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65. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

. — Phrases mentales qui deviennent des voix externes. — Images effacées qui, en ressuscitant, deviennent hallucinatoires. — Nos diverses opérations mentales ne sont que les divers stades de cette hallucination. […] Plus elles deviennent complètes, c’est-à-dire intenses et précises, plus l’opération qu’elles suscitent est voisine de l’hallucination. […] Quand le sommeil est venu tout à fait, l’hallucination, qui est au maximum, compose ce que nous appelons nos rêves. — Quand le sommeil, au lieu d’être naturel, est artificiel, le travail hallucinatoire devient plus visible encore. […] Écartez l’un de l’autre les coins de la bouche, il devient gai aussitôt ; tirez les sourcils l’un vers l’autre et vers le bas, aussitôt il devient grognon et triste ; et parfois, au réveil, il peut témoigner des émotions insurmontables dans lesquelles l’ascendant de l’attitude l’a jeté et enchaîné. […] En effet, les nerfs et les centres sensitifs sont engourdis ; toute cette portion du système nerveux par laquelle nous communiquons avec le dehors devient inactive ou moins active.

66. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

On peut dire qu’à l’état de domesticité l’organisation tout entière devient en quelque sorte plastique. […] — À l’état domestique certaines particularités apparaissent quelquefois chez l’un des sexes, et deviennent héréditaires chez celui-là seul. […] Celle-ci n’agit qu’à l’aide de variations avantageuses accumulées et perpétuées jusqu’à devenir permanentes. […] Quelques individus, par exemple, peuvent devenir peu à peu capables de se nourrir de nouvelles proies, soit mortes, soit vivantes, d’autres d’habiter de nouvelles stations, de grimper aux arbres, de fréquenter les eaux ou, enfin, quelques-uns peuvent devenir moins carnivores. […] Elle a pour résultat final que toute forme vivante doit devenir de plus en plus parfaite, relativement à ses conditions d’existence.

67. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Peut-être serait-il naturel que, dans un tel état, la littérature proprement dite devînt le partage des femmes, et que les hommes se consacrassent uniquement à la haute philosophie. […] Le monde leur deviendrait à la fois plus nécessaire et plus dangereux ; car on ne pourrait jamais leur parler que d’amour, et cet amour n’aurait pas même la délicatesse qui peut tenir lieu de moralité. […] Néanmoins un homme distingué ayant presque toujours une carrière importante à parcourir, ses talents peuvent devenir utiles aux intérêts de ceux mêmes qui attachent le moins de prix aux charmes de la pensée. L’homme de génie peut devenir un homme puissant, et sous ce rapport, les envieux et les sots le ménagent ; mais une femme spirituelle n’est appelée à leur offrir que ce qui les intéresse le moins, des idées nouvelles ou des sentiments élevés : sa célébrité n’est qu’un bruit fatigant pour eux. […] Un homme peut, même dans ses ouvrages, réfuter les calomnies dont il est devenu l’objet : mais pour les femmes, se défendre est un désavantage de plus ; se justifier, un bruit nouveau.

68. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Nous y voyons notre image comme en un miroir, mais une image qui se retourne contre nous, nous bat, nous fait mal, nous résiste : le non-moi devient autrui, il devient vous ou lui, un autre homme, un autre être vivant en chair et en os. […] Selon Riehl, on s’en souvient, toute sensation étant le discernement d’une différence entre l’état actuel senti et un autre état non senti ou inconscient, la sensation se trouve toujours en rapport avec du non-senti, et c’est ce non-senti qui devient « le réel » au-delà de la sensation. — Nous avons déjà répondu qu’on ne peut pas établir un rapport entre un terme donné à la conscience et un autre qui ne l’est pas. […] Nous projetons hors de nous une action plus ou moins analogue à la nôtre, et c’est cette action, placée ainsi derrière nos sensations, qui devient objet, et objet réel. […] Vous concevoir, pour moi, c’est simplement vous construire par cette imagination psychologique qui, chez les romanciers, devient la faculté dominante. […] Une fois construite, la représentation des autres êtres, devient une idée-force, ou plutôt une collection d’idées-forces toujours présentes à notre conscience, avec lesquelles nous comptons toujours, et qui manifestent leur influence dans tous nos actes, dans tous nos mouvements.

69. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Sans doute il se passe quelque chose dans les nerfs et dans le cerveau, et ce quelque chose peut être supposé analogue aux vibrations extérieures de l’éther ; mais ce mouvement, quel qu’il soit, n’est pas encore la lumière : il ne devient lumière que lorsque le moi est apparu et avec lui la sensation consciente. […] Tout ce qui résulterait de là, ce serait donc qu’une même cause peut produire sur deux substances différentes deux effets différents, mais non pas que cette cause puisse se transformer en autre chose qu’elle-même et devenir ce qu’elle ne serait pas. […] Ainsi objectivement la chaleur, comme la lumière, n’est pour nous qu’un mouvement, et elle ne devient chaleur sentie que dans un sujet sentant. […] Mais ses adversaires en ont une bien plus grave à résoudre, à savoir : comment le corps devient-il esprit ? […] Il faut donc que ce monde extérieur agisse sur l’âme pour qu’elle devienne capable de penser : il faut par conséquent un intermédiaire entre le monde extérieur et l’âme.

70. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Et tout ira ainsi tant que l’ensemble de l’univers et l’ensemble social ne seront pas fixés dans quelque évolution sans cesse répétée qui deviendra ainsi régulière — comme le sont peut-être ainsi devenues les combinaisons chimiques. […] Ce qui était inconvenant devient toléré ou même louable, ce qui était permis sans difficulté devient choquant. […] Le « devoir professionnel » n’est qu’un cas entre mille de ces morales partielles, qui cherchent à devenir prépondérantes et autonomes et qui deviennent ainsi le point de départ des déviations. […] Ce qui est courage pour les combattants d’un parti devient pour le parti opposé une insolente provocation. […] Mais on a bien soutenu que ce monde n’a d’autre raison d’être que de devenir le théâtre de la moralité.

71. (1890) L’avenir de la science « XII »

Le célèbre passage de Clément d’Alexandrie sur les écritures égyptiennes était resté insignifiant jusqu’au jour où, par suite d’autres découvertes, il devint la clef des études égyptiennes. L’accessoire peut ainsi, par suite d’un changement de point de vue, devenir le principal 109. […] Il a fallu un génie pour conquérir ce qui devient ensuite le domaine d’un enfant. […] L’œuvre intellectuelle cesse de la sorte d’être un monument pour devenir un fait, un levier d’opinion. […] La production périodique devient déjà chez nous tellement exubérante que l’oubli s’y exerce sur d’immenses proportions et engloutit les belles choses comme les médiocres.

72. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

On ne peut lui interdire de juger ; mais si d’un jugement rapide et concis il passe à la discussion, et si de la discussion elle-même il tire une conclusion sur le fond des choses, il cesse d’être historien et devient philosophe. […] La géologie devint bientôt le lien de ces deux classes de sciences. […] Ainsi le passé est entré comme objet dans les sciences de la nature, et elles sont devenues historiques sans cesser d’être des sciences. […] En un mot, l’accidentel, qu’Aristote rejetait de la science, est bien près d’en devenir au contraire ici le principal objet ; mais pour quelle raison ? […] Ce qui n’était d’abord qu’un chapitre ou à peine un chapitre est devenu par son importance une science tout entière, et cette science elle-même a des chapitres qui sont presque des sciences, car l’infini est partout.

73. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Cette pensée devient sublime par le caractere connu du personnage qui parle, et par la procedure qu’il vient d’essuier, pour avoir dit que des vers mauvais ne valoient rien. […] Nous venons de dire qu’un personnage qui ne prend qu’un interêt médiocre dans l’action, devient un personnage ennuieux. […] On ne demande point ce que devient un mort, on l’enterre. […] D’ailleurs le tragique outré devient froid, et l’on est plus porté à rire d’un poëte, qui croit devenir pathetique à force de verser du sang, qu’à pleurer à sa piece. […] Le sujet des fresques peintes sur les murailles, et celui de ces grands tableaux qui demeurent toujours dans la même place, s’il n’est pas bien connu, peut le devenir.

74. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Le crime même n’y était pas conçu comme individuel ; la substitution de l’innocent au coupable paraissait toute naturelle ; la faute se transmettait et devenait héréditaire. […] C’est là une vérité spéculative de premier ordre, mais qui devient très dangereuse dès qu’on peut l’appliquer. […] La vie ne commença qu’au moment où l’unité obscure et confuse se développa en multiplicité et devint univers. […] Si la France eût eu davantage le sentiment religieux, elle fût devenue protestante comme l’Allemagne. […] Seulement, quand l’absolutisme devient intolérable, on poignarde le souverain.

75. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Il devient spectateur d’une guerre ridicule, qui l’amuse fort. […] Que deviendront alors ces prétendus Prototypes de perfection ? […] Et le dialogue, que devient-il au milieu d’une si étrange nature ? […] Pourrez-vous jamais devenir ce qu’un autre a-été ? […] A Paris, l’homme est noyé dans la foule, & le ridicule devient imperceptible.

76. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Mais que devenait l’unité de l’armée ? Et sans l’unité que devenaient la force et la discipline ? […] Moi, encore passe ; mais toi, bel ange, devenue femme depuis quatre jours à peine ! […] Ce qui m’étonna, ce fut de voir la peau jaune de sa figure devenir d’un rouge foncé. […] La boue devenait plus épaisse et plus profonde.

77. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

On parle souvent des instincts domestiques comme n’étant devenus héréditaires que par suite d’une longue habitude acquise par contrainte. […] On ne peut guère douter que l’affection pour l’homme ne soit généralement devenue instinctive chez le Chien. […] Fabre, lorsqu’elle trouve un terrier déjà creusé et approvisionné par une autre guêpe, elle profite de la prise et devient ainsi à l’occasion parasite. […] Quand j’examinai de nouveau la cellule, je trouvai que la cloison irrégulière avait été complétée et était devenue parfaitement plane. […] Le rayon de la Mélipone deviendrait ainsi peu à peu aussi parfait que celui de l’Abeille domestique.

78. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

La religion et les mœurs devenaient peu à peu un objet de ridicule. […] Bientôt les souverains devinrent ses amis, et presque ses flatteurs. […] Le devoir de l’historien devient aussi plus difficile à remplir. […] Ici les lettres deviendront moins importantes dans leur détail. […] Un écrivain devint l’organe de ce ressentiment.

79. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Il eut pour condisciples et pour amis de collège quantité de fils de famille qui devinrent depuis des personnages, et avec qui il resta lié. […] Le président Hénault pourtant allait peu à peu devenir un homme sérieux ; mais là encore, et lorsqu’il se trouvera mêlé aux choses plus importantes, il y entrera du jeu et de la représentation plus que du fond. […] Que va-t-il devenir ? […] Klinglin, le préteur de Strasbourg, y devienne Glinglin (p. 157), etc., etc., ce sont des inexactitudes qu’à la rigueur un lecteur instruit peut rectifier : voici qui est plus grave. […] Ce maréchal si connu est devenu ici le maréchal du Bourgck (p. 176), ce qui est par trop méconnaissable.

80. (1905) Promenades philosophiques. Première série

La plupart des ermitages devinrent le noyau d’un monastère. […] Devenu réformateur de la vie religieuse, il garde les mêmes allures. […] Dans les milieux sans lumière, les poissons deviennent aveugles. […] En Orient, Helios devint S. […] Le fleuve devient un lac.

81. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l’amour qu’on a pour une autre. » — « Madame Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes, — excepté vous, madame ; — elle ne plaçait l’infidélité que dans la dernière faveur. » — « On ne se dit : Je vous aime, en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire ; et il y en a tant que l’on n’arrive quelquefois à dire le mot que lorsqu’on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » — « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu’ils n’existent pas encore, ou lorsqu’ils n’existent plus. » — Mais je m’arrête, de peur du sourire de l’auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu’il sème en s’en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière. […] Les deux enfants de madame Lauter, après la disparition de son mari, grandissent et deviennent, Léon un artiste charmant, Geneviève une personne adorable et sensible : Albert et Rose, leur cousin et cousine germaine, avec qui ils ont grandi, ont aussi une vive fleur d’âme et de jeunesse. […] Cependant madame Lauter est morte de bonne heure, et son mari, reparu incognito et assez fabuleusement, espèce de millionnaire à la façon des héros de M. de Balzac, devient comme le Deus ex machina des péripéties finales. […] Karr, je ne finirais pas de réitérer les mêmes regrets, toujours redoublés, il est vrai, des mêmes éloges : ce qui deviendrait d’un ennui que ce léger et facile roman ne mérite pas.

82. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Tel est donc ce Bovarysme fondamental selon lequel la réalité, dont l’essence est le devenir, la diversité et le changement, a pour origine et pour moyen la croyance en une vérité objective qui aspire à absorber dans l’immobile, l’unique et l’immuable, la variété des apparences. […] Cette contradiction et cette résistance dessinent en leurs points d’équilibre les contours du réel ; mais pour que le réel se forme et devienne perceptible une condition est nécessaire : c’est une certaine durée de l’état d’équilibre qui s’est établi entre les deux forces antagonistes. […] Cette fuite trop rapide, cette ardeur trop vive de nouveauté, ne donnent naissance qu’une réalité falote jusqu’à devenir imperceptible. […] Ainsi cet élément de la durée, sans lequel aucune réalité ne peut se constituer, peut-il devenir aussi un obstacle au développement futur de la réalité qu’il a fait naître ; condition de vie, il est aussi une menace de mort. […] Toute réalité vivante est soumise à la nécessité, — s’étant conçue de quelque façon afin de se former, — de se concevoir autre désormais et de se différencier quelque peu d’elle-même pour persister dans l’existence : « Qu’il faille que je sois lutte, devenir et but et contradiction des buts »22, tel est l’aveu secret que murmure la Vie à l’oreille attentive de Zarathoustra.

83. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

La religion est irrévocablement devenue une affaire de goût personnel. […] Devenues individuelles, elles sont la chose du monde la plus légitime, et l’on n’a dès lors qu’à pratiquer envers elles le respect qu’elles n’ont pas toujours ou pour leurs adversaires, quand elles se sentaient appuyées. […] La démocratie française a quelques principes essentiels à conquérir pour devenir un régime libéral. […] Mais ce critérium devient chaque jour plus incertain. […] Tout devient moins grossier, mais tout est plus vulgaire. » Au moins peut-on espérer que la vulgarité ne sera pas de sitôt persécutrice pour le libre esprit.

84. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

J’ai toujours protesté contre la popularité actuelle de cette forme poétique, aimée des asthmatiques de cet imbécille temps de décadence, où les larges poitrines et les longueurs de souffle deviennent plus rares de plus en plus. […] Eh bien, c’est après avoir lu cette pièce de L’Arbre devenu vieux et celle de la Soif de l’infini, qu’on se demandera comment une pareille âme de poète peut se pelotonner assez pour vouloir tenir dans ce mouchoir de poche d’un sonnet… et s’escamoter dans ce mouchoir ? […] L’Arbre devenu vieux, le chef-d’œuvre du volume, réunit ces deux qualités qui semblent s’exclure, — et qui s’excluent dans des écrivains moins doués. […] si on admire, avec juste raison, les esprits d’une puissance dramatique assez grande pour s’incarner dans une autre peau que la leur et devenir, à leur choix, Othello ou Macbeth, le père Goriot ou Vautrin, que ne doit-on pas penser de ceux qui, laissant là la personnalité humaine, s’incarnent dans des êtres étrangers à l’humanité, comme un hêtre ou comme un centaure ?… De Gères, dans L’Arbre devenu vieux, n’a pas l’étrange originalité de Guérin, qui nous donne les joies et les tristesses du Centaure, mais il en a la mélancolie.

85. (1923) Paul Valéry

Mais dès que la littérature devient servitude, elle ne vaut pas plus que n’importe quel métier, et Valéry en préféra un autre. […] La masse vivante et active de la poésie devient le lyrisme. […] Les après-midi du faune sont devenus métaphysiques. […] Il formule poétiquement un objet métaphysique, et dès lors cet objet devient tout poétique. […] La préoccupation parnassienne du métier est devenue chez lui la méditation de la technique.

86. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Et tout cela pour ne devenir qu’une bête ! […] Ou, s’il voulait devenir docteur, que ne le devenait-il résolument de fait comme de nom ? […] Tu as voulu que je devinsse quelque chose de plus que toi. […] Frey tag y devient vraiment romancier. […] Mon ami, ne deviens jamais amoureux, si cela est possible.

87. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Mais lorsque les plébéiens des cités héroïques devinrent assez nombreux, assez aguerris pour effrayer les pères (qui dans une oligarchie devaient être peu nombreux, comme le mot l’indique), et que, forts de leur nombre, ils commencèrent à faire des lois sans l’autorisation du sénat, les républiques devinrent démocratiques. […] Dans cette révolution, l’autorité de domaine devint naturellement autorité de tutelle ; le peuple souverain, faible encore sous le rapport de la sagesse politique se confiait à son sénat, comme un roi dans sa minorité à un tuteur. […] Lorsque les citoyens sont ainsi devenus étrangers à leur propre pays, il est nécessaire que les monarques les dirigent et les représentent. […] on ne savait ce que c’était que richesses, dans un tel état de simplicité. — La difficulté devient plus grande encore, lorsqu’on songe que dans la haute antiquité il n’y avait point de forteresse, et que les cités héroïques formées par la réunion des familles n’eurent point de murs pendant longtemps, comme nous le certifie Thucydide105.

88. (1891) Esquisses contemporaines

Cette inquiétude en devint bientôt le trait dominant. […] Ou bien, si elle veut devenir plus sérieuse, elle cessera d’être proprement critique pour devenir analytique, et littéraire pour devenir psychologique. […] Dès lors l’activité de l’intelligence devient un labeur. […] Vinet lui-même devint suspect. […] L’existence est un simple devenir.

89. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Ainsi, dans le langage extérieur, l’image-signe se distingue des images signifiées par l’indépendance qui résulte pour elle de ce qu’elle devient un état fort, ses concomitants restant faibles. […] En même temps, les idées générales deviennent plus nombreuses dans chaque esprit, et chacune d’elles, avec les progrès de l’expérience, croît en compréhension ; le développement d’un langage impartial devient ainsi chaque jour plus utile au fonctionnement logique de la pensée. […] En vertu de quelle loi psychologique un groupe de phénomènes analogues, une fois formé et devenu une habitude périodiquement actuelle, tendrait-il à se dissoudre ? […] On pourrait dire qu’alors la signification, seule clairement consciente, devient le signe de son signe, lequel est inconscient. […] Il est donc historiquement prouvé que le simple son ap, op, up est devenu, par l’intermédiaire d’un nom d’oiseau, le nom d’une touffe de plumes ».

90. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Elles sont des exemples de la puissance des idées non réfrénées, qui deviennent des idées fixes. […] L’exemple de la mère éveillée par le moindre mouvement de son enfant malade est devenu classique. […] De même, l’impossibilité d’éveiller le dormeur par les moyens ordinaires serait une conséquence de cet arrangement vaso-moteur devenu fixe. […] De même, nous pouvons tous suspendre volontairement le rythme devenu automatique de la respiration. […] C’est donc bien ici une idée qui s’est réalisée, une forme de rougeur représentée qui est devenue une rougeur réelle.

91. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Si la passion entre en jeu, la parole intérieure devient plus forte ; l’articulation en est plus précise et plus ferme, l’intonation plus variée ; la parole intérieure est devenue vivante, accentuée, véhémente, émue, un peu plus lente aussi, chaque mot ayant alors un sens plus plein, et l’âme se plaisant, pour ainsi dire, à savourer un court instant chacune de ses idées. […] Si l’intervention illégitime de la perception externe est le caractère spécifique de l’hallucination, il faut dire que la parole intérieure vive devient alors une véritable hallucination. […] La parole intérieure devient vive sous l’influence de la passion et de l’imagination. […] Avant même que la parole soit devenue extérieure et audible, les muscles s’agitent et trahissent aux yeux l’état vif de la parole intérieure. […] Enfin, toute contrainte disparaît ; on parle tout haut ; la parole, à peine audible un instant auparavant, est devenue vraiment extérieure.

92. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

On conçoit, en effet, que des graines ne puissent devenir graduellement ailées par sélection naturelle, que si les fruits qui les produisent s’ouvrent d’eux-mêmes. […] Mais si toutes ces espèces, sans exception, ont, au contraire, des fleurs bleues, la couleur deviendra un caractère générique, et ses variations seront regardées comme beaucoup plus extraordinaires. […] Un pareil fait suffit à prouver qu’un caractère quelconque, généralement considéré comme de valeur générique, peut diminuer de valeur et devenir seulement spécifique, ou même individuellement variable, sans que pour cela son importance physiologique ait changé. […] Nous voyons plusieurs espèces très distinctes du genre Cheval qui deviennent, par simple variation, rayées sur les jambes comme le Zèbre, ou sur les épaules comme l’Âne. […] Lorsque ces diverses causes ou influences favorisent l’hérédité, il y a réversion exacte aux caractères de l’ancêtre commun ; lorsqu’elles la contrarient, la tendance de réversion devient une tendance à produire des variations analogues.

93. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Cette passion de la campagne, cette frénésie de la solitude et de la contemplation, devinrent les deux notes de son talent. […] Rousseau y devint éloquent et pieux, mais il y devint aussi rêveur. […] Que devins-je à cette vue ? […] Qui sait ce que sont devenus ces fils de Thérèse jetés aux gémonies tout vivants par la barbarie d’un père insensé ? […] combien la pauvre Thérèse, dans l’amour bestial d’un tel homme et après de tels rapts de ses enfants, ne devait-elle pas frémir de devenir mère !

94. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Il y condamna la société et sentit qu’il devenait méchant ; il y condamna la providence et sentit qu’il devenait impie. […] « L’âme, à vau-l’eau dans ce gouffre, peut devenir un cadavre. […] Je me suis caché sous un nom ; je suis devenu riche, je suis devenu maire ; j’ai voulu rentrer parmi les honnêtes gens. […] J’étais stupide, je suis devenu méchant ; j’étais bûche, je suis devenu tison. […] Madeleine est devenu fou ; vous ne me croyez pas !

95. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

L’histoire est la forme nécessaire de la science de tout ce qui est dans le devenir. […] Je conçois de même pour l’avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. […] Là, au contraire, on prend l’organisme vivant, la variété spécifique, le mouvement, le devenir, l’histoire en un mot. […] On chercherait en vain dans cet éternel devenir l’élément stable, auquel pourrait s’appliquer l’anatomie. […] L’âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel.

96. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Tandis que l’Allemagne était restée superstitieuse, la France était devenue athée. […] Où est le ciel avec cet athéisme, et que devient la terre avec lui ? […] Plus le sentiment de la nature est fort, plus ce tourment devient âpre et douloureux. […] Le sentiment de force et d’indépendance, n’étant contrebalancé par rien, devient un orgueil insensé ; l’amour devient une fureur ; le sentiment de la nature, une rêverie fatigante. […] Il devient, faut-il le dire, la proie du monde extérieur.

97. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

De même que la métaphysique de la raison nous enseigne que par l’intelligence l’homme devient tous les objets ( homo intelligendo fit omnia ), la métaphysique de l’imagination nous démontre ici que l’homme devient tous les objets faute d’intelligence ( homo non intelligendo fit omnia ) ; et peut-être le second axiome est-il plus vrai que le premier, puisque l’homme, dans l’exercice de l’intelligence, étend son esprit pour saisir les objets, et que, dans la privation de l’intelligence, il fait tous les objets de lui-même, et par cette transformation devient à lui seul toute la nature. […] On lui attribua ensuite beaucoup de fables morales, et il devint le premier moraliste, de la même manière que Solon était devenu le législateur de la république d’Athènes. […] Les Zoroastre en Orient, les Trismégiste en Égypte, les Orphée en Grèce, en Italie les Pythagore, devinrent, dans l’opinion, des philosophes, de législateurs qu’ils avaient été. […] Or, de telles passions s’expriment par un ton de voix très élevé, qui multiplie les diphtongues, et devient une sorte de chant. […] Elles devinrent plus tard un objet d’amusement et d’érudition.

98. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Bientôt, à mesure que le cerveau s’organise, la voie devient encore plus facile et plus prompte. […] Faut-il exagérer la pensée de Pascal jusqu’à croire que l’être vivant pourra devenir par la suite, au sens propre du mot, « machine en tout » ? Quelques philosophes ont soutenuw récemment cette hypothèse ; ils ont cru pouvoir prédire que, dans les siècles à venir, l’homme deviendra de plus en plus inconscient. […] Si les opérations intellectuelles pouvaient devenir aussi automatiques que celles de la vie organique, ajoutent-ils, elles seraient bien supérieures à ce qu’elles sont maintenant. […] A mesure qu’on s’élève dans l’échelle animale, les êtres deviennent plus sensibles.

99. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Si l’histoire prétendait reproduire exactement la réalité même, elle devrait viser à être le miroir de cet océan mobile, de cette surface perpétuellement renouvelée, ce qui devient impossible. […] Le christianisme, qui devenait une puissance dans l’État, favorisait plutôt l’idée dynastique ; entre le sénat et César, dès qu’il y avait lutte, il n’hésitait pas. […] Ils favorisèrent les missions apostoliques de Willebrod et de Winfried (saint Boniface) dans la Germanie, alors seulement devenue chrétienne. […] La jeunesse imprévoyante et frivole se rit encore de ces aberrations, mais ne les partage plus ; Astyle raille Gnathon sans songer à devenir son complice. […] Attila aussi, dans les poëmes germaniques, n’est-il pas devenu le bon Étel ?

100. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Vous reconnaissez que la culture intellectuelle, pour devenir civilisatrice, exige une vie entière d’application et d’étude. […] Ce qui fait qu’un métier manuel est maintenant abrutissant, c’est qu’il absorbe l’individu et devient son être, son tout. […] Il faut détruire l’antagonisme du corps et de l’esprit, non pas en égalant les deux termes, mais en portant l’un des termes à l’infini, de sorte que l’autre s’anéantisse et devienne comme zéro. […] En vérité, je ne sais si tous les plaisirs ne pourraient subir cette épuration et devenir des exercices de piété, où l’on ne songerait plus à la jouissance. […] L’accidentel devient ainsi la vie même, et la partie vraiment humaine et religieuse disparaît presque.

101. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Les héros dont elles disent les exploits finissent par devenir des saints. […] Guillaume d’Orange, dans sa vieillesse, se retire en un couvent qu’il a fondé et devient après sa mort saint Guillaume du Désert. […] La chose est sensible, surtout quand le roi, devenu vieux, tourne à la dévotion, quand, docile exécuteur des volontés du clergé orthodoxe, il chasse les protestants, persécute les quiétistes et les jansénistes, menace les Juifs d’expulsion. […] L’art lui devient suspect ; tout ce qui brille lui semble mauvais ; les grands mouvements comme le grand éclat sont proscrits. […] Même de nos jours, pour les cultes reconnus par l’État, catholiques, réformés, israélites, les chiffres recueillis par les recensements officiels sont sujets à caution, et quand il s’agit de supputer en un moment donné le nombre des diverses variétés de libres-penseurs, la difficulté devient à peu près insurmontable.

102. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Nommé, après juillet 1830, consul à Trieste d’abord, puis, sur le refus de l’exequatur par l’Autriche, consul à Civitavecchia, il était devenu dans les dernières années un habitant de Rome. […] Il l’accompagnait à Rome et devenait volontiers un cicerone en personne. […] Beyle, au fond, est un esprit aristocratique : un jour, à la vue des élections, il s’était demandé si cette habitude électorale n’allait pas nous obliger à faire la cour aux dernières classes comme en Amérique : « En ce cas, s’écrie-t-il, je deviens bien vite aristocrate. […] Le roman est moins un roman que des mémoires sur la vie de Fabrice et de sa tante, Mme de Pietranera, devenue duchesse de Sanseverina. […] Il devint lourd et apoplectique dans ses dernières années, mais il était fort soigneux de dissimuler, même à ses amis, les indices de décadence.

103. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

En voyant d’Antin si humble et si sincère d’aveu, on lui devient presque indulgent. […] Ma mère ne me verra point, car ma présence, si elle ne devient une bassesse et une flatterie, lui est une insulte. […] Avec cela il était devenu d’emblée colonel d’un nouveau régiment dit de l’Île de France. […] En suis-je devenu plus sage et plus occupé des choses permanentes, exemptes de vicissitudes ? […] Louis XIV mourait, et le duc d’Orléans devenait la puissance du jour.

104. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Il était devenu vieux d’assez bonne heure ; bien portant encore, mais sourd, d’ailleurs bon homme et naïf à mesure qu’il rentrait et s’enfermait davantage dans le cercle des amis et dans celui de la famille. […] de devenir ennuyeux. […] Un vertige s’est emparé de la tête de tout le monde. » Il aurait pu ajouter : « Et de la mienne aussi. » Sourd comme il l’est devenu, il ne paraît pas même se rendre très bien compte de la situation générale. […] Il savoura avec douceur ce suprême applaudissement, et se dit que sans doute le public était devenu plus moral, puisqu’il accueillait un si excellent ouvrage. […] Bouchot, paraissaient très convaincus que Beaumarchais s’était délivré lui-même (avec le poison dit de Cabanis) d’une vie qui lui était devenue trop à charge à force de gêne, et trop pénible.

105. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

La connaissance primitive devient science quand la vue d’abord complète devient partielle. […] Elles sont devenues des êtres particuliers et complexes, et se sont mêlées à des sentiments complexes et particuliers. La violence n’est plus une qualité pure ; elle est devenue un lion, et le lion de La Fontaine. […] On va voir ce qu’est devenue celle d’Esope en entrant dans ce monde nouveau. […] Sa sottise ou sa grandeur, accumulée sur un seul point, se centuple ; la figure la plus vulgaire devient expressive, et intéresse, parce que l’esprit y aperçoit toute une vie en raccourci.

106. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Plongé dans cette atmosphère du devenir qui enveloppe tout le réel, l’homme obéit à la loi du changement : il devient autre. […] Le pouvoir d’évoluer ne fait qu’un avec la loi du devenir dont il est la traduction sous une forme active et subjective. […] On peut dire de ce point de vue que l’homme de génie, lorsqu’il invente, manifeste la seule action de la loi du devenir et qu’il échappe à tout Bovarysme. […] La vie se transforme et devient autre en dehors de tout dessein prémédité. […] Le Bovarysme est donc la forme que prend la loi du devenir durant toute la part du trajet qu’elle accomplit sous le regard de la conscience.

107. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Il serait absurde de parler d’une propriété de la matière qui ne pût pas devenir objet de représentation. […] Tout ce qui existe est actuel ou pourra le devenir. […] Mais il ne dessine pas les représentations elles-mêmes ; car il ne pourrait, lui représentation, dessiner le tout de la représentation que s’il cessait d’être une partie de la représentation pour devenir le tout lui-même. […] Réaliste au moment où il pose le réel, il devient idéaliste dès qu’il en affirme quelque chose, la notation réaliste ne pouvant plus guère consister, dans les explications de détail, qu’à inscrire sous chaque terme de la notation idéaliste un indice qui en marque le caractère provisoire. […] Comme d’ailleurs notre connaissance de la matière ne saurait sortir entièrement de l’espace, et que l’implication réciproque dont il s’agit, si profonde soit-elle, ne saurait devenir extraspatiale sans devenir extrascientifique, le réalisme ne peut dépasser l’idéalisme dans ses explications.

108. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

On devient capable de sentir qu’on ne comprend pas, ou qu’on ne comprend pas tout ; on devient incapable de se contenter des fausses clartés et des à peu près ; on devient habile à distinguer la voix intérieure qui part du fond de nous, de la parole que nous transmettent l’EIzévir et le Didot. […] Ce jour est venu quand les textes français sont devenus objets d’étude, quand ils ont, en vieillissant, perdu pour les nouvelles générations cette clarté apparente d’expression et d’idée dont le premier public se contentait ; enfin quand les écoles et les collèges s’en sont emparés pour en faire les instruments de l’éducation de la jeunesse. Nos textes français sont devenus objets d’étude, d’abord, quand ils ont été élevés à la dignité de modèles : ce qui s’est produit pour la littérature du XVIIe siècle dès le début du XVIIIe. […] Le ministère, après l’épreuve décisive de l’enseignement de l’histoire littéraire, leur donna raison, et l’explication française devint officiellement un des exercices réguliers et importants de la classe de français. […] Qu’il s’agît du brevet supérieur, de la licence, de l’agrégation, du certificat des jeunes filles, de l’entrée à l’École Normale de la rue d’Ulm ou à celle de Sèvres, l’exercice de l’explication française devint l’épreuve importante et décisive où la culture française du candidat se jugea7.

109. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Le temps était devenu affreux ; la pluie tombait à torrents ; les chemins étaient inondés, les terres défoncées. […] On commença à notre gauche par une diversion qui devint une action trop principale autour de la ferme et du château de Goumont. […] Un personnage essentiel dans le plan de Napoléon manqua toujours, c’était, Grouchy, lequel apparaissant avec ses 36,000 hommes, en tout ou en partie, eût permis de conjurer ce fantôme des Prussiens devenu bientôt une formidable réalité, et de livrer la bataille dans l’ordre régulier et savant suivant lequel elle, avait d’abord été calculée. […] Serions-nous devenus des rhétoriciensou des byzantins pour disputer ainsi à perte de vue sur ce qui n’est beau et ce qui ne mérite de vivre que par le sentiment qui en est l’âme ? […] Je fuis la rhétorique directe qui s’étale et qui s’affiche ; je ne fuis pas moins la rhétorique retournée, qui est tellement occupée à faire pièce à la rhétorique solennelle, qu’elle en oublie le fond des choses, qu’elle se prend elle-même à des mots, leur donne une importance qu’ils n’ont pas, et devient une manière de rhétorique à son tour.

110. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

La gloire est médiocre à ne prouver que ce qui est vrai ; laissons agir la Nature, cédons aux impressions même momentanées, & soyons singulier, pour devenir célebre ». D’après ce principe établi par systême, ou suivi par instinct, tout est devenu problématique sous sa plume. […] En Religion, comme en Morale, tout est établi & calculé par une Providence sage, tandis que tout devient incertain & arbitraire dès que l’esprit n’a plus de frein. […] Quelle idée avantageuse peut-on s’en former, quels fruits peut-on s’en promettre pour la culture de l’esprit & la perfection des mœurs, quand on voit les vrais principes attaqués, les regles méconnues, les bienséances violées, l’anarchie & la confusion établies sur les débris du goût & de la raison ; quand la Religion, la morale, les devoirs, la vertu, deviennent la proie d’une Philosophie extravagante qui outrage l’une, corrompt l’autre, prononce sur ceux-ci, & défigure celle-là au gré de ses caprices ou de ses intérêts ? […] Depuis ces prétendues lumieres qu’on se vante de nous avoir communiquées, la Société est-elle devenue plus heureuse & mieux réglée ?

111. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

L’affaire du collier fait la partie principale du livre ; l’auteur était instruite de quelques particularités qui peuvent donner du poids à son témoignage : aussi par moments le ton y devient comme solennel, et c’est là que se trouve l’invocation aux siècles à venir. […] Cette femme lui avait prédit à Amiens, dans son enfance, qu’elle deviendrait une grande dame et qu’on lui porterait la robe à la cour. […] Une autre fois qu’elle allait aussi chez la reine, c’était dans des jours moins heureux, la princesse lui dit : « J’ai rêvé de vous cette nuit, ma chère Rose ; il me semblait que vous m’apportiez une quantité de rubans de toutes couleurs, et que j’en choisissais plusieurs ; mais, dès qu’ils se trouvaient dans mes mains, ils devenaient noirs… » L’éditeur a compris qu’il n’y avait pas là de quoi faire un volume : il a donc grossi le sien de notes sur le comte de Charolais, le duc d’Orléans, MM. de Choiseul et de Maurepas, qui ne se rattachent aucunement au texte ; ils sont à peine nommés dans l’ouvrage, et voilà qu’on nous donne en notes toute leur vie privée et publique. […] Cet abus de notes et d’éclaircissements est devenu trop commun pour ne pas le signaler.

112. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

On devient soi-même chef-d’œuvre ! […] Il le fût peut-être devenu. […] Tout devient grand, Wagner lui-même devient grand. […] Lorsqu’un musicien ne peut plus compter jusqu’à trois, il devient dramatique, il devient wagnérien. […] Il devient froid, en revanche, il ne nous regarde plus dès qu’il veut devenir l’héritier des classiques.

113. (1864) Études sur Shakespeare

Les conventions y prennent la place des réalités ; les mœurs y deviennent factices et faibles. […] C’était déjà là un progrès ; un accessoire inutile était devenu un moyen de développement et de clarté. […] Dans cette discussion sans importance, un seul fait est certain et devient un nouvel objet de surprise. […] » le danger devient assez sérieux pour que le bon goût n’oblige pas le gentilhomme à s’y exposer. […] Castrell, riche ecclésiastique, devint propriétaire de Newplace.

114. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Elle a changé par un développement naturel et irrésistible, comme une fleur qui devient fruit, comme un fruit qui devient graine. […] Les cœurs de pierre se sont fondus, les voilà devenus aussi tendres que de la chair. […] Son premier volume publié, il devint tout d’un coup célèbre. […] Il resta boiteux et devint liseur. […] Elle est contrainte de se transformer et de devenir anglicane, ou de se déformer et de devenir révolutionnaire, et, au lieu d’un Schiller et d’un Gœthe, de donner des Wordsworth, des Byron et des Shelley.

115. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Mais l’on veille à ce que cette distraction ne devienne pas un effort. […] Après avoir été un prétendu ornement, le masque devient une horrible nécessité. […] Ces états physiologiques chez l’artiste deviennent presque une seconde personne. […] L’idée de nécessité est devenue idée d’obligation. […] Par ce chemin encore la morale est devenue une passion.

116. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre V »

Ils ont une forme heureuse, mais par hasard ; et pourtant tout mot grec aurait pu devenir français si l’on avait laissé au peuple le soin de l’amollir et de le vaincre. […] Nous sommes devenus trop respectueux et trop timides pour que l’on puisse conseiller aujourd’hui de soumettre à ce traitement radical les mots gréco-français du répertoire verbal ; il faut cependant trouver à leur laideur quelques palliatifs. […] Un mot étranger ne peut devenir entièrement français que si rien ne rappelle plus son origine ; on devra, autant que possible, en effacer toutes les traces. […] La térébenthine était devenue joliement tourmentine (Dictionnaire de Wailly).

117. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Durant les dernières années, quand il entendait prodiguer l’appellation devenue banale, M.  […] Le jeune Rémusat y devint ministériel, et ce fut son seul temps de ministérialisme avant 1830. […] Il est curieux de suivre tout ce dont est capable un grand esprit piqué au jeu, et de voir, en désespoir de cause, la philosophie se faisant drame, la critique, à ce degré de puissance, devenue créatrice. […] Les grands talents surtout sont comme aux abois et ne savent que devenir ; à bout de leurs premiers motifs, et depuis que les grandes causes ont fait défaut, ils cherchent des thèmes. […] Toute son ambition, après juillet, était de devenir député.

118. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Rossignol en vient à l’appréciation littéraire, et le coup d’œil qu’il jette sur la composition d’une seule églogue le mène aux considérations les plus intéressantes sur ce genre même de poésie, sur ce qu’étaient sa forme distincte et son rhythme particulier chez les Grecs, sur ce qu’il devint, chez les Romains, déjà moins délicats d’oreille, et qui se contentèrent d’un à peu près d’harmonie. […] Lucine, toute chaste que l’appelait le poëte ( casta, fave, Lucina ), n’est pas plus heureuse qu’Astrée ; elle disparaît pour devenir simplement la lune qui nous éclaire  ; et si, dans le texte primitif, on la suppliait de présider, comme déesse, à la naissance de l’enfant, le traducteur lui ordonnera d’ adorer le nourrisson qui vient de naître . […] Il serait curieux de suivre en détail avec le critique cette traduction habilement infidèle et toute calculée, dans laquelle l’églogue païenne de Virgile est devenue un poëme chrétien, et qui transforme définitivement le dieu épiphane de la Sibylle en la personne même du Rédempteur. […] Ce qui devient bizarre, ce qui devient mensonger et adultère, c’est l’appropriation prétendue littérale, c’est le détournement frauduleux de l’Églogue à un avènement qui n’avait pas besoin d’un tel précurseur. […] Rossignol a le mérite de combiner en lui les traditions et quelques-unes des qualités essentielles de ces hommes qui sont nos maîtres, et à la fois de s’être formé lui-même avec originalité, avec indépendance, dans une étude approfondie et solitaire qui devient de plus en plus rare.

119. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Aux quinzième et seizième siècles, la comédie improvisée devint un art très savant qui lutte avec la comédie régulière, qui crée plus que celle-ci des caractères durables, qui laisse dans l’imagination des peuples une trace plus profonde, et qui se vulgarise et se popularise dans toute l’Europe. […] Les bouffons et les masques créèrent les types qui allaient se perpétuer et devenir bientôt cosmopolites. […] Parfois aussi, lorsque les pièces devinrent très compliquées, très chargées de personnages et d’incidents, les canevas entraient dans tous les détails de l’action ; la trame était tissue avec soin ; à l’acteur d’y broder les arabesques d’une libre fantaisie, suivant la disposition du moment et celle que montrait le public. […] Elle ne devient un art que lorsqu’elle prend conscience d’elle-même, qu’elle se systématise, obtient des effets voulus, et se propose un but. […] Cet habit devint noir, en signe de deuil, après la prise de Constantinople par les Turcs ; puis, le noir prévalut par habitude et fut le plus généralement en usage pour ce pourpoint ainsi que pour la robe.

120. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

C’est-à-dire, simplement, que dans le soin et l’amour de la forme s’affirme la personnalité de l’auteur devenu écrivain. […] L’anachronisme auquel on s’expose risque fort de devenir fatal. […] Faisons un vilain rêve, qui deviendra peut-être un jour une réalité. […] Mais qu’est devenu Stésichore, grand poète épique et lyrique ? […] Une élite de rencontre devient ainsi la représentation, seule glorieuse, de tous les génies disparus.

121. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Anne d’Autriche devient le modèle des grisettes et tous les clercs de notaire deviennent des Buckingham. […] Il se maria et devint un sot romancier. […] Aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus facile. […] Toute parole qui tombe dans la foule humaine devient une formule synthétique et oraculaire. […] Donc, le héros devient amoureux.

122. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

On ne saurait avoir moins de dispositions que lui à être un fat : à la guerre, Gourville ne songe pas non plus à devenir un héros. […] Le cardinal Mazarin, devenu plus exigeant avec le succès, paraît regretter qu’on ait fait l’amnistie de Bordeaux trop large et qu’on n’en ait pas excepté un certain Duretête, bien nommé et grand séditieux. […] À l’école d’un si bon maître, Gourville, devenu receveur général des tailles en Guyenne, réalisa en peu de temps de grandes richesses. […] Un moment, à la mort de Colbert, Gourville faillit devenir contrôleur général. […] Louis XIV le remit au pas ; l’excellent esprit de Gourville qui, de tout temps, serait allé de pair avec les plus fins, devint digne d’une époque où les honnêtes gens avaient le dessus ; il y tient son coin original et distingué.

123. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Nous vivons trop peu pour devenir fort habiles ; de plus, nous n’avons pas assez de capacité pour approfondir les matières, et d’ailleurs il y a des objets qu’il semble que le Créateur ait reculés afin que nous ne puissions les connaître que faiblement. […] La santé de M. de Suhm justifia trop les craintes de son ami : après plus de trois années de séjour en Russie, et au moment où Frédéric devenu roi lui écrivait : « Revenez et soyez à moi », M. de Suhm, épuisé de forces, expirait dans le voyage. […] Une circonstance piquante, c’est que le métaphysicien diplomate devient durant ce temps son agent d’affaire et de finances : M. de Suhm est chargé par Frédéric, à qui son père refuse le nécessaire, de négocier quelques emprunts d’argent auprès de l’impératrice Anne ou de son favori Biron, duc de Courlande. […] Mais les autres ne le lui permirent pas de sitôt ; et, après avoir commencé par être un envahisseur, force lui fut de rester pendant des années un infatigable donneur de batailles et de devenir le plus grand capitaine de son époque : mais, l’étoffe de l’esprit et du caractère y étant, on peut dire encore qu’il ne le devint que par la force des choses. […] On se demande ce que serait devenue cette incomparable amitié si M. de Suhm avait vécu, ce qu’il aurait pensé de son ami le philosophe en le voyant devenu guerroyeur et conquérant, ce qu’il aurait dit des soupers de Potsdam, des entretiens de Sans-Souci, des licences philosophiques que certains convives y apportaient, et si l’idéal premier, au milieu de l’admiration persistante, n’aurait pas subi un déchet inévitable ?

124. (1932) Le clavecin de Diderot

Les médecins, les sociologues, les spécialistes de l’hygiène mentale deviennent les « accordeurs ». […] Ainsi, devenais-je un petit analytique aussi malheureux, aussi grognon que les analytiques adultes. […] De négative, la dialectique devient positive, objective. […] Le soir venu, il remerciait Dieu d’avoir métamorphosé son devenir en rester là. […] il devint Marius, puis Bébé volant.

125. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

D’autre part, le vers disloqué, désarticulé, désossé, devenait onduleux, fluide, vaporeux. […] Elle prouverait aussi qu’il en a quelquefois souffert, que sa pensée est devenue ça et là pénible et même obscure à force d’être condensée. […] Artiste est devenu souvent synonyme d’écrivain. […] A, si je ne me trompe, était noir ; E, blanc ; I, rouge ; U, vert ; O, bleu et, dès qu’il devenait long, violet. […] Si l’on passe au temps de Louis XV, tout s’allège, devient leste, pimpant, coquet.

126. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Si le son devient trop violent, le plaisir se change en gêne. […] La mesure dans l’activité devient donc un moyen d’en assurer le développement le plus intense et le plus efficace. […] Mais peu à peu, par l’effet de l’habitude, le mouvement accompli d’abord sous une impulsion de peine ou de plaisir notable est devenu plus facile et s’est accompli sous une moindre excitation. […] La qualité, ici, paraît donc indifférente ; mais, en y regardant de plus près, on voit que, pour être devenue uniforme, elle n’a pas disparu. […] Mais, à un degré plus haut de l’échelle des êtres, le plaisir devient, par l’intermédiaire de l’idée qui l’anticipe, le sur aiguillon de l’activité.

127. (1909) De la poésie scientifique

En l’art de Moréas, à cette heure, venaient valeureusement s’unir, et la manière prosodique de Verlaine, devenue en lui plus complexe et mieux déterminée, et la pensée de Mallarmé, avec souvenir de Baudelaire de qui d’ailleurs Mallarmé avait procédé aussi, initialement. […] — En concordance avec le Tout, tout homme doit donc s’évertuer en le plus-d’effort, à connaître l’univers et lui-même, et tendre à sa Synthèse, — c’est-à-dire re-créer en lui consciemment un peu de l’Unité devenu ainsi conscient. […] — D’où, notre principe : « Devenir à Savoir, c’est devenir à Etre30 ». […] Et nous voulons, à l’heure des Synthèses dernières, aux derniers livres, un chant pour les lèvres intellectuelles de l’Homme : qu’il se sente avec nous, devenir le lieu où va à se créer sa conscience émue, l’Unité du monde ! […] Cette action, d’autres maladroitement ont voulu la céler  qui l’ont subie, ou en elle ont recherché quelques éléments à être originaux sans s’apercevoir qu’ils en devenaient incohérents.

128. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Le fait suggestif était trouvé, l’assimilation devenait facile. […] Il arrive que chacun domine à son tour, et après avoir été l’instrument, devient le principe directeur. […] Cela est devenu banal. […] À mesure que les données du problème se compliquent, les réponses possibles deviennent moins nombreuses. […] Il soufflait bruyamment ; son pinceau devenait d’une agilité surprenante.

129. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Où l’ont-ils donc étudiée, cette Nature qu’ils méconnoissent autant qu’ils la dégradent, cette Nature qui ne devient, sous leur pinceau, qu’un cloaque infect, d’où s’exhalent plus de maux que la boîte de Pandore n’en contint jamais, puisqu’ils ôtent jusqu’à l’espérance ? […] Dans le Systême de la Nature, tout s’altere, se brouille, s’éteint ; la Nature, en désordre, n’a plus rien qui rappelle à elle-même ; tout ce qu’elle produit dans l’humanité, devient sa honte & son ennemi. […] L’effet des séditions a toujours été de ramener à l’obéissance, & de faire sentir le prix de l’autorité légitime, par l’expérience des maux que la révolte entraîne : de même leur soulévement contre la Religion deviendra le plus solide trophée de sa gloire, & le lien le plus sûr pour y attacher les Esprits raisonnables. […] Les passions apprêtées par les mains d’une hypocrisie systématique, sont devenues le mobile de toutes les actions ; l’intérêt particulier aguerri à tous les sacrifices, en est le terme. […] Pénétrer dans les Hopitaux, percer les cachots les plus obscurs, monter jusque sur les échafauds, tel est l’exercice journalier de son zele : tel est le spectacle qu’elle offre à l’impie qui la déchire, & ne fait pas attention qu’il se raviroit à lui-même le bien qui à chaque instant devient son appui, si ses coupables efforts venoient à bout de la détruire.

130. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

C’était le moment où la nature était à la mode, où la Suisse allait le devenir : Tronchin la mettait en honneur pour le régime, et Jean-Jacques pour le paysage. […] Il vit beaucoup à Rome l’héritier des Stuarts, le prétendant, et sa belle épouse, la reine des cœurs, la comtesse d’Albany, dont il devint même amoureux. […] Il est pris dans l’engrenage de la machine, et devient lui-même un des rouages. […] Il n’avait pas attendu d’être si proche voisin de Coppet pour devenir un ami particulier des Necker et pour connaître familièrement Mme de Staël. […] L’usage presque continuel de la torture devenait quelquefois un moyen de finance.

131. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Elles deviennent alors une sorte de corps de préceptes d’hygiène physiologique et d’hygiène mentale. […] En agissant ainsi l’homme poursuit son propre bien, parce que le bien des autres est devenu le sien, parce que l’altruisme s’est ainsi partiellement confondu avec l’égoïsme, parce que les autres, en lui, sont devenus lui, et que le monde extérieur, en tant qu’il agit sur notre esprit et par notre esprit sur notre conduite, devient une partie de nos idées et de nos sentiments. […] Des idées et des sentiments qui les représentent deviennent instinctifs et comme inconscients. […] Le moi indépendant s’est affaibli au point que le sacrifice en soit une nécessité, et que l’entretien et la conservation puissent en devenir un fardeau. […] L’homme s’y est peut-être pris trop tard pour devenir un être social.

132. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Il en est qui disent qu’on naît poète, mais qu’on devient prosateur. Moi, je crois qu’on n’acquiert pas grand’chose dans l’ordre de l’intelligence et qu’on naît même ce qu’on doit devenir ; mais il n’en est pas moins vrai que Vigny, qui avait le génie poétique à fleur et à fond d’âme, n’avait qu’à fond d’âme le génie de la prose. […] Madame de Saint-Aignan, une Éloa qui va devenir mère et qui ne peut pas tomber, elle ! […] Miettes touchantes que Ratisbonne, cette Chananéenne de l’Amitié, a bien fait de recueillir et d’offrir au monde, au monde actuel, quoi qu’il soit devenu ! […] « Cependant il y en a parmi eux qui ne cessent de se quereller pour savoir l’histoire de leur procès, et il y en a qui en inventent les pièces ; d’autres qui racontent ce qu’ils deviennent après la prison, sans le savoir.

133. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Chaque maison munie d’une porte cochère devant fournir un cavalier, la troupe ainsi recrutée devient « la cavalerie des portes cochères ». […] En ce temps-là, la satire domine ; elle se glisse partout et devient virulente. […] Seulement la fable est devenue entre leurs mains comme un tonneau où le vin s’est tourné en vinaigre. […] En vertu du système ci-dessus indiqué, son drame devient alors la Jeunesse de Henri V. […] D’un côté, le dialecte de l’Ile-de-France est devenu la langue de la France entière ; il refoule et fait reculer sans cesse les patois qui agonisent.

134. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Et, en effet, ceux qui croyaient devenir savants demeuraient englués dans les minuties du raisonnement déductif. […] Un ouvrage littéraire n’est admis au périlleux honneur de devenir classique que s’il est consacré par de longues années d’admiration. […] Tout dès lors devient une préparation au régiment. […] Qu’est devenu le temps où Budée, pour écrire à ses amis, se servait de la langue d’Athènes ? […] Les apprentis écrivains n’en sont pas devenus plus prudents.

135. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

On mettrait bien du temps à devenir misanthrope si l’on s’en tenait à l’observation d’autrui. […] Cette émotion est devenue courante, Rousseau l’ayant lancée dans la circulation. […] Seule, en effet, l’émotion du second genre peut devenir génératrice d’idées. […] Bref, l’égalité peut porter sur un rapport et devenir une proportion. […] C’est la forme que prendrait ce lien aux yeux d’une fourmi devenue intelligente comme un homme, ou d’une cellule organique devenue aussi indépendante dans ses mouvements qu’une fourmi intelligente.

136. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Il deviendra tout à fait gentil. […] dit le vieux dont le visage devint rude. […] Quand l’esclave devient serf, triste promotion, mais promotion cependant, qu’est-ce qu’il devient ? Il devient propriétaire de sa vie. Quand le serf devient homme libre, qu’est-ce qu’il devient ?

137. (1922) Gustave Flaubert

Nogent devenait alors pour Flaubert un cadre vide. […] À partir de ce moment, la maison devient très sombre. […] Deux mois après, elle devint sa maîtresse. […] Mais la Muse devient lassante. […] La religion est devenue pour lui un rabâchage.

138. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Toute fonction était devenue une sinécure, un droit à une rente pour ne rien faire. […] Celui qui hasardait quelque critique devenait vite un être à part et bientôt un homme dangereux. […] Le Ritter, qui avait un cheval, sorte de brigadier de gendarmerie, devint un petit seigneur. […] De la sorte, la société devient un ensemble lié, cimenté, où tout est devoir réciproque, responsabilité, solidarité. […] La décadence devint tout à fait sensible vers 1840.

139. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

S’acharner contre un fait irrémédiable est une folie qui souvent devient fatale. […] Ajoutez à cela qu’un peuple sur les bancs est un enfant très volontaire qui jette le livre lorsque le sujet devient trop grave, et que l’ennui en sort. […] De là, une pédanterie qui devient d’autant plus fatigante qu’elle est plus vide de sens. […] Et puis, politiquement parlant, on a risqué de le compromettre très fort, car il est loin de haïr les Français, Et, à ce propos, que deviennent-ils ? […] Elle devient ce qu’elle peut !

140. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Que deviendrait l’amour dans une société où la femme ordonnerait au lieu de persuader, et punirait au lieu de plaindre ? […] Ce nom, abrité sous son obscurité, devient malgré lui l’occupation et souvent le jouet de l’opinion publique. […] Il y a peu de leçons comparables à cet exemple : la publicité à laquelle on a témérairement voué la fille devient le fléau du foyer. […] Elle avait été l’enfant de l’espérance, elle devint le prodige de la jeunesse. […] La conversation, besoin d’échange des esprits et des cœurs, devint une nécessité et presque une institution du pays.

141. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Sait-il ce qu’elles deviennent dans son système ? […] Comment devenir riche ? […] Comme il devient réel ! […] Un vice ainsi enraciné devient une monomanie. […] Pylade, qui était l’ami d’Oreste, est devenu son menin ; Œnone, qui était la nourrice de Phèdre, est devenue sa suivante.

142. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

L’imitation de leur plastique deviendra bientôt la morale. […] Quand la terre devient noble et pure, elle se fait roman, odelette, drame, musique, symphonie et marbre. […] Et qui sait si nos odes lyriques ne deviendront pas quelque jour les chants des hommes ? […] C’est en nous perfectionnant d’une manière stricte et implacable que nous deviendrons dignes de création. […] Avant de vouloir former des héros, devenons donc tels nous-mêmes.

143. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Mais celle-ci de princesse était devenue religieuse, et, d’une raison d’insulte, cela en faisait vingt-cinq ! […] Ses Six filles de Louis XV, à Jules Soury, n’ont pas l’honnête volonté d’être impartial du brave Bonhomme, qui n’en peut mais, ce bon garçon, s’il a été trempoté par son temps dans cette philosophie du sens commun dont les compotes deviennent si vite des pourritures… Jules Soury est un regain de Michelet. […] Soury, qui les fait toutes malades, les filles de Louis XV, ne se contente pas de boutons et de dartres pour Madame Louise, la plus haïe de toutes, puisqu’elle s’est faite religieuse et qu’elle est devenue une sainte ; il l’orne, elle, d’un rachitis. […] Madame Louise n’a pas besoin d’excuse ; elle était née pour être ce qu’elle est devenue. […] L’instinct royal, impérissable comme sa gaieté, se retrouvait ici… dans la laveuse de vaisselle de cloître qu’elle avait voulu devenir, cette ambitieuse !

144. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

La science et l’industrie, cette conséquence appliquée de la science, allaient devenir une des branches de notre littérature. […] Le français était devenu une monnaie courante et une médaille monumentale qui avait, d’un consentement commun, cours dans tout l’univers. […] Ce jour-là toute littérature cessa et devint philosophie, législation et politique. […] Chaque vérité proclamée ou décrétée devenait un morceau de notre langue. Le décalogue de la raison moderne et de la liberté fut écrit en français : la langue ainsi devint monumentale en même temps qu’elle devint véhicule d’éloquence, de législation et de philosophie chez tous les peuples.

145. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Par cet accroissement de son action et par cet emprunt de capitaux, il devient le débiteur universel ; dès lors les affaires publiques ne sont plus seulement les affaires du roi. […] Il devient politique et, du même coup, il devient mécontent  Car, on ne peut le nier, ces affaires où il est si fort intéressé sont mal conduites. […] Depuis que le Tiers s’est enrichi, beaucoup de roturiers sont devenus gens du monde. […] S’il avait eu le temps de vendre cette sorte de monopole, jadis assez commun, à un successeur de bonne foi, son droit serait-il devenu beaucoup plus respectable entre les mains de l’acquéreur ? […] À y devenir quelque chose. » — Non pas quelque chose, mais tout.

146. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

À mesure que mon horizon s’élargit, les images qui m’entourent semblent se dessiner sur un fond plus uniforme et me devenir indifférentes. […] La question posée entre le réalisme et l’idéalisme devient alors très claire : quels sont les rapports que ces deux systèmes d’images soutiennent entre eux ? […] C’est peu à peu, et à force d’inductions, qu’elle adopte notre corps pour centre et devient notre représentation. […] Il n’y a guère de perception qui ne puisse, par un accroissement de l’action de son objet sur notre corps, devenir affection et plus particulièrement douleur. […] Car si l’on ne voit pas comment des affections, en diminuant d’intensité, deviennent des représentations, on ne comprend pas davantage comment le même phénomène, qui était donné d’abord comme perception, devient affection par un accroissement d’intensité.

147. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

De précieuse, elle devient classique ; et j’ai dit ce qu’était proprement le goût classique, une combinaison de la raison positive et du sens esthétique. […] La noblesse, de plus en plus inutile, s’avilit, et devient plus odieuse quand elle n’est plus qu’un moyen pour les riches d’échapper à l’impôt. […] Les disputes religieuses deviennent de plus en plus mesquines et puériles, le sentiment religieux s’atrophie ou dévie ; la littérature religieuse disparaît. […] Elle était juge souverain, elle devient juge universel : plus de domaine de la foi, réservé, intangible. […] Dans la seconde, avec Diderot, avec Rousseau, avec Voltaire qui force le pas pour rester à la tête du mouvement, l’attaque devient plus violente et plus générale.

148. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

En partant, Jésus déclara son hôte bon fils d’Abraham, et comme pour ajouter au dépit des orthodoxes, Zachée devint un saint : il donna, dit-on, la moitié de ses biens aux pauvres et répara au double les torts qu’il pouvait avoir faits. […] La mort, d’ailleurs, allait dans quelques jours lui rendre sa liberté divine, et l’arracher aux fatales nécessités d’un rôle qui chaque jour devenait plus exigeant, plus difficile à soutenir. […] C’était ce qu’on appelait la « Famille sacerdotale », comme si le sacerdoce y fût devenu héréditaire 1024. […] On supposait que le grand-prêtre possédait un certain don de prophétie ; le mot devint ainsi pour la communauté chrétienne un oracle plein de sens profonds. […] C’est ainsi que le nom hébreu Johanan devenait en grec Joannes ou Joannas.

149. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Mais je vois, et il deviendra bientôt évident pour tous, que la poésie cherche un asile dans la prose ; et plus la langue écrite prendra de l’ascendant, plus la poésie cherchera les moyens de s’acclimater dans la prose ; car enfin il faut que cette noble exilée rentre un jour dans son héritage. […] Les lettres sont devenues une profession, et la pensée un commerce. […] Dès lors la liberté de la presse devient un des éléments nécessaires des gouvernements représentatifs, qui eux-mêmes sont un résultat forcé d’un tel ordre de choses, ainsi que la coopération des jurés dans les procès criminels ; car, encore une fois, tout se tient et tout marche en même temps. […] L’opinion est donc devenue cette force morale modifiante et extensible dont nous parlions tout à l’heure, et qui est destinée à remplacer la parole traditionnelle. […] Avouons-le, c’est une tâche d’autant plus difficile que le problème devient, de jour en jour, plus compliqué.

150. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

C’en devint amusant ! […] Mais, s’il est devenu si amène, ne serait-ce point que quelque chose s’est assagi en son sens ? […] », il devient inutile de rien ajouter. […] René Ghil en une ellipse figurative de la Matière en perpétuel devenir, meilleur veut-on rêver ». […] Et avec lui, comme avec Hugo et plus émotivement, tous les mots voulus, quels qu’ils soient, deviennent du domaine poétique.

151. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

La lecture en est cependant devenue assez décevante. […] Necker était fils d’un Prussien devenu Genevois. […] S’il est un professeur devenu critique, La Harpe est un critique, un journaliste, un polygraphe devenu professeur, et grand professeur. […] Les études devenaient ce qu’elles pouvaient. […] Il avait une mission, il devenait Christ. » Le génie trouve évidemment à devenir dieu plus de difficulté que le cabot.

152. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Tout gouvernement devient ainsi, par la force des choses, un point de mire exposé à tous les coups et est fatale-ment condamné à ne pouvoir remplir sa tâche. […] Le moule, en acquérant de la dureté, devient une prison. […] Il ne devient prison que du moment où l’objet moulé aspire à sortir. […] Sera-t-il dit que l’homme sera devenu incapable de dompter tout l’univers, parce qu’il est devenu trop tôt libre ? […] De tels sacrifices sont devenus impossibles maintenant ; car le prix de la vie humaine s’est élevé : on est trop regardant.

153. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Cette forme nous deviendra plus sensible à mesure que j’en citerai davantage. […] La marquise alors devient sérieuse, dès qu’elle s’est assurée qu’on ne persifle pas. […] M. de Sandone crut devoir se rendre propre le sentiment qu’il avait à feindre, et devint amoureux de moi pour mieux exprimer son rôle. […] Je ne vous en deviendrai que plus chère quand vous vous serez exposé pour moi. […] Pourtant des bruits vagues commencent à se répandre parmi les gens de la maison, et il devient urgent de lui chercher un autre asile.

154. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Les choses se passent ainsi ordinairement, parce que, ordinairement, ou nous lisons un texte facile à entendre, ou nous relisons un texte difficile qui nous est devenu familier. […] Pourtant, il nous arrive quelquefois de nous répéter intérieurement une phrase obscure afin d’en déterminer le sens exact, et l’intervalle entre les mots et leur signification peut alors devenir sensible. […] Mais l’usage, c’est-à-dire l’habitude, diminue cet intervalle, et, quand l’intervalle est devenu très faible, il échappe à l’observation. […] Cette description contient plus d’une inexactitude, et surtout elle ne correspond qu’à l’état adulte de l’intelligence ; à l’âge où l’observation psychologique est devenue possible247, les choses se passent à peu près ainsi ; elles ne peuvent se passer de même chez les enfants. […] A mesure que se fait la coordination du langage et de la pensée, l’enfant cherche toujours ses mots quand il porte un jugement nouveau, mais il les trouve de plus en plus facilement ; d’autre part, quand il parle pour parler, les mots éveillent des pensées de plus en plus riches, nettes et cohérentes ; et, à la longue, l’accord de la parole et de la pensée devient si étroit que l’enfant devenu un adolescent ne peut plus guère trouver une pensée sans la bien exprimer, ni se rappeler des mots sans y attacher un sens plein et sérieux.

155. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Elle devient chronique pure et doit suivre rigoureusement l’actualité. […] Le monde des lectures devient vite pour lui le monde réel. […] deviendraient vite des enfers. […] Mais les ateliers tendent à devenir des chapelles, les chapelles à devenir des bastilles. […] L’amour désintéressé devient ambition.

156. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Née en 1707, elle épousa en 1721, à quatorze ans, le duc de Boufflers, mort de la petite vérole à Gênes, en 1747, à l’âge de quarante-deux ans, et elle ne fut duchesse de Luxembourg qu’en secondes noces, en 1750, M. de Luxembourg étant devenu veuf vers ce même temps. […] Nos mœurs françaises deviennent charmantes. » Malgré le dénigrement anticipé de d’Argenson, le salon ouvert par Mme de Luxembourg vers 1750 devint en effet un des ornements et, à la longue, une des institutions du siècle. […] La maréchale devient un vrai agneau. […] L’éducation que l’on donne en devient une pour soi-même. […] C’était une allusion au mot bien connu de cet esprit fort qui faisant gras en carême et, qui pis est, un jour de Vendredi-Saint, je crois, et entendant tout à coup le tonnerre éclater dans un orage, se mit à dire entre ses dents : « Voilà bien du bruit pour une omelette au lard. » Le mot était devenu proverbial dans la bonne compagnie.

157. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

On mettra en honneur celui urbanité devenu nécessaire pour exprimer le raffinement des mœurs. […] Elle devient académique et noble. Elle mérite de devenir dans l’Europe entière la langue des cours, des salons, de la diplomatie. […] Une pendule devenait « la mesure du temps » ; la terre, « ce bas élément », etc. […] Au xviiie  siècle, ce qui était l’exception devient la règle.

158. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Nos mœurs littéraires (sans être excellentes) sont devenues, j’aime à le remarquer, plus convenables et plus dignes. […] Que vais-je devenir ? […] Nous sommes devenus difficiles et de haut goût ; nous aimons les choses fortes, fortes en couleur, sinon en nature et en sentiment. […] Ici il devient de plus en plus dramatique et terrible. […] On sait qu’après avoir professé les principes du plus exagéré républicanisme, La Harpe en devint l’un des plus fougueux adversaires.

159. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Plus vieux, et devenu un archevêque considérable, il se remet à écrire l’histoire de sa vie, mais il en raccourcit les commencements, il ne s’y étend plus avec un détail circonstancié ; il semble considérer comme des enfances tout ce qui se rapporte à cette époque déjà si ancienne, que l’autorité toute-puissante de Louis XIV avait presque réduite à l’état d’histoire fabuleuse et mythologique. […] Il (Sarasin) les avait suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi ; mais alors, étant devenu amoureux de la Du Parc, il songea à se servir lui-même. […] Si Sarasin, au lieu d’être amoureux de la Du Parc, l’était aussi bien devenu d’une des comédiennes de la troupe de Cormier, tout était manqué. […] Le prince y devient amoureux d’une Mlle Rochette qui le décide à rompre avec Mme de Calvimont. […] Ici, Cosnac s’élève ; ses pensées deviennent généreuses et faites de tout point pour l’histoire.

160. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Il est très probable qu’il serait devenu presque entièrement monosyllabique, suivant sa tendance initiale toujours combattue par la présence du latin, et d’un latin particulier dont la tendance contraire allongeait les mots par l’accumulation des suffixes. […] Ou bien l’enseignement du latin sera maintenu et même fortifié par l’étude des textes de la seconde et de la troisième latinité ; ou bien notre langue deviendra une sorte de sabir formé, en proportions inégales, de français, d’anglais, de grec, d’allemand, et toutes sortes d’autres langues, selon leur importance, leur utilité, ou leur popularité. […] Si à dix ans de latin on substituait dans les collèges dix ans d’anglais et d’allemand ; si ces deux langues devenaient familières et aux lettrés de ce temps-là et aux fonctionnaires et aux commerçants ; si, par l’utilité retirée tout d’abord de ces études, nous étions parvenus à l’état de peuple bilingue ou trilingue ; si encore nous faisions participer les femmes et — pourquoi pas ? […] Allons-nous, sur les conseils des comités coloniaux, devenir une nation polyglotte, sans même nous apercevoir que cela serait un véritable suicide linguistique, et demain un suicide intellectuel ?

161. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Ce mot léger peut devenir cruel. […] Paul Féval passe à travers Brucker et devient Brucker en y passant. […] Le chrétien que voici en deviendra-t-il un ? […] Selon la lâcheté traditionnelle, les Muets de la Libre Pensée (de bavards, ils l’étaient devenus !) […] Malgré sa capucinade, comme ils disent, il n’est pas devenu capucin.

162. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Comment quelques hommes ont-ils pu devenir tout loisir en rendant les autres tout travail ? […] La laide ou la fière a vu son travail s’accroître, devenir écrasant, supprimer le peu de loisir qui lui restait, tuer complètement l’ange qui agonisait en elle, tuer quelquefois la bête surmenée. […] En croyant se délivrer de la bête, elle en est devenue l’esclave plus qu’auparavant. […] Les Maîtres, devenus plus nombreux, plus habiles et plus avares, « affranchirent » ces esclaves un peu après les autres, ne les nourrirent plus, payèrent médiocrement chaque « service », les firent travailler aux pièces. […] * *    * On m’a trop déformé, on m’a rendu lâche devant les fatigues du corps et mes mains inexercées sont devenues si maladroites.

163. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Mais le goût s’accroissant avec la richesse et le luxe, bientôt l’architecture des temples, des palais, des hôtels, des maisons, deviendra meilleure ; et la sculpture et la peinture suivront ses progrès. […] On répond qu’à la vérité l’édifice aurait paru plus grand au premier coup d’œil, si l’on eût sacrifié avec art les proportions ; mais on demande lequel était préférable, ou de produire une admiration grande et subite, ou d’en créer une qui commençât faible, s’accrût peu à peu et devînt enfin grande et permanente par un examen réfléchi et détaillé. […] En s’approchant de cette statue qui devient tout à coup colossale, sans doute on est étonné, on conçoit l’édifice beaucoup plus grand qu’on ne l’avait d’abord apprécié ; mais le dos tourné à la statue, la puissance générale de toutes les autres parties de l’édifice reprend son empire, et restitue l’édifice grand en lui-même, à une apparence ordinaire et commune : en sorte que d’un côté chaque détail paraît grand, tandis que le tout reste petit et commun ; au lieu que dans le système contraire d’irrégularité, chaque détail paraît petit, tandis que le tout reste extraordinaire, imposant et grand. […] En effet, si nous connaissions bien comment tout s’enchaîne dans la nature, que deviendraient toutes les conventions symétriques ? […] Cette influence peut devenir imperceptible ; mais elle n’en est pas moins réelle : Combien de règles et de productions qui ne doivent notre aveu qu’à notre paresse, notre inexpérience, notre ignorance et nos mauvais yeux !

164. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Très apprécié de Guéroult, qui aima le talent comme les gens qui en ont, Jules Levallois fit régulièrement des articles ; mais le critique militant devint un jour un irrégulier et ce n’était pas étonnant : il se produisit en lui un grand changement, ou du moins une modification profonde… Il devenait ermite, et, au lieu de chercher les petites bêtes dans les œuvres littéraires où il y en a souvent beaucoup, il chercha dans les bois et il étudia les fourmis. […] Levallois est devenu y a mis autre chose que des fourmis, et, pour ma part, j’en suis heureux. […] … Je laisserai donc là le naturaliste, s’il vous plaît, le naturaliste d’attraction, d’observation, de science devinée, puis cultivée, qui deviendra peut-être profonde si Μ.  […] Croire que la contemplation des choses naturelles, que la solitude dans les bois ou sur les rivages a cette puissance de retremper la volonté, viciée en son principe, dans l’homme, et de le rendre un être moral plus fort et plus profond qu’avant de se promener sur ce rivage et dans ces bois, s’imaginer qu’on devient vertueux par l’influence du paysage, c’est la rêverie et l’illusion de quelqu’un qui aime mieux la nature qu’il ne comprend l’humanité.

165. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Bientôt les yeux devinrent ternes, les mouvements respiratoires cessèrent, et l’animal était mort huit minutes après la piqûre empoisonnée. […] Après un peu de fatigue, l’animal se rétablit tout à fait et devint par la suite gras et pétulant. […] Toutes les sciences qui font usage de la méthode expérimentale doivent tendre à devenir anti-systématiques. […] Au début de l’inhalation, la surface cérébrale devenait arborescente et injectée ; l’hémorragie et les mouvements du cerveau augmentaient, puis, au moment du sommeil, la surface du cerveau s’affaissait peu à peu au-dessous de l’ouverture, en même temps qu’elle devenait relativement pâle et anémiée. […] Cette métaphore est devenue de nos jours, grâce à Lavoisier, une vérité.

166. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Arrivé à cette étape, il devient la révolution. […] Les conférences devinrent un événement. […] Il fallait que tout devînt un instrument de règne, et M.  […] Qu’est-il devenu pendant ce temps ? […] L’amour chrétien devient une prière à deux.

167. (1864) Le roman contemporain

Il m’a semblé que le labeur que j’avais entrepris deviendrait, par sa généralité même, plus utile. […] Qu’allons-nous devenir ? […] Deviendra-t-elle maîtresse de la plèbe parisienne, ou subira-t-elle son joug ? […] La réalité devenait moins absorbante et moins poignante. […] Cet homme deviendra non seulement son mari, mais son maître absolu, son oracle, son dieu.

168. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Mais on l’a déjà, si l’on se souvient que nos images ne sont que des sensations renaissantes, que nos idées ne sont que des images devenues signes, et qu’ainsi la trame élémentaire subsiste plus ou moins déguisée à tous les étages de notre pensée. — Ces fils primitifs sont d’espèces diverses. […] On sait par l’acoustique qu’un son musical a pour condition une série uniforme de vibrations de l’air ; que chacune de ces vibrations a telle longueur et dure telle fraction de seconde ; que, plus sa longueur diminue et plus sa durée est courte, plus le son devient aigu. […] Maintenant, dans le passage du grave à l’aigu, que deviennent ces sensations élémentaires dont nous avons conscience ? […] En outre, les mathématiques montrent que, dans les deux séries d’ondes produites par deux sons chantés à l’unisson, les condensations s’ajoutent et deviennent deux fois plus fortes ; ce qui explique pourquoi, dans les sensations de son ainsi produites, les intensités s’ajoutent et deviennent deux fois plus grandes. […] Des considérations analogues montrent comment les sons deviennent tantôt stridents ou rudes, tantôt veloutés ou unis.

169. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

C’était une des séminaristes qui s’exerçaient pour devenir plus tard prêtresses dans une des religions de la République. […] Et cependant elle n’est pas devenue hommasse. […] Au moins, quand un homme cesse d’être un homme, on sait ce qu’il devient, et, parfois encore, c’est Narsès, Abeilard, Origène ; mais quand une femme cesse d’être femme et que dans l’impiété d’un travail terrible et la folie d’une ambition, elle porte sur elle-même des mains suicides, ce qu’elle devient n’a plus de nom que celui qu’elle se donne, et voilà pourquoi, hors la mascarade, ce n’est pas vraiment plus madame Daniel Stern qu’il faut dire aujourd’hui que monsieur ! […] Il faut devenir, en se travaillant, de nerveuse une musclée, et de femme qui pouvait plaire, un être déplaisant qui n’est pas même un homme déplaisant. […] Parce qu’elle est devenue maigre, elle a cru peut-être devenir homme, mais elle n’a été qu’une femme maigre, sans fraîcheur d’esprit et sans contours !

170. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

C’est ce que certains critiques appelleront peut-être, dans la langue devenue officielle qu’on jargonne aujourd’hui, la seconde époque de Brizeux : mais pour nous, hélas ! […] un voyage des bourgs de Bretagne aux villes d’Italie ; « double voyage idéal et réel », dit le Breton, devenu Revue des Deux Mondes. […] Ce n’est pas impunément qu’un poète, fait pour rester sédentaire, est devenu nomade. […] Tout devient si beau quand on se retourne, — et surtout quand on ne peut revenir ! […] La langue de cet homme de la terre des chênes et des granits est correcte, mais molle, et quand elle veut être nerveuse, elle devient sèche.

171. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Les fils entrent, les uns dans la magistrature de Chambéry et deviennent sénateurs du sénat de Savoie, comme fit le comte de Maistre ; les autres entrent dans l’Église, et ils deviennent évêques de quelque diocèse plus ou moins éloigné, de Sardaigne, de Piémont, de Maurienne ou de Tarentaise ; les autres entrent dans l’armée, et ils deviennent de valeureux officiers, et quelquefois des lieutenants-colonels ou des colonels dans la brigade de Savoie, composée de trois à quatre mille braves paysans de leurs montagnes ; quelques-uns, les plus opulents ou les plus ambitieux, entrent à la cour de Turin, deviennent écuyers ou chambellans, et s’élèvent, si la faveur ou le mérite les secondent, jusqu’au rang de gouverneur de province. […] Les opinions ennoblissent, les orthodoxies deviennent parentés entre les petites et les grandes noblesses. […] Il devint en peu de temps le favori des salons de Pétersbourg. […] Que devenait l’honneur de la maison de Savoie ? […] Que devenait la légitimité ?

172. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

et à côté de la réalité quel a pu devenir l’art, quel doit-il être ? […] Le son des trompettes guidait les guerriers aux combats : le son des trompettes, rythme, mélodie, timbre, devint expressif des émotions guerrières ; quand fut institué le rite chrétien, les mélodies religieuses intimement liées au sens des paroles qu’elles accompagnaient, devinrent expressives des émotions suggérées par ces paroles ; les chansons populaires au moyen-âge devinrent également des motifs d’expression musicale ; et le langage de la musique s’accroissait de formes expressives de sentimentalités ; ce fut l’époque du moyen-âge finissant où s’épanouissait cet art nouveau si riche de promesses, de promesses hélas chûtées ! […] Car j’étais devenu de Rouen. […] C’était devenu une mode. […] Le duo «  amour sacré de la patrie  » devint un véritable hymne révolutionnaire.

173. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

C’est ce que Platon et Leibniz appelaient l’universelle harmonie, grâce à laquelle tout être devient le miroir de l’univers ; c’est ce que Kant appelait l’universelle réciprocité d’action. […] Ce ôté deviendra, aussi longtemps que durera la modification, un organe de sensation plus intense et plus distincte. […] La conscience, d’abord uniforme, confuse et diffuse, devient ainsi un monde de contrastes ; chaque sens a sa langue propre, qu’il entend et que les autres sens n’entendent pas. […] Oui, le mouvement est partout, et rien ne devient sans le mouvement. […] Le devenir est le devenir de quelque chose qui, dans ce devenir même, se sent subsister tout en changeant sans cesse, se sent être et vivre tout en se mouvant d’une relation à une autre relation dans l’universel commerce des êtres, dans l’universel échange de la vie.

174. (1888) Poètes et romanciers

Puis tout alla s’aggravant ; Et l’éther devint l’air, et l’air devint le vent ; L’ange devint l’esprit, et l’esprit devint l’homme. […] Pourquoi Phryné devient-elle un crapaud ? […] Hugo consent à n’être plus révélateur, il devient presque simple, il devient vrai, et à plusieurs moments la muse sourit. […] Béranger est tout peuple de nature ; il n’est devenu bourgeois que par accident. […] Chaque loi nouvelle devient ainsi un élément plus précis et plus délicat de l’ordre.

175. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Car une liberté n’est pas un privilège ; mais elle le devient. […] Il ne devient pas volontairement un citoyen sans cité, c’est-à-dire rien. […] Vous le devenez en vous appliquant. […] C’est par là qu’ont passé les passions de son cœur pour devenir des systèmes, et ses émotions pour devenir une philosophie. […] Je me sens un peu dépaysé quand Ellénore devient une sorte de Médée.

176. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Même lorsque le malheur revient surprendre Marianne au moment le plus inattendu, même lorsque celui qui a tout fait pour l’obtenir et qui a surmonté tous les obstacles, Valville, lui devient tout d’un coup infidèle, on n’est pas inquiet, on n’est pas déchiré comme on le devrait ; c’est qu’elle, toute la première, elle ne l’est pas. […] Valville a été amené à être infidèle en voyant une jeune Anglaise évanouie, qu’il s’est empressé de secourir, et qui est devenue l’amie de Marianne. […] On parle du livre que celui-ci vient de faire paraître ; il en demande son avis à l’officier, qui lui répond d’abord : « Je ne suis guère en état d’en juger ; ce n’est pas un livre fait pour moi, je suis trop vieux », donnant à entendre qu’en vieillissant, le goût, comme le palais, devient plus difficile. […] Certes, Montesquieu devenu l’auteur de L’Esprit des lois aurait ratifié et signé cette critique adressée au jeune auteur des Lettres persanes. […] Dans une petite pièce intitulée L’Île des esclaves, il est allé jusqu’à la théorie philanthropique ; il a supposé une révolution entre les classes, les maîtres devenus serviteurs et vice versa.

177. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Pourquoi sommes-nous ainsi faits en France, que lorsqu’un homme distingué et de talent n’est pas entré à un certain jour dans le courant de la vogue et dans le train habituel de l’admiration publique, nous devenions si sujets à le négliger et à le perdre totalement de vue ? […] Que nous devenons froids, petits et raisonneurs… ! […] Ramond devait être avant tout un prosateur : il le devint dès les années suivantes dans son voyage de Suisse, en se souvenant de Rousseau et de Buffon, et en présence des grands spectacles naturels. […] Son regard est d’une vivacité et d’une franchise qui inspirent à la fois la crainte et la confiance… On a beau critiquer son système et son ouvrage, les doutes cessent quand on l’entend, et l’on ne peut être son ami sans devenir son disciple. […] Il ne sera tout à fait lui-même et complètement original que lorsqu’il se sera voué sans réserve à celle-ci, et qu’il deviendra le paysagiste en même temps que le physicien des Pyrénées.

178. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Populaires, mais en haut et non point en bas, populaires parmi les lettrés et les artistes, ils sont devenus peu à peu, et comme sans y penser, des Chefs d’École. Ils le sont devenus sans programme et sans fracas. […] qui est devenue, en quelques années, la monstruosité inaperçue d’abord et plus tard affirmée et nommée : le réalisme, et que voilà établie partout, dans les lettres et les arts du xixe  siècle, et y souillant tout, comme les Harpies à la table des Troyens. […] Ils devinrent des observateurs impassibles, — scientifiques, disaient-ils (ils s’en sont assez vantés !) […] On l’y trouverait, indécis et charmant comme tout ce qui commence, — comme on retrouve un joli enfant dans le vilain homme que ce pauvre enfant est devenu.

179. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

À ce moment, tout est décidé ; quels que soient les événements, il faut bien qu’un jour il devienne maître. […] La vie active fortifie en ce pays le tempérament flegmatique, et le cœur s’y conserve plus simple en même temps que le corps y devient plus sain. […] Tout son être est tendu vers un seul but ; il faut qu’il fasse effort incessamment, le même effort, un effort profitable ; il est devenu machine. […] Ce qu’on lui demande, c’est la force d’être vertueux, la rénovation intérieure par laquelle on devient capable de toujours bien faire, et une supplication semblable est par elle-même un levier suffisant pour arracher l’homme à ses faiblesses. […] Là où un Anglais gagne vingt shillings par semaine et ne peut que vivre, un Hollandais devient riche et laisse ses enfants dans une très-bonne position.

180. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Il désirait passionnément devenir aussi, par son alliance avec la république de Florence, général des troupes toscanes. […] Malheur aux hommes dont le nom devient synonyme de crime : il faut des siècles pour laver ce nom ! […] Il devient de plus en plus évident, à quelques pages de là, qu’il raconte le succès du crime, mais qu’il ne le glorifie pas. […] Cette élection de l’empereur par le pontife devient un droit d’élection universel des empereurs d’Occident par les papes. […] La résurrection sous la forme d’unité nationale, théocratique, monarchique ou républicaine, de chimère était-elle devenue une réalité ?

181. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VI »

Les y deviendront très aisément des i, et l’on écrira sinfonie, sinonime, stile, comme on écrit déjà cimaise. J’ose à peine dire que kilo, kyste deviendraient français sous la forme quiste, quilot ; cela est trop évident et trop simple pour qu’on l’admette. […] Devant a, o, u, le qu deviendrait naturellement c : arcange. […] Il est évident que cette permanence n’est pas grandement troublée quand on supprime un des p d’appréhension ou quand on transforme en è le second é d’événement ; le seul danger est qu’une licence n’en amène une autre et que l’orthographe ne devienne tellement personnelle que la moindre lecture exige un travail de déchiffrement.

182. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Couvert de l’eau qu’elle lui a jetée, lymphatus, devenu cerf, c’est-à-dire le plus timide des animaux, il est déchiré par ses propres chiens, autrement dit, par ses remords. […] Elle devient laurier, plante qui conserve sa verdure en se renouvelant par ses légitimes rejetons, et jouit ainsi que son divin amant d’une éternelle jeunesse. […] Enfin Cadmus devient lui-même serpent ; les Latins auraient dit en terme de droit, fundus factus est. […] Les noces se célébraient aquâ, igni et farre ; les noces appelées nuptiæ confarreatæ devinrent particulières aux prêtres, mais dans l’origine il n’y avait eu que des familles de prêtres. — Les combats livrés par les pères de famille aux vagabonds qui envahissaient leurs terres, donnèrent lieu à la création du dieu Mars.

183. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Il avait été l’Aristophane du trône, de l’aristocratie, de l’Église ; il devint le Tyrtée de la nation et de la Révolution. C’est alors que ses chansons devinrent, en réalité, des odes. […] La chanson devenait tragédie ! […] Molé contre les assauts des anciens amis du roi, devenus ses plus implacables adversaires. […] Nos liens furent resserrés par cette approbation, et notre relation devint familiarité ; plus tard encore elle devint tendresse.

184. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1853 »

L’histoire s’extasie volontiers sur Michel Ney, qui, né tonnelier, devint maréchal de France, et sur Murat, qui, né garçon d’écurie, devint roi. […] De toutes les échelles qui vont de l’ombre à la lumière, la plus méritoire et la plus difficile à gravir, certes, c’est celle-ci : être né aristocrate et royaliste, et devenir démocrate.

185. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Priape est devenu le symbole de la vertu. […] Le livre qui veut devenir à la mode doit avant tout être obscur. […] Le jugement devient chancelant et fuyant comme les brumes au vent du matin. […] A un degré plus élevé, l’obsession devient idée fixe. […] Il devient l’un ou l’autre par la voix qui lui donne l’existence.

186. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Les sensations deviennent alors des Notions : l’âme pense, après avoir senti. […] Les sensations et les notions s’amincissent, se multiplient, au point qu’elles deviennent imprécises, dans la coulée totale. […] Besnard a fait voir des œuvres plus achevées — que ce peintre deviendra bientôt, à côté de M.  […] Les appels des syrènes et des bacchantes, deviennent toujours plus hauts et plus impérieux. […] La sculpture, impuissante désormais à recréer la vie plastique, pouvait devenir l’art symphonique, comme au dernier siècle, des gracieuses lignes.

187. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Mais quelques exemples deviennent indispensables. […] Nous ne commençons donc à devenir imitables que là où nous cessons d’être nous-mêmes. […] On devine alors combien il sera facile à un vêtement de devenir ridicule. […] Alors le corps deviendra pour l’âme ce que le vêtement était tout à l’heure pour le corps lui-même, une matière inerte posée sur une énergie vivante. […] On rit du baron de Münchhausen devenu boulet de canon et cheminant à travers l’espace.

188. (1890) L’avenir de la science « XXI »

La poésie devint égoïste et n’eut plus de valeur que comme accompagnement délicat du plaisir, l’origina-lité fut déplacée. […] Cela est si vrai que les institutions portent leurs plus beaux fruits avant qu’elles soient devenues trop officielles. […] La règle existait bien à l’origine, mais vivifiée par l’esprit, à peu près comme les cérémonies chrétiennes, devenues pure série de mouvements réglés, étaient dans l’origine vraies et sincères. […] Ainsi plus s’accroît le nombre des satisfaits de la vie, plus l’humanité devient lourde et difficile à remuer ; il faut la traîner. […] Ce sera donc bien vainement que nos pères, devenus sages, nous prieront de ne plus penser et de nous tenir immobiles, de peur de déranger la frêle machine.

189. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

La retraite au désert devint ainsi la condition et le prélude des hautes destinées. […] Babylone était devenue depuis quelque temps un vrai foyer de bouddhisme ; Boudasp (Bodhisattva) était réputé un sage Chaldéen et le fondateur du sabisme. […] En quelques mois, il devint ainsi un des hommes les plus influents de la Judée, et tout le monde dut compter avec lui. […] Ces bonnes relations devinrent ensuite le point de départ de tout un système développé par les évangélistes, et qui consista à donner pour première base à la mission divine de Jésus l’attestation de Jean. […] Cet homme faible étant devenu éperdument amoureux d’elle, lui promit de l’épouser et de répudier sa première femme, fille de Hâreth, roi de Petra et émir des tribus voisines de la Pérée.

190. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

La double ligne de lumière tendue le long de la droite OB devient une ligne de lumière brisée O₁ B₁ O₁′. La double ligne de lumière tendue le long de OA devient la ligne de lumière O₁A₁O₁′ (la portion O₁′A₁ de cette ligne s’applique en réalité sur O₁A₁, mais, pour plus de clarté, nous l’en détachons sur la figure). […] Quant aux deux doubles lignes de lumière, primitivement égales, je les vois, en imagination, devenir inégales lorsqu’elles se dissocient par l’effet du mouvement que ma pensée imprime au système. […] Mais cela devient au contraire très simple et tout naturel, si l’on prend pour substitut du temps une ligne de lumière extensible, et si l’on appelle simultanéité et succession des cas d’égalité et d’inégalité entre lignes de lumière dont la relation entre elles change évidemment selon l’état de repos ou de mouvement du système. […] Dans la théorie de la Relativité, le lien devient un lacet de lumière qu’on lancerait de O en B de manière à le faire revenir sur lui-même et à le rattraper en O, un lacet de lumière encore entre O et A, ne faisant que toucher A pour revenir en O.

191. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Seule cette confiance peut devenir puissance, et soulever les montagnes. […] On l’a dit bien des fois : à une religion qui était encore essentiellement nationale se substitua une religion capable de devenir universelle. […] Le repos devient ainsi pour nous antérieur et supérieur au mouvement, lequel ne serait qu’une agitation en vue de l’atteindre. […] La durée devient par là une dégradation de l’être, le temps une privation d’éternité. […] On trouverait que celui des deux qui a accepté avec humilité d’être dirigé est plus d’une fois devenu, avec non moins d’humilité, le directeur.

192. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Et tout est devenu bloc en lui, même son style. […] Le vrai y est dans de si colossales proportions que la beauté y devient inutile, et l’auteur l’a compris. […] Elle devient un veau d’abattoir… Dans les assemblées primaires, dit M.  […] Ici, le mot de Michelet, menteur où il est, devient vrai. […] Elle devient impersonnelle comme le crime, et comme elle ajoute, dans le livre inouï de M. 

193. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Ainsi façonnée, pensait-il, une femme ne peut devenir coupable que par l’insouciance ou l’infidélité du mari. » Qu’en arrive-t-il ? […] Elle fait des choses abominables sans nous devenir odieuse. […] Et Toinette aussi devient peu à peu meilleure… Le jour où son mari est renvoyé du ministère, elle sent combien elle aime le pauvre garçon. Elle le sent mieux encore lorsqu’il a la fièvre typhoïde et qu’elle songe à ce qu’elle deviendrait sans lui. Enfin, la vie à la campagne et le soin des enfants achèvent d’apaiser et d’assagir la petite femme ; elle devient plus sérieuse et plus intelligente, elle comprend plus de choses et conçoit mieux son devoir.

194. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Il aperçoit l’énormité du crime : d’un côté, s’il désobéit, il devient sujet à la mort ; de l’autre, s’il reste fidèle, il garde son immortalité, mais il perd sa compagne, désormais condamnée au tombeau. […] La chute d’Adam devient plus puissante et plus tragique, quand on la voit envelopper dans ses conséquences jusqu’au Fils de l’Éternel. […] Ces hardiesses, lorsqu’elles sont bien sauvées, comme les dissonances en musique, font un effet très brillant ; elles ont un faux air de génie : mais il faut prendre garde d’en abuser : quand on les recherche, elles ne deviennent plus qu’un jeu de mots puéril, pernicieux à la langue et au goût. Nous observerons encore que le chantre d’Éden, à l’exemple du chantre de l’Ausonie, est devenu original en s’appropriant des richesses étrangères : l’écrivain original n’est pas celui qui n’imite personne, mais celui que personne ne peut imiter. […] Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d’un fils ; ces habits devenus inutiles, dont elle occupait son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l’on promenait la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu , sont des choses qui n’appartiennent qu’à l’âme de Virgile.

195. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 6, des artisans sans génie » pp. 58-66

Il devient un dessinateur correct, s’il ne devient pas un dessinateur élegant, et si l’on ne sçauroit loüer l’excellence de son coloris, du moins n’y remarque-t-on pas de fautes grossieres contre la verité ; il est des regles pour n’en point faire : mais comme les regles ne peuvent enseigner qu’aux personnes de génie à réussir dans l’ordonnance et dans la composition poëtique, ses tableaux sont très-défectueux dans ces deux parties. […] Le public regarde un ouvrage dont il est en possession, comme un bien qui lui seroit devenu propre, et il trouve mauvais qu’on lui fasse acheter une seconde fois ce qu’il croit avoir déja païé par ses loüanges. […] Nous avons vû des peintres sans génie, mais devenus célebres pour un temps, par l’art de se faire valoir, travailler plus mal durant l’âge viril qu’ils ne l’avoient fait durant la jeunesse.

196. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

On aurait dit qu’il était devenu célèbre sans l’avoir cherché, simplement par suite de sa tranquille activité. […] C’est pour ainsi dire une impossibilité, qui tout à coup devient une réalité. […] Peu à peu sa parole devenait plus pénible et plus obscure. […] Il n’a point de rival dans toute l’Allemagne, devenue l’Olympe de sa calme divinité. […] Bientôt la révolution débordée en France se resserre, change de forme, et devient militaire et despotique.

197. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Le texte devient indifférent. […] la langue deviendra inintelligible, barbare ; alors pourquoi traduire ? […] L’univers apparaît dominé par des lois constantes : les faits deviennent inconcevables, s’ils n’obéissent à ces lois. […] En revanche, nos artistes ont perfectionné la forme du roman, l’ont bellement préparé à devenir ce roman attendu. […] Il devient ensuite un travail de préparation à la science — à peine ébauchée aujourd’hui — de la philosophie de l’histoire.

198. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

La vérité est qu’un idéal ne peut devenir obligatoire s’il n’est déjà agissant ; et ce n’est pas alors son idée qui oblige, c’est son action. […] Ils se réduisent de plus en plus, à mesure que les guerres deviennent plus terribles. […] Qu’arriverait-il si notre vie devenait plus austère ? […] Ainsi devient possible le progrès, malgré l’oscillation ou plutôt au moyen d’elle, pourvu qu’on en ait le souci. […] Ce que la femme exige de luxe pour plaire à l’homme et, par ricochet, pour se plaire à elle-même, deviendra en grande partie inutile.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Toutes études agréables lui étaient devenues impossibles, et ses plus chères lectures ne lui procuraient aucun soulagement. […] Il devint avocat sans cause, se lia fort avec quelques gens de lettres de son âge, fut d’un club avec eux ; il fit des vers, des essais moraux satiriques qui parurent dans les journaux et revues du temps. […] Ils voient peu de monde, ce qui me convient parfaitement ; à quelque moment que j’y aille, je trouve une maison pleine de paix et de cordialité dans tout ce qui la compose, et je suis sûr de n’y entendre aucune médisance, mais, au lieu de cela, un sujet d’entretien qui nous rend meilleurs. — Cette femme, écrit-il encore de Mme Unwin, est une bénédiction pour moi, et je ne la vois pas de fois que je ne devienne meilleur dans sa compagnie. […] Puss s’apprivoisa et devint aussitôt familier ; il ne demandait qu’à sauter sur mes genoux, il se dressait sur ses pieds de derrière et mordillait le bout de mes cheveux. […] Cependant le génie devenait plus fort et sentait ses ailes : Hélas !

200. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

On voit combien cela est d’une gentillesse enfantine ou du moins adolescente : on est devenu plus méchant d’une heure ! […] en vieillissant il deviendra presque un marguillier. […] Quelques hommes distingués avaient perfectionné cet art misérable, qui était devenu leur fonds de nature, et la jeunesse, comme toujours, s’y portait à leur suite par imitation et singerie. […] A part ce petit succès à huis clos, Gresset ne donna signe de vie durant ces années que pour essuyer de légers échecs qu’un manque de tact devenu trop habituel lui attirait. […] Ce sont là de ces faiblesses telles qu’il en arrive aux gens honnêtes un peu amollis par la vie domestique ; mais on se demande ce qu’est devenu l’homme d’esprit.

201. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Avant de prendre racine dans leur cervelle, toute idée doit devenir une légende, aussi absurde que simple, appropriée à leur expérience, à leurs facultés, à leurs craintes, à leurs espérances. […] Impulsions destructives  À quoi s’acharne la colère aveugle  Méfiance contre les chefs naturels  De suspects ils deviennent haïs  Dispositions du peuple en 1789. […] Aujourd’hui ils se contentent de vous regarder et ricanent : à peine êtes-vous sur le seuil, que vous les entendez parler de vous d’une manière plus leste que si vous étiez leur camarade »  Aux environs de Paris, même attitude chez les paysans, et Mme Vigée-Lebrun747 allant à Romainville chez le maréchal de Ségur, en fait la remarque : « Non seulement ils ne nous ôtaient plus leurs chapeaux, mais ils nous regardaient avec insolence ; quelques-uns même nous menaçaient avec leurs gros bâtons. » — Au mois de mars ou d’avril suivant, à un concert qu’elle donne, ses invités arrivent consternés. « Le matin, à la promenade de Longchamps, la populace, rassemblée à la barrière de l’Étoile, a insulté de la façon la plus effrayante les gens qui passaient en voiture ; des misérables montaient sur les marchepieds en criant : L’année prochaine, vous serez derrière vos carrosses et nous serons dedans. » — À la fin de 1788, le fleuve est devenu torrent, et le torrent devient cataracte. […] Contagion morale et contagion physique : l’ulcère grandit ainsi par le remède, et les centres de répression deviennent des foyers de corruption. […] De là ces attroupements dangereux à la sûreté publique ; de là cette foule de fraudeurs, de vagabonds ; de là cette multitude d’hommes devenus voleurs et assassins uniquement parce qu’ils manquent de pain.

202. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

« Il était né penseur, et les pensées d’autrui ne pouvaient se mêler avec les siennes. » Ce qu’il devait être un jour, ce n’était que par un long travail intérieur qu’il était destiné à le devenir. […] Devenu associé et l’un des chefs d’une maison de banque, il fit preuve, dans ses spéculations diverses, d’une sagacité supérieure et d’un esprit de combinaison que récompensa la fortune. […] Necker au milieu d’un cercle de gens de lettres, dont la conversation parcourait des sujets qui ne lui devinrent familiers que par degrés ; mais il y avait autre chose encore. […] Il devint très gros et puissant de corps après l’âge de trente ans, et cette disposition s’accrut avec les années. […] Necker aspirait à le devenir.

203. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

D’aristocratie l’Église est devenue monarchie. […] Elle est devenue une espèce de monarchie orientale. […] Que devient-il à ainsi faire ? […] Reste donc que la France devienne protestante ? […] Sa pensée y devint pins calme, plus sereine et plus élevée.

204. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

À mesure qu’on s’éloigne de Jésus, cette théurgie devient de plus en plus choquante. […] Les repas étaient devenus dans la communauté naissante un des moments les plus doux. […] Voulant rendre cette pensée que le croyant ne vit que de lui, que tout entier (corps, sang et âme) il était la vie du vrai fidèle, il disait à ses disciples : « Je suis votre nourriture », phrase qui, tournée en style figuré, devenait : « Ma chair est votre pain, mon sang est votre breuvage. » Puis, les habitudes de langage de Jésus, toujours fortement substantielles, l’emportaient plus loin encore. […] Après la mort de Jésus, il devint le grand symbole de la communion chrétienne 864, et ce fut au moment le plus solennel de la vie du Sauveur qu’on en rapporta l’établissement. […] Ce fut lui que l’on mangea et que l’on but ; il devint la vraie Pâque, l’ancienne ayant été abrogée par son sang.

205. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

C’est là le progrès à la fois moral et littéraire que je crois sentir en plus d’un passage de cette étude, devenue aujourd’hui un livre. […] Depuis lors, les choses ont bien changé ; la critique est devenue plutôt historique et comme éclectique dans ses jugements. […] Cette qualification d’anciens appliquée aux Pascal et aux Racine, qui, dans notre bouche, à nous autres, pouvait ressembler à une épigramme et à un blasphémé, est devenue, de sa part, un hommage et une piété. […] Mais après lui, à côté de lui, que deviendra cette mode croissante ? […] S’il trahit par endroits un peu d’inquiétude et d’incertitude, dès qu’il est dans le plein du sujet il devient tout à fait grave et beau.

206. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Plus on connaît de grandes œuvres dans des temps et dans des pays différents, plus il devient difficile de ramener à des principes généraux et à des lois communes tant d’écrits nés dans des conditions très-diverses et sous des inspirations opposées. […] Enfin on a cessé d’étudier les œuvres des écrivains comme des modèles immobiles, comme des types platoniciens ; on les a replacées dans leur temps, et la critique est devenue historique. […] Nous transportons ces vues dans la littérature et dans les beaux-arts ; nous pensons que c’est l’initiative individuelle qui a trouvé le beau, que l’idéal n’est passé dans la réalité et n’est devenu sensible que par la création libre des grands artistes et des grands écrivains, dont chacun lui a donné la couleur de son âme. […] Par une substitution insensible de termes, la raison, loi suprême du vrai et du beau, devient peu à peu, pour M.  […] Et cependant cette raison individuelle est devenue la source d’une raison nouvelle, la raison chrétienne, et c’est la folie de saint Paul qui est le principe de la sagesse de Bossuet.

207. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Il chasse de ce Montalembert catholique et devenu libéral, qui tenait au Saint-Siège, mais encore plus à son siège au Parlement ; qui aimait l’Église, mais encore plus la liberté parlementaire. […] L’imperceptible tolérance de âges précédents est devenue une chose énorme en ces derniers temps, et elle réjouit M. de Meaux, comme elle réjouirait le philosophe Laboulaye. […] Écrasés, ils devinrent plus tard protestants. Les protestants, qui n’ont pas été écrasés, eux, mais admis au partage de la France, sont, contre l’Église, devenus des protestants d’un bien autre calibre que les premiers. — Ils sont devenus les négateurs impies du xviiie  siècle, ils sont devenus la Libre Pensée, et la Révolution française et toutes les autres révolutions qui l’ont suivie et qui vont suivre : Que de filles, grand Dieu !

208. (1898) La cité antique

Malheureuse, elle devenait bientôt malfaisante. […] Tous les principes de la religion sont violés : le culte est souillé, le foyer devient impur, chaque offrande au tombeau devient une impiété. […] Énée consulte les devins et interroge les oracles. […] Il était devenu un étranger dans la ville. […] L’homme qui l’accueillait devenait impur à son contact.

209. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

On sentit le besoin qu’on avoit d’être instruit, & l’émulation devint générale. […] Son Académie, tout-à-coup célèbre, devint bientôt la rivale de celle d’Athènes, & même rivale préférée. […] Ils étoient plus Soldats que Poëtes & Orateurs ; mais ils le devinrent par la suite. […] La révolution devint générale, dans le Moral comme dans le Physique. […] l’heureux siècle, où Le cuivre devient or, & l’or devient à rien !

210. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Cependant l’induction baconienne est devenue célèbre et on en a fait le fondement de toute la philosophie scientifique. […] Le déterminisme devient ainsi la base de tout progrès et de toute critique scientifique. […] Elle retombe nécessairement dans la physiologie spéciale ou générale, puisque son but devient le même. […] Je donnai à manger de l’herbe aux lapins, et quelques heures après, leurs urines étaient devenues troubles et alcalines. […] Que pouvait être devenu cet oxygène du sang ?

211. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je sais à présent que les autres souffrent aussi : j’en suis devenue plus triste, mais beaucoup plus résignée. […] On les ramena le soir tous les deux à leur mère inquiète, qui ne savait ce qu’ils étaient devenus. […] Elle exerçait sur eux sa puissance sympathique et son don de consolation, servi par une voix qui devenait maternelle pour les humbles, fraternelle pour les autres malheureux. […] Le mariage, une grossesse, l’opiniâtreté de la jeune mère à vouloir nourrir, tout cela devait vite devenir fatalement une cause de mort. […] « … Ce bon M. de J… lui-même, qu’est-il devenu ?

212. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Mais par le seul fait qu’ils se groupent, l’idée commence déjà de se contredire elle-même, car ce troupeau de faibles, réuni en un organisme, devient une force avec laquelle bientôt il faudra compter. […] Les faibles de naguère tendent à devenir les forts d’aujourd’hui et déjà l’on peut redouter que cette force nouvelle, devenue tyrannique, ne détermine une forme nouvelle de l’oppression et ne supprime la liberté individuelle qui aura pu fleurir durant peut-être un bref laps de temps grâce à l’incertitude d’une lutte encore inégale entre deux principes contraires. […] Le temps différent, comme l’espace différent, est une cause de changement : il semble donc qu’une réalité modifiée par le temps soit exposée à se concevoir autre qu’elle n’est devenue si elle persiste à se concevoir selon l’image exacte de ce qu’elle fut naguère. […] Malheureuse, elle devenait bientôt malfaisante… Toute l’antiquité a été persuadée que, sans la sépulture, l’âme était misérable et que par la sépulture elle devenait à jamais heureuse11. » Ce fut une nécessité, pour des hommes dominés par cette croyance, de réglementer le culte des morts, de fixer les rites de la sépulture. […] Le mariage était pour elle une nouvelle naissance, elle devenait la fille de son mari, filiӕ loco.

213. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Mais nous savons que si, dans ces conditions, la pratique devient réfléchie, la réflexion, ainsi employée, n’est pas scientifique. […] Pour que les meurtriers disparaissent, il faut que l’horreur du sang versé devienne plus grande dans ces couches sociales où se recrutent les meurtriers ; mais, pour cela, il faut qu’elle devienne plus grande dans toute l’étendue de la société. […] Mais si ce même sentiment devient plus fort, au point de faire taire dans toutes les consciences le penchant qui incline l’homme au vol, il deviendra plus sensible aux lésions qui, jusqu’alors, ne le touchaient que légèrement ; il réagira donc contre elles avec plus de vivacité ; elles seront l’objet d’une réprobation plus énergique qui fera passer certaines d’entre elles, de simples fautes morales qu’elles étaient, à l’état de crimes. Par exemple, les contrats indélicats ou indélicatement exécutés, qui n’entraînent qu’un blâme public ou des réparations civiles, deviendront des délits. […] Et néanmoins ce crime était utile puis qu’il préludait à des transformations qui, de jour en jour, devenaient plus nécessaires.

214. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Qu’on jette les docteurs de l’égalité au milieu d’êtres totalement différents d’eux par les idées, les mœurs, la conformation anatomique elle-même, et l’on verra ce que deviendra, sous l’assaut des sentiments éveillés par de telles impressions, leur idée générale des droits de l’humanité ! […] C’est une loi de la formation des idées qu’elles deviennent plus générales à mesure que les objets qu’elles embrassent deviennent plus variés. […] Simmel 111, il devient égal à n’importe quel autre. » C’est ainsi que, du sein de leur extrême dissemblance, peut renaître le sentiment de l’égalité des personnes. […] Dans les sociétés où le travail se divise, les inférieurs ne tardent pas à crier aux supérieurs : « Que deviendriez-vous sans nous ?  […] Ainsi s’explique le perpétuel devenir et l’instabilité essentielle de la mode144 : les gens qui veulent être : « distingués » s’empressent de la quitter dès qu’elle devient « commune ». — Mais c’est cette variabilité même des modes qui, en même temps que leur multiplicité, limite l’influence anti-égalitaire de la mode.

215. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

À cette limite, il devient indifférent d’attribuer la causalité à Dieu ou à l’homme. […] Une léthargie à laquelle il a mis fin par son art devient une résurrection. […] La variété ici devient parfois presque individuelle, une simple affaire de famille. […] Des immenses travaux déjà accomplis par les indianistes modernes, quelques atomes à peine sont déjà devenus de droit commun. […] Les idées de Wolf sur l’épopée, ou plutôt celles qu’il a amenées, sont devenues du domaine public.

216. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Ce besoin d’entendre sa musique devenait aigu. […] Plus une phrase est remplie de rimes, dans Tristan, et plus celles-ci deviennent pleines et sonores, plus, toujours, la phrase perd en précision, et plus sa portée devient vague et flottante. […] Les périodes deviennent interminables. […] Mais la vie de ces âmes ne diminue pas, au contraire ; elle devient d’une acuité extrême. […] Et dans cette fin du second acte, la musique devient donc l’interprète presque exclusif du drame.

217. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

La fille, devenue homme d’affaires, est un pouvoir. […] Puis, le volume grossissant, il nous apparut dans le format Charpentier à 3 fr. 50 ; puis, avec son développement faisant craquer le format in-18, il devint un in-octavo ; — enfin l’in-octavo se doubla. […] Tout devient noir en ce siècle, et la photographie, n’est-ce pas l’habit noir des choses ? […] Faire semblant de prendre intérêt par le remuement et le jeu de la physionomie au bruit de paroles dont le devoir est seulement d’empêcher le silence, devient une attention crispante au bout de quelque temps. […] Après tout, en ce temps, ces coups de canne étaient considérés comme une familiarité du maître à l’endroit du valet, et devenaient un lien entre eux.

218. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Tombé, il devient gigantesque. […] Sa rêverie est devenue doctrine. […] Cela sauve la grâce de devenir gentillesse. […] L’hippogriffe devient Rossinante. […] Béatrix est devenue Dulcinée.

219. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

En 1817, il fit un voyage en Italie avec sa famille et trouva à Rome, parmi les pensionnaires de l’Académie de France, un jeune homme de nos montagnes qui, sous le prince Berthier, avait obtenu un prix de gravure en médailles (C’était Brandt, devenu depuis célèbre et établi à Berlin). […] La campagne romaine était infestée de brigands ; une expédition contre eux fut décidée sous le commandement d’un ancien sous-officier français devenu chef des carabiniers romains ; on alla droit au repaire, à Sonnino, petite ville dont la population fut décimée et transplantée. […] Le premier tableau proprement dit qui le fit sortir des têtes d’études et des sujets tout simples fut un tableau de Corinne improvisant au cap Misène, qui lui fut demandé par un amateur vers 1821, et qui devint ensuite L’Improvisateur napolitain. […] Plus je deviens vieux, plus je pense que c’est la meilleure chose pour un artiste qui aime véritablement son art. » — En octobre 1826, au moment d’une réunion avec sa mère, qu’il avait décidée à venir passer quelque temps à Rome, il écrivit au même ami M.  […] Je croyais le voir changer avec les années, devenir plus calme ; et malheureusement c’est le contraire.

220. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Grace Dalrymple, née en Écosse vers 1765, la plus jeune de trois Grâces ou de trois sœurs, fille d’un père avocat en renom et d’une mère très belle, élevée dans un couvent en France jusqu’à l’âge de quinze ans, mariée inconsidérément à un homme qui aurait pu être son père, et devenue ainsi madame Elliott, secoua vite le joug, amena le divorce, devint à Londres la maîtresse du Prince-régent, de qui elle eut une fille, puis la maîtresse du duc d’Orléans, pour qui elle vint d’Angleterre en France. […] Le fait est que Laclos, l’auteur des Liaisons dangereuses, du moment qu’il fut devenu l’âme du parti d’Orléans, n’eut qu’à appliquer son art et sa faculté d’intrigue à la politique pour en tirer, dans un autre ordre, des combinaisons non moins perverses et vénéneuses. […] Chaque liste pourtant devenait plus alarmante, et enfin vers dix heures nous arriva la triste et fatale nouvelle de la condamnation du roi et du déshonneur du duc d’Orléans. […] Dès les premiers instants, en raison du malheur commun, on devient les meilleurs amis du monde. « C’était un très gai jeune homme, avec un air très militaire, très beau et très galant. » Il venait beaucoup, dès qu’on le lui permit, du côté des dames, et il y en avait de très grandes de l’ancienne noblesse, qui toutes paraissaient le connaître. […] Les seules petites discussions que nous avions ensemble, c’était sur la politique ; elle était ce qu’on appelait constitutionnelle au commencement de la Révolution, mais elle n’était pas le moins du monde jacobine, car personne n’a plus souffert qu’elle du règne de la Terreur et de Robespierre. » Elle y trouva aussi Mme de Custine, qui y devint veuve de son jeune mari exécuté, et qui s’en montra d’abord inconsolable.

221. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Il passa au premier plan par la victoire du bel esprit français et mondain sur l’art antique : il fut naturel alors que le roman, qui avait toujours eu la faveur des gens du monde, devînt un des grands genres. […] Gil Blas devient le favori du duc de Lerme ; et nous pénétrons à la cour, par la petite porte, il est vrai, et les couloirs dérobés. […] La composition se serre, devient plus logique, partant plus vraie, puisque la liaison des phénomènes est un élément fondamental de notre croyance à la réalité des choses. […] Il était devenu sourd d’assez bonne heure. […] Il s’enfuit en 1727 en Hollande, de là en Angleterre, rentre en France en 1733, avec la protection du prince de Conti, dont il devient aumônier.

222. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Elle devient pour Joseph de Maistre le théâtre d’une éternelle entre-mangerie. […] Au siècle dernier, en 1755, le tremblement de terre qui détruisit Lisbonne devint aussitôt l’occasion d’un tournoi fameux entre deux rois de l’opinion, Voltaire et Rousseau. […] Qu’est devenue la peur du loup, qui met un frisson dans tant de nos vieux contes populaires ? […] Il se délivre des antiques superstitions ; il devient moins poétique peut-être, mais plus raisonnable. […] On peut même observer que, depuis le milieu du siècle dernier, la nature, cessant d’être une ennemie et un objet de terreur, est devenue pour nos écrivains une inspiratrice et un objet d’admiration enthousiaste.

223. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Cousin ce qui arrive quelquefois aux philosophes eux-mêmes : il est devenu amoureux. Il l’est devenu, de qui ? de Mme de Longueville en personne, oui, de cette sœur du Grand Condé, de cette beauté aux langueurs incomparables, qui, après avoir été une héroïne de la Fronde, est devenue un modèle de pénitence. […] Les défauts mêmes de Mme de Longueville deviennent des charmes pour son biographe entraîné et séduit. […] Cousin devient éloquent dans la passion.

224. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

C’est un meurtre, oui, mais dont on peut douter s’il tue de la vie, et quelle espèce de vie : car les médecins ne savent pas à quel moment le germe de ce qui sera un homme devient en effet une créature humaine, et les théologiens ne savent pas à quel moment il reçoit une âme. […] Il ne devient crime qu’à partir du moment où il est dénoncé. […] — Et que dire même des pratiques prudentes, non point conseillées par cet honnête Malthus, mais suggérées par ses théories, et auxquelles il a eu la malchance de donner son nom : pratiques si atrocement déplaisantes à concevoir, mais qui n’en sont pas moins devenues, chez nous, presque nationales et qu’un vers d’Émile Augier a publiquement absoutes un jour, avec une bonhomie désarmante, sur les planches d’un théâtre subventionné par l’État ? […] Corollairement, et pour enlever à ces meurtres, s’il se peut, un reste d’excuse, il faudrait qu’il devînt « de bon ton » de n’être pas dur aux filles-mères, — ni même aux jeunes veuves du monde qui se trouvent subitement « dans l’embarras ».

225. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

C’est que ce sentiment sublime, chauffé selon certaines conditions, transformera sous vos yeux la créature dégradée ; c’est que l’être petit deviendra grand ; c’est que l’être difforme deviendra beau. […] Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux. […] À la chose la plus hideuse mêlez une idée religieuse, elle deviendra sainte et pure.

226. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il ne pouvait guère en être autrement, et cela est vrai, en général, de ces grandes figures, quelles qu’elles soient, devenues la matière et l’objet de la légende : on peut dire d’elles, avec certitude qu’il n’y a jamais de si grande fumée sans feu. […] De ce mariage devenu si romanesque dans la légende, il n’est rien dit de plus dans l’histoire. […] Ces trois cents ont un peu grossi chez Guillem de Castro et chez Corneille, et sont devenus cinq cents de mes amis. […] Il est le héros, le protecteur et le promoteur de la monarchie espagnole, maîtresse bientôt de Paris et devenue comme la monarchie universelle. […]  » Voilà le héros tendre, humain et paternel que le Cid est devenu.

227. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Insuffisance et fragilité de la raison dans l’humanité  Insuffisance et rareté de la raison dans l’humanité  Rôle subalterne de la raison dans la conduite de l’homme  Les puissances brutes et dangereuses  Nature et utilité du gouvernement  Par la théorie nouvelle le gouvernement devient impossible. […] Nous supposons qu’elles sont apaisées, amorties ; nous voulons croire que la discipline imposée leur est devenue naturelle, et qu’à force de couler entre des digues elles ont pris l’habitude de rester dans leur lit. […] C’est pourquoi, au moment où il se conclut, tous les autres pactes deviennent nuls. […]  » En d’autres termes, vous cessez d’être père, mais, en échange, vous devenez inspecteur des écoles ; l’un vaut l’autre ; de quoi vous plaignez-vous ? […] Triomphe complet et derniers excès de la raison classique  Comment elle devient une monomanie  Pourquoi son œuvre n’est pas viable.

228. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Ces doutes qui l’avaient touché à son retour à Noyon étaient devenus douloureux ; ils cessèrent, dit-il, dès qu’il eut cessé d’appartenir au catholicisme. […] Dès lors la pénitence devenait inutile. […] Sa sévérité était devenue intolérable. […] Calvin y fit de nombreuses additions et ce qui n’avait été d’abord qu’un traité assez court, devint l’ouvrage le plus étendu qu’on eût publié sur les matières religieuses. […] La Femme de mauvaise vie était devenue, dans son imagination, une châtelaine de 15 à 16 ans, vermeille, ` jeune, de haute taille.

229. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Ainsi, l’on devient d’autant plus lourd dans l’objet de la croyance qu’on a été plus sceptique et plus léger quant aux motifs de l’accepter. […] Il m’est impossible d’exprimer l’effet physiologique et psychologique que produit sur moi ce genre de parodie niaise devenu si fort à la mode en province depuis quelques années. […] Le sérieux et le frivole vont ainsi s’étageant dans les fastes de la mode ; la frivolité ne tarde pas à devenir niaise, et le ridicule est pliable à tous sens. […] Appelée à vivre par sa vérité, elle développe parallèlement un principe de mort qui devient avec le temps intolérable et la tue. […] Il a bien mieux fait de devenir évêque.

230. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Chanteur de cafés-concerts, il est devenu acteur de drame. […] Mme Arnoux devient l’objet de la grande passion qu’il a résolu d’éprouver. […] Mme Bovary échappe au ridicule par la frénésie ; avec elle, l’erreur sur la personne devient un élément de drame. […] Cette haine, conséquence de son idéalisme exige en effet qu’elle nie, qu’elle ruine tout ce qui est parvenu, à se constituer, tout ce qui est sorti du virtuel, tout ce qui est devenu. […] L’intelligence humaine, la faculté de comprendre elle-même, devient le thème de la représentation et nous apparaît atteinte du même mal dont nous avons vu quelques esprits frappés.

231. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

De rares et nettement séparées, celles-ci deviennent-elles multiples et entrecroisées ? […] Si une société ne peut être compliquée sans avoir été préalablement différenciée, la réciproque n’est pas vraie : elle peut rester différenciée sans devenir compliquée. […] La variété des corps dont les hommes deviennent, les éléments diminue en eux l’étroitesse de l’esprit de corps. […] C’est qu’ils cherchent à balancer un pouvoir par l’autre ; collectif ou individuel, un maître unique devient vite un tyran. […] La notion des rapports qui relient les créatures à Dieu devenait ainsi capable de bouleverser celle des rapports des créatures entre elles.

232. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

L’attention acquise est devenue une seconde nature ; l’œuvre de l’art est consommée. […] Essayait-on par des punitions de faire agir un singe inattentif, l’animal devenait rétif. […] À mesure que son intensité augmente, elle se rapproche de son point de départ et tend il devenir une hallucination. […] c) Dans la catégorie précédente, à mesure que les idées deviennent plus générales, le rôle des images s’efface peu à peu, le mot devient de plus en plus prépondérant, jusqu’au moment où il demeure seul. […] Le temps de la réaction peut devenir nul et même négatif.

233. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Mais, comme presque toujours la maladie arrive brusquement, l’effet est immense ; on ne peut mieux comparer l’état du patient qu’à celui d’une chenille qui, gardant toutes ses idées et tous ses souvenirs de chenille, deviendrait tout d’un coup papillon avec les sens et les sensations d’un papillon. […] Sur ce point, presque tous emploient le même langage : « Je me sentais si complètement changé, qu’il me semblait être devenu un autre134 ; cette pensée s’imposait constamment à moi sans que cependant j’aie oublié une seule fois qu’elle était illusoire. » — « Quelquefois il me semble n’être pas moi-même, ou bien je me crois plongée dans un rêve continuel. » — « Il m’a littéralement semblé que je n’étais plus moi-même. » — « Je doutais de ma propre existence, et même par instants je cessais d’y croire. » — « Souvent il me semble que je ne suis pas de ce monde ; ma voix me paraît étrangère, et, quand je vois mes camarades d’hôpital, je me dis à moi-même : “Ce sont les figures d’un rêve.” » — Il semble au malade « qu’il est un automate » ; « il sent qu’il est en dehors de lui-même ». — Il ne « se reconnaît plus ; il lui semble qu’il est devenu une autre personne ». […] Lorsque subitement ces sensations deviennent autres, il devient autre et s’apparaît comme un autre ; il faut qu’elles redeviennent les mêmes pour qu’il redevienne le même et s’apparaisse de nouveau comme le même.

234. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Fait, s’il l’eût voulu, pour devenir un moraliste énorme, il s’est ratatiné jusqu’à n’être qu’un pamphlétaire souvent immoral ; il a écrit enfin sur cette poussière que font les passions, politiques d’une époque, mais la plume dont on écrit là-dessus n’en change pas la nature, fût-elle une plume d’aigle ! […] Elle était hypocrite et il devint plus hypocrite qu’elle. […] L’ironie, qui n’était qu’énorme et difforme jusque-là, tout à coup devient monstrueuse et anthropophage. […] La toilette, pour ce bœuf qui écrit, dans ses Résolutions pour l’époque où il deviendrait vieux, cette ligne affreuse : Ne point aimer les enfants , la toilette était ce qu’est le rouge pour le taureau. […] Il devint fou et puis idiot.

235. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Mais il vient un moment, le moment de l’indépendance, de la virilité complète, de la possession de soi-même, où ce qui fut un écho devient une voix, où l’on ne répète plus les autres, et où l’on parle enfin pour le compte de sa pensée. […] Je crois même qu’il y a quelque part dans les Festons de ce talent qui a bu la poésie contemporaine, non comme une organisation, pour en vivre, mais comme une éponge, pour s’en emplir et s’en gonfler, oui, je crois qu’il y a un petit filon d’originalité qu’on pourrait sauver, qui n’a pas été noyé encore et qui pourrait devenir, en le dégageant, une individualité complète, et tout à l’heure je le dirai… Mais présentement, la personnalité de M.  […] Hugo, le grand architecte en poésie, la Renaissance et ses ornementations idolâtres, et ce genre qui est devenu le défaut et presque le vice de la poésie moderne, de traiter la langue comme une pierre et d’en exagérer la plasticité. […] Gautier, mais le Barbier, qui commence en Gautier, finit en Hugo, de mélancolique devenu grotesque, Et sous la nue il frisera La tresse blonde des comètes ! […] Bouilhet pourrait devenir aussi large que son mètre.

236. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Ne rien aimer, ne rien haïr absolument, devient alors une sagesse. […] Il y a pourtant une exception, c’est Z… qui est devenu millionnaire. […] Je l’ai connue dans ses dernières années, gardant toujours la mode du moment où elle devint veuve. […] Je demandai un jour à ma mère ce qu’elle. était devenue. […] On ne devient pas riche sans se salir un peu.

237. (1914) Boulevard et coulisses

J’en ai, depuis, connu beaucoup, et je le suis devenu moi-même sans le moindre étonnement. […] Autant dans la vie privée nous étions paisibles, autant la plume à la main nous devenions audacieux. […] … » Notre hôte devint légèrement pâle et nous demanda la permission d’aller voir ce que c’était. […] Ces deux professions sont devenues aussi libérales et aussi régulières que la médecine ou le barreau. […] Les déclassés de l’autre sexe peuvent encore devenir anarchistes ; mais elles ?

238. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Il ne devient pas moins évident que plus on va, et plus l’amabilité sérieuse, la distinction du fond et du ton se trouvent naturellement compatibles avec une condition moyenne ; et le nom de Mme Roland signifie tout cela. […] Après cela, que sur certains points délicats et réservés elle n’ait pas tout dit : que, par exemple, ses amours à la Bastille avec le chevalier de Menil aient été poussés encore un peu plus loin qu’elle n’en convient, il n’y a rien là que d’assez vraisemblable, et raisonnablement on ne saurait demander à une femme, sur ce chapitre, d’être plus sincère, sans la forcer à devenir inconvenante. […] Je le vis, et je remarquai combien, dans cet état, ce qui nous est inutile nous devient indifférent. » Lemontey255 croit apercevoir dans ces quelques mots une révélation qui échappe ; c’est être bien fin. […] Pline le Jeune a coutume, dans l’éloge qu’il fait de certains écrivains, d’unir ensemble, comme se tenant étroitement entre elles, deux qualités, vis, amaritudo , cette vigueur qui naît et se trempe d’une secrète amertume  ; Mlle Delaunay (on peut citer du latin en parlant de celle qui faillit devenir Mme Dacier) possédait cette vigueur-là. […] Sa santé diminue, sa vue baisse, et pour peu qu’elle vive, elle est en train de devenir tout à fait aveugle comme son amie Mme du Deffand.

239. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Ces pages, qui n’ont servi encore à aucune autre génération précédente, et qui semblent avoir été faites chaque matin tout exprès pour nous, nous deviennent aussitôt comme propres et intimes. […] Le cadre du lac et des monts serait bien posé, si bientôt il ne devenait trop large et débordant pour les personnages. […] Le personnage d’Elvire transformé en celui de Julie est-il devenu plus vivant ? […] Mais, à d’autres instants et par d’autres endroits, le personnage est devenu en partie systématique. […] Ici, l’anachronisme moral devient évident.

240. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Ceux d’entre les écoliers qui ne se destinent pas aux études, c’est-à-dire qui ne veulent devenir ni théologiens, ni jurisconsultes, ni médecins, se contentent de passer cinq ou six années dans ces écoles, à fréquenter les trois ou quatre premières basses classes, après quoi ils quittent le gymnasium pour prendre le parti du commerce ou d’autres professions honorables. […] J’observe qu’il serait bon, dans ces Lese-Schreib und Rechen-Schulen, de pousser l’instruction plus loin qu’elle ne va communément en Allemagne, et d’y faire enseigner, par exemple, à ceux qui se destinent aux professions mécaniques et au commerce, la manière de tenir les livres en parties doubles, la science du change, et tout ce qu’il est bon, dans ces professions, de savoir pour y devenir plus habile en moins de temps. […] Mais ce qu’il faut observer ici, c’est que l’étude des langues est devenue et devient tous les jours d’une telle étendue, qu’il ne sera plus possible à l’esprit humain d’y suffire. […] Insensiblement la masse des connaissances devient trop forte pour l’étendue de l’esprit humain ; la confusion et la barbarie ont leur tour. […] Ils devinrent brouillons et imbéciles, ce fut à recommencer, et Dieu fut préservé une seconde fois du danger de voir ses secrets ébruités.

241. (1903) La pensée et le mouvant

La métaphysique deviendra alors l’expérience même. […] Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. […] L’état, pris en lui-même, est un perpétuel devenir. […] J’en ai extrait, d’autre part, le devenir en général, le devenir qui ne serait pas plus le devenir de ceci que de cela, et c’est ce que j’ai appelé le temps que cet état occupe. […] Ravaisson, sont devenues classiques.

242. (1860) Ceci n’est pas un livre « À M. Henri Tolra » pp. 1-4

Que cet ouvrage sérieux ait la fortune rare d’être lu jusqu’au bout, il est aussi promptement oublié qu’un article de journal… Et voilà pourquoi les romanciers sont devenus des journalistes. […] Nous devenons poussifs et nous n’avons d’haleine       Que pour quatorze vers au plus. […] Voyez, les signes apparaissent déjà : les livres deviennent rares, et les volumes se multiplient.

243. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Il y inspire un tendre intérêt à une jeune dame qui, après bien des troubles et des luttes secrètes de cœur, devient veuve fort à propos, et qui n’aurait plus qu’à l’épouser si lui-même, forcé par l’honneur de se rendre à l’armée de Condé, il n’était fait prisonnier les armes à la main et condamné à périr sur l’échafaud ; il ne s’y dérobe qu’en se donnant la mort et en se frappant d’un coup de stylet, exactement comme Valazé. […] Les jeunes gens recevaient dans cette maison les principes d’opposition à l’autorité, qu’ils répandaient dans d’autres sociétés, et qui devinrent la règle de leur conduite. […] Le président de Longueil, en ces endroits, devient tout à fait le président de Montesquieu, même pour le bonheur de l’image et le trait du talent. […] Ce même homme qui vient de nous dire que la Révolution a été purement accidentelle dans son explosion, reconnaît qu’une fois enfantée, elle ouvre une ère entièrement nouvelle : La Révolution deviendra une époque nationale, comme la captivité de Babylone chez les juifs, et l’an de l’Hégire chez les arabes et les Turcs ; et une infinité de familles dateront de ce temps une illustration méritée par des services éclatants, ou un attachement héroïque à la monarchie, qui les rapprocheront des anciennes maisons. […] Il en doit être un jour des honneurs et de la gloire, comme de la demande des auteurs à la fin d’une pièce ; le flatteur empressement avait enivré Voltaire, et les Poinsinet y devinrent insensibles.

244. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Mais il y a une autre classe d’auteurs, à qui tout profite, même les défauts : ce sont ceux qui, une fois morts, tournent à la légende, qui deviennent types, comme on dit, dont le nom devient pour la postérité le signe abrégé d’une chose, d’une époque, d’un genre. […] — Mais l’essentiel, je le vois bien, même en littérature, est de devenir un de ces noms commodes à la postérité qui s’en sert à tout moment, qui en fait le résumé de beaucoup d’autres, et qui, à mesure qu’elle s’éloigne, ne pouvant toucher toute l’étendue de la chaîne, ne la compte plus, de distance en distance, que par quelque anneau brillant. […] Ayant ainsi réglé ses comptes avec Paris, que devint l’exilé Villon ? […] Cette chambrette, aussitôt, sera devenue plus chère à celui qui l’habitait, et pendant quelques jours elle lui aura paru presque un sanctuaire (ô puissance des premières illusions !) […] cet écolier que je me figure, qui a respiré la bonne âme de Villon et non la mauvaise, et pour qui le poète, même complètement connu plus tard, était demeuré une passion, il revit de nos jours, il est devenu maître et de la meilleure école, et c’est lui qui a été, cette fois, le commentateur, l’apologiste (là où c’était possible), l’interprète indulgent et intelligent de Villon par-devant la Faculté, et aussi devant le public.

245. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

On eut beau vouloir séparer dans le journal ce qui restait consciencieux et libre, de ce qui devenait public et vénal : la limite du filet fut bientôt franchie. […] Les journaux, par cette baisse de prix, par cet élargissement de format, sont devenus de plus en plus tributaires de l’annonce ; elle a perdu son reste de pudeur, si elle en avait. […] On a tant abusé du public, tant mis de papier blanc sous des volumes enflés et surfaits, tant réimprimé du vieux pour du neuf, tant vanté sur tous les tons l’insipide et le plat, que le public est devenu à la lettre comme un cadavre. […] Que serait-ce qu’une Société qui, comprenant la presque totalité des littérateurs du jour à tous les degrés de l’échelle, deviendrait pour eux une espèce d’assurance mutuelle contre la critique et pour la louange ? […] De nos jours le bas-fond remonte sans cesse et devient vite le niveau commun, le reste s’écoulant ou s’abaissant.

246. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Elle devint l’édification du couvent qui lui servait de prison. […] L’antipathie naturelle de Louis XIV contre Fénelon devint de l’indignation et du ressentiment. […] C’est surtout au milieu des complications de la guerre malheureuse dont son diocèse est le théâtre et la victime que sa figure devient la plus touchante personnification de la charité. […] Quand il devint trop étroit, Fénelon leur ouvrit son séminaire et loua des maisons dans la ville. […] Cet élève était devenu la perspective de la France ; elle attendait son règne comme celui de la vertu et de la félicité publique.

247. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Sa mère, femme de beaucoup d’esprit, une précieuse en son temps (avant que le mot fût devenu ridicule), belle, active, intrigante, était arrière-petite-fille de l’illustre et grave chancelier de L’Hôpital. […] Il voyagea en Italie et y devint joueur. […] Sa première vie ne l’a point dépravé autant qu’il semble qu’elle aurait dû faire il devient évident qu’il y a eu dans son fait plus de frivolité que de débauche ; il est resté très naturel, très capable de bonnes impressions ; il suffit qu’il soit entouré de bons exemples : il les imite et les réfléchit. […] Tandis que les Jésuites, à bord, s’appliquent à l’astronomie, les autres missionnaires font des conférences ; Choisy y assiste : Pour moi, je tâte un peu de tout, écrit-il à Dangeau, et si je ne deviens pas savant, ce qui n’est pas possible puisque je ne le suis pas devenu à votre école, j’aurai au moins une légère teinture de beaucoup de choses. […] On devient aisément insupportable les uns aux autres ; les petits défauts s’exagèrent.

248. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Dès ses débuts, il fut présenté dans la société du baron d’Holbach, y connut Franklin, le monde de Mme Helvétius, et toutes ces influences se combinèrent bientôt, se fixèrent en lui de telle sorte qu’il devint l’élève le plus original peut-être de cette école. […] Il est plus favorable à la Syrie et se déride quelquefois en nous en parlant : c’est par la Syrie qu’il entre davantage dans l’esprit de l’Orient, et que, devenu maître de la langue, il reçoit son impression tout entière : il parle du désert et des Bédouins avec quelque chose de plus senti que d’habitude, bien que de sobre également et d’inflexible. […] Passé à l’état domestique, il est devenu le moyen d’habitation de la terre la plus ingrate. […] On prend un plaisir secret à trouver petits ces objets qu’on a vus si grands : on regarde avec complaisance la vallée couverte de nuées orageuses, et l’on sourit d’entendre sous ses pas ce tonnerre qui gronda si longtemps sur la tête ; on aime à voir à ses pieds ces sommets jadis menaçants, devenus dans leur abaissement semblables aux sillons d’un champ ou aux gradins d’un amphithéâtre ; on est flatté d’être devenu le point le plus élevé de tant de choses, et un sentiment d’orgueil les fait regarder avec plus de complaisance. […] L’âme s’élève, les vues de l’esprit semblent s’agrandir, et au milieu de ce majestueux silence on croit entendre la voix de la nature, et devenir le confident de ses opérations les plus secrètes5.

249. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Si le travail pouvait devenir génie, assurément M.  […] Il n’est pas encore un grand poète, et nous ne savons s’il le deviendra jamais. […] qu’êtes-vous devenus ? […] C’est la Galathée de Pygmalion, avant que Pygmalion devînt amoureux de sa statue. […] Ses rôles deviennent autant de boîtes de dragées, et ils ne s’en plaignent pas.

250. (1929) Amiel ou la part du rêve

Il allait devenir l’homme de la totalité virtuelle. […] Elle deviendrait une femme parfaite. […] Il devient dans le Journal le Cap des Rêveries : un beau nom de paysage lunaire. […] Le sexe faible deviendrait celui d’Amiel, dans la mesure où il ne l’est pas déjà. […] Mais que fût devenu le Journal ?

251. (1900) Molière pp. -283

Qu’est-il devenu ? […] Ces personnes-là eurent un bien autre sujet de mécontentement en 1662, quand fut jouée L’École des femmes, dans une scène de laquelle Arnolphe, pour devenir complet, lui qui est déjà mari systématique, devient docteur et pédant de morale et de religion. […] Un poète peut s’en mêler ; il peut devenir poète politique et rester cependant grand poète. […] Voilà qui menace de devenir philosophique. […] Dès aujourd’hui, je fais le serment de devenir un grand homme, dussé-je commencer par être avocat, sycophante ou démagogue.

252. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Ceux qui ont commencé par l’enthousiasme confiant et innocent ont appris, à force de mécomptes, à connaître le mal, et souvent, en cet âge de l’expérience chagrine, ils deviennent enclins à lui faire une bien grande part. […] Ainsi toute rencontre de société, toute personne devient pour lui matière à remarque, à distinction, tout lui est point de vue qu’il relève. […] Elle savait l’anglais et s’y fortifia ; cette langue nette, sensée, énergique, lui devint familière comme la sienne propre. […] La situation, qui semble d’abord piquante, se prolonge beaucoup trop et devient froide. […] Elle était devenue mère.

253. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Bernardin de Saint-Pierre était donc foncièrement bon, j’aime à le croire ; mais il était devenu, par la fâcheuse expérience des hommes, irritable, méfiant et susceptible. […] Quoique l’auteur s’excuse presque d’avoir oublié sa langue durant dix années de voyages et d’absence, le style est déjà tout formé, et l’on y retrouve plus d’une esquisse gracieuse et pure de ce qui est devenu plus tard un tableau. […] Lemontey, dans son Étude sur Paul et Virginie, a remarqué que ces mêmes sites, qui deviendront sous la plume du romancier les plus enviables de l’univers et un Éden ravissant, ne sont représentés ici que comme une terre de Cyclopes noircie par le feu. […] Bernardin, du fond de son faubourg Saint-Marceau, devenait le parrain souriant de toute une génération nouvelle. […] Le bon vieux frère capucin est devenu l’adolescent accompli, ayant taille d’homme et simplicité d’enfant : ainsi va cette fée intérieure en ses métamorphoses.

254. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Et ce qui achève de le légitimer, c’est que, pour devenir efficace, la raison elle-même doit lui emprunter sa forme. Une doctrine ne devient active qu’en devenant aveugle. […] Pour elle, le préjugé héréditaire devient un préjugé pur ; la tradition n’a plus de titres, et sa royauté n’est qu’une usurpation. […] À chacun de mes repas, en moi, par moi, une matière inanimée devient vivante ; « j’en fais de la chair, je l’animalise, je la rends sensible ». Il y avait en elle une sensibilité latente, incomplète, qui s’achève et devient manifeste.

255. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Or, que devient alors la littérature ? […] Et alors elle est devenue un métier autant et plus qu’un art. […] Aussi leur rôle est-il devenu considérable. […] Il n’est pas jusqu’aux comédiens qui par reflet ne soient devenus dans l’État d’importantes personnes. […] Les gens ne sachant pas lire commençant à devenir une rareté, le public qui contribue à la rémunération de ceux qui écrivent est devenu le peuple presque tout entier, et mieux vaut dépendre de cent mille maîtres que d’un seul ou de deux ou trois tyran neaux.

256. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Vers l’année 1780, c’est à qui deviendra le Lucrèce de la science, celle de Newton, celle de Buffon, et qui sera demain celle de Laplace et de Cuvier. […] Arrivée à un certain âge, à un certain degré de complication, la science échappe au poète ; le rythme devient impuissant à enserrer la formule et à appliquer les lois. […] Chaque loi nouvelle devient ainsi un élément plus précis et plus délicat de l’ordre. […] Ne lui est-il pas arrivé souvent de laisser la précision ou la clarté de l’idée en gage dans ce jeu périlleux, et de faire de sa pensée l’otage du vers, qui devrait être l’esclave et qui devient le maître ? […] Tout change dans la seconde partie ; le cœur se réveille, la liberté se proclame, la justice retrouve ses titres, la sympathie s’éveille, et le progrès devient le terme idéal de la science unie à l’amour. — Pourquoi cela ?

257. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

» devient donc de plus en plus violent, Alceste se fâchant de plus en plus — non pas contre Oronte, comme il le croit, mais contre lui-même. […] Elle devient amusante par elle-même, indépendamment des causes qui font qu’elle nous a amusés. […] C’est le langage lui-même, ici, qui devient comique. […] Traduisez la phrase en anglais ou en allemand, elle deviendra simplement absurde, de comique qu’elle était en français. […] Ou encore : Dès que notre attention se concentre sur la matérialité d’une métaphore, l’idée exprimée devient comique.

258. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Que devient l’autonomie de nos mouvements dans la série continue des causes ? Que devient notre volonté sous l’action d’un Dieu qui fait sentir partout sa puissance ? Que devient notre personnalité elle-même dans le sein de ce Dieu, qui remplit tout de sa présence ? […] Que devient l’activité spontanée des êtres de la nature ? […] Alors que deviennent la liberté, la responsabilité ?

259. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Et je vous assure, que vu sous cet angle, son livre devient très curieux. […] Comme ce pauvre diable qui était si malheureux qu’il en devint Polonais, M.  […] Tout coin de terre où nous sommes peut nous devenir l’île de Robinson. […] Rien n’empêche évidemment que les six deviennent cinquante, et que M.  […] Aujourd’hui ce Kamtchatka est devenu pour nous un Bougival.

260. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

La scène de ce poème devait être à Paris, la ville appelée à devenir le centre de l’évolution sociale. […] L’accomplissement social du christianisme, tel devient donc le but de toute l’évolution historique. […] L’artiste n’a-t-il aucun moyen de provoquer le retour d’un hôte devenu familier ? […] Par l’expression figurée, la pensée devient plus qu’intelligible, elle devient émouvante. […] L’art est la physionomie d’une époque, c’est son âme devenue visible, c’est son caractère qui tombe sous les sens.

261. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome II

Dans ce cas, il devient impossible d’enfoncer le tube assez profondément. […] Instantanément la salive est devenue excessivement abondante. […] La réaction alcaline persiste toujours et est même devenue plus intense. […] Le chien était devenu plus vif et commençait à manger. […] Le pancréas devint aussitôt dur et gorgé de sang.

262. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

C’est dans ces salles funèbres que Michel-Ange, enfermé pendant les nuits, étudiait, à la lueur de la lampe des morts, cette anatomie du corps humain dans tous les âges qui devint comme la charpente cachée de ses statues. […] Ce groupe fut placé dans le temple de Mars, devenu un sanctuaire de la Vierge. […] Michel-Ange a dépassé l’homme ; il est devenu là le Prométhée de l’imagination ; le poëme vainement ébauché par le Dante, il l’a accompli avec le pinceau. […] Mais Clément VII, aussi fervent que Léon X pour l’embellissement de la capitale du monde chrétien, ne tarda pas à rappeler à Rome l’homme que la Providence semblait avoir marqué de son sceau pour devenir l’Esdras du catholicisme. […] Son nom était Vittoria Colonna, nom devenu depuis immortel par l’amour, par la poésie et par la vertu.

263. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Charlemagne, comme il était naturel, par son long règne, ses grandes guerres, son vaste génie, et la restauration prodigieuse de la puissance impériale, devint le héros favori et comme le centre de l’épopée. […] Cependant, de chantées avec accompagnement de vielle, ou violon, les chansons d’abord furent récitées, puis lues à haute voix ; et, comme il était naturel, plus on s’éloignait du chant, plus la versification devenait compliquée et curieuse. […] Ce lieu commun vivace regermera chez nous à chaque époque, et, dans un siècle comme le nôtre, idolâtre de l’enfance, deviendra d’une culture très facile et rémunératrice. Naturellement les scènes grotesques ou familières eurent plus de succès à mesure que le public devint plus populaire. […] Dans tout cela les types épiques deviennent ce qu’ils peuvent.

264. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Cette sollicitude de Henri IV pour la conservation de Rosny paraîtra encore, après que celui-ci sera devenu grand maître de l’artillerie. […] La manière dont il eut cette place, qui devint entre ses mains un office de la Couronne, continue de le caractériser. […] On a devant soi neuf belles et pleines années (1601-1610) : la vie de Rosny devient l’histoire de Henri IV, ou du moins une très grande partie de cette histoire, il devient difficile de l’en séparer par une biographie distincte et réduite à de justes mesures. […] Il semble aussi que, pour cette partie capitale de sa carrière, les confidences directes de Sully leur manquent souvent, qu’elles deviennent moins fréquentes, moins explicites. […] Les saillies de son maître sont à la longue devenues chez lui des systèmes.

265. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Vers la fin de ses classes, il se gâta fort pour la conduite et devint libertin. […] Un jour, après avoir bien amorcé Duclos par l’amour du plaisir, Saint-Maurice juge qu’il est temps de s’ouvrir à lui et lui offre de devenir son compère. […] L’astrologie judiciaire, la pierre philosophale, la médecine universelle, la cabale, etc., ont toujours leurs partisans secrets, sans parler des folies épidémiques, telles que l’agiot dont je venais d’être témoin, temps où chacun s’imaginait pouvoir devenir riche, sans que personne devînt pauvre. […] Duclos, qui ne songe qu’au plaisir, qui a fréquenté les salles d’armes, et qui est plein de vigueur corporelle, ne demanderait pas mieux que d’entrer au service et de devenir militaire ; il pourrait avoir une lieutenance dans le régiment de Piémont. […] Le puissant commande, les gens d’esprit gouvernent, parce qu’à la longue ils forment l’opinion publique, qui tôt ou tard subjugue ou renverse toute espèce de despotisme. » Cette vérité est devenue, depuis, un lieu commun et commençait à l’être déjà.

266. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Il arriva alors que, sentant en Saint-Simon un ami qui pourrait bien devenir prochainement incommode et gênant, le duc de Noailles eut l’idée de lui tendre un piège qui le compromît dès le début de la Régence et lui cassât le cou, comme on dit. […] Là est le crime de Noailles envers Saint-Simon, et il s’ensuivit la colère, l’animosité, l’impitoyable vengeance de l’ami aliéné et ulcéré, devenu ennemi jusqu’à la mort ; il n’y eut jamais entre eux qu’un faux raccommodement et pour la forme, après bien des années, à l’occasion d’un mariage de famille. […] On devient prudent, presque sage. […] Il devint favori de Mme de Maintenon ; il épousa son héritière, et sans perdre sa confiance ni celle du feu roi, il sut pourtant se ménager la faveur du duc d’Orléans par ses utiles manœuvres. Aussi, à la mort de Louis XIV, devint-il une espèce de premier ministre.

267. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

On sent que l’auteur travaille à une démonstration édifiante ; la comédie devient un sermon laïque. […] » Quarante ans plus tard, le rire était devenu indécent, et les larmes bienséantes. […] Mais, en même temps, dans cette société le sentiment est rare ; il n’en devient que plus précieux, et transfère sa valeur à l’idée du sentiment, qui est son substitut ordinaire. […] L’humanité, la nature, tous les rapports sociaux, toutes les actions sociales deviennent pour les âmes des occasions de vibrer avec intensité, ou de s’amollir délicieusement. […] C’est bien ce qu’il devient avec Mercier.

268. (1887) George Sand

Elle était devenue, s’il faut l’en croire, une campagnarde engourdie, en apparence au moins ; elle s’appliqua même à devenir une bonne femme de ménage, ce qui est plus difficile encore. […] Mais que deviendront les enfants, sous la loi de ces mariages éphémères ? […] On peut dire que, pour beaucoup, il est devenu la littérature unique. […] C’est ainsi que, sous sa main habile, la réalité devenait de l’art et souvent du grand art. […] Le public, à qui l’on dit tant qu’il est bête, se fâche et n’en devient que plus bête.

269. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

L’éloquent avocat, qui allait bientôt devenir un solitaire et un pénitent des plus rigoureux, pensait alors à s’engager plus avant dans les liens du monde ; il était amoureux d’une belle et sage demoiselle, et il s’en était ouvert à la mère Agnès pour l’éprouver et se ménager sans doute son approbation. […] Vous voulez devenir esclave et avec cela demeurer roi dans mon cœur, cela n’est pas possible ; car, quel rapport y a-t-il de la lumière avec les ténèbres, et de Jésus-Christ avec Bélial ? […] La marquise d’Aumont était une respectable dame, qui, devenue veuve, s’était retirée à Port-Royal de Paris, y avait fait bâtir un corps de logis pour elle, avait procuré surtout l’agrandissement du monastère, et y était bienfaitrice en toute humilité. […] Celui-ci, ancien chevalier de Malte, brave guerrier, duelliste, frondeur, donnant des collations aux dames, s’était tout d’un coup retiré, après être devenu veuf, et s’était fait arranger un corps de logis près de Mme de Sablé dans les dehors de Port-Royal de Paris. […] Ayant quitté la maison de Paris en 1669, et s’étant retiré dans les dehors de la maison des Champs, lorsque les Sœurs y furent réunies, il eut la charitable idée de leur faire bâtir un cloître (car l’ancien bâtiment incomplet était devenu trop étroit), et il fut assez estimé d’elles pour leur faire accepter son bienfait.

270. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

Si le monde tend vers l’uniformité, ce n’est pas parce que ses parties ultimes, d’abord dissemblables, tendent à devenir de moins en moins différentes, c’est parce que, se déplaçant au hasard, elles finissent par se mélanger. […] Gouy eut l’idée d’y regarder de plus près et il vit, ou crut voir, que cette explication est insoutenable, que les mouvements deviennent d’autant plus vifs que les particules sont plus petites, mais qu’ils ne sont pas influencés par le mode d’éclairage. […] Il devient donc inutile. […] S’il n’y a plus de masse, que devient la loi de Newton ? […] Car les corps opposeraient une inertie croissante aux causes qui tendraient à accélérer leur mouvement ; et cette inertie deviendrait infinie quand on approcherait de la vitesse de la lumière.

271. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Ces problèmes, sortant en quelque sorte de terre et venant effrayer le monde, s’emparèrent de mon esprit et devinrent une partie intégrante de ma philosophie. […] Le patriotisme devient local ; l’entraînement national diminue. […] L’effroyable dureté des procédés par lesquels les anciens États monarchiques obtenaient les sacrifices de l’individu deviendra impossible dans les États libres ; on ne se discipline pas soi-même. […] Il est devenu trop clair, en effet, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient, et puis il arrive d’ordinaire qu’une génération fait peu de cas de ce pour quoi la génération précédente a donné sa vie. […] En résumé, si, par l’incessant travail du XIXe siècle, la connaissance des faits s’est singulièrement augmentée, la destinée humaine est devenue plus obscure que jamais.

272. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Il y a presque toujours dans une période ce que j’appellerai un tempérament régnant, et ceux qui en sont doués sont par là même prédestinés à représenter la tendance maîtresse de leur temps, à devenir les grands hommes du moment. […] » La comédie s’est faite larmoyante ; le drame bourgeois, avec Diderot, est sentimental et déclamatoire ; le conte, avec Marmontel, devient pathétique et pleurard. […] Chaque fois qu’une jeune femme est présentée à Voltaire, devenu le patriarche de Ferney, il est d’usage qu’elle pâlisse, tremble, frissonne, se trouve mal en l’apercevant. […] La plaisanterie devient âcre, mordante, la passion convulsive ; l’outrance fait partout irruption ; et, au milieu de rires éclatants et saccadés, on voit grimacer la mort qui obsède les imaginations, on entend un long gémissement qui monte du fond des âmes et qui révèle la fatigue, la souffrance d’une société anémique et hystérique. […] Certaines maladies morales, trop complaisamment décrites, deviennent contagieuses ; elles le sont pour les lecteurs par la magie et je dirais presque par la complicité de l’art ; elles le sont pour les auteurs.

273. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Par ce seul fait qu’ils ont été l’objet d’actes de bonté répétés, ils deviennent un objet d’affection pour nous. […] Non-seulement les plaisirs et les douleurs, mais aussi les causes de plaisir et de douleur, deviennent des motifs d’actions. Ces causes, en s’associant dans notre esprit avec les plaisirs et peines qu’elles produisent, deviennent d’abord agréables, ou désagréables en elles-mêmes ; ensuite, en s’associant avec ceux de nos actes qui peuvent les mettre à exécution, elles deviennent des motifs d’une très grande force. C’est ainsi que la richesse, le pouvoir, les dignités, nos semblables, les objets beaux et sublimes qui, comme nous l’avons vu, sont devenus par association des affections, deviennent aussi des motifs57.

274. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

. — « Tu ne subis point la vieillesse », — dit à la cigale le poëte de Téos, — « frêle enfant de la terre, toi qui aimes les chansons. » Et dans un autre feuilleton encore : « Les rides, si jamais elles viennent, iront à sa petite figure spirituelle et impertinente comme les craquelures à la porcelaine. » Ces charmants hasards de plume valent pour moi de plus grands traits, et je ne veux pas que le feuilleton, sous prétexte qu’il devient livre et qu’il se fait plus grave, me les ôte et me les supprime. […] Je ne sais qui a dit : « Saint-Victor a une coupe d’or : tout ce qu’il y verse devient brillant. » Sa plume encore est comme une épée qui n’est pas faite pour les humbles besognes de chaque jour : il lui faut à tout coup un exploit. […] La politique et le souffle enflammé des passions régnantes l’enlevèrent trop tôt à ce culte exclusif des lettres ; mais dans la dernière partie de sa vie il avait cherché une consolation dans l’amour des arts proprement dits, et il était devenu un connaisseur fin en peinture. […] Sa voix (je l’ai entendu) prend des accents irrités, vibrants et comme métalliques quand il croit qu’on les outrage : son goût noble et élevé devient altier en ces moments-là. […] Swift est devenu comme le bouc émissaire de ce volume qu’il termine et qui est, à tous les autres endroits, si plein de rayons.

275. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Après avoir eu tout d’abord exclusivement le caractère d’une institution sociale, d’une force sociale contraignante, le droit est devenu de plus en plus un sentiment de la conscience individuelle. […] Inversement, l’idée du droit individuel n’est pas sans influence sur le droit social ; ce dernier devient moins rigide, moins brutal et moins autoritaire à mesure que l’idée du droit individuel gagne plus de terrain dans les consciences et relègue au second plan l’idée du droit social, sans toutefois la détruire entièrement. […] Le conflit du droit social et du droit individuel est en perpétuel devenir. […] « Entrer dans une association, dit un juriste contemporain, ce n’est pas simplement signer un contrat : c’est adhérer à une discipline, plus clairement devenir une cellule dans un organisme99. » Résumons l’antinomie juridique. […] L’effort contemporain vers l’individualisation de la peine est la manifestation la plus libérale de cette tendance devenue pleinement consciente d’elle-même. — Une autre cause qui tient en échec l’absolutisme juridique est la tendance naturelle des hommes à désobéir aux lois ; c’est la pratique incessante, directe ou indirecte, ouverte ou sournoise, de l’illégalité.

276. (1890) L’avenir de la science « IX »

La morale et la théodicée ne sont pas des sciences à part ; elles deviennent lourdes et ridicules, quand on veut les traiter suivant un cadre scientifique et défini : elles ne devraient être que le son divin résultant de toute chose, ou tout au plus l’éducation esthétique des instincts purs de l’âme, dont l’analyse rentre dans la psychologie. […] Puis, quand chacune des séries d’études devint assez étendue pour absorber des vies entières et présenter un côté de la vie universelle, chaque branche devint une science indépendante et laissa le tronc commun appauvri par ces retranchements successifs. […] Non seulement l’alliance des études psychologiques et morales avec les sciences physiques et mathématiques est devenue un rare phénomène ; mais une subdivision assez restreinte quant à son objet d’une branche de la connaissance humaine est souvent elle-même un champ trop vaste pour les travaux d’une vie laborieuse et d’un esprit pénétrant. […] Celui qui n’a point appris de la géologie l’histoire de notre globe et des êtres qui l’ont successivement peuplé ; de la physiologie, les lois de la vie ; de la zoologie et de la botanique, les lois des formes de l’être et le plan général de la nature animée 88 ; de l’astronomie, la structure de l’univers ; de l’ethnographie et de l’histoire, la science de l’humanité dans son devenir ; celui-là peut-il se vanter de connaître la loi des choses, que dis-je ?

277. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Que devient-elle alors ? […] Et, comme cette vie acharnée aux vanités et aux jouissances de l’orgueil a pour première condition l’oubli de tous les sentiments naturels, on y devient féroce. […] Oublié et abandonné de tous, excepté de ses créanciers, le pauvre gentilhomme devient alors ce qu’il peut, un peu aventurier, un peu spadassin, un peu bohémien. […] Il a d’abord habité le haut de la société, voici maintenant qu’il vient se loger dans le bas, et qu’il s’en accommode ; il se moque de son parent l’ambitieux, qui est riche et qui est puissant ; il devient philosophe, et il compare les voleurs aux courtisans. […] Les vassaux sont devenus des courtisans.

278. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

En toutes choses, l’idéal est loin et recule, mais ici, il est si loin qu’il n’a plus besoin de reculer. » L’homme qui écrivait les lignes précédentes, en 1828, dans un des recueils périodiques les plus estimés de l’Angleterre, devait plus tard devenir lui-même un historien, et il serait piquant de savoir si, quand il écrivait ainsi, il pensait déjà à le devenir, et s’il ne méritait pas qu’on lui appliquât le mot de Pope sur Addison : « Addison — disait Pope — ressemble à ces sultans d’Asie, qui ne croient jamais régner en sûreté qu’après avoir fait périr tous leurs frères. » En décapitant tous les historiens d’un seul revers de plume, Macaulay songeait-il à se préparer un royaume ? […] Il devint du rationalisme. […] qu’on a transi son talent, qu’on n’a pas eu la bravoure de sa pensée ; qu’au lieu d’être un grand ausculteur de faits on est devenu un empailleur d’idées générales qui ressemblent à des momies, et qu’on peut s’appeler désormais en froideur la fée Concombre de l’Histoire. […] Voilà pourtant ce qu’est devenu un homme qui pensait, observait et remuait des faits autrefois, et qui semblait organisé pour autre chose que pour pêcher à la ligne, dans l’Histoire, une idée qu’il avait commencé par y mettre — comme on met du poisson dans un étang — pour l’y retrouver.

279. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Ses amis de ce temps-là, devenus maintenant ce que Balzac, qui agrandissait tout, appelait des maréchaux littéraires, se sont souvenus et ont parlé de lui comme de vieux maréchaux de l’Empire auraient pu parler du jeune Marceau, quoiqu’il ne fût, ni par le mérite ni par la jeunesse, un Marceau littéraire quand il mourut. […] Il ne fut toute sa vie qu’un compagnon littéraire, qui mourut avant de devenir cette odieuse chose fausse qui vous serre la main en vous appelant : « mon vieux camarade ! » ce qu’il serait devenu peut-être s’il avait vécu, comme tant d’autres qui ont commencé par le compagnonnage aimable et désintéressé, pour finir par la camaraderie. […] C’est de ce groupe obscur de jeunes hommes, dont plusieurs sont devenus célèbres à des degrés différents, que Gérard de Nerval est sorti. […] Gérard, lui (grâce à ses compagnons cette histoire est devenue légendaire), acheta un jour aussi un lit superbe, historique, digne d’une reine, pour y coucher, disait-il, ses amours.

280. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Cet attardé, comme il arrive naturellement, dans le jeu des actions et réactions littéraires, devenait un précurseur ; et il s’est trouvé juste à point une école réaliste pour faire qu’il devînt un ancêtre. […] Cela est si vrai que, d’une part, la politique y devient, dans les classes moyennes et populaires, l’art de se haïr ; d’autre part l’abstention politique, au moins simulée, y devient signe de bonté. […] Il augmente sans cesse en nombre et en importance, parce que, dans les sociétés centralisées, tout devient gouvernemental, et tout ce qui devient gouvernemental tombe dans le domaine de l’administration. […] Le théoricien de la justice est devenu le théoricien du droit de la force. […] C’était, d’homme à confidences, devenir confident, et, de confessé, devenir confesseur.

281. (1888) Études sur le XIXe siècle

Il continua à me parler, tellement que je commençai à trouver que ma réserve devenait impolie. […] Il y condamna la société et sentit qu’il devenait méchant ; il y condamna la providence et sentit qu’il devenait impie. » Ruy-Blas n’éprouve aucune difficulté à devenir grand ministre. […] Garibaldi retenu par la violence serait devenu dangereux à l’intérieur. […] Elle en devient folle. […] Peu à peu, ces notes deviennent plus rares.

282. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

L’établissement d’un nouvel Empire romain ou d’un nouvel Empire de Charlemagne est devenu une impossibilité. […] De là ce résultat capital que, malgré l’extrême violence des mœurs des envahisseurs germains, le moule qu’ils imposèrent devint, avec les siècles, le moule même de la nation. France devint très légitimement le nom d’un pays où il n’était entré qu’une imperceptible minorité de Francs. […] C’est par le contraste que ces grandes lois de l’histoire de l’Europe occidentale deviennent sensibles.

283. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

L’enfant devient homme, époux et père ; il voit s’élever autour de lui des berceaux et des tombes ; et, à mesure, son cœur s’atrophie et se resserre, ou se désole et se lamente amèrement ; car plus sa pensée devient grave, plus l’isolement se fait sentir, plus la misère de l’homme réduit à ses propres forces dans la solitude de cette société devient pénible et affreuse. […] Sans la société, l’homme deviendrait bientôt stupide et féroce. […] Cette formule devient donc jouir ou mourir. […] Votre science est devenue la mienne. […] Ainsi la terre est devenue un inconcevable problème.

284. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Mallarmé a nettement sentie : par elle la poésie devient un art. […] il est aujourd’hui devenu l’esclave de ce monde glacé. […] Renan, deviendra maître de la matière. […] Rome n’a point vaincu Albe, et Albe est devenue l’Unique Nation. […] Que vais-je devenir, entre ces fantômes ?

285. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il devint classique ou, mieux, préclassique. […] Plus robuste, il devenait un orateur superbe. […] Elle était transcendante et elle devint immanente. […] … » Que deviendra alors l’âme humaine ? […] Virgile devint une sorte de Tolstoï imprévu.

286. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Je suis devenu plus hardi, plus libre avec le temps. […] C’est preuve qu’on était bien précoce ; les sources deviennent ainsi toutes mystérieuses. […] Le sanctuaire tend déjà à devenir un labyrinthe. […] Mérimée et moi, qu’un nouveau fauteuil devenait vacant par le décès de M.  […] La séance publique fut ici, en effet, des plus dramatiques ; elle le devint, et voici comment.

287. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Dorante a lu Kant ; d’homme du monde aimable et galant qu’il était autrefois, il est devenu un peu scolastique. […] Pourquoi, devenue femme, a-t-elle éprouvé pour Shakespeare tant d’horreur avant de l’aimer ? […] Serait-ce qu’elle compare aujourd’hui leurs œuvres à cet idéal devenu clair à ses yeux, et la netteté de cette intuition est-elle cause que ses sentiments actuels sont justes ? […] qu’êtes-vous devenus ! […] Que chacun de nous devienne beau et divin, s’il veut contempler la beauté et la divinité.

288. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

L’invention devient complète quand elle se matérialise en un instrument fabriqué. […] Cette connaissance devient relative, du moment que l’intelligence est une espèce d’absolu. […] Il fait qu’une action commune devient possible. […] L’intelligence n’admet pas plus la nouveauté complète que le devenir radical. […] Mais il faudra admettre alors qu’une habitude contractée peut devenir héréditaire, et qu’elle le devient de façon assez régulière pour assurer une évolution.

289. (1940) Quatre études pp. -154

Dans ses yeux reposait l’Éternité, — et les larmes devinrent entre nous un lien étincelant, indéchirable. […] Ensuite, les Alpes et la Suisse devinrent ses inspiratrices. […] Chez les esprits du second ordre, elle peut devenir imitation, copie, et donc se traduire par un asservissement. […] En même temps que l’inspiration s’anémie, les vers deviennent mécaniques. […] Cette science, à mesure que le temps évolue, devient matérialiste.

290. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Mais, si le stoïcien est sans peine un satirique hautain ou véhément, il ne deviendra qu’après bien des efforts un poète comique ou un consciencieux réaliste. […] Jacques Fréhel est un poète né qui a su devenir un romancier. […] Il a rencontré son présage de mort, son intersigne, et toutes choses lui deviennent des menaces. […] Elle est un talent de moins en moins inégal, et dont la marche ne s’embarrasse plus que rarement, et dont la marche ne devient plus jamais une chute. […] L’alexandrin est devenu plus fluide encore, d’une beauté fuyante comme un fleuve.

291. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Le genre de certitude que comporte renonciation de la vérité mathématique ou physique devenait la mesure ou le type de toute certitude. […] Et il continue : « La science, en effet, ne valant qu’en tant qu’elle peut remplacer la religion, que devient-elle dans un pareil système ? […] Ils ne deviennent « scientifiques » qu’à cette condition, et ils le deviennent aussitôt qu’ils sont conçus comme tels. […] Si nous ne postulons pas un non relatif réel, un absolu, le relatif lui-même devient absolu, ce qui est une contradiction. […] Quand les disciples se sentent devenus assez forts, ils n’aiment pas que leur maître continue de penser, et si surtout, il pense autrement qu’eux, c’est lui qu’ils accusent de ne plus se comprendre !

292. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

On pourrait même poser en règle générale que, moins une particularité d’organisation est en connexion avec les habitudes spéciales des êtres vivants, plus elle devient de haute valeur en matière de classification. […] De sorte que la valeur des dissemblances qui existent aujourd’hui entre des êtres organisés, tous parents les uns des autres au même degré de consanguinité, a pu devenir très différente. […] Un organe servant à deux fonctions différentes peut devenir rudimentaire et s’atrophier seulement pour l’une d’elles, parfois même pour la plus importante, et cependant demeurer capable de remplir l’autre. […] Un organe peut encore s’atrophier et devenir incapable de sa fonction particulière, mais en s’adaptant à quelque autre usage : telle est la vessie natatoire de certains poissons qui semble être devenue presque rudimentaire, quant à sa fonction primitive, consistant à aider l’animal à se soutenir entre deux eaux, mais qui s’est transformée en un organe respiratoire, c’est-à-dire en un poumon naissant. […] Un organe devenu inutile peut être très variable, car ces variations ne sauraient être empêchées par la sélection naturelle.

293. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

A ce moment précis je sais ma leçon par cœur ; on dit qu’elle est devenue souvenir, qu’elle s’est imprimée dans ma mémoire. […] On peut encore suivre et comprendre la parole alors qu’on est devenu incapable de parler. […] Une analyse complète devient ici nécessaire, qui ne néglige aucun détail, et une synthèse actuelle, où l’on n’abrège rien. […] Que deviennent ces diverses parties du discours dont le rôle est justement d’établir entre les images des rapports et des nuances de tout genre ? […] Virtuel, ce souvenir ne peut devenir actuel que par la perception qui l’attire.

294. (1881) Le roman expérimental

Que devient le fameux symbole ? […] Le savant demeure un érudit, mais il devient un poète. […] Renan est-il devenu le doux M.  […] Le branle était donné, l’enquête allait devenir universelle. […] L’aîné devenu à la fois le père et le maître du plus jeune.

295. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

  Je ne parlerai pas bien longuement de la correspondance qui se publie, de peur que le commentaire ne devienne plus gros que le texte. […] La locution vulgaire s’y relève par l’application seule, et devient piquante. […] La première de ces médisances fut à peine fondée ; la seconde devint respectable, car il s’ensuivit une amitié dévouée qui dura jusqu’à la mort de ma tante devenue fort pieuse plusieurs années avant sa fin. […] Les hardiesses de la philosophie, devenues plus tard des instruments de destruction, n’étaient alors que des stimulants pour la pensée. […] Cette correspondance, qui n’est qu’une indication de ce qui a fui et de ce qui ne s’écrivait pas, se termine assez naturellement, dans les premiers mois de 89 et avec l’ouverture des États généraux, d’abord parce que M. de Meilhan revint à Paris, et aussi parce qu’un commerce de lettres intimes sur les intérêts de société devenait insignifiant en présence des grands événements publics.

296. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Buffon ne commence à devenir celui que l’on connaît et que nous admirons que du moment qu’il est placé à la direction du Jardin et du Cabinet du roi : jusque-là c’était un génie expectant, et à qui manquait son objet. […] Nommé, à trente-deux ans, intendant du Jardin du roi, physicien et géomètre jusqu’alors, il est mis en demeure de s’improviser naturaliste, ce à quoi il n’avait guère songé auparavant ; il le devient, comme le grand Frédéric, quand il le fallut, devint général, par l’application d’un bon et haut esprit et d’une opiniâtre volonté. […] Brûlez, messieurs, tout ce qui vous est devenu inutile. […] Elle n’a rien de recommandable que sa situation et la pureté de l’air ; mais elle deviendra le plus noble des temples, si vous daignez voue y arrêter. […] Puis, quand ce fils est marié à une jeune femme, qui paraît d’abord douée de simplicité et de candeur, mais qui bientôt s’émancipe et devient la maîtresse avouée d’un prince du sang, colonel du régiment dans lequel le jeune mari était alors capitaine, quelle noble lettre du père à son fils, au premier éclat qui lui en arrive, quelle suite rigide de prescriptions sans réplique !

297. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

En avril 1711, à la mort de son père, le duc de Bourgogne devint le Dauphin immédiat, et, comme le dit M.  […] Certes un prince ainsi disposé, devenu le maître, et nonobstant toutes ses vertus, ou, si l’on veut, à cause d’elles, aurait eu fort à faire avec les contemporains du Régent, de Montesquieu et de Voltaire. Telle manière d’être et de croire, qui pouvait être une force pour gouverner du temps de saint Louis, devenait manifestement une entrave et une complication à cette entrée du xviiie  siècle. […] Il n’était pas né mal fait ; sa taille resta droite, tant qu’il fut dans les mains des femmes ; mais, pendant ses études, de bonne heure elle tourna, et il devint un peu bossu. […] Il subit passivement ses défauts, qui sont sans remède, étant devenus sa nature. « Il se renferme, prie et lit.

298. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Or, il est arrivé ce qui s’est vu en bien des cas : c’est que ce qu’on avait tant réclamé, du moment qu’on l’obtenait, est devenu moins agréable à quelques-uns ; au lieu de remercier, ou du moins d’attendre et d’écouter, on s’est remis à discuter de plus belle. […] Morin, il y reçut cette éducation moyenne, sans trop de tradition et sans trop de formules universitaires, à la fois professionnelle et suffisamment classique, que je voudrais voir devenir un jour celle de la majorité de nos concitoyens. […] Je faisais cela poétiquement, c’est-à-dire vaguement et au gré du rêve, tout comme nous faisions des herborisations à Morfontaine et à Ermenonville avec Adrien de Jussieu, sans en devenir pour cela plus botaniste. […] Combattant l’idée d’une symétrie absolue dont on a fait depuis une règle inflexible, et qui, pour la plupart des esprits, est devenue synonyme de l’idée même de l’art, M.  […] Taine, devenu professeur à son tour, l’année suivante, a été tout d’un coup applaudi dans cette même chaire ; il le mérite assurément pour son rare talent ; mais il apportait de plus, dans son nouvel enseignement, une popularité toute faite et créée ailleurs.

299. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Un de ses petits-fils, celui qui devint le maréchal de Belle-Isle, ne naissait qu’en 1686. […] Louis XIV avait épuisé sa colère : vieillissant lui-même et devenu dévot, il sentait tout bas peut-être qu’il avait de ce côté quelque compte à rendre, quelque expiation à offrir au Ciel. […] Le jeune homme, au bout d’un an, devint capitaine de cavalerie, se distingua dans toutes les campagnes, de 1702 à 1708, obtint le grade de brigadier et, bientôt après, la charge de mestre de camp général des dragons. Cette charge, qui devenait vacante par la retraite du marquis d’Hautefeuille, coûtait cher à acquérir, — cent mille écus environ ; — il fallait de plus l’agrément exprès du roi. […] Le maréchal de Belle-Isle entra au Conseil le 16 mai 1756 ; il remplaçait le maréchal de Noailles comme ministre d’État, en attendant qu’il devînt lui-même ministre de la guerre.

300. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Au XVIIIe siècle, en avançant, les oppositions intestines devinrent plus marquées, plus régulières : les évêques et le parti encyclopédique se disputaient plus ou moins ouvertement les nominations. […] Molé devient chaque jour un des plus rares représentants de l’ancienne. […] Il avait treize ans à peu près, et il dut devenir l’unique soutien des siens pendant quelques années. […] Je conjecturerais que les résultats de l’expérience de l’homme politique sont devenus, depuis, d’autant plus positifs qu’il ne les formule jamais. […] Les hommes qui ont causé avec Napoléon deviennent rares.

301. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Son existence littéraire, comme on voit, ne laissait pas de devenir considérable : il était membre de l’Académie des Inscriptions ; l’opinion le désignait pour l’Académie française, comme héritier présomptif de Boileau. […] De brillant, de gracieux, de grotesque ou de terrible qu’il était au Moyen-Age et à la Renaissance, il était devenu froid, lourd et superficiel ; on le tourmentait comme une énigme, parce qu’on ne l’entendait plus à demi-mot. […] Que les faciles et soudains mouvements de cette âme se ralentissent et se perdent ; que ce jeu de physionomie devienne calculé et de pure convenance ; qu’on sourie, qu’on éclate, qu’on grimace, qu’on fasse la folle à tout propos, et voilà la Muse devenue une femme à la mode, sotte, minaudière, insupportable ; c’est à peu près ce qui arriva de l’art au xviiie  siècle. […] La seconde strophe est faible et commune, excepté les trois vers du milieu ; à la place de cette trame usée qu’on voit partout, il y a dans le texte : « Le tissu de ma vie a été tranché comme la trame du tisserand. » Qu’est devenu ce tisserand auquel est comparé le Seigneur ? Au lieu de la feuille séchée, le texte donne : « Mon pèlerinage est fini ; il a été emporté comme la tente du pasteur. » Qu’est devenue cette tente du désert, disparue du soir au matin, et si pareille à la vie ?

302. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Après des études assez bonnes, commencées à la campagne et achevées à Versailles, il devint secrétaire du maréchal de Belle-Isle, qui l’emmena dans une de ses tournées en France ; il fut ensuite au même titre auprès du comte de Montazet, avec qui il voyagea en Allemagne. […] On l’a loué d’avoir refusé, en octobre 1793, la place de conservateur de la Bibliothèque nationale devenue vacante par la démission de Chamfort, et que le ministre Paré lui offrait : mais il est remarquable qu’à cette date, où Chamfort lui-même était dépassé, on ait eu l’idée de la lui offrir. […] Il y a un certain Pharasmin, Persan et prisonnier, qui renonce à la Cour des rois pour devenir pasteur et pour épouser une des filles d’Abufar. […] Ducis, à partir de cette date, peut être considéré comme rentré sous la tente et ayant accompli son cercle tragique ; il devient patriarche et solitaire de plus en plus. […] Je suis devenu avare ; mon trésor est la solitude.

303. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

La vie parisienne est quelque chose, dirait lord Byron, comme le diable devenu fou et jetant les assiettes par les fenêtres, dans Babylone enivrée ! […] Un tel fouillis, dans lequel la nature humaine disparaît sous l’artifice et les chinoiseries et les dépravations d’une civilisation dégoûtée, qui ne sait que faire pour se ragoûter, est un défaut qui peut devenir grave, même dans un écrivain léger. […] Il faut que la Critique se tienne ferme ici… Parce que l’auteur, à la plume leste, de Monsieur et de Madame, devient père et qu’il se purifie au seul souffle de son enfant, il ne change pas de nature pour cela, et, je l’ai dit plus haut, sa nature est épicurienne. […] Larreau, ancien marchand de robinets, devenu l’un des plus grands industriels de France, et c’est cet industriel dans lequel Droz a cubé tout l’industrialisme moderne et dont il a fait une personnalité tout à la fois odieuse, redoutable et comique, c’est ce coquin à gilet blanc qui s’est imaginé qu’un miracle, comme celui de la Salette, par exemple, si on pouvait se le procurer, poserait bien cette source dans l’opinion, et ferait colossale la fortune des établissements qu’il médite de fonder autour d’elle. […] Mais Gustave Droz devenu observateur sait faire maintenant, quand il le faut, crier son coloris.

304. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

On mit en mots piquants les questions graves ; la philosophie resta profonde, et devint enjouée. […] Cette société n’est point le chef-d’œuvre de l’histoire : c’est une certaine sorte de société, qui engendre de beaux sentiments en même temps que de laides passions ; c’est une aristocratie qui, perdant son indépendance et quittant la vie guerrière, devient une cour servile et fière sous la main d’un maître, et trouve ses nouveaux plaisirs dans les amusements de l’esprit et dans la vie de salon. […] On ne sait plus ce qu’est devenue la raison raisonnante ; des formes, des couleurs se tracent sur le champ décoloré où la pensée abstraite ordonnait ses syllogismes ; on aperçoit des gestes, des attitudes, des changements de physionomie ; peu à peu le personnage ressuscite ; il semble qu’on l’ait connu ; on prévoit ce qu’il va faire, on entend d’avance le cri de sa passion blessée ; on ne le juge pas, on l’aime ou le hait, ou plutôt on sent avec lui et comme lui ; on quitte son siècle, on devient son contemporain, on devient lui-même. […] Nous préferons mille foisl’opprobre dont elles essayent en vain de se couvrir, à la vaine considération qui a entouré dans une cour dégénérée Mme Scarron, devenue en secret la femme de Louis XIV. […] Faites d’un orateur un historien : il laissera de côté les traits distinctifs et les caractères propres du temps qu’il décrit ; son récit deviendra un panégyrique et une leçon.

305. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Cousin, devient manifeste au premier coup d’œil jeté sur la liste de ses ouvrages. […] Cet esprit devient plus visible à mesure que vous tournerez les pages. […] Sur un simple portrait, Amadis devint amoureux d’Oriane ; sur un simple soupçon, M.  […] Que sont-elles devenues ? […] Il faut que quelque chose subsiste du passé, ni trop, ni trop peu, qui devienne le fondement de l’avenir et maintienne, à travers les renouvellements nécessaires, la tradition et l’unité du genre humain.

306. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Depuis elle devint avec honneur la femme d’un très-bon chevalier. […] Fort et illustre devint-il depuis, cet homme hardi. […] Depuis, la noble Kriemhilt devint l’épouse du hardi Sîfrit. […] Depuis, la belle Kriemhilt devint la femme du hardi guerrier. […] La haine en devint plus grande.

307. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

David, déjà peintre et maître célèbre à la fin du règne de Louis XVI, devenait bientôt après l’interprète des passions qui agitaient la France en 1791. […] Une circonstance fort simple en elle-même devint un événement de la plus haute importance pour lui. […] Ce croquis remarquable, tracé à l’atelier même des élèves, devint le point de départ de l’ensemble de la composition. […] Confié ensuite aux soins de David, il fit dans son école des progrès rapides, et ne tarda pas à devenir un rival inquiétant pour Fabre. […] On ignore ce que cette affaire deviendra.

308. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Des dieux si rapprochés de l’homme deviennent bientôt ses camarades et deviendront plus tard son jouet. […] Il est devenu un rouage dans une vaste machine, ou il s’est considéré comme un néant devant l’infini. […] C’est que l’orchestrique et la gymnastique deviennent alors des institutions régulières et complètes. […] Toutes les industries se perfectionnent ; les barques à cinquante rames des vieux poëmes deviennent des galères de deux cents rameurs. […] Un de ces ballets sacrés, le dithyrambe, devint plus tard la tragédie grecque.

309. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Dans la solitude des champs, aux longues veillées d’hiver, l’homme rêve ; bientôt il a peur et devient morne. […] Si cette alliance aujourd’hui nous étonne, c’est qu’à cet endroit nous sommes devenus pédants. […] La conscience parlait seule, et son inquiétude était devenue une terreur. […] » Certainement il songeait à devenir saint autant qu’à devenir roi, et aspirait au salut comme au trône. […] Son front se plisse, ses yeux deviennent mornes, et sa femme, la nuit, l’entend gémir.

310. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Est-ce ainsi qu’il est devenu droit, qu’il est devenu devoir, et qu’il a pu appeler Dieu et les hommes à le protéger, à le défendre, à le venger contre les atteintes que l’égoïsme individuel, la révolte des intérêts particuliers, l’injustice personnelle, l’ambition, l’usurpation, la ruse, la violence, l’impiété des conquérants, la spoliation du plus fort, la tyrannie du plus scélérat peuvent lui porter tous les jours ? […] L’instinct de la mère et du père, celui-là tout moral, l’instinct de la compassion et de la bonté, leur commande de soigner, d’allaiter, d’élever l’enfant ; il crée la continuité de l’espèce, il dépasse déjà la loi d’égoïsme de l’individu, il devient sans le savoir dévouement spiritualiste. L’instinct de la justice apprend à l’enfant à chérir sa mère et son père, il devient devoir ; c’est déjà l’âme qui se révèle, ce n’est plus de l’instinct seulement. […] L’autorité concentrée y devient facilement injuste et oppressive ; le peuple y demande sa place et l’obtient : gouvernement pondéré, monarchie, aristocratie, démocratie, trinité d’Aristote, gouvernements modernes des trois pouvoirs diversement représentés. […] Sortis de la noblesse féodale du Tyrol, illustres dans la chevalerie tudesque de la Souabe, ils étaient devenus patriciens de Berne, et s’étaient alliés à Rome avec la maison princière des Ludovisi, démembrée en branches éparses entre Schaffhouse, Lyon, Genève.

311. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Mais si on lui donne des noms d’amitié, c’est comme si on la caressait, et elle devient — ce qu’on la nomme. […] Le latin pulli pedem a donné à nos dialectes de nombreuses formes dont les types sont piépou et poupié ; ce dernier mot est devenu le français pourpier. […] Considérée en son ensemble, vide et dressée comme une armure, la robe se compose de la jupe et du buste ou corps de la jupe : ensuite toutes les femmes ayant la prétention d’être minces, le corps de la jupe196 est devenu par courtoisie un petit corps ou corset et il deviendra sans doute un corselet. […] Max Muller (Nouvelles leçons, I, ve leçon) montre que l’épervier et le tiercelet, délaissés comme instruments de chasse, donnèrent leurs noms à des armes à feu : l’épervier, muscatus, devint le mosquet ou mousquet ; en italien le tiercelet, terzuolo, devint un petit pistolet, terzeruolo. […] Qui était devenu graile en ancien français.

312. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Devenue comtesse de Nièvres, Madeleine part pour Paris, où Dominique, de son côté, va faire de vagues études de droit. […] Quant à Madeleine, nous ne savons pas ce qu’elle devient. […] Qu’est devenu l’être si bien doué pour le spectacle de la nature ? […] Qu’est devenue cette faculté d’entendre jusqu’au silence du désert ? […] L’écrivain plutôt timide des livres précédents est devenu audacieux.

313. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [« Pages extraites d’un cahier de notes et anecdotes »] » pp. 439-440

Depuis, dévot et à Coppet, elle l’en plaisantait agréablement devant Mme Récamier : « Voyez, Mathieu, lui disait-elle, maintenant nous ne demanderions pas mieux que de vous entendre. » Benjamin Constant devint épris de Mme de Staël, lorsqu’elle était le plus en douleur de l’infidélité de M. de Narbonne (septembre 1794) : elle l’aime peu d’abord, mais il fait tant de désespoirs et de menaces de se tuer qu’il triomphe d’elle. […] Il avait déjà vu et courtisé sa femme ou du moins celle qui le devint, et qui était mariée pour lors au général Dutertre. […] Et de tout temps les esprits de Benjamin Constant et de Mme de Staël s’étaient convenus bien mieux que leurs cœurs ; c’est par là qu’ils se reprenaient toujours… Benjamin Constant a laissé un roman qui fait suite à Adolphe : mais cela devient de plus en plus clairement son histoire.

314. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Elle devint pour eux une arme dont ils firent un ample usage. […] Constantinople elle-même devint la Capitale de leurs Etats. […] Mais ces Moralistes devinrent à la fin trop satiriques. […] On dirait que ce genre est devenu le langage naturel du Français. […] On devenait guerrier en respirant l’air de Sparte ; on devenait orateur en respirant celui d’Athenes.

315. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

.), et pourrait ainsi devenir une sauvegarde pour les individus menacés ou opprimés par ces influences. […] Elle peut être exacte dans une certaine mesure, du moins dans une époque de transition comme celle que nous traversons, alors que l’État peut s’opposer efficacement à certaines tyrannies sans être encore devenu lui-même absolument omnipotent et unilatéralement tyrannique. […] Surtout, où trouvera-t-il ce recours quand l’État, scion la tendance qu’il semble manifester, aura résorbe tous les pouvoirs et toutes les fonctions sociales, quand il sera devenu le seul éducateur, le seul employeur, le seul administrateur, quand tous les citoyens seront ses fonctionnaires ? […] Outre que ces garanties sont difficilement utilisables et toujours incertaines dans leurs effets, elles peuvent être rendues de plus en plus vaincs et finalement annihilées par un État devenu trop fort. […] Le pouvoir des politiciens deviendra de plus en plus omnipotent et il arrivera à être sans frein comme sans contrepoids.

316. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

Il faudra plus d’un siècle encore pour que la vraie Église chrétienne, celle qui a converti le monde, se dégage de cette petite secte des « saints du dernier jour », et devienne un cadre applicable à la société humaine tout entière. […] La même chose fût arrivée dans l’ordre de saint François, si cet ordre avait réussi dans sa prétention de devenir la règle de la société humaine tout entière. […] Le Père leur enverra d’en haut son Esprit, qui deviendra le principe de tous leurs actes, le directeur de leurs pensées, leur guide à travers le monde 880. […] L’Évangile était ainsi destiné à devenir pour les chrétiens une utopie, que bien peu s’inquiéteraient de réaliser. […] Ce n’est pas que sa vertu baissât ; mais sa lutte au nom de l’idéal contre la réalité devenait insoutenable.

317. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Tel est le caractère de la formule bovaryque : elle n’est pas la conclusion d’un raisonnement, elle est l’expression d’un mode de vision et peut devenir aussi une méthode de vision. […] Par cette abstraction, sanctionnée par une suite d’accords et de conventions, le langage est devenu un moyen de transmettre les images, de les susciter en des cerveaux qui ne les ont pas encore reçues par le moyen d’une perception immédiate et directe. […] Son cerveau est désormais peuplé d’une quantité d’images-notions dont il est impuissant à vérifier le contenu, qui ne deviendront jamais pour lui des images réelles, et qu’il lui faudra accepter par un acte de foi. […] Autour de lui, hommes et femmes écoutaient, « devenaient clers et sçavants en peu d’heures, et parloyenl de prou de choses prodigieuses, élégantement et par bonne mémoire : pour la centième partie desquelles sçavoir ne suffirait la vie de l’homme : des Pyramides, du Nil, de Babylone, des Troglodytes, des Himantopodes, des Blemmyes, des Pygmées, des Caníbales, des mons Hyperborées, des Egipanes, de tous les diables, et tout par ouydire. » Or la satire ne vise pas ici seulement le savoir populaire, car autour d’Ouydire et prenant attentivement des notes, Rabelais n’a pas manqué de faire figurer Hérodote et Pline, Marco-Paulo, Strabon, Albert le Grand, tout un lot d’auteurs dont les livres en vogue dispensaient aux écoliers de son temps les notions enregistrées jusque-là par la science humaine. […] Il semble que le risque de se concevoir autre qu’il n’est augmente pour l’être humain avec le développement de la civilisation : avec l’accroissement de la richesse collective, la difficulté devient plus grande pour l’individu de distinguer parmi tous les acquêts du passé, parmi toutes les conceptions réalisées par l’effort moral, intellectuel ou sentimental de l’Humanité antérieure, d’un mot, parmi toutes les notions qui s’offrent à lui, celles qui doivent demeurer pour lui des objets de connaissance et des spectacles de celles qui peuvent être pour lui des objets de pratique.

318. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

L’établissement de madame de Maintenon et de Louis XIV — car, ici, il faut mettre madame de Maintenon avant le grand roi, — n’a, au fond, rien de commun que le nom avec ce Prytanée de 1805, devenu une école d’officiers ; et, cependant, sous le nœud de ce nom commun qui les lie, ne dirait-on pas une même institution à double visage, autrefois visage de jeunes filles, maintenant visage de jeunes soldats ? […] Il n’y avait là, si on veut, qu’une poignée de jeunes filles, pauvres et nobles, à qui le roi payait le sang des pères morts pour lui, mais ces jeunes filles élevées par le roi, dirigées par madame de Maintenon, surveillées par Bossuet et par Fénelon, ces jeunes filles qui, dans leurs divertissements littéraires, avaient Racine pour répétiteur, devenaient un jour des mères par la chair ou l’esprit, — car celles qui ne se mariaient pas étaient dames de Saint-Cyr à leur tour : des mères spirituelles, — et, toutes, elles faisaient descendre dans la société, dans le sang social, par leurs enfants ou par leurs élèves, ce qu’elles avaient puisé au sein d’une éducation sensée et religieuse, où le grandiose touchait à la simplicité. […] Si la science a quelquefois recherché les formes de l’arbre dans son germe, il semble qu’on puisse s’expliquer, par cette organisation de Saint-Cyr, la destinée et l’influence de toutes ces femmes qui allaient devenir la tige en fleurs de la société de leur pays et de l’Europe. […] il est assez de favorites et de maîtresses dans l’histoire du passé, et même de maîtresses devenues des épouses ; mais prenez-les toutes et comparez-les à madame de Maintenon, vous aurez la mesure de sa grandeur ! […] Voyez comme La Bruyère lui-même, un grand esprit pourtant, bien au-dessus des apparences, a traité cette profonde figure de Guillaume d’Orange, qui finit par devenir poétique à force de soucis et d’ombres redoublées sur son front souffrant !

319. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

Le Tigrane de Fabre n’est pas l’Ange ou le Saint que peut devenir le prêtre quand l’esprit de son sacerdoce a vaincu, en lui, la nature. […] Homme de génie, secoué par la conscience qu’il est fait pour le commandement, et d’une ambition tellement effrénée qu’elle en est épouvantablement maladroite et qu’elle en devient un jour presque sacrilège, il a, ainsi que le dit un des personnages du roman, la folie de la mitre, comme il aurait dû avoir la folie de la croix, et c’est cette folie de la mitre qui en fait, tout le long du roman, le furibond torrent de haine et de colère humaine que le prêtre ne peut endiguer, mais dont l’Église, à la fin et malgré tout, s’empare, parce qu’elle a reconnu, elle, le lynx divin, aux yeux maternels, que cette tempête d’homme assagi par elle peut avoir, un jour, vertu d’archevêque, et peut-être de Pape dans l’avenir… Le livre de Ferdinand Fabre, dont je viens de dire la conclusion, est, au fond, — si vous en ôtez deux ou trois nuances d’opinion que je n’y voudrais pas voir parce qu’elles blessent mon catholicisme, — un livre écrit à la gloire du prêtre et de l’Église, de cette Église à qui ses ennemis voudraient de petites vertus dont ils pussent se moquer, et non de grandes, devant lesquelles ils tremblent ! […] Le roman de Ferdinand Fabre est l’histoire haletante et furieuse de cette lutte, qui dure jusqu’après la mort de l’évêque de Roquebrun ; car Tigrane-Capdepont, devenu vicaire capitulaire à la mort de l’évêque, a l’insolente et terrifiante audace de refuser la sépulture épiscopale à l’évêque de Roquebrun, mort à Paris au moment même où il était allé désigner un successeur qui l’évinçât, lui, l’abbé Capdepont. […] Mais ces mains sacrilèges et pâmées d’une convoitise devenue atrocement physique, je voudrais les voir dans une meilleure clarté. […] Si l’homme qui a trouvé une telle figure, qui comprend ainsi l’amitié du prêtre et son dévoûment, n’est pas encore un catholique, il est bien près de le devenir.

320. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Le son des cloches devient toujours plus fort. […] » Alors Kundry s’exaspère, sa passion devient de la folie. […] Il assiste au Ring de Munich en 1879 puis part à Bayreuth et devient un proche du compositeur. Il décide de devenir un peintre wagnérien et il réalise deux portraits de Wagner en 1883. […] Il deviendra également directeur musical de l’Opéra de Paris en 1914.

321. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Il la voit se marier, et sa vie devient dès lors quelque chose de romantiquement désespéré. […] Celui qui avait pensé devenir un Saint-Preux fait une cure d’anti-romantisme. […] Et l’homme doit être patiemment cultivé pour devenir un sage. Et le sage doit être éprouvé pour devenir un juste. Et le juste doit avoir remplacé sa volonté individuelle par la volonté de Dieu pour devenir un saint.

322. (1930) Le roman français pp. 1-197

On commençait comme page, on devenait écuyer, puis chevalier. […] L’héroïsme devient ridicule. […] Ils deviennent autres. […] Il devient, à leur égard, indulgent, bienveillant. […] En sorte qu’elle devint la bête noire des « libéraux ».

323. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Nous traitâmes ensuite le chapitre des scrupules, & nous parcourûmes je ne sais combien de grands hommes, qui devinrent les êtres les plus bizarres, pour être devenus scrupuleux. […] Pourquoi sont-ils devenus les êtres les plus manierés & les plus élégans ? […] Des riens qu’une rencontre favorable fait naître, deviennent des mines d’or sur le champ. […] Il faut l’endosser pour devenir savant, & pour être suivi. […] Et parce qu’on devient journaliste, en a-t-on plus de goût & plus de raison ?

324. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Mais on devient Pradon, et c’est beaucoup. […] Le péché devient topographique. […] Ô jeune vierge devenue un adjuvant d’alcôve ! […] La fillette devenait femme sans avoir été jeune fille. […] qu’est devenu le style des grands maîtres ?

325. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Comment il est devenu écrivain. […] On se sent devenir meilleur. […] L’idée était devenue lieu commun. […] Ce qu’on deviont bête et poltron, quand on devient ministre ! […] Le sermon devient ainsi une conférence ou une leçon.

326. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

C’est cette conclusion des grandes crises perturbatrices du genre humain qui devient la géographie légale du globe, en d’autres termes, le droit public, la légitimité des nations. […] M. de la Fayette, qui était à Mirabeau ce que l’engouement de la bourgeoisie est à l’estime de l’Europe, était devenu, par un reflet de Washington, le régulateur et l’instrument tour à tour de la révolution. […] Bonaparte livra donc le monde à pacifier à son ministre, devenu son oracle. […] Le cabinet français devient le législateur des nationalités, le tribunal des limites des peuples. […] Que la Providence nous assiste ; en tout temps, voyez-vous, les choses se personnifient dans un homme ; et cet homme n’est plus un homme : il devient une puissance divine de destruction ou de conservation pour tout un monde.

327. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre heureux ; et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie, ce serait autant de peine épargnée. […] Mais, même lorsqu’il fut devenu ce qu’il n’aurait pu dans aucun cas s’empêcher d’être, le roi des poètes de son temps et le chef du parti philosophique, même alors Voltaire avait des regrets et des habitudes d’homme de société, d’auteur de société, et qui n’aurait voulu rester que cela. […] Se moquer est bien amusant ; mais ce n’est qu’un mince plaisir si l’on ne se moque des gens à leur nez et à leur barbe, si les sots ennemis qu’on drape n’en sont pas informés et désolés ; de là mille saillies, mille escarmouches imprudentes qui devenaient entre eux et lui des guerres à mort. […] L’histoire, où il excellait aussi, et où il se montrait supérieur quand elle était contemporaine ou presque contemporaine, ne le conviait pas moins à devenir un auteur célèbre dans le sens le plus respectable du mot, le peintre de son siècle et du siècle précédent. […] Il est un moment et un milieu où les talents et les esprits, jusque-là tout jeunes et adolescents, s’achèvent, se font et deviennent adultes : l’Angleterre a été ce lieu pour Voltaire.

328. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Mais en même temps, et malgré ses instincts militaires prononcés, il n’eut jamais l’idée de franchir le degré qui eût fait de lui un homme de guerre régulier, un officier général comme le devinrent ses trois frères. […] Tel est le personnage original qui, dans sa jeunesse, eut la pensée de devenir homme d’Église, et qui plus est, la tentation de se faire chartreux. […] Gardez-vous donc de devenir chartreux… » Et tout ce qui suit. — Et l’on conçoit, en effet, cet enfer de la réclusion et de la solitude, quand la contemplation mystique n’est plus qu’un vain mot, et que le rayon céleste ne descend plus. […] Cette espèce de novice qui assiste aux offices de matines et qui recule d’effroi, ce chartreux manqué, et qui le fût probablement devenu en d’autres temps, nous le plaçons en regard du thermidorien intrépide et de l’artilleur improvisé de Mayence. […] Celui qui défendait si bien son couvent n’aurait point failli à la tâche : le couvent s’était tout simplement agrandi et était devenu la France.

329. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

En les relisant, je puis assurer qu’à part les premières pages, qui ont de la nouveauté et de la singularité, la lecture devient bien vite d’une uniformité assez fastidieuse. […] Lauzun en devint amoureux et en fut aimé. […] Cependant il y eut un moment où l’affaire devint plus chaude, et Lauzun eut ordre de faire une charge avec quelques dragons. […] Tout cela avait été très remarqué, et était devenu pour la reine une source de gronderies de la part de ses intimes, conjurés contre Lauzun. […] Lauzun, devenu duc de Biron, l’a prouvé.

330. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud avait gardé également de ses souvenirs de Fructidor une aversion bien sincère, et qui devint par moments injurieuse et blessante, pour Mme de Staël. […] Le judicieux et louable historien n’a pas été en cela un artiste : mais même eût-il tout possédé sous sa main dès l’abord, il n’avait pas en lui la force de le devenir. […] L’histoire de ce canon chargé si imprudemment deviendra l’histoire du dernier projet de loi sur la presse. […] Comme il faut qu’un coin de faiblesse se mêle à nos qualités mêmes, on a remarqué que ce rôle de proscrit et de persécuté était devenu chez lui un goût et, vers la fin, un peu une manie, une idée fixe. […] Esménard est homme de mérite, mais Michaud est toujours un mauvais sujet. » — Esménard, cet homme de mérite, devint homme de police et a mérité qu’on dît de lui ce qu’on peut lire à la page 59 des Mémoires du comte de Senffl.

331. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Si jamais cette indulgence pour les poètes, les peintres, les musiciens, devient générale dans le public, c’est une marque que le goût est absolument perdu… Les gens qui admirent si aisément les mauvaises choses ne sont pas en état de sentir les belles. […] Sans prétendre à en pénétrer les causes, il lui semble qu’une expérience constante l’a suffisamment démontré : Quand ce siècle est passé, les génies manquent ; mais, comme le goût des arts subsiste dans la nation, les hommes veulent faire à force d’esprit ce que leurs maîtres ont fait à force de génie, et, l’esprit même devenu plus général, tout le monde y prétend bientôt ; de là le bon esprit devient rare, et la pointe, le faux bel esprit et la prétention prennent sa place. […] Dans une discussion très judicieuse et très honorable, il cherche à saisir le point où l’écrivain éloquent et outré fait fausse route, et où sa doctrine devient excessive ; il s’applique à réfuter et à rectifier l’idée. […] Il essaye de la géométrie quand Maupertuis l’a mise à la mode dans le monde ; mais la mode change avant qu’Helvétius soit devenu géomètre. […] Grimm, vers l’âge de cinquante ans, devint homme de cour ; apprécié à sa valeur par les princes distingués ou éminents qui régnaient en Allemagne, et par l’impératrice de Russie, il ne crut point devoir résister à leurs faveurs ni à leurs bienfaits.

332. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Arrivé à l’âge de vingt ou vingt-deux ans, le jeune Arnault, que Madame (femme du comte de Provence) n’avait point perdu de vue, lui fut présenté, obtint sa protection et devint secrétaire de son cabinet ; c’était un dédommagement, mais très insuffisant, puisque les finances de cette bonne princesse étaient elles-mêmes atteintes dans la réforme. […] Lors de la création de l’Université, Arnault devint sous Fontanes conseiller secrétaire général. […] Vers ce temps, Arnault, âgé de trente-cinq ans environ et devenu administrateur, renonça à peu près au théâtre58. […] …………………………… C’est ce que commencent par dire tous les Buissons du voisinage, jaloux et envieux de leur métier, et qui nient que cet avorton puisse jamais devenir leur égal. […] Voyant désormais ce Chêne devenu leur supérieur, les Buissons, qui l’avaient repoussé d’abord, invoquent à présent l’égalité, mais trop tard : L’orgueilleux !

333. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

À l’éloquence de Rousseau, devenue patricienne sous sa plume, de bourgeoise de Genève qu’elle est sous la plume de Rousseau, il joint une faculté de métaphysique qui, s’il l’eût prise à partie et développée l’eût mis bien autrement haut que Condillac. […] D’écrivain éternel qu’il aurait pu être, il devint cette charmante mais éphémère chose, un causeur, dans une société de la corruption la plus raffinée. […] Toutes les ardeurs d’esprit d’un tel homme, de ce somptueux de style, de ce fulgurant, de cet Écarlate d’esprit comme d’habit, ses entraînements, son monde, ses vanités, ses mœurs frivoles (elles l’étaient, et même un peu plus…) toutes ses manières de sentir et de se produire au dehors, auraient fait croire, en Rivarol, à un tout autre historien que Tacite, et cependant ce fut celui-là qu’il devint quand il fallut écrire l’histoire ! […] — l’histoire de la Révolution est finie à cette date honteuse et funeste… Ce qui suivra sera le luxe inutile des atrocités et des massacres ; mais au 5 et au 6 octobre, quand la Royauté s’arrache elle-même de Versailles., aux injonctions d’une canaille devenue la Reine de France, pour passer, le front bas, sous la voûte d’acier de l’Hôtel de Ville de Paris, on peut dire que la Révolution est définitivement accomplie. […] Mais le jeune roi grandissait pour devenir grand, et tout rentra « dans l’ordre… Quel Bourbon ne faudra-t-il pas après notre affreuse Révolution ?

334. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Étant lui-même un produit d’interdépendance, l’organisme devient à son tour solidaire d’un plus vaste organisme enveloppant le premier. […] Monstre par l’absorption, il devient, par son expansion, le suprême bienfaiteur. Après s’être nourri de tout, il devient la nourriture de tous, dans ce mystérieux travail de renouvellement qui s’accomplit au fond de l’être humain supérieur. […] Est-ce un bloc inerte et permanent, qui peut se conserver dans son état d’origine à travers les vicissitudes du devenir, que diminue tout contact et qu’altère toute influence ? […] L’évolution profonde qui est en train d’élargir jusqu’à des limites encore incalculables le champ devenu trop étroit de nos conceptions traditionnelles, bouleversera inévitablement l’idée coutumière du nationalisme.

335. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Même ralentissement, d’ailleurs, pour tous les mouvements et tous les changements du système, puisque chacun d’eux pourrait aussi bien devenir représentatif du Temps et s’ériger en horloge. […] De réelle, la simultanéité est devenue nominale. […] 3° Ce qui était simultanéité dans le système S est généralement devenu succession dans le système S′. […] À toi de voir ce que tu dois en faire. » Il est évident que Paul répondrait : « Je ne ferai rien, parce que, pratiquement et scientifiquement, tout deviendrait incohérent à l’intérieur de mon système. […] Des simultanéités sont devenues successions ?

336. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Leur plume devient l’instrument d’un métier. […] La coutume, devenue légale, serait vite adoptée par tous les marchands. […] » Comme si la gloire était une publicité irrespectueuse et qui ne devient décente que longtemps après le deuil, lorsque le cadavre, témoin gênant, devenu pourriture, n’existe plus ! […] Le Journal des Goncourt risque ainsi de devenir le symbole du secret perpétuel. […] Dura lex sed lex, formule devenue proverbiale.

337. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

En un mot, cette opposition du clergé à l’Université n’est devenue importante et considérable que depuis que le clergé se pose en auxiliaire plutôt qu’en adversaire de la dynastie de Juillet. […] Il a ses romanciers, ses poëtes, ses économistes : celui qui se laisse enrôler est à l’instant choyé, adopté, loué par toutes les trompettes catholiques ; de plus il se vend et se débite à merveille, et le grand nerf, la grande ficelle du jour, le pecunia, est au bout. — Tous les jours il arrive que tel jeune romancier, tel jeune économiste qui a passé par les feuilles et les feuilletons de la littérature courante vient vous déclarer qu’il ne peut plus continuer sa collaboration, parce qu’il est devenu catholique : cela veut dire qu’il a trouvé un meilleur placement. — Pour tout dire, les condottieri de plume abondent aujourd’hui, ils battent le pavé de Paris, et le clergé a moyen de les enrôler. […] Il est de fait, en outre, que pour une certaine éducation morale, paternelle, un peu aristocratique, et qui continue doucement les traditions du foyer et de la famille, les pensionnats tenus par des Pères plus ou moins jésuites sont incomparablement plus sûrs que les colléges de l’Université : ceux-ci produisent des lycéens bien appris, éveillés, de bonnes manières, et qui deviennent très-aisément de gentils libertins. […] Les pièces justificatives sont pleines d’horreurs touchant les mœurs et les principes prétendus de l’Université ; celle-ci en devient presque intéressante, à titre de calomniée26 ; elle est pourtant bien assez puissante pour se défendre toute seule : laissons-la faire. — C'en est bien assez aujourd’hui sur cette grosse querelle.

338. (1890) L’avenir de la science « XX »

J’appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’évaluent généralement (et avec plus ou moins de justesse) par la fortune, de telle sorte, par exemple, que le meilleur critérium pour prendre l’élite de la nation soit le cens. […] En effet, du moment que la fortune devient le but principal de la vie humaine, ou du moins la condition nécessaire de toutes les autres ambitions, voyons quelle direction vont prendre les intelligences. Que faut-il pour devenir riche ? […] Le remède au mal n’est pas de faire que le pauvre puisse devenir riche, ni d’exciter en lui ce désir, mais de faire en sorte que la richesse soit chose insignifiante et secondaire ; que sans elle on puisse être très heureux, très grand, très noble et très beau ; que sans elle on puisse être influent et considéré dans l’État.

339. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

que le christianisme soit maintenant obligé de se défendre devant ses enfants, comme il se défendait autrefois devant ses bourreaux, et que l’Apologétique aux Gentils soit devenue l’Apologétique aux Chrétiens ! […] Nous regrettons de ne pouvoir citer tout entière l’Épître aux Martyrs, devenue plus intéressante pour nous depuis la persécution de Robespierre : « Illustres confesseurs de Jésus-Christ, s’écrie Tertullien, un chrétien trouve dans la prison les mêmes délices que les prophètes trouvaient au désert… Ne l’appelez plus un cachot, mais une solitude. […] C’est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : « Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu’il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps ; il devient un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue 187 : tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu’à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes !  […] La diction de saint Chrysostome est pure, mais laborieuse ; il fatigue son style à la manière d’Isocrate : aussi Libanius lui destinait-il sa chaire de rhétorique avant que le jeune orateur fût devenu chrétien.

340. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XI »

A l’en croire, tout grimaud d’école, pourvu qu’il y mît le temps et l’étude, deviendrait un Chateaubriand. […] Je serais en démence ou le dernier des effrontés, si j’avais publié trois consciencieux ouvrages pour démontrer que tout le style consiste dans le pastiche et pour laisser croire qu’avec quelques règles faciles tout grimaud peut devenir un Chateaubriand. […] Quant à soutenir qu’on peut avec quelques procédés acquérir le style des grands auteurs, et que tout grimaud, en y mettant le temps, peut devenir un Chateaubriand, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher M.  […] Nous le remercions infiniment, cet excellent critique, de vouloir bien nous révéler que l’art d’écrire exige un labeur effroyable, après que nous avons consacré 300 pages à indiquer cet effroyable labeur, ce qui, par parenthèse, ne me semble pas le meilleur moyen de démontrer qu’« un grimaud peut devenir un Chateaubriand ».‌

341. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

L’obsequium des affranchis, ayant peu à peu disparu, et la puissance des patrons ou seigneurs s’étant en quelque sorte dispersée dans les guerres civiles, où les puissants deviennent dépendants des peuples, cette puissance se réunit sans peine dans la personne des monarques, et il ne resta plus que l’ obsequium principis , dans lequel, selon Tacite, consiste tout le devoir des sujets d’une monarchie . […] Les rois vaincus auxquels le peuple romain regna dono dabat (ce qui équivaut à beneficio dabat), pouvaient être considérés comme ses hommes liges ; s’ils devenaient ses alliés, c’était de cette sorte d’alliance que les Latins appelaient fœdus inæquale. […] La même chose arriva aux nobles des nouveaux royaumes de l’Europe dont les gouvernements avaient été d’abord aristocratiques, et qui devinrent successivement populaires et monarchiques116 117. […] Ainsi, toute la force que perdent les nobles, le peuple la gagne, jusqu’à ce qu’il devienne libre ; toute celle que perd le peuple libre tourne au profit des rois, qui finissent par acquérir un pouvoir monarchique.

342. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

4º Reconnaître les genres qui peuvent rentrer les uns dans les autres, et devenir meilleurs par leur alliance. […] L’entretien des plus hautes connaissances y devint l’emploi des loisirs de la meilleure société de Paris. […] La comparaison de l’une des espèces de nos grands opéras avec la tragédie fabuleuse, deviendra la preuve de ce que je dis. […] Si la fable est trop distendue, elle devient lâche, fatigante, et s’amollit en tous ses mouvements. […] Cette férocité gratuite devient donc une faute, parce qu’elle n’est pas nécessaire.

343. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »

C’est stupide, ignorant et anarchique qu’une telle idée ; mais cela n’est plus ridicule par la raison que cela tend à devenir une croyance et une opinion universelle. […] Mais les époques ne sont qu’un jour dans la durée, et le ridicule individuel qui se perd dans le ridicule de toute une société et y devient imperceptible, l’Histoire le voit, le ramasse et le soufflette de sa lumière, L’Histoire ne fait pas toujours aux hommes l’honneur d’être sévère… Il est des décadences qui ne méritent que le rire de son mépris. […] Après celui-là, la matière que l’on croyait divisible à l’infini ne se divisera plus… À moins pourtant que dans ce monde du devenir d’Hegel et du Ça ira des Sans-Culottes, il n’entre dans la caboche humaine l’idée — très digne d’elle — qu’à l’aide de l’éducation et de la science, on peut tirer de la fange de leur animalité les chiens et les singes et les faire entrer avec nous — et au même titre que nous, — dans l’immense et imbécile farandole du Suffrage universel !

344. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

En tout cas, ils sentent que des spéculations de cabinet ne doivent pas devenir des prédications de carrefour. […] Sinon, devenu spectateur, il n’en verra que les fautes, il n’en sentira que les froissements, il ne sera disposé qu’à critiquer et à siffler. […] Elle semble bien lourde à des hommes de plaisir, aux compagnons de Richelieu, Lauzun et Tilly, aux héros de Crébillon fils, à tout ce monde galant et libertin pour qui l’irrégularité est devenue la règle. […] En 1748, un ouvrage de Toussaint en faveur de la religion naturelle, les Mœurs, devient tout d’un coup si célèbre, « qu’il n’y a personne dans un certain monde, dit Barbier, homme ou femme se piquant d’esprit, qui ne veuille le voir. […] Les paroles sont devenues des actions, et tous les cœurs sensibles vantent avec transport un mémoire que l’humanité anime et qui paraît plein de talent, parce qu’il est plein d’âme ».

345. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

En voyant cette ombre de la haine et de l’envie sur ses pas, il devint ombrageux lui-même ; son imagination lui fit soupçonner l’inimitié dans tous les cœurs, une embûche à tous ses pas. […] La crainte de perdre le Tasse, et avec le Tasse l’honneur d’avoir produit le plus accompli des poèmes, était devenue une passion jalouse dans le cœur du duc de Ferrare. […] Elle ne savait presque rien de son père et de son frère, si ce n’est que l’un était mort, et que l’autre était devenu un chevalier et un poète de renom à la cour de la maison d’Este, à Ferrare. […] Comment la douce et tendre Léonora, devenue riche par l’héritage de sa mère, et confidente nécessaire de la fuite du Tasse, aurait-elle laissé son amant s’évader, sans habits et sans argent, de Bello Sguardo ? […] Telle était la courtoisie de ses paroles, que je devins de plus en plus convaincu qu’il était d’une noble extraction, et que son esprit était à la hauteur de sa naissance.

346. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

L’ivresse de ce démagogue devenu fou, qui ose préférer la mort de Danton à celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dégoûtera-t-elle de la Révolution les faibles chrétiens de notre âge aussi certainement que l’ilote dégoûtait les Spartiates ? […] Philosophe, il méprise Lamennais d’être devenu, de prêtre, philosophe et d’attaquer le sacerdoce… Je ne relève que quelques-unes de ses contradictions, et je pourrais les entasser. […] Il ne faut, certes, pas s’y tromper : l’homme, dans Proudhon, n’était nullement à l’origine ce qu’il est devenu. […] Son livre de la Pornocratie, qui est du moralisme, deviendra, pour toutes les générations futures de l’Histoire, comme les Satires de Juvénal. […] La femme, hypocrite et despote, a toujours été, chez toutes les nations, un danger pour l’homme, la morale et la société ; mais, ces derniers temps, elle Test devenue plus que jamais.

347. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le respect devient impossible. […] Nous le prendrons dans la fosse commune de l’erreur où il a roulé et nous chercherons ce que le poète — le poète uniquement — est devenu dans sa chute, et s’il est présentement quelque chose de plus que le Quasimodo de son génie. […] De 1843 à 1855, le poète retardé a eu le temps de devenir enfin un homme. […] Puis tout alla s’aggravant, Et l’éther devint l’air, et l’air devint le vent ! L’ange devint l’esprit, et l’esprit devint l’homme.

348. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

L’imagination émue des conteurs ne s’arrêta pas en si beau chemin, et il ne coûta rien d’ajouter que cette tête si chère, emportée par lui, devint plus tard l’objet de ses méditations à la Trappe, le signe transformé, et présent à toute heure, de son culte pénitent.  […] L’austérité du fond commençait à devenir un attrait irrésistible pour quelques-uns ; ils y accouraient des monastères voisins comme à une ruche d’un miel plus céleste. […] Rancé devenait l’oracle unique du désert ; les convertis et les vertueux du dehors allaient à lui. […] Sûr d’aimer et d’être aimé, on est devenu raisonnable ; on ne gronde plus, on se soumet à l’absence. […] Peu à peu le style se glace ou s’irrite ; le jour de poste n’est plus impatiemment attendu, il est redouté ; écrire devient une fatigue.

349. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

La vertu devient alors une impulsion involontaire, un mouvement qui passe dans le sang, et vous entraîne irrésistiblement comme les passions les plus impérieuses. […] On a souvent répété que les historiens, les auteurs comiques, tous ceux enfin qui ont étudié les hommes pour les peindre, devenaient indifférents au bien et au mal. […] Que deviendrai-t-on dans un monde où l’on n’entendrait jamais parler la langue des sentiments bons et généreux ? […] Ce système est devenu odieux à quelques personnes, par les conséquences atroces qu’on en a tirées à quelques époques désastreuses de la révolution ; mais rien cependant n’a moins de rapport avec de telles conséquences que ce noble système. […] Que deviendrait l’être estimable que tant d’ennemis persécutent, si l’on voulait encore lui ôter l’espérance la plus religieuse qui soit sur la terre, les progrès futurs de l’espèce humaine ?

350. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Ce fut ainsi, selon toute vraisemblance, que le peuple breton répandit sa poésie à travers l’Occident féodal : sourde infiltration d’abord, qui devint une large inondation. […] L’aventure, dans Tristan, les tournois, le luxe, les habitudes confortables ou délicates, dans les lais, sont des ornements qui tendent évidemment à devenir le principal. […] Si bien que du mystérieux il fait de l’extravagant, et que sous sa plume le merveilleux devient purement formel, insignifiant, partant absurde. […] Toujours est-il que chez les continuateurs de Chrétien l’incompréhensible Graal devient le vaisseau où fut recueilli le sang de Jésus-Christ. […] Ce sera Perceval qui en deviendra le gardien : après sa mort, le Graal remontera au ciel.

351. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Par suite, telle vertu devient vice et réciproquement, si l’on passe d’un groupe à un groupe voisin. […] C’est une amie ; le héros mourant songe avec inquiétude à ce qu’elle va devenir ; il ne veut pas qu’elle souffre en passant aux mains des mécréants, il lui parle, il lui fait ses adieux. […] Et, en effet, sous l’empire de la colère, ces héros, tout à l’heure si généreux, deviennent de véritables sauvages. […] Alzire résiste,, il est vrai, mais elle veut se tuer pour se dérober à celui qui est devenu son époux et son maître, pour rejoindre au moins dans la tombe l’amant qu’elle a perdu. […] Corneille ne fait pas épouser Pauline par Sévère, une fois que Polyeucte a disparu ; elle devient chrétienne comme son époux ; elle veut le suivre jusque dans le martyre.

352. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Toutefois, ce n’est qu’au sein des civilisations avancées que les lettres deviennent une profession. […] Budé et Ramus deviennent Voiture ou Benserade, et le grand Corneille tresse la Guirlande de Julie. […] Dans un siècle industriel tout se fait industrie ; dans une époque de commerce tout devient marchandise. […] Habitué à remuer des idées, il devient sceptique à l’égard de toutes ; il les accepte au hasard, suivant l’effet qu’il veut produire. […] On met en commun ses idées, et elles deviennent plus chères par le souvenir des hommes qui les partagent.

353. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Mais l’admiration est un sentiment, d’abord, qui s’épuise vite, a dit Voltaire, et qui, ensuite, peut devenir un peu monotone. […] Vénus supplie Jupiter, qui seul peut, dans une certaine mesure, fléchir l’arrêt des Destins, et Psyché devient déesse. […] Un jour cette dame, qui a sa maison de campagne dans un lieu assez rapproché, voit son fils, son petit enfant, languir, devenir malade, très souffrant, et avoir de ces caprices de malade, de ces volontés pathologiques que vous savez. […] Surtout il l’est devenu depuis que nous avons eu beaucoup d’histoires de ce genre. […] Elle devient, comme il arrive quelquefois, elle devient à son tour sujette de l’amour, esclave de l’amour, et elle s’éprend d’un jeune cavalier qui, de son côté, comme vous pouvez vous y attendre, la dédaigne.

354. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Les Français de religion protestante ont prouvé dans cette guerre qu’ils aimaient la France, le protestantisme et la justice du même amour : ils deviennent également chers à tous les Français. Les Français catholiques de l’an xiv ont démontré qu’ils aimaient la France, la justice et Jésus du même amour ; ils deviennent également chers à tous les autres Français. […] Thierry constatait avec anxiété qu’une partie notable de la masse ouvrière est devenue infidèle à cet idéal de civilisation par le métier bien fait. […] Le syndicat des fonctionnaires, erreur d’hier, peut devenir la vérité de demain. […] Mais il est possible qu’il devienne, au lendemain de la guerre, le modérateur nécessaire d’un pouvoir tyrannique tirant toute son autorité de la loi du nombre, la loi du plus fort.‌

355. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

S’il n’y avait pas la vie qui fait l’école, à sa manière, et qui détruit souvent la leçon du romancier ; s’il n’y avait pas un peu de catéchisme, dont on se rappelle encore les questions quand les réponses sont oubliées ; s’il ne restait pas, dans l’air et la lumière de ce pays, un peu de sens commun qu’on respire malgré soi, que deviendrait un peuple enseigné de la sorte ? […] Tout en rêvant et tout en jasant, tout en faisant de petits trousseaux et de petites layettes, tout en cousant de petites robes, de petits corsages et de petites brassières, l’enfant devient jeune fille, la jeune fille devient grande fille, la grande fille devient femme. […] Vous n’êtes qu’un fait, devenez un droit. […] Le nom de celui qui l’émettait pourra faire sourire, car le spirituel fantaisiste qui eut ses premiers succès au Chat-Noir, avant de devenir l’un de nos hommes de théâtre les plus modernes et les plus mondains, ne passe pas encore pour un auteur avant tout préoccupé du problème social. […] Dégagés des coteries, des modes, des influences de clans, vous serez portés à regarder de plus vastes horizons ; vous sentirez renaître en vous la grande vertu de l’humanité, devenue votre inspiratrice et la marque de votre originalité. » Au commencement de novembre dernier, je me trouvais dans l’oasis de Damas, et le jour déclinait.

356. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

On devient notoire par le mal comme par le bien. […] Il est devenu impossible de douter que l’étrange écrivain eût des admirateurs sérieux et convaincus. […] Elle s’y enfonce peu à peu ; elle y pénètre si profondément qu’il devient impossible de l’en arracher. […] Les fours noirs ne sont pas devenus plus rares ; mais il y a moins de chutes violentes. […] L’écriture artiste est donc condamnée à dater davantage que l’écriture simple et à devenir archaïque plus tôt.

357. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Je m’arrête ; car cette imitation deviendrait aussi fatigante que la réalité même : mais on pourrait extraire des adresses, des journaux et des discours, des pages nombreuses, dans lesquelles on verrait la parole marcher sans la pensée, sans le sentiment, sans la vérité, comme une espèce de litanie, comme si l’on exorcisait avec des phrases convenues l’éloquence et la raison. […] Comment convaincre la raison fatiguée par l’erreur, et devenue soupçonneuse par les sophismes ? […] Les pensées philosophiques vous placent naturellement à cette élévation où l’expression de la vérité devient si facile, où l’image, où la parole énergique qui peut la peindre se présentent aisément à l’esprit animé du feu le plus pur. […] Mais si les vérités morales parviennent un jour à la démonstration, et que la langue qui doit les exprimer arrive presque à la précision mathématique, que deviendra l’éloquence ? […] Ce n’est que par l’éloquence que les vertus d’un seul deviennent communes à tous ceux qui l’entourent.

358. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

D’autres se groupent autour de ces trois, et Ronsard forme la Brigade, qui bientôt et plus superbement devint la Pléiade : champions d’abord, astres ensuite de la nouvelle poésie française. […] Elle apporte une haute et fière idée de la poésie, qu’elle tire de la domesticité des grands, qu’elle interdit à la servilité intéressée des beaux esprits : la poésie devient une religion ; le poète, un prêtre. […] Par eux elle fut apte à devenir, selon la belle formule que M.  […] La poésie devient comme un magasin de bric-à-brac gréco-romain, où sont entassés pêle-mêle toute sorte d’oripeaux et d’accessoires : et il est étrange que Ronsard, qui avait le bon goût d’aimer « la naïve facilité d’Homère », n’ait pas vu que le meilleur moyen de ne pas ressembler à Homère était précisément, pour un homme du xvie  siècle… de s’habiller, de parler, de marcher comme le lointain aède des temps héroïques. […] Devenu sourd, il étudie avec Baïf, et s’enferme quelque temps au collège de Coqueret, dont Daurat était devenu le principal.

359. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Ta gloire en devient souvent plus grande. […] La science est pour l’homme de Lettres un océan immense, où il se plonge avec volupté ; il étend de tout côté la sphere de son bonheur, & devient sensible à des plaisirs qui échapent au reste des hommes. […] Rien ne lui est étranger, tout ce que l’esprit humain a pensé vient se peindre à son esprit, son gout en devient plus étendu, & plus sûr, son intelligence plus nerveuse. […] Il se reproduit sous ses yeux, & le remords d’un jour inutile n’entre point dans son cœur ; le calme, la tranquilité, enfans de la modération des desirs, deviennent son partage. […] Le don de la parole devient pour eux le lien de leurs cœurs, ils s’entendent, se préviennent & se perfectionnent l’un par l’autre.

360. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VIII. Jésus à Capharnahum. »

Jusque-là il n’avait fait que communiquer ses pensées à quelques personnes secrètement attirées vers lui ; désormais son enseignement devient public et suivi. […] Le lac est devenu désert. […] Devenue pour tous un objet d’amour ou de haine, convoitée par deux fanatismes rivaux, la Galilée devait, pour prix de sa gloire, se changer en désert. […] La grande importance que prit le judaïsme dans la haute Galilée après la guerre des Romains permet de croire que plusieurs de ces édifices ne remontent qu’au IIIe siècle, époque où Tibériade devint une sorte de capitale du judaïsme. […] On comprend d’ailleurs que Gergesa soit devenue Gerasa, nom bien plus connu, et que les impossibilités topographiques qu’offrait cette dernière lecture aient fait adopter Gadara.

361. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Elle a de l’intérêt par elle-même ; il n’est pas indifférent à la morale, de voir comment cette femme, née dans une prison, d’un père protestant, qui se ruina au jeu et mourut à la Martinique, où elle fut laissée en gage à un créancier par sa mère obligée de venir chercher du pain en France ; renvoyée à sa mère, à quatorze ans, par ce créancier qui trouvait trop onéreux de la nourrir ; devient à quarante-cinq ans l’amie, la confidente d’un roi galant, parvient à le détacher de ses maîtresses, ne voulant prendre la place d’aucune, et à quarante-huit ans devient la femme de ce roi, plus jeune qu’elle de trois ans. […] Le duc de Saint-Simon, dans sa juste animadversion pour l’injure que fit aux pairs, aux princes, à la nation entière, à son droit public, à ses mœurs, l’élévation du duc du Maine, fruit d’un double adultère, mais devenu digne d’une haute destinée par les soins de madame de Maintenon ; le duc de Saint-Simon, dis-je, comparant la naissance du duc du Maine avec les honneurs démesurés dont cet enfant fut comblé, se laissa aller au plus cruel et au plus injuste mépris pour madame de Maintenon, à qui le jeune prince devait le mérite précoce et distingué qui avait favorisé son élévation. […] Sa femme en attira une meilleure encore, se fit aimer et admirer par des personnes du premier rang, qui l’attirèrent dans leur maison, notamment le maréchal d’Albret ; il était devenu amoureux d’elle n’étant encore que comte de Miossens ; il la fit connaître à la maréchale, dont elle gagna la confiance et la tendre estime. […] Ce fut alors que le désir de la conserver et de retendre devint en elle une passion qui a formé le trait saillant de son caractère. […] Petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, gentilhomme français, compagnon et familier de Henri IV, mais dénuée de toute fortune, son nom lui ouvrit les meilleures maisons : devenue veuve, sans parents, ce n’était pas assez de son nom pour s’y soutenir au rang que son nom lui marquait ; il fallait y être aimable.

362. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Le monde l’a traité d’abord comme l’avait traité sa famille : il avait été l’enfant gâté de sa mère, il le devint de la France et de la jeunesse. […] Pour me représenter M. de Lamartine et ses erreurs sans lui faire trop d’injure, je me suis demandé quelquefois ce que serait devenu un François de Sales ou un Fénelon, une de ces natures d’élite, qui n’aurait pas été élevée du tout, qui n’aurait connu aucune règle, et se serait passé tous ses caprices. […] Cette rhétorique, qu’on ne saurait plus confondre avec la poésie sans profaner ce dernier nom, se marque par une singulière habitude et comme par un tic qui finit par devenir fatigant. […] Cette prose, dans Les Confidences, n’est trop souvent que la paraphrase de ses vers, lesquels eux-mêmes étaient devenus vers la fin la paraphrase de ses sentiments. […] Cette préoccupation du présent qu’il porte dans le passé, deviendrait piquante à l’étudier de près.

363. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Et ils courent, ces voyeurs, vers l’élégante ignominie qu’on leur promet… Ça devient plus amusant. […] Le patriotisme est pourtant respectable dès qu’il est sincère ; admirable, s’il devient héroïque. […] Au lieu de jouir délicieusement de ce malheur imprévu, l’esthète génial devient fou. […] Après un procès qui fit quelque bruit, elle devint Paul d’Aigremont. […] A l’école de Descartes, héros de la pensée, il devient un homme.

364. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Rebell devient obscur, se confond volontiers avec la licence des mœurs. […] Arriver est donc devenu, dès l’adolescence, l’occupation de toute la jeunesse française. […] Il faut que cela devienne lumineux ; il faut que nous soyons éblouis à fermer les paupières. […] De cet ermitage qui ressembla parfois à un monastère, et qui est devenu un petit chalet suisse, M.  […] Si les Goncourt étaient devenus populaires, si la notion du style pouvait pénétrer dans les cerveaux moyens !

365. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Merveilleuse élève en vérité, disciple fidèle, cette étrangère, cette cosmopolite devenue Française par adoption et par adaptation ! […] Car la jeune fille devenue femme ne nous l’envoie pas dire. […] Celui-ci se marie, épouse une de ses amies précisément, et devient père d’une nombreuse famille. […] … Quelle n’est pas sa puissance sur l’artiste, pour qui elle devient le secret, le mystérieux secret de son inspiration ! […] Bientôt le salut de cette créature lui devient plus cher que sa propre vie.

366. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Mais la reproduction deviendrait alors impossible. […] C’est pourquoi nous n’avons qu’à suivre la pente de notre esprit pour devenir mathématiciens. […] Et elle deviendra impossibilité, si les zigzags des deux promeneurs sont d’une complexité infinie. […] Mais n’en serait-il pas de même pour toute particularité acquise qui devient héréditaire ? […] L’idée d’un « élan originel » pourra d’ailleurs devenir ainsi plus claire.

367. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Introduction »

Introduction L’école du « document humain » Vers le milieu du siècle, il souffla comme un grand désir de vérité, car la science — dont l’objet est le vrai — étant restée jusque là spéculative, devenait d’utilité palpable, industrielle et efficace. […] Volontiers, ils étendirent leurs relations dans le monde médical ; l’hôpital devint un de leurs champs favoris d’enquête, et leur bibliothèque s’ouvrit toute grande aux traités cliniques les plus rébarbatifs. Tout cela est encore histoire des lettres, et le serait strictement resté malgré les incursions médicales les plus avancées6, si les nouveaux savants, fiers du titre arrogé, n’en avaient immédiatement tiré les conclusions suivantes : « Aujourd’hui que le roman s’élargit et grandit, qu’il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée, vivante de l’étude littéraire et de l’enquête sociale, qu’il devient par l’analyse et la recherche psychologique l’histoire morale contemporaine, aujourd’hui que le roman s’est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises » 7, et treize ans plus tard, Edmond de Goncourt insistait encore : « Ces libertés et ces franchises, je viens seul, et une dernière fois peut-être, les réclamer hautement et bravement pour ce nouveau livre écrit dans le même sentiment de curiosité intellectuelle et de commisération pour, les misères humaines » 8.

368. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Chœur des Français Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable, Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable. […] Ses personnages, élevés du particulier au général, résument en eux des catégories entières ; ils participent de la nature immuable et essentielle de l’homme, un hypocrite a quelque chose de l’hypocrisie absolue, un jaloux, quelque chose de la jalousie absolue ; leur nom propre devient un substantif commun ; ils sont de tous les pays, et demeurent à jamais contemporains des générations qui se succèdent246. […] Tirant le comique du fond des caractères, et mettant sur la scène la morale en action, un poète français est devenu le plus aimable précepteur de l’humanité qu’on eût vu depuis Socrate274.

369. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

S’ils deviennent impropres à tel système d’actions, tel système d’images, et partant tel groupe d’idées ou de connaissances, fait défaut. […] En d’autres termes, quand l’image devient très lumineuse, elle se change en impulsion motrice. […] Au plus haut degré, dans les lobes, la sensation devient capable de réviviscence et s’appelle image. […] Plus un fil nerveux a conduit, plus il est devenu bon conducteur. […] La deuxième, après un ou deux sauts, devient et reste immobile.

370. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Deux gouttes d’eau peuvent devenir pour le savant deux mondes remplis d’intérêt, et d’un intérêt presque dramatique, tandis que pour l’ignorant deux mondes, deux étoiles d’Orion ou de Cassiopée, peuvent devenu deux points aussi indiscernables et indifférents que deux gouttes d’eau. […] C’est au romancier à en déduire par la suite toutes les conséquences ; le coup de théâtre devient la solution nécessaire d’une sorte d’équation mathématique. […] C’est avec Balzac, selon nous, que le roman devient sociologique. […] L’intérêt scientifique doit toujours s’allier à un intérêt moral et social pour devenir un véritable intérêt esthétique. […] Rappelons la dernière allumette, l’unique grain de blé, le diamant se réduisant en poudre, la glace produisant le feu après être devenue une lentille reflétant les rayons du soleil.

371. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Alors aussi elles ne sont plus purement matérielles : elles prennent un sens intellectuel, moral et même social ; en un mot, elles deviennent des symboles. […] Déjà, par ce fait, de purement significative, elle devient suggestive. […] Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ? […]   II. — Notre prose devient, et avec raison, de plus en plus rythmée. […] L’art même de la ponctuation, devenu si important de nos jours, n’est au fond autre chose que l’art du rythme.

372. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Elle deviendrait la satire ou l’éloquence judiciaire. […] L’homme est né moral et il est devenu corrompu. […] La religion devient une morale et la morale devient une religion. — La religion devient une morale. […] L’Alsace devient allemande. Elle devient allemande catholique, mais elle devient allemande.

373. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Le mouvement était donné à l’esprit social ; la conversation était devenue le besoin général ; il fallait à tout prix le satisfaire ; ce besoin remontait à des causes plus anciennes et plus puissantes que l’hôtel de Rambouillet, qui, lui-même, leur dut son origine et ses progrès, et il ne fit qu’en favoriser le développement et l’éclat. […] Qui ne serait charmé de voir les lettres qu’elle écrivait étant encore mademoiselle de Chantai, à Ménage, son maître de latin et d’italien, qui était devenu amoureux d’elle, et dont elle ne voulait ni enivrer la folle passion ni rebuter les soins dignes de sa reconnaissance ? Quelles devaient être ses lettres à son cousin le comte de Bussy-Rabutin, qui avait aspiré à devenir son amant et qu’elle avait amené à se contenter de son amitié ? […] Elle devint dévote. […] Plus tard, M. de La Rochefoucauld étant devenu goutteux et madame de La Fayette maladive, leur mauvaise santé les rendit nécessaires l’un à l’autre. « Je crois, disait madame de Sévigné, que nul amour ne peut surpasser la force d’une telle raison. » Madame de Sévigné date des lettres à sa fille, tantôt de chez M. de La Rochefoucauld où était madame de La Fayette, ou de chez madame de La Fayette où était M. de La Rochefoucauld.

374. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Le scandaleux devint piquant, mais la chose eut plus de conséquence qu’on n’aurait cru. L’Histoire, cette harpe trop tendue, allait détendre ses cordes d’airain… Michelet reçut le coup de la fascination de Carlyle dans ses yeux charmés, qu’il aurait dû garder charmants, mais qui, plus tard, sont devenus obscènes. […] Il a, de temps en temps, et souvent même, un trait, un coup à percer la toile et l’homme ou la chose qu’il retrace ; puis il glisse et devient confus. […] » La vulgarité devient là une calembredaine ; mais voici qui est mieux : « Si la Convention voyait clair et devant et derrière elle, elle serait une Convention paralysée ; mais comme elle voit clairement jusqu’au bout de son nez, elle n’est pas paralysée. » La vulgarité de l’image sert du moins ici à quelque chose. […] Tout devient vert dès qu’il s’agit de Robespierre, qui, de vert de mer, passe à certains moments au vert de suif.

375. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Si une disproportion trop choquante subsiste entre eux, le jugement devient une insolence, même quand l’admiration l’aurait dicté. […] Là, enfin il s’enveloppa dans sa fonction de simple chanoine, vivant entre sa maison studieuse et sa cathédrale, embrassant tous les soirs sa sœur et la quittant pour s’en aller à matines ; et cette vie régulière et cachée, racontée pour la première fois par Floquet, cette vie devenue de l’inconnu par l’éloignement et par le temps, cette pénombre au fond de la gloire, cette brune draperie tirée contre le jour, qui tombe toujours plus fort par la fenêtre de cette cellule, tout cela nous prend au cœur et nous fait entrevoir un Bossuet inattendu et touchant. […] Le Bossuet de la stalle en chêne de l’antique église de Metz, digne d’inspirer un poète comme Byron quand Byron devenait catholique et pleurait en entendant l’orgue, ce Bossuet ponctuel comme le Devoir et comme l’Humilité, qui arrivait, quarantième manteau noir, pour l’office de nuit, pendant dix-sept ans, à sa place accoutumée dans le chœur de l’église assombrie, a beaucoup frappé Floquet, qui n’est pas un rêveur, mais un esprit solide. […] En psalmodiant David ou en méditant Jérémie, sous ces vitraux devenus obscurs, au déclin de complies où l’Esprit de Ténèbres — dit le Psaume — rôde de plus près autour de nous, Bossuet s’assimilait par l’intelligence une tristesse qui ne devait jamais atteindre la sérénité de son âme, et qu’il devait pourtant exprimer ! […] Quand Bossuet sera devenu un grand évêque, quand la gloire l’aura apporté à la puissance, quand il sera presque un homme d’État, presque un ministre, l’intermédiaire entre Rome et la France, nous rentrerons dans les conditions de l’histoire générale et nous saurons si l’excellent biographe s’élèvera jusqu’à l’historien.

376. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

Mais ici, dans ce monsieur Rousselot qui intitule ses chants des Chants de force et de jeunesse 40, il y a plus que le délire de l’enthousiasme pour soi-même, qui est une forme bénévolement autorisée et devenue vulgaire de la littérature lyrique. […] … ce divinisateur même de Dieu, de Dieu qui, dans l’agrandissement forcené de tout, doit devenir Dieu davantage, est, certes ! […] Voici comme ce marmot-Titan, qui demandait dans sa préface qu’on décourageât les jeunes poètes et qu’on jetât sans pitié dans le barathrum des Spartiates tout ce qui ne serait pas conformé pour devenir un Hercule, a, par une inconséquence de l’orgueil qui se frappe sans vouloir se punir, inventé une théorie qui semble une protectrice de sa faiblesse. […] Ils prétendaient qu’il fallait affranchir aussi l’orthographe, et que les cuisinières qui ne la savaient pas étaient celles-là qui la savaient le mieux… Que sont devenus ces farceurs ? […] Mais le monde est devenu si sot qu’il faut maintenant craindre leur influence, et que nous arriverons peut-être à être obligés de la discuter, cette haute influence des farceurs !

377. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Dans le premier cas comme dans le second, nous pouvons acquérir quelque type absolu de comparaison, lorsque des impressions suffisamment répétées sont devenues permanentes. […] Elles deviennent nécessaires quand toutes les conditions, plus la condition manquante, sont données ; et ici la possibilité devient nécessité par l’addition de la condition dernière. […] Cette boule de cire est sphérique, dure, odorante, capable de rendre un petit son ; placée sur le poêle ardent, elle devient molle, elle perd toute sonorité et toute odeur, elle s’étale en bouillie plate. […] Lorsque rien ne contredit la conception ainsi formée et que, au lieu d’être réprimée et niée, elle est provoquée et suscitée par la sensation actuelle, elle est affirmative et devient un jugement. […] Il s’en sert incessamment ; devenu adulte, il en cherche le sens et les accouple.

378. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

» On croit entendre Horace devenu plus sérieux en devenant plus spiritualiste dans l’âge chrétien. […] Des captifs menés en triomphe, les mains liées derrière le dos, sont devenus tout à coup citoyens romains, et, qui pis est, vos tyrans. […] Ils se vantent d’être Romains et croient l’être devenus, à force de le dire, comme si le mensonge pouvait prescrire contre la vérité. […] disaient-elles, que deviendrons-nous ? […] L’immortalité transforme le sentiment et l’amour devient culte.

379. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Mais du moment où elle est une religion, et la religion la plus parfaite, il devient barbare d’en priver une seule âme. […] C’est fatalement, et sans que les philosophes l’aient cherché, que le peuple est devenu à son tour incrédule. […] La persécution ne devient odieuse que quand elle est exercée par des intéressés, qui sacrifient à leur bien-être la pensée des autres. […] Tous ces moyens sont devenus impossibles. […] Comme il est impossible de tracer des catégories entre les adultes, la liberté devient, en ce qui les concerne, le seul parti possible.

380. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

On verra que chez chaque personnage, et à chaque moment, c’est ce conflit intérieur qui est devenu le vrai drame94. […] Voilà l’évolution artistique accomplie, — Wagner « devenu sachant » ! […] Un tel homme valait mieux que de devenir la pomme de discorde entre toutes les médiocrités. […] Wagner a prévu, il y a longtemps, que « l’œuvre d’art de l’avenir ne pourra vivre pleinement que lorsque le drame ordinaire et l’opéra seront devenus impossibles ». […] Au point de vue de l’Art wagnérien, la période « héroïque » est close, admirer Wagner est devenu banal.

381. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Et il me faisait voir une petite teinte brune, la teinte d’un bois qui devient du bois à fagot. […] Sardou voit la jeune fille… Et il devient amoureux, ainsi que pourrait le devenir un personnage de ses pièces. […] Guizot et Hugo, ont pu devenir des érotiques, leur prime jeunesse a été chaste. […] C’est positif, nous sommes tous malades, quasi fous, et tout préparés à le devenir complètement. […] On sentait qu’il était destiné à devenir son représentant.

382. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Dès lors, il devient aisé de faire la part exacte du subjectif et de l’objectif dans l’idée de nombre. […] Elle devient d’ailleurs de plus en plus difficile à mesure que nous pénétrons plus avant dans les profondeurs de la conscience. […] La sensation représentative, envisagée en elle-même, est qualité pure ; mais vue à travers l’étendue, cette qualité devient quantité en un certain sens ; on l’appelle intensité. […] Ce ne peut être par un nouveau déploiement de ces mêmes positions dans un milieu homogène, car une nouvelle synthèse deviendrait nécessaire pour relier les positions entre elles, et ainsi de suite indéfiniment. […] De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir, avec son objet extérieur permanent, et surtout avec le mot qui exprime cet objet.

383. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

C’est justement parce que je l’aurai rendu actif qu’il sera devenu actuel, c’est-à-dire sensation capable de provoquer des mouvements. […] De mon passé, cela seul devient image, et par conséquent sensation au moins naissante, qui peut collaborer à cette action, s’insérer dans cette attitude, en un mot se rendre utile ; mais, dès qu’il devient image, le passé quitte l’état de souvenir pur et se confond avec une certaine partie de mon présent. […] Mais d’autre part les appareils sensori-moteurs fournissent aux souvenirs impuissants, c’est-à-dire inconscients, le moyen de prendre un corps, de se matérialiser, enfin de devenir présents. […] L’intelligence, d’après lui, résout l’unité superficielle de l’individu en qualités diverses, dont chacune, isolée de l’individu qui la limitait, devient, par là même, représentative d’un genre. […] Remarquons-le en passant : si l’on refuse d’attribuer quelque attente de ce genre aux souvenirs récents, et même relativement éloignés, le travail normal de la mémoire deviendra inintelligible.

384. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Mais lorsque Henri eut fait son entrée à Paris et fut devenu le roi de tous, les détails de sa conduite prirent plus d’importance, et Mme de Liancourt occupa les Parisiens. […] Elle quitta ce nom de Liancourt, et devint marquise de Montceaux vers mars 1595, puis duchesse de Beaufort en juillet 1596. […] C’étaient des degrés par lesquels elle s’acheminait à devenir plus encore. […] Au commencement de 1599 Gabrielle était, selon toute apparence, sur le point de devenir reine ; elle était enceinte de nouveau. […] Les diamants, pierreries et joyaux de Gabrielle, retenus par Henri IV qui désintéressa les héritiers, et devenus joyaux de la Couronne, furent donnés en présent, l’année suivante, à la jeune reine Marie de Médicis.

385. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Une étude complète sur Massillon deviendrait naturellement celle de l’éloquence même dans la dernière moitié du règne de Louis XIV ; on y suivrait ce beau fleuve de l’éloquence sacrée, on le descendrait dans toute la magnificence de son cours ; on en marquerait les changements à partir de l’endroit où il devient moins rapide, moins impétueux, moins sonore, où il perd de la grandeur austère ou de l’incomparable majesté que lui donnaient ses rives, et où, dans un paysage plus riche en apparence, plus vaste d’étendue, mais plus effacé, il s’élargit et se mêle insensiblement à d’autres eaux comme aux approches de l’embouchure. […] Le père de La Tour, devenu supérieur général de l’Oratoire, le fit rentrer dans la congrégation et l’occupa à Lyon, puis à Paris au séminaire de Saint-Magloire, où il le mit comme un des directeurs. […] Un écrivain de nos jours, qui a parlé de Massillon avec une prédilection peu commune4, a relevé dans cette édition même de 1745, qui est devenue le patron de toutes les autres, des locutions qu’il est difficile de ne pas croire des fautes d’impression, et il a exprimé le désir qu’on refît une comparaison du texte avec les manuscrits. […] La condition la plus heureuse en apparence a ses amertumes secrètes qui en corrompent toute la félicité : le trône est le siège des chagrins comme la dernière place ; les palais superbes cachent des soucis cruels, comme le toit du pauvre et du laboureur ; et, de peur que notre exil ne nous devienne trop aimable, nous y sentons toujours, par mille endroits, qu’il manque quelque chose à notre bonheur. […] Que sont devenus ces précieux mémoires ?

386. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

J’insiste parce que plus tard, devenu écrivain, ce même caractère en lui se retrouvera. […] Un pauvre enfant, qui devait un jour devenir principal de Montargis, Jean Stondonck, venait à pied de Malines à Paris pour être admis à cette sévère école, travaillait le jour sans relâche, et la nuit montait dans un clocher pour y travailler encore aux rayons gratuits de la lune. […] Plus tard, hors du cercle de l’école ; dans la page écrite pour le public, ce soin continuel, cette perpétuité, cette contention d’élégance, se feront sentir au milieu même des vivacités heureuses et pourront devenir un défaut. […] Il eut un adversaire que ses amis et lui ne nommaient alors qu’avec des signes d’horreur profonde et dont il faut bien pourtant reconnaître la valeur, maintenant que L’Univers n’existe plus, et que tout cela est presque devenu de l’histoire littéraire ; je veux parler de M.  […] Il avait le genre d’esprit que l’Université désire le plus chez ceux qui, après avoir été ses élèves chéris, deviennent ses maîtres respectés.

387. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Lui et M. de La Mennais, enfin, sont devenus expressément humanitaires. […] Wordsworth, Southey, Coleridge, de démocrates et d’humanitaires illimités, sont devenus tories : de leur plan de pantisocratie et de leurs rêves dithyrambiques dont M. […] Le fâcheux de l’innovation n’est pas seulement aujourd’hui dans ces mots singuliers et ces crudités matérielles qui jurent pour le fond avec la région épurée du poète spiritualiste ; le ton général est de plus changé, et la dureté de l’accent devient habituelle. […] Ô Lac des premiers jours, cadre heureux, écho plaintif et modéré, chose amoureuse et close, qu’es-tu devenu ? […] L’humanitarisme est devenu une préoccupation si chère au poëte, qu’il l’introduit partout, jusque dans le Toast porté au banquet des Gallois et des Bas-Bretons.

388. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

« On peut assurer, dit-il, que l’Académie changea de face à ce moment ; de peu connue qu’elle étoit, elle devint si célèbre, qu’elle faisoit le sujet des conversations ordinaires. »— Perrault, en effet, avait bien vu ; cet homme d’esprit et d’invention, ce bras droit de M.  […] Cette nécessité, cette convenance, qui est à la portée de moindres esprits, devient quelquefois une difficulté pour des talents supérieurs beaucoup plus faits à d’autres régions. […] Le coup cependant était porté ; la faculté d’invention devenait suspecte et douteuse chez M.  […] Étienne, quand il parle en vers, est facile, coulant, élégant, comme on dit, mais d’une élégance qui, sauf quelques vers heureux242, devient et demeure aisément commune. […] D’anciens amis de Fouché ou de Rovigo, des bonapartistes mécontents, en se mêlant à d’autres nuances, devinrent subitement les meneurs et, je n’hésite pas à le croire, les organes sincères d’une opinion publique qui les prit au sérieux et à laquelle ils sont restés fidèles.

389. (1890) L’avenir de la science « V »

D’un autre côté, niez l’immortalité d’une façon absolue, et aussitôt le monde devient pâle et triste. […] Tenter une innovation religieuse, c’est faire acte de croyant, et c’est parce que le monde sait fort bien qu’il n’y a rien à faire dans cet ordre qu’il devient de mauvais goût de rien changer au statu quo en religion. […] Si la France avait davantage le sentiment religieux, elle fût devenue protestante comme l’Allemagne. […] Il y a une ligne très délicate au-delà de laquelle l’école philosophique devient secte : malheur à qui la franchit ! […] Ces harmonieuses plaintes sont devenues un des thèmes les plus féconds de la poésie moderne.

390. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Et il lui expose les belles et grandes charges où Dieu l’a appelé, où la reine leur mère l’a élevé, et où le tient le roi Charles IX leur frère ; il craint que ce roi, courageux comme il l’est, ne s’amuse point toujours à la chasse, et ne devienne ambitieux de se mettre à la tête des armées dont il lui a laissé le commandement jusqu’ici. […] Quoi qu’il en soit, le duc d’Anjou prit ce prétexte du duc de Guise pour rompre avec sa sœur dont il devint insensiblement l’ennemi, et il réussit à aliéner d’elle leur mère. […] Enfin, elle était le modèle et partant l’esclave de la mode de son temps, et, comme elle y survécut, elle en devint à la fin une espèce d’idole conservée et de curiosité, comme on en a pour la montre. […] Marguerite, devenue de reine aventurière, changea plusieurs fois de lieu, jusqu’à ce qu’elle trouvât dans le château d’Usson cet asile dont j’ai parlé et où elle ne demeura pas moins de dix-huit ans (1587-1605). […] Pendant ce temps, la reine Marguerite ne cesse pas absolument de correspondre avec le roi son mari, devenu roi de France.

391. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

… Sorti des lourdes mains des Doctrinaires, qui lui avaient donné le ton si longtemps, le Journalisme était devenu si raide, si empesé, si gourmé, si Globe et si Journal des Débats, que la réaction devait avoir lieu et a eu lieu enfin. […] Donc, cette cocotte à blason, qui se laisse mener, comme toutes ces filles-là, par sa femme de chambre (son habilleuse) et par son coiffeur, prend pour de l’argent comme amant son beau-frère, qu’elle vole à sa sœur, et, maîtresse impure d’un cabotin, devenu communard, finit par se marier à un Prussien, pendant que Paris flambe encore ! […] Pour cela, il fallait qu’il abaissât son diapason et qu’il devînt l’audacieux touche-à-tout qu’il est devenu. […] — où les antichambres sont devenus des salons. […] Déjà, en 1832, un romancier, oublié maintenant et qui valait mieux que beaucoup de ceux dont on parle, Horace de Vielcastel, impatienté de voir le faubourg Saint-Germain, dont il était, donner sa démission de l’action politique et se refuser à devenir le parti tory de la France, après en avoir été le parti jacobite, voulut nous en faire une forte peinture dans des romans qui portèrent hardiment ce nom.

392. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Son théâtre est presque entièrement devenu injouable. […] Elle ne lui devient vraiment accessible que sous la forme d’image. […] Mais, dans une action collective, que devient la responsabilité individuelle ? […] Mais ce n’est pas cet amour-là qui devient meurtrier. […] Notre époque avait trouvé son Villon et le rapprochement devint bientôt banal.

393. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Si le cœur humain était devenu harpe, c’est ainsi qu’il aurait résonné ! […] « Je fais un sac de mes habits, et je deviens pour eux un sujet de confabulation ! […] « Je ressemble au pélican du désert ; je suis devenu comme le hibou habitant des ruines. « Je veille et je deviens comme le passereau solitaire sur le toit ! […] Ce petit berger est devenu le maître des chœurs sacrés de tout l’univers.

394. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Les autres prestiges à un certain jour deviennent ridicules. […] Les superficiels, au contraire, crient, tempêtent qu’il faut à tout prix délivrer l’humanité de ces préjugés. « Il faut avoir une pensée de derrière, dit Pascal, et juger du tout par là, en parlant cependant comme le peuple. » Mais, quand le nombre des finassiers est trop considérable, toute piperie devient impossible : car il devient alors de bon ton de faire le malin et de dire aux simples : Ah ! […] Il devait résulter de là que la religion, étant isolée, interceptée du cœur de l’humanité, ne recevant plus rien de la grande circulation, comme un membre lié, se desséchât et devînt un appendice d’importance secondaire, qu’au contraire la vie profane où l’on plaçait tous les sentiments vivants et actuels, toutes les découvertes, toutes les idées nouvelles, devînt la maîtresse partie. […] Qui ne s’est arrêté, en parcourant nos anciennes villes devenues modernes, au pied de ces gigantesques monuments de la foi des vieux âges ? […] Nous avons réformé leurs institutions politiques devenues surannées ; nous n’avons osé toucher à leur établissement religieux.

395. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

A coup sûr, il a connu Jean Sobieski, qui était mousquetaire à cette époque-là et qui devait, un jour, devenir roi de Pologne et dont il a parlé dans ses œuvres. […] MlIe Héricart, devenue Mlle de La Fontaine, apportait en dot trente mille livres, ce qui était considérable pour l’époque. […] C’est Colbert qui succéda à Fouquet dans toutes ses charges et dans une situation plus grande déjà et qui deviendra plus large encore que celle de Fouquet. […] C’est sous l’influence de Mme de La Sablière et de son entourage, qu’il est devenu curieux des choses de sciences, qu’il est devenu curieux des choses de philosophie. […] Après la mort de Colbert la candidature de La Fontaine devenait plus consistante.

396. (1932) Les idées politiques de la France

La troisième République n’est pas apparue en France comme un état de droit, mais comme un état de fait, dans un pays qui n’était pas républicain, qui ne l’avait jamais été, et qui le devint peu à peu comme il était devenu orléaniste après 1830, par crainte d’un cléricalisme militant. […] C’est par la loi de séparation, dont il fut le rapporteur, que Briand commença à devenir un homme consulaire. […] L’Église même est devenue libérale. […] Si aux yeux de Jaurès la supériorité du socialisme était, selon le mot de Barrès, d’avoir un idéal, si ce ciel de l’idéal peut devenir, avec le tribun catholique de demain, ce qu’il est devenu avec Jaurès, soit un ciel politique, alors le christianisme social connaîtrait une belle carrière. […] C’est comme succédané de la religion que le socialisme devient le lieu d’un idéal politique.

397. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Jamais militaire ne reçut un honneur plus mérité. » Pelleport n’était pas de ceux qui sont nés irrésistiblement soldats, il le devient ; il aurait pu être autre chose. […] Royer-Collard qui demandait ce qu’était devenu le respect. […] C’est de ce corps, qui devint plus tard le 18e régiment de ligne, que Pelleport s’est proposé de faire l’historique, s’écartant peu de tout ce qui est relatif à la fortune et aux actions de la famille militaire à laquelle il appartient désormais jusqu’après la campagne de Russie. […] Nommé de la Légion d’honneur en 1804, il fait la campagne d’Ulm, d’Austerlitz, toujours dans la 18e devenue le 18e régiment de ligne. […] Bordeaux, qui était devenu sa patrie d’adoption, sait quelque chose de ses services pour l’organisation de la garde nationale après 1830, de sa collaboration active dans les conseils municipaux, dans les commissions des hospices.

398. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Après cet avantage célébré comme une brillante victoire, on se demanda ce qu’on ferait : le siège de Maëstricht, qui était le but indiqué, n’était pas encore devenu possible, les alliés couvrant la place. […] Et ici encore une courte digression n’est pas inutile ; et, bien qu’il ne s’agisse que d’une anecdote, cette anecdote a pris de telles proportions sous la plume des écrivains de nos jours, qu’il devient presque impossible de la passer sous silence, dès qu’on s’entretient un peu longuement du héros saxon. […] Dans ses campagnes de Flandre, on sait qu’il était devenu très épris d’une très agréable actrice de la troupe comique à la suite du camp, Mlle de Chantilly ou Mme Favart. […] L’indisposition, quelques jours après, était devenue une maladie déclarée, une fluxion de poitrine. […] S’il n’eut pas l’occasion de se placer parmi les capitaines du premier rang, il avait l’étoffe pour le devenir… »

399. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Je prie Son Exc. le ministre de la guerre de le placer près de moi comme aide de camp capitaine. » Les demandes de Ney devinrent plus instantes au moment où la campagne d’Ulm fut entamée. […] En 1797, à l’époque du 18 fructidor, le général Augereau reprochait aux officiers de s’appeler Monsieur : et quelques années plus tard, les généraux républicains devenaient eux-mêmes maréchaux, ducs et princes. […] Mais ce n’est pas tout, et il était à désirer pour plus d’une raison que Jomini devînt bientôt le chef de cet état-major, si laissé à lui-même et si peu conduit. […] La Prusse devenait ainsi un boulevard, au lieu de s’enflammer comme elle le fit, de se miner sourdement sous nos pas, et de devenir contre nous le volcan que l’on sait, un foyer de haine inextinguible. […] Mais, à quelque temps de là, rentrant avec l’état-major dans la ville, Jomini s’approcha de Caulaincourt : « Ce n’est plus Benningsen que je voudrais être maintenant, dit-il, c’est l’archiduc Charles : que deviendrions-nous s’il débouchait de la Bohême sur l’Oder avec 200,000 hommes ? 

400. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Au milieu de cette génération gracieuse, jaseuse, légère et peu passionnée, qui allait devenir l’élite des jeunes femmes du commencement de Louis XV, elle gardait sa sensibilité concentrée et dormante. […] Les assiduités de M. de Murçay, même lorsqu’elles devinrent continuelles, changèrent peu de chose à la situation extérieure de Mme de Pontivy. […] Esprit libre, éclairé, il avait fini par se révolter de cette fabrique d’intrigues molinistes dont la maison de Mme de Noyon devenait le foyer de plus en plus animé. […] L’entraînement, après ces désaccords, reprenant avec moins d’équilibre et de prudence, aurait pu leur devenir fatal. […] Les lettres de Mme de Pontivy étaient plus rares, plus abattues ; tous les souvenirs attiédissants s’accumulaient en elle de préférence, et lui devenaient son principal aliment.

401. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

D’un acte à l’autre, cinq mois ont passé : nous retrouvons Paul Forestier crayonnant, sous le regard de son père, le portrait de Camille devenue sa femme. […] Camille insiste, il se fiche et devient amer. […] Sou rival, qui deviendra son compère, est ce baron d’Estrigaud qui remplissait la Contagion de ses stratagèmes et de ses intrigues. […] Le Moustique devient la mouche du coche de son action embourbée ; il l’étourdit, il l’aveugle ; ses lions en deviennent « presque fous », comme celui de la fable. […] Emile Augier, qui a montré tant de fois un sens si net et si clair de la vie moderne, devient légendaire dès qu’il met le journal en scène.

402. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

VIII. — Après avoir constaté l’introduction des idées philosophiques et sociales dans le roman, Guyau nous la montre dans la poésie de notre époque, dont elle devient un trait caractéristique. […] Avec Hugo, la poésie devient vraiment sociale en ce qu’elle résume et reflète les pensées et sentiments d’une société tout entière, et sur toutes choses. « On pourrait extraire de V.  […] Il insiste surtout sur l’évolution par laquelle la prose devient de plus en plus « poétique », non au vieux sens de ce mot, qui désignait la recherche des ornements et les fleurs du style, mais au sens vrai, qui désigne « l’effet significatif et surtout suggestif » produit, par l’entière adoption de la forme au fond, du rythme et des images à la pensée émue. […] Le sentiment, avec son caractère communicatif et vraiment social, deviendra l’homme même, sa plus haute et dernière expression ; quant à son individualité propre, elle comptera pour peu de chose. […] L’art, figuration du réel, représentation de la vie, n’en deviendra l’expression véritable et n’acquerra toute sa valeur sociale que s’il a pour objet de rendre frappants, en les condensant, les idées ou sentiments qui « animent et dominent toute vie » et « valent seuls en elle ».

403. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Le réel et l’imaginaire se confondent chez Heine, des allégories d’idées abstraites deviennent des créatures vivantes et passionnantes. […] Plus tard Heine, devenu un des chefs du parti libéral, réclama et préconisa les institutions constitutionnelles de la France ; il demeura dans ce pays pendant la fin de sa vie. Il devint prosateur, journaliste, polémiste ; aussi quelques traits de l’esprit français sont-ils marqués dans toutes ses œuvres. […] Il a accompli le singulier tour de force d’une langue naturellement diffuse et peu apte à former des phrases solides, condensée et pressée au point de devenir forte, agile et limpide. […] Mais peu à peu, devenu homme, le souvenir d’Israël cessa de le hanter.

404. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

La plupart en devenaient presque dignes : leur esprit n’acquérait aucune idée, et leur âme ne se développait point par de généreux sentiments. […] Depuis qu’on est deux dans la vie domestique, les communications de l’esprit et l’exercice de la morale existent toujours, au moins dans un petit cercle ; les enfants sont devenus plus chers à leurs parents par la tendresse réciproque qui forme le lien conjugal ; et toutes les affections ont pris l’empreinte de cette divine alliance de l’amour et de l’amitié, de l’estime et de l’attrait, de la confiance méritée, et de la séduction involontaire. […] Les modernes, influencés par les femmes, ont facilement cédé aux liens de la philanthropie, et l’esprit est devenu plus philosophiquement libre, en se livrant moins à l’empire des associations exclusives. […] Un certain degré d’émotion peut animer le talent ; mais la peine longue et pesante étouffe le génie de l’expression ; et quand la souffrance est devenue l’état habituel de l’âme, l’imagination perd jusqu’au besoin de peindre ce qu’elle éprouve.

405. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Par cette disjonction des fonctions et du titre, il est devenu d’autant plus fier qu’il devenait moins utile. […] Paris et la cour deviennent donc le séjour obligé de tout le beau monde. […] La distance est devenue trop grande entre la vie élégante, variée, littéraire du centre, et la vie monotone, inerte, positive de la province. […] Quand la souveraineté se transforme en sinécure, elle devient lourde sans rester utile, et, quand elle est lourde sans être utile, on la jette à bas. […] La plus grande partie des grandes terres titrées étaient devenues l’apanage des financiers, des négociants et de leurs descendants.

406. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Le fils de Cicéron, à son école, était devenu un ivrogne qui ne dut plus tard la faveur d’Auguste qu’à son nom. […] La fortune avait décidé, il était devenu épicurien, il ne voulait pas se roidir contre la fortune. […] Sa santé, devenue de bonne heure très délicate, ne lui permettait d’excès qu’en poésie. […] Sa maison de Rome, son petit domaine de la Sabine, sa villa de Tibur devinrent des biens de la famille impériale. […] Il devint immortel malgré lui ; le charme lui conquit le monde et ce charme dure encore.

407. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Le meurtre par le revolver, toujours sous la main, était devenu le tribunal individuel, et la loi Lynch, celle qui ameute une multitude et qui tue, était la loi des hordes. […] Pour que le travail forcé du nègre devienne travail volontaire, il faut d’abord déposséder le blanc de sa propriété ! Quand vous aurez dépossédé sans condition le blanc de sa propriété, que deviendra son revenu, et, le revenu supprimé, que deviendra le salaire du noir ? […] Jamais alors je ne conçus l’espérance de devenir utile à mes semblables. […] Aussitôt après mon retour, je demandai ce qu’était devenue ma malle.

408. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Puis ce sont ces écrits tenus pour sacrés qui deviennent aux yeux d’une ingénieuse et fine exégèse la plus curieuse littérature. […] Comme sa prétention est d’être faite du premier coup et tout d’une pièce, elle se met par là en dehors du progrès ; elle devient raide, cassante, inflexible, et, tandis que la philosophie est toujours contemporaine à l’humanité, la théologie à un certain jour devient arriérée. […] Mais, notez-le, ceci est essentiel : à moins de croire par instinct, comme les simples, on ne peut plus croire que par scepticisme : désespérer de la philosophie est devenu la première base de la théologie. […] La science n’étant guère apparue jusqu’ici que sous la forme critique, on ne conçoit pas qu’elle puisse devenir un mobile puissant d’action. […] Il vient des moments de dégel, où tout se couvre d’humidité, devient flasque et sans tenue.

409. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Comment voulez-vous, en effet, qu’il y ait pour les peuples nés dans la théogonie hébraïque ou chrétienne, des poètes de fantaisie qui puissent lutter avec cette poésie devenue dogme, et avec ce merveilleux devenu foi ? […] On assiste pour ainsi dire à ce travail des siècles et de la mer, qui jette des alluvions de sable et de coquillages sur des falaises, et qui solidifie ce sable devenu granit en le polissant. […] Aussi, malgré le caractère éminemment classique et souvent latin de sa diction en vers, Molière devint-il dans ses comédies complétement Français, et par cela même complétement original. […] Le français, depuis la Bruyère, devint propre à être au besoin l’algèbre des pensées. […] Or le français était destiné à devenir aussi un jour la langue de la science, de l’industrie et de l’économie politique, et à tout abréger en formulant tout.

410. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

La servitude était devenue vertu. Ce n’est pas assez ; elle était devenue honneur selon le monde. […] Racine devint, par Molière, le disciple favori et l’ami de Boileau. […] De ce moment il devint un autre homme. […] Donnez-lui maintenant un sujet, et il va devenir l’Euripide et le Sophocle chrétien.

411. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Allemands ou Français, Italiens, Espagnols, Anglais, nous avons tous été, dans la littérature et dans l’art, comme dans l’histoire et dans la politique, des nations avant de devenir des « races ». […] Mais ces cantilènes n’ont absolument rien de lyrique et, pour peu qu’on essaie d’en imaginer la nature, elles ne sont à proprement parler que de l’épopée, diffuse, de l’épopée qui n’est pas encore, qui devient, mais déjà de l’épopée. […] La langue se trouble, s’épaissit, s’alourdit, se complique sans se raffiner, devient à la fois plus obscure, plus pédantesque et plus plate. […] Déjà prosaïque aux mains d’Alain Chartier, la poésie, entre les leurs, est devenue prétentieusement didactique. […] Le drame ne s’est pas rendu compte qu’avant tout, dans sa nature ou dans son essence, il était action ; et pour ne s’en être pas rendu compte, on l’a vu devenir de procession, exposition d’abord, d’exposition spectacle, et finalement de spectacle étalage forain.

412. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Tous les professeurs de l’Université étaient devenus des suspects. […] Taine devint célèbre du jour au lendemain. […] La science y devient inexorable. […] La femme n’a nul doute que l’enfant ne devienne un ange. […] Ma phrase devenait inharmonique.

413. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

La dernière transformation de la Revue de Paris, qui visait à devenir un journal quotidien, n’ayant réussi qu’imparfaitement, il en est résulté entre les propriétaires un désaccord à la suite duquel la Revue de Paris a suspendu ses publications54. […] Buloz, qui l’a créée et qui la dirige depuis quatorze ans, en est devenu l’unique acquéreur et propriétaire : il s’occupe à lui donner de nouveaux développements, à perfectionner les branches existantes, à les varier et à assurer à ce Recueil la supériorité qu’il s’est acquise déjà entre les meilleures Revues d’Europe. […] L'orgueil de la vie, l’enivrement de la jeunesse et des sens, c’est là trop souvent l’inspiration unique de la poésie moderne, et il vient un moment où, poussée trop loin, prolongée au delà des termes, cette inspiration sans partage devient imprudence fatale, tourbillon et ruine.

414. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

Le livre très distingué d’Alcide Dusolier : Nos gens de lettres, leur caractère et leurs œuvres 25, promet un critique de plus à cette fin de siècle, dont le caractère intellectuel, qui se précise de plus en plus, tend à devenir éminemment critique. […] Son livre atteste une sensibilité littéraire des plus rares et qui n’a peut-être pas longtemps à attendre pour devenir exquise, et une justesse de sens très ferme, sous tous les sourires de l’esprit. […] Dans tous les cas, quoi qu’il fasse et quoi qu’il devienne, ce qui est acquis, ce qu’il est présentement, l’auteur de ces propos, qui ne sont pas des caquets, non !

415. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Il est devenu mythologue consommé et fait usage de tous les dieux. […] On devient homme de ménage. […] Il est plus triste encore d’observer ce que devient la science tournée en métier. […] Le marchand n’est plus ici qu’un opérateur, et la bourgeoisie devient peuple. […] A la fin, il regimbe contre les conseils et devient têtu comme son baudet.

416. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Est-ce lui ou vous qui avez changé, nous dira-t-on, pour que ces antipathies devinssent des tendresses ? […] La vérité même ne devient française qu’à la condition d’avoir le sourire sur la bouche. […] Béranger, quand il fut devenu ce qu’il devait être, un aussi grand cœur qu’il était un grand esprit, pensait exactement comme nous. […] Quel garçon d’auberge ne deviendrait un enfant d’élite à un pareil régime ? […] L’élévation, la pureté, la mélancolie de ces vers inachevés démontrent qu’il serait devenu aussi poète en suivant ces voies des grandes lettres, mais il ne serait pas devenu aussi populaire.

417. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Il ne devient tel que quand il y a quelque obstacle qui tend à le détruire, c’est-à-dire à nous détruire nous-mêmes et à changer le plaisir en douleur. C’est alors que nous réagissons contre le milieu hostile et que nous devenons nous-mêmes pour nous-mêmes une fin. […] Un pas de plus et l’élément psychique disparaît, ou du moins devient indistinct, ou encore se déplace et passe à des centres autres que les centres cérébraux. […] A la longue, les actes destinés à satisfaire l’appétit sont devenus plus complexes, et en même temps habituels. […] Considérée par un autre côté, cette conception devient celle de l’indépendance du vouloir relativement à la fin et à ses moyens.

418. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Qu’est devenu cet appareil des festins et des jours de réjouissances ? […] Que sont devenus tous ces courtisans ? […] Quel honneur pour cet autel, et combien est-il devenu terrible et respectable, depuis qu’à nos yeux il tient ce lion enchaîné ! […] comme elle devient sublime par le spectacle qui entoure l’orateur ! […] » Enfin, la langue française, Mylord, est devenue presque la langue universelle.

419. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Devenu ensuite aux Débats le successeur de M.  […] Mais, ô clarté tant vantée de la langue française, qu’es-tu donc devenue ! […] Que devient entre les mains du critique cette vérité banale ? […] Rien ne l’empêchait de devenir pédant tout comme un autre. […] Que deviendraient la vertu, l’héroïsme, si l’on supprimait la douleur ?

420. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Pour devenir, pour naître, pour être faite. […] Le cœur même devient revêtement. […] (Et même il est devenu homme. […] Il est devenu un homme parmi les hommes. […] Aussitôt raidi, aussitôt fixé il devenait tout cela.

421. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

D’une taille élevée, élégante, d’un bon et agréable caractère, studieux, il y devint promptement tout ce qu’on pouvait y devenir quand on n’était pas noble, ce qu’étaient les Hoche, les Lefebvre, ses camarades, c’est-à-dire grenadier, caporal, sous-officier instructeur : là était la borne qu’on ne franchissait plus. […] Ce général qui devait devenir roi fut de ceux qui conservèrent le plus longtemps le tutoiement et l’effusion. […] Après avoir rempli quelque temps les fonctions d’inspecteur général de l’infanterie, Friant fut appelé au commandement d’une division qui se réunit au camp d’Ambleteuse et devint plus tard la 2e division du 3e corps d’armée, commandé par le maréchal Davout. […] Friant fit toute la campagne de France : mais, malade et au lit depuis huit jours, il ne put assister aux adieux de Fontainebleau, où était sa place : c’eût été la touchante contrepartie de Witebsk ; il y fut suppléé par le général Petit, comme on le sait d’après ce tableau devenu populaire.

422. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

L’humanité lui paraissait depuis longtemps sortie de ses voies ; les hommes, en s’écartant de la nature, s’étaient créé mille passions factices dont ils devenaient tour à tour instruments et victimes. […] Je le polirai, je l’ennoblirai ; il deviendra net et fleuri ; ce sera un grand mérite de difficulté vaincue”, et l’estimable traducteur s’est mis à l’œuvre incontinent. […] Qui peut flatter l’amour en devient la victime ; Sa blessure légère aussitôt s’envenime. […] « Ce qui devient, en passant sous la plume du traducteur : Que dis-je ! […] « Fidèle à la détestable méthode de collège, M. de Pongerville a tellement en aversion tous les mots qui servent de lien logique au langage, il les supprime si constamment, de peur de tomber en prosaïsme, que, pour peu que le raisonnement se prolonge, ce qui est très ordinaire chez Lucrèce, il devient impossible d’en suivre l’enchaînement chez son traducteur.

423. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Ce moment qui suit la séparation est très-bien peint, et les couleurs qu’y a employées l’écrivain devenu poëte nous font entrer dans le génie de la race : « Tarass voyait bien que, dans les rangs mornes de ses Cosaques, la tristesse, peu convenable aux braves, commençait à incliner doucement toutes les têtes. […] Quand l’orage éclate, elle devient tonnerre et rugissements, elle soulève et fait tourbillonner les flots, comme ne le peuvent les faibles rivières ; mais, quand il fait doux et calme, plus sereine que les rivières au cours rapide, elle étend son incommensurable nappe de verre, éternelle volupté des yeux. » Ici commence une série de combats qui nous paraissent extrêmement prolongés ; nous sommes, malgré tout, trop peu Cosaques pour nous intéresser jusqu’au bout à tant d’épisodes successifs de cette iliade zaporogue. On dirait que l’auteur a eu sous les yeux, dans cette partie de sa nouvelle, des chants populaires dont il a voulu faire usage ; le ton devient purement épique, et les comparaisons homériques abondent. […] Qu’est devenu Ostap ? […] Yankel (le Juif) devint pâle comme un mort, et, lorsque les cavaliers se furent un peu éloignés de lui, il se retourna avec terreur pour regarder Boulba ; mais Boulba n’était plus à son côté.

424. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Les soupçons, les jalousies, les calculs de l’ambition, tout se réunit pour éloigner les esprits supérieurs des luttes révolutionnaires : les hommes violents et médiocres ne se rangent à leur place que quand l’ordre est rétabli : dans le bouleversement de toutes les idées et de tous les sentiments, ils se croient propres à perpétuer ce qui existe, la confusion ; et devenus les maîtres dans les saturnales du talent et de la vertu, ils pèsent sur la pensée captive de tout le poids de leur ignorance et de leur vanité. […] Si le pouvoir militaire dominait seul dans un état, et dédaignait les lettres et la philosophie, il ferait rétrograder les lumières, à quelque degré d’influence qu’elles fussent parvenues ; il s’associerait quelques vils talents, chargés de commenter la force, quelques hommes qui se diraient penseurs pour s’arroger le droit de prostituer la pensée : mais la raison se changerait en sophisme, et les esprits deviendraient d’autant plus subtils, que les caractères seraient plus avilis ? […] Et César, et Cromwell, pensez-vous, dira-t-on que l’enthousiasme qu’ils ont inspiré ne soit pas devenu fatal à la liberté de leur patrie ? L’enthousiasme qu’inspire la gloire des armes, est le seul qui puisse devenir dangereux à la liberté ; mais cet enthousiasme même n’a de suites funestes que dans les pays où diverses causes ont détruit l’admiration méritée par les qualités morales ou les talents civils. […] Lorsque la pensée peut contribuer efficacement au bonheur de l’homme, sa mission devient plus noble, son but s’agrandit ; ce n’est plus seulement une rêverie douloureuse, parcourant tous les maux de l’univers, sans pouvoir les soulager, c’est une arme puissante que la nature donne, et dont la liberté doit assurer le triomphe.

425. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Qu’est devenue cette joie vive et franche qui charmait leurs loisirs et embellissait leurs fêtes ? […] Ainsi, ne soyons ni trop séduits par les uns, ni trop effrayés par les autres, et continuons d’aller à la comédie sans espoir, si l’on veut, d’être plus parfaits, mais sans crainte aussi de devenir plus vicieux. Peut-être est-ce une erreur de prétendre que la comédie dirige les mœurs ; elle les suit, elle en reçoit l’influence, et devient en quelque sorte l’histoire morale, des nations. […] La noblesse était considérée, car tout ce qui était riche aspirait à devenir noble ; Le Bourgeois gentilhomme l’atteste. […] Je n’ai tracé qu’une esquisse rapide et légère, et cependant les événements s’y succèdent, les faits s’y enchaînent, sans effort ; on y voit la comédie suivre et recevoir l’influence du temps où elle a paru, et en devenir, si je puis m’exprimer ainsi, l’histoire dialoguée.

426. (1760) Réflexions sur la poésie

Prouve-t-il qu’avec les années on devient plus raisonnable, ou seulement plus insensible ? […] Ceci ne regarde pas nos grands poètes vivants ; leur génie, leur succès, la voix publique les exceptent et les distinguent : mais pour la foule qui se traîne à leur suite, la carrière est devenue d’autant plus dangereuse, que la plupart des genres de poésie semblent successivement passer de mode. […] parce que ce langage est inventé depuis près de trois mille ans, et que le genre d’idées qu’il renferme est devenu fastidieux. […] Mais dépouillé de ces ornements, et réduit à lui-même, ce genre est devenu bien froid sur le papier. […] Dans Racine au contraire, toute négligence serait un défaut ; et cependant l’exactitude et l’élégance continue de ce grand poète, deviennent à la longue un peu fatigantes par l’uniformité ; il a, selon l’expression d’un homme de beaucoup d’esprit, la monotonie de la perfection.

427. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

qui précipitait au moment même Jacques II du trône où il n’avait pas su s’asseoir : tant il est vrai que le principe qui commence par agiter la société religieuse s’épuise, et devient sans force en passant dans la société civile ! […] L’infini est toujours au fond de son cœur : sitôt qu’une idée a pris, pour ainsi dire, un corps ; sitôt qu’elle est devenue sensible par une transformation matérielle, cette idée a épuisé son énergie. […] Il laisse avec mélancolie errer ses regards en arrière ; il porte au-dedans de lui une vague inquiétude dont il ignore la cause ; il se crée des sentiments factices, et qu’il sait être ainsi, pour suppléer aux émotions qu’il ne retrouvera plus ; il s’étonne du désenchantement où il est plongé ; il a beau être séparé de la religion, ou par les passions dont il est devenu le jouet infortuné, ou par les séductions d’un esprit raisonneur, qui, à force de vouloir approfondir, égare ; il ne peut être sourd aux plaintes touchantes d’une mère, qui ne devait pas s’attendre à lui voir trahir ce qu’elle regardait comme ses plus chères espérances, ni aux terribles accusations de ses aïeux, qui lui reprochent, du fond de la tombe, d’avoir abandonné la portion la plus précieuse de leur héritage. […] Depuis l’établissement du christianisme, le théisme était devenu le culte public. […] Ceux qui cherchèrent aux armées la sûreté qu’ils ne trouvaient plus dans leurs foyers, ou les distractions aux ennuis dont ils étaient dévorés, ceux-là sont devenus à leur tour des pères de famille.

428. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

, devenu vieux et passé à l’état d’idole japonaise du salon-chapelle de Mme Récamier, faisait confidence de ses Mémoires d’outre-tombe à quelques adorateurs, à la condition qu’ils feraient beaucoup d’indiscrétions. […] — de ce siècle de vautrerie et de ribauderies, où le porc appesanti des soupers de Louis XV et du baron d’Holbach devient le sanglier d’Érymanthe de la Révolution française. […] Deux à trois lueurs blanchissantes en avaient passé, un jour, sur la jeune tête de Vauvenargues, mais sans pouvoir jamais y devenir une aurore. […] Au nom seul, à l’idée seule de Platon, les miettes de ce beau génie grec qu’il avait dans l’esprit s’agitent, se rejoignent, deviennent sonores et se mettent à vibrer comme des disques d’or sur la peau frémissante d’un tambour qu’on aurait frappé, et l’on entend comme une répercussion de cette harmonie que Platon répand de lui-même comme d’une lyre qui a le son en elle… Comme Platon, Joubert n’a jamais cherché que des formes et des idées, et on peut dire de lui ce qu’il disait de Platon : « Platon a en lui plus de lumière que d’objets, plus de forme que de matière. […] de ce tronc caché à tous, excepté à deux ou trois abeilles, et dont il a dit : « Je ne suis qu’un tronc retentissant, mais quiconque s’assied à mon ombre et m’entend en devient plus sage. » Est-ce bien sûr, cela ?

429. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

D’aucun côté (jusqu’ici du moins) ne s’était levée, pour en finir, une de ces intelligences supérieures qui ferment les débats sur une question, comme Cromwell ferma la porte du parlement et en mit la clef dans sa poche ; et la Critique attendait toujours le mot concluant et définitif qui devient, au bout d’un certain temps, la pensée de tout le monde, ce mot qui est le coup de canon de lumière après lequel il peut y avoir des ennemis encore, mais après lequel il n’y a plus de combattants. […] Devenue panthéiste sur les sommets de la pensée et socialiste dans le terre-à-terre de la pratique et de la réalité, cette révolution intellectuelle qui fait l’intérim de la révolution politique en attendant son retour, est pour M.  […] Daniel, et le meilleur de toute sa thèse : « Que l’homme qui enseigne est plus que l’enseignement, et que là où le maître est excellent, les mauvaises doctrines deviennent innocentes », cet argument n’est pas au fond beaucoup plus solide que les autres, et l’histoire elle-même ne s’est-elle pas chargée de le réfuter ? […] Mais, enfin, l’éducation qui avait suffi jusque-là ne suffisait donc plus pour que Voltaire devînt… ce qu’il est devenu, malgré ses maîtres, et que le dix-huitième siècle fût possible ?

430. (1908) Après le naturalisme

Une initiation devenait nécessaire à qui voulait l’aborder. […] La vie crée en lui l’esprit et l’esprit, aussitôt devient indispensable. […] Le réalisme devint un procédé. […] Et cependant ils se croient savants, devenus hommes. […] Tout peut devenir matière à poésie dans l’univers.

431. (1914) Une année de critique

Elle est devenue moins séduisante, moins alerte. […] Le prosaïsme devient inévitable. […] Il devient plus viril. […] Il devient redoutable parce qu’il agit. […] La chair est devenue marbre, et c’est la fin.

432. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Voilà de l’injustice ; nous abusons du droit du plus fort ; des deux voisins, le plus gros écrase l’autre ; nous nous faisons le centre unique ; il est vrai qu’en ceci nous le sommes devenus un peu. […] Necker, que le fait devient très-sensible ; ils travaillent trop leur phrase, ils en pèsent trop tous les mots, c’est trop bien. […] il le conserve par affection, même après qu’il est devenu inférieur à ses jeunes rivaux. […] Le petit bossu, dans une traversée qu’il fait aux États-Unis d’Amérique, parvient à se faire remarquer par ses soins auprès d’un passager malade et de sa jeune femme qui va devenir veuve. […] Un certain Champin, portier de la maison où demeure Charles, renoue avec Reybaz qu’il a connu autrefois, et devient bientôt le mauvais génie du roman.

433. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Quand son cœur fut épuisé, il ne trouva plus qu’elles dans son esprit… » Oui, il vient un âge où ce qui n’avait été à nos lèvres que le sourire aimable et flottant de la jeunesse se creuse sensiblement et devient une ride : oh ! […] Mais, avant la célébration de ce mariage, et pendant l’éloignement de Parny, Éléonore, nous assure-t-on (et ceci devient un supplément tout à fait inédit à l’Eleonoriana), eut une fille, fruit clandestin de ces amours si célébrées. […] La forme même des traits change, ce qui était le nerf de la grâce devient aisément maigreur, la finesse du sourire tourne à la malice. […] Selon Lemercier, qui s’en rendait mieux compte, il s’agissait, par certains essais, de repoétiser notre langue, devenue trop timide184. […] L’imagination n’était que voluptueuse dans la jeunesse ; elle court risque, en insistant, de devenir licencieuse, si de graves pensées nées à temps ne l’enchaînent pas.

434. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Après la mort de son père, en 1599, il devint chef de troupe et entrepreneur de théâtre. […] et ne se réveille-t-elle maintenant que pour devenir si pâle et si livide à l’aspect de ce qu’elle a fait de si bon cœur ? […] Il ne faut pas se travailler ainsi l’esprit sur ces sortes d’actions ; on en deviendrait fou. […] — Que suis-je donc devenu, que le moindre bruit m’épouvante ? […] Cette amitié, devenue entre nous presque une parenté, me fut douce et chère.

435. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Aussi la physiologie a été un moyen d’abord, en attendant qu’elle devînt une science ayant son but en elle-même. […] Mais par suite de cette analyse infinie, toute science particulière devient un monde. […] Mais que tend-elle à devenir ? […] Cependant le mot psychologie, inventé par l’obscur Goclenius, devient le titre d’un ouvrage de Wolf. […] La doctrine du vieil Héraclite est revenue, mais confirmée par l’expérience de vingt siècles : tout coule, tout change, tout se meut, tout devient.

436. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

L’art fut influencé par les modes décadentes, et devint l’apanage des aristocraties. […] Odilon Redon, pour devenir des anges, le corps des hommes s’immatérialisait, virginal. […] Ses rythmes deviennent pour les nations, un sujet d’allégresse. […] Pour elle, rien d’éphémère, et l’œuvre d’art devient une monographie de l’Éternité. […] Il devient, à la fois, emblème, allégorie, symbole et réalité.

437. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Quiconque se les approprie sans signaler tout au moins que le mot devient une image pour nous aider à penser en silence, n’est pour nous qu’un partisan plus ou moins absolu des thèses nominalistes ; il n’a pas constaté en psychologue l’existence de la parole intérieure. […] La lecture devient active si nous déchiffrons ; la réflexion devient passive si nous sommes inspirés. La remémoration littérale, la récitation intérieure, dont Cardaillac ne parle pas, est souvent passive et machinale ; mais quelquefois on cherche ses mots : elle devient active. […] Rien plus : il dénature l’essence du phénomène ; dans un des rares passages qu’il lui consacre119, la parole intérieure devient une image musculaire-tactile. […] Mais par la voix la prière devient publique.

438. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

L’idée est, dans la conscience, comme une sorte de vide aspirant à se remplir et qui n’y parvient pas ; ou plutôt l’idée tend, par le mouvement, à devenir sensation, à acquérir ainsi cette intensité suprême qui est attachée à l’actualité. […] C’est seulement par le passage à un degré de conscience plus élevé que l’impulsion primitive, qui tendait à s’exercer pour s’exercer, à se décharger pour se décharger, comme fait la force accumulée, devient un désir conscient de sa direction et de son but. […] Après cela, une fois le branle donne, le mouvement devient ce qu’il peut, selon les organes où il se répercute par diffusion mécanique. […] Il est clair que ce mouvement, en supprimant la peine, supprimera l’attention attachée antérieurement à la peine ; cette attention, devenue libre, ne pourra pas ne pas se fixer sur le mouvement même qui a introduit du nouveau dans la conscience. […] Les mouvements sont moins nombreux et diffus quand le mal reparaît ; le mouvement seul efficace devient plus distinct et est trié par sélection.

439. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Un autre mot est venu au secours de la métaphysique politique : il n’est pas encore consacré ; il ne peut tarder à l’être, puisqu’il est devenu nécessaire : ce mot est assez mystérieux aussi ; mais, à mesure qu’on l’adoptera, il sera convenu qu’il ne l’est point, et qu’il présente un sens très clair : ce mot, ou plutôt cette locution, est une certaine raison publique. […] L’usurpation, devenue ainsi nécessaire pour lui, rendit nécessaire aussi la guerre avec tous les souverains. […] Il est temps de confondre dans nos affections la France ancienne et la France nouvelle ; mais ne soyons point étonnés de ce qu’un certain nombre d’hommes est resté fidèle au culte des ancêtres, de ce que les Sabins ne sont pas encore tout à fait devenus des soldats de Romulus. […] Les Tartares ont souvent conquis la Chine, mais toujours ils sont graduellement devenus le peuple que leur avait donné la victoire. […] Le père de famille est revenu au milieu des siens ; il est revenu, envoyé par la Providence, pour consacrer nos droits, pour nous remettre en pleine possession de tant de belles prérogatives que nous étions menacés de perdre, à cause du mauvais usage que nous en avions fait ; dès lors nous avons pu jouir sans trouble d’une émancipation de fait, qui est devenue, par cette haute investiture, une émancipation légale.

440. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Ses deux philosophies sont l’effet de deux facultés diverses : l’une, qui est l’imagination poétique, aidée par la jeunesse, l’emporte vers la philosophie pure et vers les idées allemandes ; l’autre, qui est l’éloquence, chaque jour plus puissante, soutenue par l’âge, finit par devenir maîtresse, et l’entraîne vers le spiritualisme oratoire, dans lequel il s’est assis et endormi. […] Il alla à Munich en 1818, connut Schelling et Hégel, devint leur disciple. […] Il est créateur, et tire de lui-même tous ces bluets qu’il produit ; car c’est lui-même qui devient chacun d’eux. […] Chaque année sa définition devient plus claire. […] L’art ainsi défini deviendra un auxiliaire de l’éloquence, et l’artiste devra se considérer comme un maître de vertu.

441. (1910) Rousseau contre Molière

L’oncle d’Eliante est devenu ministre. […] Aune certaine limite cette diflérence devient insensible. […] Vous devenez une proie. […] C’est devenu le ressort central de la comédie. […] Elles le deviennent.

442. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXI » pp. 281-285

Mais Chateaubriand, le voilà devenu, presque sans le vouloir, le compère d’une entreprise politique qui lui est antipathique ; voilà que son livre mystérieux d’Outre-tombe va servir, en quelque sorte, de miroir à prendre les alouettes, c’est-à-dire à faire des chalands à M. […] Madame Émile de Girardin y devient tout simplement une madame de Sévigné : « … talent que nous dirions être la métempsycose de madame de Sévigné, si on pouvait croire à la transmigration des intelligences. » Les rédacteurs de la Presse se traitent déjà comme en famille. […] — La prétention affichée et proclamée par la Presse de devenir le premier journal politique et littéraire est un coup direct porté aux Débats, et un coup dont ce dernier journal aura quelque peine à se relever, s’il ne change d’allure.

443. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Ghil, René (1862-1925) »

Dire du Mieux : Le Meilleur Devenir et le Geste ingénu (1889) […] René Ghil exposait sa théorie, encore spontanée et un peu incomplète, de l’instrumentation verbale, expression par lui créée et qui devint assez courante. […] Enfin, en 1889, avec le Meilleur Devenir et le Geste ingénu, dont il était paru une édition d’essai en 1888, M. 

444. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

La réalité phénoménale, a-t-on dit est située dans le devenir. […] Ce flux du mouvement vient-il à s’arrêter, voici l’univers phénoménal figé dans l’espace : ainsi de quelque fleuve immense dont la surface se serait glacée et qui serait devenu soudain impuissant à faire mouvoir les bateaux lourds de denrées et les barques chargées de messages que ses eaux agiles portaient vers les contrées les plus distantes. […] Elle est du mouvement ralenti, au degré et dans les limites où la perception dans la conscience de l’objet par le sujet devient et demeure possible.

445. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Champfleury avait commencé de publier sur ces peintres de sa prédilection un premier Essai, une brochure : aujourd’hui cet opuscule, lentement couvé et nourri, est devenu tout un livre complet, des plus intéressants et des plus estimables, et qui a sa place marquée parmi les meilleures monographies de ce genre. […] L’un d’eux pourtant, le dernier et qui survécut longtemps à ses frères, devint une espèce de peintre de cour qui jouissait de la faveur des grands. […] Quoi qu’il en soit, tout le petit roman roule sur cette passion et cette manie, qui devient assez à la mode. […] Dalègre, en devenant curieux à l’excès, est devenu par là même avare, jaloux, rusé, hypocrite ; il joue serré avec son ami de Paris, il se cache de lui et le trompe : c’est un rival en faïence. […] Bref, devenu possesseur à son tour du fameux instrument après le décès de son ami, Dalègre le brise imprudemment un jour qu’il a voulu en jouer : son désespoir éclate à l’instant en une fièvre chaude.

446. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Vous êtes capable de parler affaires, je ne le nie pas ; mais si la question devient philosophique, vous n’y êtes plus ; et, par exemple, de ce que M. de La Rochefoucauld mourut avec bienséance, comme on sait, et après avoir reçu les sacrements, vous terminez votre Notice par cette conclusion inattendue et un peu étrange. […] Pascal le premier fit non pas même un livre, mais un pamphlet, une suite de lettres qui fut dès le premier jour un événement, et qui devint au bout de l’année un monument. […] Pascal lui-même, à le bien prendre, et quoique inférieur de rang et de naissance, n’était qu’un honnête homme comme eux tous, un curieux, un amateur, qui ne devint écrivain de profession que par occasion et par rencontre. […] M. de La Rochefoucauld fit les siennes ; il y prit goût ; il eut l’idée d’y mettre en entier les résultats de sa philosophie et de son expérience, et c’est ainsi que de simples jetons de société sont devenus par lui des médailles immortelles. […] La marquise de Sablé étant allée, un jour, se loger tout à côté du monastère de Port-Royal, et étant devenue l’une des amies des patronnes et des protectrices, si l’on veut, ou des affiliées de la sainte abbaye, j’ai cherché à déterminer le vrai caractère de ces rapports.

447. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Devenue tout à fait orpheline, et riche héritière malgré les confiscations d’Europe, elle passa en Angleterre où elle épousa le duc de Duras. […] Ce fut par hasard en effet si elle devint auteur. […] Dans Édouard on voit deux siècles, deux sociétés aux prises, et le malheur qui frappe les amants devient le présage d’un avénement nouveau. […] Elle ne put ignorer ces manéges, et elle en souffrait, et elle travaillait à se détacher en esprit d’un monde où les inimitiés sont si actives, où les amitiés deviennent trop souvent plus lentes et infidèles. […] Toujours sur la brèche pour protester contre l’iniquité, pour défendre les innocents, pour accuser en face les hommes sanguinaires, Kersaint a mérité que sa conduite d’alors devînt une sorte de modèle politique en ce genre.

448. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Le prêtre devenait Dieu, et Dieu parlait : ceci est mon corps, ceci est mon sang. […] On verra ensuite ce drame trop chargé se scinder en petits drames distincts : chaque prophète deviendra centre et héros d’une pièce particulière ; on a conservé deux drames latins de Daniel. […] Ils deviennent plus profanes. […] Avec cela, le drame dévot devient une farce : la place que la religion garde dans l’ouvrage, c’est justement celle que lui fait l’âme bourgeoise dans la vie laïque. […] Les sociétés littéraires qui devinrent si nombreuses à partir du xiie  siècle, les puys, la choisirent à l’ordinaire pour patronne ; un genre même de poème lyrique, le serventois, lui fut consacré dans les concours.

449. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau quand le ventre est malade ! […] Songez un peu à ce que fût devenu un sujet pareil entre les mains de M.  […] L’effort de la production devient une espèce de lutte à main plate, le combat de Jacob avec l’Ange dans une foire de banlieue. […] Et, sous sa main fiévreuse, le ventre de la femme devient un astre, éclatant de jaune et de rouge purs, splendide et hors de la vie… Elle semble faite de métaux, de gemmes et de marbres… comme l’idole d’une religion inconnue. « Oh ! […] Mais d’abord ils s’étalent davantage d’un roman à l’autre ; et, plus visibles, deviennent plus fatigants.

450. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Un toucher subtil ne rend personne aveugle et ce n’est pas parce qu’on a de la malice qu’on devient bossu. […] Tout est bon à cet entasseur, qui se croit un constructeur ; et la guerre de 1870 devient, entre ses mains, une « utilité ». […] Mais quelquefois il veut sourire, et il devient sinistre. […] Réjouissons-nous, pourtant : il oublia la Mouche et devint un gros financier capable d’éclairer largement. […] Mais, si vous aimez mieux autre chose, ça deviendra « un chant mythique » ou encore « une œuvre de sainte cérémonie… une tragédie à forme rituelle ».

451. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Mais au moment de sa fuite il devint indifférent et, plus tard, ses bavardages de revenant le rendirent ridicule. […] Dans le cadavre lui répète, la pensée devient une morte et on n’enseigne point le rythme libre de la vie. […] L’exode, ô Mélusine, chaque fois qu’on l’a tenté, est devenu, sous le nom de révolution, une chute grouillante et lourde, une rouge avalanche humaine. […] Jules Lemaître est devenu un frère prêcheur ; Laurent Tailhade, un f.*. orateur. […] Il n’y a pas d’exemple d’une gloire populaire qui ne soit devenue la proie des puissants.

452. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Il entre comme page chez le duc de Penthièvre, dont il devient le favori. […] Il avait peu à faire pour devenir indiscret, léger, séducteur et inconstant, un peu fat en un mot ; mais sa bonne nature, aidée du patronage moral du duc de Penthièvre, contint et régla ses défauts, lors même qu’elle n’en triompha point. Capitaine de dragons et attaché en qualité de gentilhomme au duc de Penthièvre, ce dernier titre lui fut un frein et l’empêcha de devenir dragon jusqu’au bout. […] Le Précis historique sur les Maures, qui est en tête de Gonzalve de Cordoue, semble indiquer que, s’il avait pu s’affranchir d’un genre faux, il serait devenu capable d’études sérieuses. […] On ne retrouve rien dans ses écrits de cette vivacité de ton qui lui faisait dire, au sujet de la place de gentilhomme qu’on sollicitait pour lui : « Il y a trop longtemps que je suis, laquais (c’est-à-dire page) pour vouloir devenir valet de chambre. » Car le doux Florian s’exprimait ainsi en causant ; on ne s’en douterait point à le lire.

453. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Placée dans un couvent à Niort, puis à Paris, élevée par charité, la jeune d’Aubigné, devenue tout à fait orpheline, connut à chaque instant tout le poids de la dépendance. […] L’esprit devenait aisément une position et presque une dignité. […] Scarron mort (1660), la situation de cette belle veuve de vingt-cinq ans, sans ressource aucune, devenait plus précaire, plus dangereuse que jamais. […] Une fois accueillie, en un mot, elle ne l’était pas à demi ; par la parole comme par l’action, elle y devenait l’âme, la ressource, l’agrément du lieu. […] Elle ne conçut point tout d’abord sans doute l’idée de ce que rien ne pouvait présager, elle ne se dit certes point qu’elle deviendrait l’épouse secrète, mais avérée, du monarque : elle sentit seulement la possibilité d’une grande influence et elle y visa.

454. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Cