurs d’allégresses vraiment divines, ces actes ont les mêmes effets que la douleur : ils différencient puissamment celui qui les accomplit avec pureté ; ils le dressent sur la colonne du Stylite d’où les cailloux du désert ne sont que des grains de sable, d’où le sable se ride et rit avec des fraîcheurs d’eau. […] En tel état physiologique ou psychique, la douleur n’est pas perçue ; dans le sommeil, l’extase, etc., le monde extérieur est nié. […] Pour cela, il est châtié éternellement, car il a voulu nier, par orgueil, les conditions même, de la vie de relation, telles qu’elles nous sont imposées ; il avait obéi aux propres suggestions de ses enfants, de ses pensées, de son égoïsme, et l’égoïsme eut plus de puissance que l’amour, — « et la faim eut plus de puissance que la douleur.
Pour nous borner à cette psychologie du teneur de journal intime qui fait la matière de ces réflexions, ce « moi » raconté par lui-même cesse d’être haïssable quand ces aveux, faits la plume à la main, sont arrachés à une douleur qui se soulage de la sorte, à une anxiété qui ne sait comment se tromper elle-même, et nous avons le Journal intime de Benjamin Constant, Mon cœur mis à nu de Baudelaire, le Brulard de Stendhal, les Memoranda de Byron, conservés par Moore. […] Ce fut dans notre monde civilisé une stupeur et une douleur. […] Je vois d’ici son noble visage convulsé de douleur si Eckermann fût entré dans son jardin de Weimar pour lui dire : « La cathédrale de Reims vient d’être bombardée. » Il n’en est pas moins vrai qu’il entre beaucoup de sa pensée dans l’erreur allemande dont ce bombardement et les autres abominations de cette guerre sont le résultat. […] Charles éprouvait un hautain et triste soulagement à ses douleurs de patriote, en opposant Kant à M. de Bismarck, et à l’Allemagne d’aujourd’hui une Allemagne de jadis, toute imaginaire. […] Vertus d’intelligence : le penser médical n’est ni le penser mathématique, ni le penser poétique. — Vertus de caractère : le médecin n’est-il pas l’altruiste par excellence, le secours prêt à se dresser au chevet de tous les lits de douleur ?
Albine, désespérée, meurt de douleur et d’amour sous la caresse mortelle des fleurs qu’elle a tant aimées. […] Flaubert nous peint en quelques lignes la douleur de la pauvre tante, mais pourquoi faut-il que le paysage où s’encadre le désespoir de Félicité nous soit si familier ? […] Cependant la petite Virginie disparaît à son tour, emportée par une fluxion de poitrine, et, dans la maison vide d’enfants, il ne reste plus que la servante et la maîtresse unies d’une même douleur. […] Leurs yeux se fixèrent l’une sur l’autre et s’emplirent de larmes ; enfin la maîtresse ouvrit les bras, la servante s’y jeta, et elles s’étreignirent, satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait. » Hélas ! […] « N’appartenons-nous pas, — dit le sentimental M. de Vandenesse à la non moins sentimentale madame de Mortsauf, — n’appartenons-nous pas au petit nombre de créatures privilégiées pour la douleur ou pour le plaisir, de qui les qualités sensibles vibrent toutes à l’unisson en produisant de grands retentissements intérieurs, et dont la nature nerveuse est en harmonie constante avec le principe des choses ?
D’autres ont traité la question avec plus d’ampleur, en la ramenant aux vastes problèmes du mal, de la douleur et de la mort ; — du péché, a même dit quelqu’un, et l’on s’est étonné, et l’on n’a pas compris ce qu’il y avait de neuf et de profond dans l’emploi scientifique de ce mot. […] Il y a plus de magnificence dans l’imagination de cet auteur anonyme, le peuple, et dans son humble cœur plus de poésie, parce qu’il y a plus de foi, de simplicité et de douleur. […] J’eusse voulu les citer en entier ; elles sont intraduisibles ; chaque mot éveille et déroule une vision de mœurs trop lointaines ou une douleur d’esclave ; grâce à Dieu, nous ne connaissons pas celles-là. […] » — Bazarof s’indigne contre ce sentiment, qui n’est réductible à aucune de ses deux méthodes, l’explication critique ou la négation ; puis, vaincu par la douleur, il procède à la manière du loup qui convoite une proie, il s’éloigne avec défiance, se rapproche, se hérisse, taciturne et ardent : dans ce manège, il laisse échapper les moments favorables dont un autre eût profité avec succès, et soudain, mal à propos, il s’élance d’un bond bestial sur sa proie ; la coquette lui échappe, il s’en retourne la tête basse, dévorant son orgueil meurtri, il va se ronger en silence dans la solitude. […] Ce sont des esquisses faites parfois avec un rien, un trait de mœurs paysannes, un souvenir fugitif, une vision intérieure ; l’artiste délicat excellait à ces demi-teintes, à ces touches sobres qui indiquent sans appuyer une figure, une douleur, un frisson du cœur.
Il est chrétien, ou quasi chrétien, lorsqu’il exige que l’on trouve un sens à la douleur et à la mort. […] Mais la douleur a fini son œuvre. […] De même la paix intérieure, qui semble un demi-sommeil et presque une image de la mort, est alternativement convoitée ou maudite et déclarée pire que les pires douleurs. […] Mauriac ajoute : « Quelle douleur, pour Jean-Paul, d’évoquer, parmi les obscènes frénésies d’un orchestre tzigane, le large apaisement de la Sonate au clair de lune ! » Cette grande douleur ne nous bouleverse point, et nous connaissons des infortunes plus tragiques.
Cette douleur de vivre, qui tire ses raisons du labeur littéraire, Flaubert nous a rendus familiers avec elle. […] « Il a eu la douleur, dit M. […] Un tel idéalisme, combinaison de nature et d’artifice, donne-t-il au compte final de l’existence un surplus de douleur ou de joie ? […] Il enlève d’ailleurs aux termes de douleur et de joie une part de leur sens habituel. […] Mais, peut-être, verse-t-il le calme à l’agitation des douleurs ordinaires, — révèle-t-il, dans les joies coutumières, une épave seulement, un héritage vide de rêve brisé, La chambre ancienne de l’hoir De maint riche, mais chu trophée.
C’est ainsi que, André ayant au moment de son mariage une liaison avec une provinciale sentimentale et écriveuse, le père s’est chargé de la rompre doucement, sans scandale et sans douleur. […] Ces deux effets alternatifs, l’un angoissant, l’autre déprimant, m’épuisent enfin soit par leur prolongement et leur excès, soit par l’implacable monotonie du passage de l’un à l’autre… Il y a, je crois, tels mouvements d’âme forcenés, soit dans le crime, soit dans la douleur, — folie du meurtre ou folie du remords, — dont la peinture a besoin, pour ne pas nous faire mal et ne pas nous serrer d’une angoisse toute physique et étrangère à l’art, d’un recul de légende ou d’histoire, de la convention des beaux vers et des décors, et des costumes qui nous dépaysent. […] C’est le palais du souvenir ; et, si le souvenir des douleurs nous meurtrit, le souvenir des joies nous crucifie. […] Elle a vu dans les romans qu’il est tout à fait convenable et « distingué » qu’une honnête femme qui a un amant se refuse à son mari… Il l’interroge avec une insistance inquiète… Elle se confesse, les dents serrées, les doigts tordus et en martelant les mots, comme il sied… Le pauvre homme rugit de douleur et de colère. […] Elle lui conte, en effet, les soucis diplomatiques dont son père a été accablé dans les derniers mois de sa vie ; que Missen lui vint alors en aide ; qu’ils eurent, la nuit, plusieurs conférences secrètes, auxquelles Régine assistait, et que c’est pour cela qu’elle traite aujourd’hui le baron avec tant d’amitié… Concevez-vous la douleur et le désespoir de Nohan ?
Et la petite vieille : « Oui. » Il en est de tragiques, comme ce Arturo Graf, qui, fils d’une mère italienne et d’un père allemand, réunit en lui les tendances philosophiques, la mélancolie infinie et la sensibilité frémissante et frissonnante, homme merveilleusement doué pour sentir douleur, merveilleusement doué pour la transformer en pensée, et partant pour rendre la douleur Plus douloureuse. […] J’expie, de mes larmes présentes, j’expierai, des douleurs qui m’attendent, la peine dont je vous afflige. […] N’est-ce pas assez de douleur ? […] « N’avez-vous donc jamais été au fond de tout, dit Mme de Staël, c’est-à-dire jusqu’à la douleur ? […] d’un père ou d’une mère, une de ces douleurs profondes, incurables, qui bouleversent l’existence, brisent jusqu’aux forces du corps et font descendre au sépulcre avant le temps ?
En 1599, Malherbe adressait à Du Périer ces Stances célèbres de consolation : Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle, etc. […] …………………………………………………… Dieu, qui de ceux qu’il aime est la garde éternelle, Me témoignant contre eux sa bonté paternelle, A, selon mes souhaits, terminé mes douleurs : Il a rompu leur piège ; et, de quelque artifice Qu’ait usé leur malice, Ses mains, qui peuvent tout, m’ont dégagé des leurs.
Ces détails minuscules nous ouvrent pourtant des perspectives immenses sur l’intensité de douleur que peut éprouver une âme humaine. […] … » « Froide et fixe, la Niobé se redresse, sans espérance, et les yeux fixés au ciel, les flèches inévitables, et l’implacable sérénité des dieux… » Pour Taine, la « raison et la santé sont des accidents heureux » ; « le meilleur fruit de la science est la résignation froide, qui, pacifiant et préparant l’âme, réduit la souffrance à la douleur du corps… » … Après avoir montré que l’imperfection humaine est dans l’ordre, comme l’irrégularité foncière des facettes dans un cristal.
John Milton n’est point une de ces âmes fiévreuses, impuissantes contre elles-mêmes, que la verve saisit par secousses, que la sensibilité maladive précipite incessamment au fond de la douleur ou de la joie, que leur flexibilité prépare à représenter la diversité des caractères, que leur tumulte condamne à peindre le délire et les contrariétés des passions. […] De loin en loin un sonnet patriotique ou religieux vient rompre ce long silence ; tantôt pour louer les chefs puritains, Cromwell, Vane, Fairfax, tantôt pour honorer la mort d’une pieuse amie, ou la vie « d’une vertueuse jeune dame » ; une fois pour demander à Dieu « la vengeance de ses saints égorgés », des malheureux protestants du Piémont, « dont les os gisent épars sur les froids versants des Alpes » ; une autre fois sur sa seconde femme, morte au bout d’un an de mariage, « sa sainte » bien-aimée, qui lui est apparue en songe « comme Alceste ramenée du tombeau, avec un long vêtement blanc, pur comme son âme » : loyales amitiés, douleurs acceptées ou domptées, aspirations généreuses ou stoïques, que les revers ne firent qu’épurer. […] Cet héroïsme sombre, cette dure obstination, cette poignante ironie, ces bras orgueilleux et roidis qui serrent la douleur comme une maîtresse, cette concentration du courage invaincu qui, replié en lui-même, trouve tout en lui-même, cette puissance de passion et cet empire sur la passion530 sont des traits propres du caractère anglais comme de la littérature anglaise, et vous les retrouverez plus tard dans le Lara et dans le Conrad de lord Byron.
Homere de son côté, content d’exciter à souhait cette sorte de surprise, en a négligé une autre qui demanderoit beaucoup plus d’adresse, mais qui me paroit aussi bien plus importante : c’est de préparer les événemens, sans les faire prévoir ; de maniere que quand ils arrivent, on en soit surpris sans en être choqué, et que l’on sente, selon la nature de l’événement, une joye ou une douleur vive que la prévoyance n’ait point émoussée. […] Des dieux sujets aux infirmités et à la douleur, qui blessés quelquefois par des hommes mêmes, jettent des cris, versent des larmes, tombent dans des défaillances, et qui, pour dire encore plus, ont des medecins ? […] Tantôt il l’imagine nécessaire et immuable, puisque toute la supériorité de Jupiter ne va qu’à prévoir avec douleur des événemens qu’il ne peut empêcher : tantôt il l’imagine variable et dépendante ; puisqu’il avance en plusieurs rencontres, que l’ordre du destin couroit risque alors de demeurer sans exécution, ce qui étoit arrivé quelquefois, comme il lui échappe de le dire positivement.
Elle porte en elle une si grande douleur stupéfiée, que je m’approche d’elle, et lui parle. […] C’est ainsi que, dans cette séance, à la nouvelle que nous avions 123 000 prisonniers en Allemagne, un cri parti de toutes les poitrines s’est brisé dans un murmure de douleur, au milieu duquel toute la salle s’est regardée d’un regard indicible. […] Sur les visages, on sent la douleur de la capitulation de Bazaine, une espèce de fureur de l’échec d’hier au Bourget, en même temps qu’une volonté colère et héroïquement irréfléchie de ne pas faire la paix. […] La douleur que j’en ressentais me réveillait.
Que deviendraient la vertu, l’héroïsme, si l’on supprimait la douleur ? […] Il a tout tiré de sa douleur, même son génie. » Cette variété de l’optimisme, qui a une ressemblance fraternelle avec le pessimisme, est-elle parfaitement neuve ? […] Et, en effet, n’est-ce pas Musset qui a dit : L’homme est un apprenti : la douleur est son maître. […] France, qui est entré comme chez lui dans la pensée de son devancier, en quoi un éclair de plaisir est moins vrai qu’un élancement de douleur. […] « Une femme voilée, écrit-il, est en chemin depuis la naissance du monde : elle se nomme la Mélancolie. » Cette forme mystérieuse et indécise se montre souvent en compagnie du critique ; mais c’est une compagne agréable qui lui enseigne l’art de jouir de la douleur.
Il n’avait fait rire… que les autres ; lui il avait pleuré tout ce que sa vie contenait de pleurs ; une vie pleine de chutes et de fautes, souillée par de flagrants désordres, livrée au hasard, usée par la maladie et par les fatigues surmenantes de deux professions toutes deux très pénibles, celles d’auteur et d’acteur, rongée et dévorée par tous les mauvais chiens qui peuvent mordre le cœur de l’homme, la colère, la luxure, la jalousie, l’amour impuissant à se faire partager, la douleur et la honte d’un mariage malheureux. […] Vous pouvez bien lire avec tout le soin que vous voudrez le rôle de Dom Carlos, qui court après Dom Juan pour le tuer, à la suite de cette affaire ; vous n’y trouverez pas un seul mot de sympathie pour la douleur de la malheureuse Elvire, de sa sœur ; Dom Carlos ne songe qu’à son honneur à lui, entamé par la conduite de sa sœur, et par l’abandon de Dom Juan. […] Ils ont vu, ces grands comiques, ils ont suivi, ils ont admiré avec une surprise pleine de douleur, de chagrin, de colère, de rage, les progrès irrésistibles de la corruption, le triomphe des pervers, dont ils se plaisent à nous montrer au théâtre la catastrophe finale, catastrophe bien longue à venir dans la vie réelle et qui ne vient pas toujours. […] J’ai signalé, comme je l’ai dû, en critique fidèle, leurs violences, leur âpreté, mais en vérité je les leur pardonne, parce que leur cœur est le premier à souffrir des blessures qu’ils font, et parce que sous la raillerie, même excessive, je retrouve l’accent de la douleur. […] Ta gloire, Alexandre, j’ai pleuré de douleur en songeant que je ne l’égalerais jamais ; tu as failli une fois me faire connaître l’envie ; — et quant à toi, Bonaparte, pour une seule de tes campagnes, je donnerais toute ma guerre des Gaules.
La douleur lui arrache des rugissements et des blasphèmes, pas un mot de repentir, pas un appel à la clémence. […] J’ai joui, bien des fois, des accents terribles, des déformations admirables, de la patine splendide que la douleur et la haine mettent sur le visage des pauvres gens… » Sébastien Roch est un artiste. […] Son œuvre singulière, un peu absurde et admirable, est un cri de douleur et, si l’on peut dire, un cri de douleur et d’art. […] Elle veut resplendir, Messie, pour le rachat de nos douleurs. […] Si l’on observe que Louis Pergaud prête à ses corbeaux des sentiments de deuil, un apprêt de cérémonie funèbre, une douleur de mort qu’il reprochait à La Fontaine d’attribuer aux fourmis, eh !
Il faut voir comme les époux se gourment entre eux lorsqu’ils ont la douleur d’être seuls. […] Nous sommes loin déjà du jour où le premier coup fut porté à l’édifice du passé ; alors, dans la douleur de la première surprise et du premier déchirement, l’âme humaine laissa échapper un concert mélancolique de plaintes et de sanglots, vraiment digne des ruines qu’elle célébrait et des combats qui se livraient en elle. […] Nous comprenons alors pourquoi le comte Kostia se plaît à imposer la douleur autour de lui. […] La discrétion aussi avec laquelle ils souffrent est faite pour toucher, car je ne sais pas de spectacle qui trouve plus directement le chemin du cœur que celui de larmes qui coulent en silence ou d’une douleur qui chuchote ses tortures à mi-voix au milieu des sanglots réprimés. […] C’est vraiment une cruelle histoire que celle de Mlle Guignon, cette personne destinée à toujours manquer son bonheur pour avoir été prématurément éprouvée par une douleur trop forte qui, en brisant en elle toute énergie de résistance, y a créé une lassitude sous laquelle elle se traîne, incapable d’autre chose que de se laisser faire par le sort.
. — Racine évoque devant nous un peuple d’âmes illustres et malheureuses, bouleversées, déchirées par la Passion, saignantes et plaintives et qui n’empruntent à leur noblesse qu’un surcroît de douleur : à suivre du regard ces ombres mélancoliques où se reflètent les pires moments de notre destinée, ces âmes nobles qu’une irrésistible et cruelle puissance victime et déprave, nous nous avouons que nous sommes bien faibles. — Molière nous tient, peu s’en faut, le même langage, mais il est plus impitoyable encore : il nous déclare que notre petitesse est risible, que notre faiblesse est honteuse. […] Voltaire est une contre-façon de la Joie, Rousseau une contre-façon de la Douleur. […] La Confession ne mire que la douleur et nous apparaît — point de vue que les admirateurs mêmes de Musset ont trop négligé — comme le chef-d’œuvre d’un aigu et dolent moraliste […] Elle meurt comme nous mourons, — à l’heure où nous n’avons plus en nous que la vie évanescente des sens, à l’heure où l’esprit s’est déjà voilé, où les yeux ne trahissent plus que la douleur animale, le désespoir physique de l’organisme qui s’agite pour retomber inerte, définitivement. […] Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le chœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs. » — À cette magnifique intuition d’œuvres où l’art se fonderait sur la métaphysique Nerval joint encore le sens des légendes et celui du vers vraiment moderne, bien plus agile que le vers de Vigny, bien moins lâche que le vers de Lamartine, poétique infiniment plus que le vers d’Hugo, — vrai vers de rêve dont Les Chimères donnent des exemples courts et rares, mais incontestables.
Une grande douleur des dernières années de Gui Patin, ce fut l’aventure fâcheuse et l’exil de son second fils Charles, de celui qu’il aimait le plus tendrement, et qui dut s’expatrier en 1668 sous le coup d’une accusation vague et grave.
Je serai plus circonspect à l’avenir, et je ressens une vive douleur de m’en être écarté… Quand on lit la suite de ses lettres, il semble toutefois que les bonnes raisons pour la conduite qu’il tint alors ne lui ont pas tout à fait manqué.
» Cependant, peu après, Boissonade avait reçu plus d’un avis qui lui avait mis, comme on dit, la puce à l’oreille : « Il me revient de plusieurs côtés », écrit-il à Wyttenbach, dans l’extrait rapporté par Mahne, « que vous songez à publier séparément, et dans un livre particulier, votre travail sur Eunape ; et, si je suis bien informé, ce livre contiendra beaucoup de choses qui me causeront une profonde douleur (multa erunt, quæ mihi non parum mœstitiæ afferent).
J’aurais cru manquer de goût et de mesure en me permettant la moindre allusion publique à un livre dont le personnage type n’est point suffisamment connu, et n’est pas apprécié comme il pourrait l’être ; mais il n’est aucun des lecteurs du roman auquel ne soit venu en idée, en m’entendant célébrer le bon curé de Laviron, cet autre curé, si touchant et si respectable, honneur et douleur de la famille des Courbezon ; et je suis bien sûr de ne point manquer au respect que j’ai pour mon sujet, en glissant ici cette note qui satisfera les littérateurs et que comprendront les moralistes.
Une lettre de Jomini, écrite sous le coup de cet affront, nous peindra mieux que tout l’exaltation de sa douleur et de son désespoir : « Liegnitz, le 24 juin 1813.)
Peu après il partit pour sa belle terre de Veretz en Touraine, et se mit à penser de plus en plus sérieusement à la perte irréparable : « La retraite, dit M. de Chateaubriand (d’après Dom Gervaise), ne fit qu’augmenter sa douleur : une noire mélancolie prit la place de sa gaieté ; les nuits lui étaient insupportables ; il passait les jours à courir dans les bois, le long des rivières, sur les bords des étangs, appelant par son nom celle qui ne pouvait lui répondre.
Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie.
quoique dans les douleurs, je t’ai senti et je suis soulagé. — Sachez que la déesse Diane est dans cette enceinte.
Cette pensée secrète qui le travaillait perce déjà dans la préface de Phèdre, et dut le soutenir, plus qu’on ne croit, dans l’analyse profonde qu’il fit de cette douleur vertueuse d’une âme qui maudit le mal et s’y livre.
Ce reliquat est l’homme en général, en d’autres termes « un être sensible et raisonnable, qui en cette qualité évite la douleur, cherche le plaisir », et partant aspire « au bonheur, c’est-à-dire à un état stable dans lequel on éprouve plus de plaisir que de peine427 », ou bien encore « c’est un être sensible, capable de former des raisonnements et d’acquérir des idées morales428 ».
J’ai la douleur, chaque année, de voir ce triste spectacle devant mes yeux, dans mes visites.
Voyez la fin de Christine : Monaldeschi a peur, peur de la mort, peur de la blessure, de la douleur, du sang qui coule, du fer froid qui entre dans la chair ; il a la fièvre, il tremble ; puis il est blessé, il se traîne saignant, il supplie, on l’achève.
Dès qu’on essaye de les « réaliser » sur la scène, de donner un corps à ces froides et éclatantes chimères, les drames de Hugo sonnent si faux que c’est une douleur de les entendre.
Voltaire a raison : « Les bons ouvrages sont ceux qui font le plus pleurer. » Mettons-y l’amendement de Chateaubriand : « Pourvu que ce soit d’admiration autant que de douleur. » C’est ainsi que René fait pleurer.
Mais une fois que Rousseau, dans l’Emile et dans ses Confessions, a su tantôt montrer l’épanouissement progressif de cette fleur délicate qui s’appelle un enfant, tantôt rajeunir ces souvenirs du premier âge qui gardent pour la plupart d’entre nous la fraîcheur d’une matinée de printemps, c’est à qui s’avisera de regarder et de saisir sur le vif les joies et les douleurs naïves, les drames, les méfaits, les prouesses, les mille et une expériences de la vie enfantine.
C’est parce que les idées de chandelle allumée, de doigt brûlé et de douleur se sont associées, que plus tard l’une rappelle l’autre108.
Quel fanatisme plus utile, que celui qui maintiendroit l’ordre, au milieu du désordre apparent, qui charmeroit les douleurs & les maux les plus pénibles à supporter ?
Mais sans doute Iphigénie, sa fille, viendra, comme il convient, au-devant de son père, avec un tendre baiser, sur la rive du Fleuve des douleurs, et elle le serrera dans ses bras. » Entre ces fureurs et ces ironies, un sombre enthousiasme saisit Clytemnestre ; elle se proclame surhumaine par l’excès même de son crime, irresponsable à force d’être atroce.
Les arts ressentirent avec douleur la perte de Mme de Pompadour, et consacrèrent sa mémoire ; ils avaient espéré un moment sa convalescence, et ils ne firent que se montrer reconnaissants.
À l’heure où elle parle, il est à son régiment, et il continue de montrer un portrait qu’il a d’elle et des lettres : Jugez de mon indignation et de ma douleur.
Ç’a été une douleur au cœur, et le sang si fort à la tête que je craignais à tout moment de tomber.
À propos de cette bluette, les journaux avaient plus parlé de lui qu’ils ne l’avaient fait au sujet de tous ses romans, et il nous disait que c’était trop bête de s’échigner à faire des livres dont on ne vous savait aucun gré, et qui ne vous rapportaient rien… et qu’il allait dorénavant faire du théâtre, et gagner de l’argent sans douleur.
Les grandes douleurs sont muettes, dit-on ; sans doute elles sont muettes même pour la conscience ; la parole intérieure ne fait que balbutier des monosyllabes incohérents258 ; ce qu’elle pourrait dire n’est pourtant pas absent de la conscience ; bien au contraire, la conscience en est saturée, opprimée ; mais l’âme ne peut analyser ce qu’elle éprouve ; revenue au calme, elle se comprendra elle-même en rattachant son état aux concepts généraux qui préexistaient en elle et aux mots consacrés pour les énoncer.
C’est une épopée encore, et l’une de celles qui seront éternellement populaires, celle de l’orpheline battue et déjà femme par la douleur.
La cour s’y dévoile avec un magique intérêt ; lisez: Les eunuques s’étant présentés au logis des ministres, comme venant de la part de Sa Majesté, les obligèrent de sortir de l’appartement de leurs femmes, et alors ils les informèrent également tous deux de la mort d’Abas II (A’bbâs), et leur en firent un rapport assez exact, qui était que le jour précédent, vers le soir, après que ces ministres se furent retirés, ce monarque avait mangé de bon appétit des confitures que ses femmes lui avaient apprêtées ; ensuite de quoi il avait paru se porter mieux qu’à l’ordinaire, jusque sur les neuf heures du soir, qu’il était tout à coup tombé en pâmoison ; qu’eux y étaient accourus, et l’avaient mis sur son lit ; qu’il était revenu à soi sur les onze heures, mais avec quelque altération de sa raison ; que sa douleur après cela s’était augmentée, et que deux remèdes réitérés qu’il avait pris par l’ordonnance des médecins ne l’avaient point soulagé ; que, vers les deux heures après minuit, la violence de son mal sembla s’être un peu apaisée, mais qu’elle l’avait ressaisi sur les trois heures et lui avait causé une frénésie demi-heure durant ; qu’une autre demi-heure il avait joui de quelque repos ; mais que, enfin, vers les quatre heures, ses yeux, par de tristes roulements, avaient fait connaître les approches de sa mort ; qu’en même temps, il avait rendu l’esprit sans autre agitation, et l’on peut dire sans s’être senti mourir. […] Ce premier ministre ayant prononcé ces paroles avec une grande démonstration de douleur, et avec un air plein de majesté, qu’à l’âge de soixante ans il a merveilleuse et insinuante, se tut, comme attendant que quelqu’un parlât et donnât son avis.
25 avril Une chose tristement apitoyante à voir : c’est ce Ponsard, travaillé par la souffrance, et se gracieusant et se forçant à sourire, en remuant sous la douleur lancinante qui le traverse, la jambe et le bout du pied, ainsi qu’un collégien qui demande à aller aux lieux. […] Je lui trouve une douleur endormie et qui paraît rêver. « Il me semble, dit-il, que ce n’est pas arrivé… Je ne puis parler de lui au passé. » Pierre me raconte qu’il est arrivé à quatre heures.
Je ne parle pas ici, ni pour le moment, du fond de l’article : je n’en retiens que la conclusion : « Nous voyons chaque jour comment l’application des doctrines scientifiques à l’industrie accroît continuellement la richesse et la prospérité des nations… L’application des mêmes doctrines diminue sans cesse les douleurs… et augmente la durée moyenne de la vie. […] C’est ce qui l’amène à formuler cette étrange définition : « Le mal… c’est la douleur des autres » !
Comme mon conducteur aurait joui de la violence de mon étonnement, sans la douleur d’un de ses yeux qui était resté rouge et larmoyant ! […] Nous aimons le plaisir en personne, et la douleur en peinture.
Cri de douleur qui s’apaise en la symphonie des mondes. […] Qui peut dire d’avance quelle forme prendront les enthousiasmes, les colères, les joies, les cris et les douleurs d’un poète inconnu devant une réalité inconnue, comme celle de demain ?
« Votre nouvelle démarche, lui écrivoit-elle, est une nouvelle douleur pour ceux qui vous sont véritablement attachés. […] Ils profitent de ses cris & de ses douleurs pour le dépouiller souvent du plus étroit nécessaire. […] Il est saisi de douleur, en voyant sa gloire poëtique, cette consolation imaginaire dans des malheurs trop réels, attaquée de tous côtés. […] L’auteur en conçut un chagrin mortel : cet homme, fait pour mener une vie agréable, mourut de douleur à Paris, le 14 mai 1688, dans la soixante-huitième année. […] La faculté ne desira qu’une chose ; c’est que l’abbé envoyât trois exemplaires de sa Rétractation, l’un au syndic, l’autre à l’archevêque de Paris, le troisième à l’évêque de Montauban, & qu’en même temps il écrivit, à chacun en particulier, une lettre où seroient toutes les marques du plus profond respect & de la douleur véritable d’avoir soutenu cette thèse, le tout pour réparer le scandale qu’elle avoit causé ; & prévenir le mauvais exemple.
Michelet l’a dit, avec son éloquence parfois si poignante : « Ce n’est pas du génie, c’est bien plus : c’est nature, douleur, honte, amour, volupté amère, désespoir. […] Pascal la sent, comme le poète, cette indifférence, avec une douleur qui éclate dans ce cri sublime : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Point n’est besoin, pour ébranler en lui cette sensibilité passionnée, de la contemplation des astres ; un atlas suffit. […] On dirait qu’elle fait honte au ricanement de son scepticisme, en lui montrant en elle, comme un vivant reproche, ce qui demeure la plus haute noblesse de l’homme : l’anxiété devant le mystère, le besoin passionné de comprendre, l’inconsolable douleur d’ignorer. […] Jindiquerai très simplement l’hypothèse qui me paraît le mieux expliquer, sinon justifier, une déviation dont beaucoup de ses compagnons d’autrefois éprouvèrent une réelle douleur, — un autrefois dont le charme n’est pas aboli pour moi, malgré tant d’années. […] C’est contre cette douleur et cette impuissance que s’est produite la réaction de 1850.
La beauté ne veut rien dire sinon la beauté ; le reste, l’ordinaire, le réel est autrement complet et étendu ; chaque visage d’homme ordinaire crie vice, passion, douleur, esprit, méchanceté. […] La gaîté du soleil est troublée par l’immense quantité de grandes douleurs, de sublimités et de rénovations morales qu’ils jettent dans l’air. […] Les associations dangereuses sont interdites et on laissera subsister l’Union des poètes, la société de l’Urne vide, la société des Amis du cœur et celle des Amis du soupir, la société de la Philanthropie poético-catholique, la société de la Moralité poétique, celle des Poètes météorologiques, l’Union néo-poétique, l’Union des douleurs, la société des Pensées distinguées, le Temple des grandeurs de l’âme, l’Union des fils de Sacountala, la société des Poètes génèsi-philologi-historico-philosophi-antédiluviens, la Renaissance du sonnet, toutes sociétés non encore publiquement constituées, mais prêtes à surgir et existant secrètement, étalant leurs produits dans des espèces de bazars dont le pire est la Revue de Paris. […] Le lecteur s’identifie avec ces personnages, les comprend, les aime, souffre de leurs douleurs, leur donne des conseils, les traite enfin comme des amis intimes qui n’auraient rien de caché pour lui.
Outre les effroyables blessures dont on a vu la description, il a une douleur si aiguë dans le creux de l’estomac, chaque fois que son diaphragme se soulève pour l’aspiration, que cela le plie en deux. […] Votre Majesté jugera combien il est intéressant de ne pas perdre un instant pour m’entendre, lorsqu’elle saura que, quoique j’aie été lâchement attaqué par des brigands auprès de Nuremberg, outrageusement blessé par eux et souffrant horriblement, je ne me suis pas arrêté une minute, et que je n’ai pris le Danube pour descendre à Vienne que lorsque l’excès de mes douleurs m’a mis hors d’état de soutenir le cahotement de la poste dans ma chaise. […] Qu’on regarde avec sympathie le fleuve sombre, après avoir vu les Deux douleurs ou l’Abandonnée, c’est tout simple, ces distractions étant de même nature et offrant à l’analyse un agrément pareil ; mais qui donc, après s’être laissé bonnement divertir aux charmantes folies de MM. […] Les violences que fait la Commune à la Convention ressemblent aux douleurs utiles de l’enfantement… Devant l’histoire, la révolution étant un lever de lumière venue à son heure, la Convention est une forme de nécessité ; la Commune est l’autre… L’œil hésite entre les silhouettes énormes des deux colosses. […] Quand le poète apprit cette nouvelle en Belgique où il philosophait sur le droit et la loi, Paris et Versailles, Léviathan et Béhémoth, il dut ressentir une profonde douleur.
Cette lettre, qui est un dernier épanchement et qui exprime toutes les douleurs saignantes de Du Bellay, porte la date du 5 octobre 1559, et parut cette année même dans le Recueil intitulé : Tumulus Henrici secundi…, per Joach.
Cicéron et Sénèque consolaient davantage par des lieux communs, par des considérations lointaines et médiocrement touchantes ; Marc-Aurèle eût été plus stoïque et serait moins entré dans une douleur : mais je me figure que le gendre d’Agricola, s’il avait eu à entretenir un ami sur la mort d’un père, l’aurait abordé ainsi dans des termes a la fois mâles et compatissants, sobrement appropriés à une réalité grave, Pour qui lirait superficiellement toute cette Correspondance, il pourrait se faire qu’un des traits les plus intéressants à y saisir échappât.
Rien n’est tel que le sentiment de la justice pour aviver la douleur d’un passe-droit.
. — Soit une comédienne excellente qui simule très bien la douleur ; devant elle, nous arrivons presque à l’illusion ; un spectateur novice ou passionné y arrive tout à fait ; témoin ce soldat de garde qui, sur un théâtre d’Amérique, voyant jouer Othello, cria tout d’un coup : « Il ne sera pas dit que devant moi un méchant nègre ait tué une femme blanche » ; sur quoi il ajusta l’acteur et d’un coup de fusil lui cassa le bras. — Nous n’allons pas si loin ; mais quand la pièce est très bonne et imite de très près la vie contemporaine, aujourd’hui encore, dans une première représentation, les exclamations supprimées, les rires involontaires, cent vivacités montrent l’émotion du public.
Je lus avec admiration les phrases, avec douleur les principes ; le radicalisme insultant à la bonne foi ne m’allait pas, mais la forme de ce style m’enchantait.
ces larmes que fit couler le désir impatient d’une dure contrainte, lorsque la juste douleur dont le cœur était pénétré éleva un nuage de pleurs sur des astres de l’amour !
Zola voit avec douleur que M.
C’est à l’école de ce grand maître en l’art d’écrire, que Balzac avait perfectionné, et peut-être exagéré, cette délicatesse d’imagination qui ne se contentait de rien de douteux, « et qui recevait de la douleur de tous les objets qui n’étaient pas beaux. » « Cet homme, dit-il, qui ne pardonnerait pas une incongruité à son père, m’avait mis en cette humeur, et m’avait fait jurer sur ses dogmes et ses maximes.
Le premier il se sentit blessé par les attaques de Charles Perrault contre les anciens, et ce fut au sortir de la séance de l’Académie française où Perrault avait lu son Siècle de Louis XIV, qu’il écrivit l’épître à Huet, où il les défend avec tant de sensibilité : Je vois avec douleur ces routes méprisées ; Art et guides, tout est dans les Champs-Elysées.
Ô vous, des serments éternels gardiens, dirigez votre regard sur ma fleurissante douleur : contemplez votre éternelle faute !
Mais son âme se brise de douleur à la pensée d’Elsa… hélas !
je ne le pourrais pas dire, mais c’est une espèce d’obsession… Je le reprends donc ce journal, et l’écris sur des notes jetées, dans mes nuits de larmes, des notes comparables aux cris, avec lesquels les grandes douleurs physiques se soulagent.
Appelez seulement Liszt ou madame Pleyel à poser leurs mains savantes sur ces touches silencieuses, et vous entendrez les douleurs, les lamentations, les délires chantants que peuvent contenir ces quatre morceaux de bois d’ébène. — Vous voyez donc qu’il n’y a pas à se désespérer encore, et que même avec cette chance unique de produire une idée nouvelle, il ne faudrait pas se trop lamenter sur la destinée de ce bel instrument.
Racine ne pouvant, comme Euripide, présenter aux spectateurs Hippolyte déchiré, couvert de sang, brisé par sa chute, et dans les convulsions de la douleur et de l’agonie, a été forcé de faire raconter sa mort ; et cette nécessité l’a conduit à blesser, dans le récit de cet événement terrible, et la vraisemblance et la nature, par une profusion de détails poétiques, sur lesquels un ami ne peut s’étendre, et qu’un père ne peut écouter.
Sous le nom fort acceptable de sensations internes, Bossuet comprend bien les souvenirs sensibles et les imaginations sensibles, mais aussi des phénomènes tout différents, comme les opérations du sens commun, peut-être même le plaisir et la douleur.
Mais je ne trouve pas inférieur ce beau plaidoyer de La Fontaine pour nos frères inférieurs, pour ceux qui sont mis par la nature au partage de nos peines, de nos souffrances et placés dans une espèce d’égalité avec nous devant la douleur.
Anatole France et qui ne nous intéresse, vous et moi, que je croie, point du tout ; et ce qui s’ensuivit, à savoir le renvoi d’une servante d’abord et de Mme Bergeret ensuite, sont choses que nous nous passerions, sans aucune douleur, de savoir. […] Ce n’est pas non plus le spectacle des douleurs humaines. […] Le jour où il est tombé, la mère, maintenant très vieille, la jeune fille, devenue vieille fille, se regardent avec une immense déception et une véritable douleur. […] Le lendemain, le cardinal Boccanera, qui, se trouvant indisposé, n’a pas mangé de figues, se porte comme un charme ; mais Dario, qui en a mangé à la table de son oncle, meurt en quelques heures ; et Benedetta, après s’être couchée sur son corps, avec des détails qui sont de l’indécence la plus inutile et la plus invraisemblable, et que je vous épargne, meurt aussi de douleur et de désespoir. […] Zola riche, « arrivé », bien installé dans la vie, est une obsession continuelle et qu’il n’en peut détacher sa pensée ; que, du reste, généreux et pitoyable, il s’efforce de comprendre ce qui entretient la pensée anarchique dans les masses européennes et qu’il creuse avec douleur et profonde miséricorde le problème du paupérisme.
Toutes raisons qui ainsi se dénoncent incompréhensives du sens de l’Evolution, et que nous avons repoussées… D’autre part, et part quantitativement dominante, c’est la tradition de poésie personnelle où le Moi se tient pour mesure et raison du Tout et le doue de sa propre sensibilité, de ses propres pré-conceptions, Symbolistes avant la lettre ces poètes ont regardé l’univers et l’ont à leur gré dissocié pour en lui se trouver soi : pour tâcher de pénétrer et capter et d’exprimer d’images analogiques, en le temps et l’espace, le plus de matière en prolongement de leur douleur, leur doute et leur plaisir — où se multiplier leur Moi. […] Sonnet, il est vrai, qui n’était pas écrit encore, mais la pensée qui le soulève n’est-elle point partout présente, d’un grand coup d’aile entravée, en son œuvre qui ne put réaliser une unité… Son regard, un instant, s’arrêta sur l’harmonieux incendie du couchant, ses douleurs intenses mais de vibrations contenues et comme se consumant en soi. […] Faite de toutes les qualités qu’il avait, et, pour son dévouement, de toute ma reconnaissance, grande est ma douleur et grands nos regrets de n’avoir pu en nul cas lui témoigner autrement qu’en mots de gratitude qu’il ne voulait même pas publique, cette reconnaissance qui, non, et qui l’eût pu croire, ne devait pas s’éplorer ainsi : à la mémoire de Gaston Dubedat, mort à vingt-six ans. » (« Ecrits pour l’Art », Mai 1890) … Je l’avais donc exposé, non seulement la théorie instrumentale se complétant et se précisant par les travaux de Helmholtz, mais les principes philosophiques tirés de la théorie d’Evolution qui devaient être la pensée génératrice de l’œuvre une proposée en son plan rudimentaire par mon premier livre.
On ne peut dominer une douleur, vaincre un désir. […] « Pourquoi, lui demande-t-on, avez-vous pris comme dérivatif à votre douleur la culture des muscles, qui tuera en vous ce qui seul peut vous sauver ? […] Morte, Aziyadé. « Elle m’aimait, elle, de l’amour le plus profond et le plus pur, le plus humble aussi ; et tout doucement, lentement, derrière les grilles dorées du harem, elle est morte de douleur, sans m’envoyer une plainte. […] Nous avons cherché dans l’angoisse et dans la douleur. […] Sans doute il repousse avec dédain plutôt qu’il ne réfute les théories des stoïciens et des pessimistes sur la douleur et sur le mal ; et peut-être les intéressés trouveraient-ils que leurs doctrines valent mieux que cela.
Nous avons plusieurs exemples en tout genre d’écrire, où toute la beauté consiste dans la pensée exprimée sans figure : le pére des trois Horaces ne sachant point encore le motif de la fuite de son fils, aprend avec douleur qu’il n’a pas résisté aux trois Curiaces : que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? […] calus, dureté, durillon, en latin callum ; se prend souvent dans un sens métaphorique : (…), dit Cicéron : le travail fait come une espèce de calus à la douleur, c’est-à-dire, que le travail nous rend moins sensibles à la douleur. […] Ainsi patient ne veut pas dire ici celui qui ressent de la douleur ; mais ce qui est le terme d’une action ou d’un sentiment.
L’esprit et la naïveté en même temps y sont affinés jusqu’à la douleur. […] L’artiste presse les choses qu’il veut représenter, jusqu’à ce qu’il en ait exprimé la goutte de douleur qu’elles enserrent. […] Les autres gardent tous au fond de leur cœur ce que Paul Bourget, qui à son tour a pris le mot d’un autre, appelle : “un cochon triste”. » Qui donc a jamais peint avec un sérieux plus folâtre la fin d’une soirée d’automne, « pénétrante jusqu’à la douleur », qu’Alphonse Allais dans ces simples mots : « Il était six heures ; la nuit tombait et personne pour la relever. » Ou bien cette description épique d’un suicide : « Il jeta un regard par la fenêtre et le suivit sur-le-champ. » Voilà tout réuni dans une seule ligne, l’émotion et l’action. […] Non, non, ce sont les pauvres femmelettes du peuple qui ont gardé fidèlement les souvenirs de la Passion et de la Croix ; c’est Néron, faiseur de martyrs, qui a sauvé la foi au Christ et qui en a fait une chose de douleur et de sang. […] « Mais peut-être que l’esprit ne mûrit que par le chagrin, et que l’imagination aussi a besoin de l’excitation de la douleur pour se déployer.
Retiré dans sa province méridionale où l’enchaînaient d’honorables devoirs fortement compris, où le refoulaient des douleurs patriotiques et républicaines qu’il est beau à lui d’avoir exagérées, il perdit assez vite le sentiment vrai des choses, il fit fausse voie dans sa destinée.
Dubois, qui, placé alors à Besançon, et lui-même atteint de cruelles douleurs et pertes domestiques, y cherchait un allégement dans l’entretien de l’amitié et dans les impressions pacifiantes d’une majestueuse nature.
C’est ainsi que le modeste et mélancolique Xavier de Maistre, toujours doutant de lui et toujours ajournant sa gloire, publiait à un petit nombre d’exemplaires, pour quelques amis de régiment et pour quelques voisins de campagne, le Lépreux de la cité d’Aoste, cet évangile des infirmes, ce manuel des lits de douleur, la plus chaude larme qui soit tombée dans la nuit du cœur désespéré et résigné d’un misérable, pour arracher des ruisseaux d’autres larmes sympathiques aux yeux des hommes sensibles dans ce siècle.
Ce ressentiment de M. de Metternich avait la même cause, la douleur chagrine de ne pas posséder seul pour sa monarchie l’alliance du cabinet des Tuileries.
Cazalès, Malouet, Maury, faisaient retentir en éclats de douleur et d’éloquence les chutes successives du trône, de l’aristocratie et du clergé.
Qu’on se peigne ces quatre misères : l’amante dont on va faire mourir le sauveur dans l’ignominie ; la tante qui va perdre sa fille unique ; le père qui va voir tuer son fils et son gagne-pain par la mort du coupable involontaire ; le fils, enfin, couché sur la paille de son cachot, qui pense à sa cousine expirant de douleur, à sa tante, à son père expirant de misère, de faim et de honte dans leur masure réprouvée des honnêtes gens, à sa propre mort, à lui, et à sa propre mémoire entachée d’un meurtre innocent.
L’ennui est la maladie de Chateaubriand, il en vit et il en meurt ; mais cet ennui infini est son caractère et son génie, ôtez-le lui, il n’y a plus qu’un homme heureux ; mais il n’était pas fait pour le bonheur : il eût demandé avec larmes des larmes à Dieu ; oui, il eût pleuré pour obtenir la gloire des douleurs.
Sans doute aussi, dans les deux autres périodes, son optimisme féminin, son besoin d’aimer les gens dont elle disait l’histoire, lui ont fait peupler ses romans d’êtres plus généreux, de passions plus nobles, de plus belles douleurs qu’on n’en rencontre selon la loi commune de l’humanité ; elle forme des idées de pures ou hautes créatures sur qui sa large sympathie puisse se reposer sans regret.
Dans un poëme allégorique que Bertaut fit à l’occasion de sa mort, la France, étant allée se plaindre à Jupiter du malheur de Pavie, le dieu, qui dînait chez Thétis, sous un roc, près de Toulon, la console par ces mots : Cependant, pour montrer qu’ici-bas je n’envoie Nulle pure douleur ni nulle pure joie, Sache que ce mesme an qui maintenant escrit D’un encre si sanglant son nom en ton esprit, Ce mesme an qui te semble à bon droit deplorable, Te sera quelque jour doucement mémorable, D’autant que dans le sein du terroir vendosmois Avant que par le ciel se soient tournés sept mois, Un enfant te naistra, dont la plume latine Egalera ta gloire la gloire divine.
Les plus tristes n’affectent l’âme que comme une douleur qui a perdu son aiguillon.
De là cet apitoiement sur un cheval qu’on torture, sur un crapaud qui agonise, sur la fleur qui périt fauchée et se sépare avec douleur de la terre nourricière, sur les choses qui souffrent et pleurent, parce qu’elles ont une âme.
Les hommes alors se sont avec envie Penchés pour voir dedans : Avec des cris de joie ils ont compté tes plaies Et compté tes douleurs, Comme sûr une pierre on compte des monnaies Dans l’antre, des voleurs.
On est choqué de voir un homme accablé de douleur, si recherché dans ses termes, et si attentif à sa description.
Surtout, lorsqu’ils étudient un peuple vigoureux et sain, ils voudraient lui prendre le secret de sa force et rapporter le philtre merveilleux à cette chère nation qu’un politicien brutal a surnommée la « femme malade » et qui est, comme toutes les femmes, capable de sourire en d’atroces douleurs. […] Toutes les douleurs de la terre ne réussiraient pas à lasser ses palpitations ; la plus fière violence de joie ne le briserait pas… Une immense multitude de créatures avides pourraient s’abreuver à sa tendresse sans l’épuiser… Ô beauté, ce n’est pas à toi seulement que s’adresse ma louange, mais aussi à mes ancêtres, à ceux qui ont su jouir de toi dans les siècles anciens, et qui m’ont transmis leur sang chaud et riche. […] Georges Renard, a remarqué, avant moi, que la matière de ce récit est contenue dans cette phrase de la Littérature anglaise : Si Shakespeare avait fait une psychologie, il aurait dit avec Esquirol : « L’homme est une machine nerveuse, gouvernée par un tempérament, disposée aux hallucinations, emportée par des passions sans frein, déraisonnable par essence, mélange de l’animal et du poète, ayant la verve pour esprit, la sensibilité pour vertu, l’imagination pour ressort et pour guide, et conduite au hasard par les circonstances les plus déterminées et les plus complexes, à la douleur, au crime, à la démence et à la mort. » M. […] Quand une fois on a goûté aux profondes délices de l’amour véritable, quand une vraie femme vous a dit les mots divins par qui toute douleur s’apaise, c’est comme si l’on avait approché ses lèvres d’un nectar idéal ; désormais, on ne trouvera plus, aux auberges de débauche, que boissons frelatées et gâteaux empoisonnés. […] Elle lui devait toutes ses douleurs actuelles, et c’était bien pour cette raison qu’elle l’adorait déjà.
Les Deux Douleurs de M. […] La déclamation qui fut, jusqu’à Mlle Lecouvreur, un récitatif mesuré, un chant presque noté, mettait encore un obstacle à ces emportements de la nature qui se peignent par un mot, par une attitude, un silence, par un cri qui échappe à la douleur. […] Elle s’est avisée (par exemple) qu’un être qui, comme Galatée, naîtrait tout formé et n’aurait pas été habitué, par une longue enfance, aux idées du mal, de douleur, de misère, de vieillesse, de mort, fût-il comblé de tous les dons et de tous les biens, serait atrocement malheureux et aurait besoin, pour n’être pas éperdu de désespoir, d’inventer les espérances de vie future et de réparation d’outre-tombe. […] Sans un geste, tenant son papier des deux mains, sans une attitude, droit comme un piquet, par la seule puissance, par les seules inflexions infiniment variées de sa voix étonnante, il nous a décrit la Judée, le camp des Hébreux, la montagne effrayante et fatale, Moïse « triste et seul dans sa gloire », disant à Dieu tout ce qu’il y a de douleur dans une grande existence privilégiée. […] La douleur, le désespoir même d’un Moïse ont sans doute quelque chose de plus viril et de plus austère.
Avec une santé mauvaise, attaqué par de grands maux de tête, par des douleurs d’entrailles, par la pleurésie, par la pierre, il faisait un travail énorme, voyageant, écrivant, prêchant, prononçant à soixante-sept ans deux sermons chaque dimanche, et le plus souvent se levant à deux heures du matin, été comme hiver, pour étudier. […] Alors William dit à sa mère : Pour la petite douleur que j’aurai à souffrir, et qui n’est qu’un court passage, le Christ m’a promis, ma mère, une couronne de joie. […] Et rejetant sa tête dans la fumée étouffante, il rendit sa vie pour la vérité360. » Quand une passion est capable de dompter ainsi les affections naturelles, elle est capable de dompter aussi la douleur corporelle ; toute la férocité du temps échouait contre les convictions. « Un tisserand de Shoreditch, appelé Tomkins, interrogé par l’évêque de Londres s’il souffrirait bien le feu, répondit qu’il en fît l’expérience ; et ayant fait apporter une chandelle allumée, il mit la main dessus sans la retirer ni se mouvoir » ; tellement, dit Fox, « que les muscles et les veines se racornirent et éclatèrent, et que le sang jaillit dans la figure de Harpsfield, qui se tenait à côté. » — Dans l’île de Guernesey, une femme grosse étant condamnée au feu accoucha dans les flammes, et l’enfant étant ramassé fut, par l’ordre des magistrats, rejeté dans le feu361.
Il y auroit eu plus d’illusion & de vérité, si Corneille avoit sçu prendre le tems nécessaire pour laisser à la douleur de Chimène celui de s’appaiser ; mais, entêté de son Aristote, il crut qu’il falloit resserrer à un point local, les divers incidens d’une grande action. […] C’est sa tendresse, la force du sentiment qui l’anime, quand il prodigue ses conseils au jeune téméraire qui fait pâlir tout l’éclat du Palais & qui fixe toute notre attention sur la douleur d’un père, qui gémit, en apprenant le danger que va courir le tendre objet de ses inquiétudes. […] Dès qu’ils souffrent, il faut qu’il soit frappé de leurs douleurs.
J’ai besoin de vous en parler encore ; ma douleur aime à s’épancher dans le sein du plus constant et cher confident de toutes mes pensées au milieu de foules ces vicissitudes où souvent je me suis cru malheureux ; mais, jusqu’à présent, vous m’avez trouvé plus fort, que mes circonstances ; aujourd’hui, la circonstance est plus forte que moi. […] « Adieu, mon cher ami ; vous m’avez aidé à surmonter quelques accidents bien graves et bien pénibles auxquels le nom de malheur peut être donné jusqu’à ce qu’on ait été frappé du plus grand des malheurs du cœur : celui-ci est insurmontable ; mais, quoique livré à une douleur profonde, continuelle, dont rien ne me dédommagera ; quoique dévoué à une pensée, un culte hors de ce monde (et j’ai plus que jamais besoin de croire que tout ne meurt pas avec nous), je me sens toujours susceptible des douceurs de l’amitié… Et quelle amitié que la vôtre, mon cher Maubourg !
Par exemple, quand Tom Jones a le bras cassé, le philosophe Square vient le consoler par une application de maximes stoïciennes ; mais en lui prouvant que la douleur est chose indifférente, il se mord la langue et lâche un ou deux jurons, sur quoi le théologien Thwackum, son commensal et son rival, lui assure que sa mésaventure est un avertissement de la Providence, et tous deux manquent de se gourmer. […] La douleur, jointe au désappointement et au désespoir, me priva de ma raison et me jeta dans un délire de fureur pendant lequel j’arrachai la chair de mes os avec mes dents et je me lançai la tête contre le pavé. » En vain vous vous retournez du côté du héros pour vous reposer d’un tel spectacle.
L’objet de toute recherche et de toute étude est de diminuer la douleur, d’augmenter le bien-être, d’améliorer la condition de l’homme ; les lois théoriques ne valent que par leurs usages pratiques ; les travaux du laboratoire et du cabinet ne reçoivent leur sanction et leur prix que par l’emploi qu’en font les ateliers et les usines ; l’arbre de la science ne doit s’estimer que par ses fruits. […] Celle de Bacon a produit des observations, des expériences, des découvertes, des machines, des arts et des industries entières. « Elle a allongé la vie, elle a diminué la douleur, elle a éteint des maladies ; elle a accru la fertilité du sol ; elle a enlevé la foudre au ciel ; elle a éclairé la nuit de toute la splendeur du jour ; elle a étendu la portée de la vue humaine ; elle a accéléré le mouvement, anéanti les distances ; elle a rendu l’homme capable de pénétrer dans les profondeurs de l’océan, de s’élever dans l’air, de traverser la terre sur des chars qui roulent sans chevaux, et l’océan sur des navires qui filent dix nœuds à l’heure contre le vent. » L’une s’est consumée à déchiffrer des énigmes indéchiffrables, à fabriquer les portraits d’un sage imaginaire, à se guinder d’hypothèses en hypothèses, à rouler d’absurdités en absurdités ; elle a méprisé ce qui était praticable ; elle a promis ce qui était impraticable, et, parce qu’elle a méconnu les limites de l’esprit humain, elle en a ignoré la puissance.
» Et Sainte-Beuve s’étonne des séides qu’il a trouvés, surtout chez les femmes, déclarant qu’il manquait absolument de nuque, d’organe à passion, et que dans la douleur de son impuissance auprès de Mme Dorval, il se roulait sur le parquet, et si désespérément, que le portier de la maison l’entendait de sa loge… Puis de Gustave Planche, il passe à Michelet dont il déclare le talent uniquement fait de grossissement des petites choses, et le contrepied absolu du bon sens, ne lui accordant qu’une originalité laborieuse et venant de la causerie de Quinet. Sur le regimbement de la table, et l’admiration bravement témoignée par Flaubert pour l’œuvre du grand historien, le voici entrant en une vraie colère, frappant la table du poing, en dépit de douleurs dans les articulations, et jurant, et vociférant que tout l’hystérisme de ses livres vient de ce qu’il a connu une seule femme, et qu’il y a chez lui du désir de prêtre.
Il n’ose pas critiquer le quatrième, mais le malheureux n’ose pas le louer ; et bientôt il se soulage du mal que lui a fait ce chef-d’œuvre, en persiflant le cinquième acte, et surtout le parti que prend Junie d’ensevelir sa douleur dans le temple des vestales ; il eût mieux aimé que la douce et modeste Junie fît une esclandre sur la scène, et se poignardât en présence de Néron, comme une véritable héroïne de théâtre. […] On ne trouvera point dans tout le théâtre ancien et moderne une scène plus importante, plus sublime, plus touchante même que celle où Burrhus lutte avec toutes les armes de la nature et de l’humanité contre le premier crime de Néron, contre ce crime qui doit préparer tous les autres et décider du règne de ce jeune empereur : c’est le dernier degré de l’éloquence simple et vraie, et de ce grand pathétique bien supérieur à celui qui naît des extravagances et des douleurs de l’amour. […] Bajazet accourt pour rassurer Atalide, en lui apprenant qu’il vient d’apaiser la colère de Roxane : quoique l’honneur et l’amour reprochent une pareille complaisance à l’âme fière du jeune prince, cependant il s’applaudit de se voir enfin libre et les armes à la main ; mais son transport est interrompu par les larmes qui s’échappent des yeux d’Atalide : étonné d’une douleur à laquelle il n’avait pas lieu de s’attendre, il s’écrie : Que vois-je ? […] Racine, dans ses caractères de femmes, s’élève jusqu’au beau idéal : Andromaque, Junie, Monime, Iphigénie triomphent des faiblesses de la nature, mais sans jamais sortir des bienséances du sexe : leur fierté même a de la modestie, leur dignité est sans orgueil et sans faste ; et jusque dans l’emportement de la douleur, elles savent conserver la décence : elles sont héroïnes sans cesser d’être femmes ; c’est ce qui les distingue essentiellement des amazones de Corneille, qui s‘ont des hommes déguisés. […] Ô torrents de douleur !
On ne secoue, au contraire, l’affliction, que par deux moyens qui sont la confidence et le travail, l’une qui soulage, l’autre qui divertit : « En cas semblable le premier refuge est à Dieu… Après cela fait grand bien de parler à quelque ami, si vous pouvez, et devant lui hardiment plaindre ses douleurs et n’avoir point de honte de montrer sa douleur devant respécial ami ; car cela allège le cœur et le réconforte et les esprits reviennent en la vertu pour parler ainsi à un conseil, ou pour prendre, autre labeur, … et non point prendre le chemin que prit ledit duc de se cacher et tenir solitairement. » Commynes est plein, comme cela, de petits sermons, très courts, très convaincus aussi et très pénétrants, où l’on sent qu’il veut bien que tout le monde prenne son profit, et ce n’est pas tout à fait pour rien qu’il a donné à ses Mémoires la forme d’une conversation continue avec un archevêque ou d’une longue lettre qu’il lui écrit. […] De celle-ci, par exemple : « Me suis avisé de vous mettre ici un couplet du mal imprimé Villon qui vous sera exemple et témoin d’un grand nombre d’autres autant brouillés et gâtés que lui : Or est vrai qu’après plaincts et pleurs, Et angoisseux gémissemens, Après tristesses et douleurs, Labeurs et griefs cheminemens, Travaille mes lubres sentimens Aiguysés ronds, comme une pelote, Montrent plus que les comments Et sens moral de Aristote. […] Or voyez maintenant comment il a été rhabillé, et en jugez gratieusement : Or est vrai qu’après plaincts et pleurs, Et angoisseux gémissemens, Après tristesses et douleurs, Labeurs et griefs cheminemens, Travail mes labres sentimens Aiguisa (ronds comme pelote) Me montrant plus que les Comments Sur le sens moral d’Aristote. […] Il ne la rompait, il ne la considérait, avec douleur, comme ayant été rompue, que pour un temps relativement court.
J’en ai ressenti une profonde et filiale douleur, bien que je n’eusse guère d’illusion. […] En attendant, relisons le meilleur de ses livres, celui qu’il a intitulé Les Offrandes blessées, où il a trouvé de beaux et nobles vers pour dire les douleurs de la France glorieuse et meurtrie. […] De l’ombre mystérieuse où elles avaient germé, poussé leurs racines secrètes, dressé leurs tiges fécondes, les Fleurs du Mal allaient jaillir et épanouir magnifiquement leurs sombres corolles déchiquetées et veinées aux couleurs de la vie, et, sous un ciel de gloire et de scandale, répandre leurs vertigineux parfums d’amour, de douleur et de mort. […] Elle me l’a donné par ses arts, par ses églises et ses palais, par ses musées, par la chanson de ses cloches dans le ciel, par l’écho de ses rames sur l’eau ; elle me l’a donné par elle-même, par ses mystérieuses et vivantes beautés, par le lacis de ses calli et de ses canaux, par l’étendue de sa lagune, par ses campi, par ses jardins si secrets ; elle me l’a donné par l’étrange sortilège qui émane d’elle et qui fait que la douleur y est douce, que la tristesse y est heureuse et que la mort même n’y serait qu’un peu plus de repos, un peu plus de silence et d’oubli.
Il a suivi cette veuve qui « sera rentrée à pied, méditant et rêvant, seule, toujours seule ; car l’enfant est turbulent, égoïste, sans douceur et sans patience ; et il ne peut même pas, comme le pur animal, comme le chien et le chat, servir de confident aux douleurs muettes ». […] La mort de la jeune femme, survenue sept ans plus tard, lui causa une profonde et durable douleur. […] Jamais on n’avait rien dit sur la Descente de Croix de plus délicat, de pensé plus pittoresquement et avec plus de religion à la fois, que ceci : « Vous n’avez pas oublié l’effet de ce grand corps un peu déhanché, dont la petite tête maigre et fine est tombée de côté, si livide et si parfaitement limpide en sa pâleur, ni crispé, ni grimaçant, d’où toute douleur a disparu et qui descend avec tant de béatitude, pour s’y reposer un moment, dans les étranges beautés de la mort des justes. […] Le jour ou vous mettrez le pied dans la vie, dans la vie réelle, entendez-vous bien ; le jour où vous la connaîtrez avec ses lois, ses nécessités, ses rigueurs, ses devoirs et ses chaînes, ses difficultés et ses peines, ses vraies douleurs et ses enchantements, vous verrez comme elle est saine, et belle, et forte, et féconde, en vertu même de ses exactitudes ; ce jour-là, vous trouverez que le reste est factice, qu’il n’y a pas de fictions plus grandes, que l’enthousiasme ne s’élève pas plus haut, que l’imagination ne va pas au-delà, qu’elle comble les cœurs les plus avides, qu’elle a de quoi ravir les plus exigeants, et ce jour-là, mon cher enfant, si vous n’êtes pas incurablement malade, malade à mourir, vous serez guéri. » Ainsi parle Augustin à Dominique, et c’est la leçon qu’a acceptée et vécue Dominique.
Il s’y enivre d’espoir, de colère et de douleur. […] Il l’avait vue, de siècle en siècle, se renforcer et se parfaire, se créer ses institutions, ses mœurs et son génie, se constituer son territoire, se bâtir ses villes, tour à tour prospère ou misérable, conquérante ou envahie, victorieuse ou vaincue, toujours inépuisable en ressources appropriées, en renaissances inattendues, en énergies fécondes, et ce grand spectacle lui avait rempli l’âme de douleur et de joie, d’un amour infini pour cette France dont il avait ressenti si profondément la vie intime et historique. […] D’abord ce fut l’angelus matinal de Lamartine ; puis, la Ville saluera de tous ses bronzes aériens la venue en Balzac, de celui qui recréa, en son œuvre universelle, la rue et la maison, avec l’aspect des visages, le secret des âmes et tous les masques innombrables du désir, de la passion et de la douleur. […] La littérature de toute l’époque est un long cri de révolte et de colère contre l’existence humaine, lamentation amère ou mélancolique qui va des sombres douleurs de René aux fades chagrins de Rolla. […] Plusieurs témoignages concordent avec celui que Régnier donne ici pour mettre en avant la fascination ambivalente qui agitait Mallarmé lors de ces concerts au cours desquels il subissait, selon le mot de Valéry, « avec ravissement, mais avec cette douleur sublime qui naît des rivalités supérieures, l’enchantement des souveraines symphonies » (Variété dans Œuvres I, Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 700).
pardonne lui la douleur qu’il me donne. […] Dans une seconde nouvelle du même auteur, Le Héros, marchand fort riche, a fait la folie d’épouser une demoiselle de qualité ; trompé journellement par sa femme, méprisé par la famille entière, qu’il comble de bienfaits, il a encore la douleur de s’entendre continuellement reprocher la bassesse de sa condition.
Il y avait là, nous dit un très-bon juge, un mélange assez pacifique de lumières modernes, de vœux rétrogrades, de goûts d’ancien régime, de mœurs simples amenées par le malheur des temps, de tristes regrets à la suite des douleurs de 93 : il y avait surtout un vif besoin de bonheur, de repos final et de plaisirs de société.
Chaque geste, chaque trait du visage, chaque pli d’un vêtement rappelle un labeur immense : nous sommes opprimés sous le poids de notre expérience, et nous traînons après nous comme une chaîne le prix des efforts et des douleurs de quatre-vingts générations.
La conscience doit la crier tout haut : sa seule justification, c’est sa douleur.
Et comment jouiras-tu en paix de la liberté et de ton bonheur avec Hyeronimo, en pensant que d’autres versent autant de larmes de douleur éternelle que tu en verses de bonheur dans les bras d’Hyeronimo ?
» Ce mystère est plus douloureux au cœur que la sécurité de la foi : mais quelle douce et exquise douleur !
Pourquoi la douleur ?
Le monde est mauvais ; l’injustice y règne, et la douleur ; le monde comme il est serait une infamie si Dieu existait ; la nature est insensible et cruelle ; toute supériorité condamne à un plus grand malheur ceux qui en sont affligés… Donc il faut se taire, se résigner, demander à la nature non une consolation, mais un spectacle, avoir pitié de la vie — de très haut — sans jamais se plaindre pour son compte.
il demeure en une perception amortie de vous ; le temps s’embrouille, l’espace s’embrume en chaos de végétations ; et il songe d’il ne sait quelles piétés, quelles souffrances ; il songe obscurément de religiosités et de douleurs ; un sommeil mental est en la rigidité des chairs ; l’âme est ensommeillée ; elle ouit comme une qui sommeillerait ; et c’est, en cette âme, un très lointain écho des entourants cantiques mêlés de silences, des emmêlés cantiques, pieux, lamentants et virginaux.
Ses convives la laissent à sa douleur et vont danser dans la chambre voisine.
le mal, qui commence la souffrance par lui, car être le mal c’est pire que le faire, les peines, les douleurs, les larmes, les cris, les rumeurs ; dans l’ombre, le problème muet, l’immense silence, d’un sens inexprimable et terrible.
Il fait dire aux Nymphes de Vaux : Remplissez l’air décris en vos grottes profondes, Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes… ………………………………………………………… On ne blâmera point vos larmes innocentes ; Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes : Chacun attend de vous ce devoir généreux ; Les destins sont contents : Oronte est malheureux.
Les grandes passions se soulagent par le chant, comme on l’observe dans l’excès de la douleur ou de la joie.
La politique violente qu’il pratiqua, les expéditions électorales qu’il dirigea, les raids de propagande et de pression et d’oppression qu’il exécuta à travers le pays rhénan furent, à la fois, des actes de sa foi politique et des « divertissements » furieux à calmer sa douleur secrète. […] On sent que tout est fini et que la suite ne sera qu’épouvantablement triste, comme, du reste, ce qui précède, mais sans ce rien d’espoir qui se mêlait, jusque-là, à la douleur et à l’accablement. […] Pour mon compte, je me suis cassé la jambe sans éprouver la moindre, je dis la moindre, douleur sur le moment — et, chose curieuse, après non plus ; mais ceci est en dehors de la question ; il s’agit de la mort immédiate ou quasi immédiate par blessures ; il est certain qu’elle n’est jamais douloureuse. […] Et, comme je l’ai dit, l’espérance dure jusqu’à ce que l’inconscience commence, et par conséquent il y a vraiment peu de place pour la douleur atroce et pour les affres effroyables. […] Vous avez voulu lui épargner, et vous n’avez voulu que lui épargner les deux atroces douleurs de se dire que vous trouvez une femme jolie et de se dire qu’il y a peut-être une femme plus jolie qu’elle ou aussi jolie qu’elle.
Et, en les écoutant, elle souffre encore de ce je ne sais quoi d’inconsolé qui, goutte à goutte, pleure au plus profond des femmes, qu’elles souffrent de leurs douleurs, ou qu’elles les aient oubliées, ou qu’elles les pressentent, futures, ou bien qu’elles se croient même heureuses16 ». […] Ils n’en tirent que du plaisir, de la douleur, et des actes indispensables, comme de vivre. […] On dirait que la douleur donne à certaines âmes une espèce de conscience. […] Jaloux n’avait encore rien écrit dont la réussite fût sur le plan de la scène où le héros est mis en garde par sa femme contre l’entreprise de séduction qui se secrète en lui, — des pages où, comme à la lente liquéfaction d’un solide, nous assistons à la mort même d’une douleur, — par-dessus tout peut-être de la conversation entre le mari et l’amant futur, magistrale traversée spirituelle où, du point de vue technique, la valeur d’action est constamment sous-tendue par la plus ample valeur interprétative. […] De l’avoir toujours aimé, — d’une tendresse toute particulière, distincte, — il tenait tant à ce que les sentiments fussent distincts, il était d’une telle netteté à cet égard, semblable à Bach, des sentiments duquel il nous dit : « qu’il fallait qu’il les vît tous devant lui, bien séparés, bien purs, bien sincères », — sur ce point, et au sein de sa douleur même, mon cœur ne se reproche rien.
Au milieu du premier acte, cependant, comme j’étais de plus en plus attentif, j’ai commencé à éprouver une légère douleur aux tempes. […] De là, grande douleur de Geneviève. […] Comme nous pouvons partager les joies et les douleurs de ces poupées, dont nous nous moquons si parfaitement ! […] Pendant quatre tableaux, on attend l’explication que Ruskoé donne au cinquième ; tout le monde a deviné, il n’a plus rien à nous apprendre, quand il laisse échapper son secret, dans un élan de douleur et d’espoir. […] On n’est pas ému le moins du monde de la douleur de Froll-Gherasz, parce qu’en somme il a voulu cette douleur.
» L’abattement viendra après l’excès ; ces sortes d’âmes ne sont trempées que contre la crainte ; leur courage n’est que celui du taureau et du lion ; il a besoin, pour demeurer entier, du mouvement corporel, du danger visible ; c’est le tempérament qui les soutient ; devant les grandes douleurs morales, ils s’affaissent. […] Au bout de tout, voici venir la douleur et l’agonie.
Le spirituel blagueur le remerciait par cette phrase : « Merci, docteur, je ne tiens pas à jouir de la douleur des autres ! […] Je pensais à cela, devant ma chatte, dans les douleurs de l’enfantement, et qui avait l’air de me demander une sage-femme.
Pour comble de douleur, la critique l’attaquait avec acharnement. […] Plus tard, il disait souvent à ses conseiller s : « J’étais envahi par le cancer du lyrisme, vous m’avez opéré; il n’était que temps, mais j’en ai crié de douleur. » Flaubert eut à faire un grand pas de la Tentation à Madame Bovary. […] Quelques-uns de leurs romans furent accueillis avec tant d’indifférence, que la douleur de cet insuccès précipita la mort de Jules.
Toutes les nymphes allèrent pleurant Daphnis cruellement mis à mort : Vous en fûtes témoins, bosquets et flots des rivières, de cette douleur, Quand la mère, jetant un cri, étreignit le triste corps de son fils, accusant de cruauté les Grands Dieux, de cruauté, les étoiles du ciel. […] Il a fait place à une douleur ardente, à un dédain terrible, à une rage farouche, à une passion pareille à la flamme. […] Aucun bruit de moi ne percera, pour le bien ou le mal, ces murs de douleur, ni je n’entendrai le vain rire et les larmes de ceux qui m’aiment encore. […] Mais ils mentent en leur gorge, quand ils parlent ainsi Car le peuple a le cœur tendre, et une source profonde de beauté se cache sous la fièvre et la douleur aiguë de sa vie.
Elle les retire même avec violence, pour nous apprendre que c’est la violence qui l’a fait naître. » Et ailleurs : « L’univers est sur son lit de douleurs, et c’est à « nous, hommes, à le consoler. » Saint-Martin croyait que l’homme, s’il pouvait consoler l’univers, pouvait aussi l’affliger, l’aigrir, et, pour nous servir de sa belle locution, que la main de l’homme, s’il n’est pas infiniment prudent, gâte tout ce qu’il touche.
Il nous est donné d’assister à une contradiction étrange et qui, je le pressens avec douleur (et rien qu’à voir les éléments inflammables qui s’amassent), est de nature à faire craindre quelque choc, une collision dans l’avenir.
Mais, nous le répétons avec douleur, là s’arrête la divinité philosophique de Platon ; presque dans tous ses autres dialogues le saint disparaît, le rhéteur se montre, argumente, et le dialecticien, faisant un ennuyeux abus de la parole, se livre à des puérilités d’esprit qui font rougir le génie grec.
XIII Des libelles calomnieux, écrits contre lui par des hommes de lettres ingrats, comblés de ses dons, tels que l’abbé Desfontaines, ne respectèrent ni sa douleur, ni sa gloire, ni sa retraite.
Il se forme ainsi des ensembles d’habitudes, tout à fait analogues à de petites morales partielles réalisées, dont on ne s’occupe guère de tirer des règles abstraites parce qu’elles n’en ont pas besoin et qu’elles vivent sans cela, mais qui provoquent des joies et des douleurs analogues aux satisfactions de conscience et aux remords et dont la nature impérative apparaît quand elles sont menacées.
L’amant au désespoir exhale sa douleur en une chanson.
Sur ce point plus encore que sur les autres, nous avons ressenti une profonde humiliation, une cruelle douleur.
Alors une furie de joie succédait à l’explosion de douleur : des prostitutions en masse fêtaient la résurrection de « l’Unique ».
La vie de Scaron n’étoit-elle pas un passage continuel de la douleur la plus vive à la joie la plus folâtre.
Romulus Coucou souscrira de son cœur d’homme, parce qu’il aime, il souscrira des mille douleurs dont un nègre, dans une société d’esclavage peut endurer le déchirement.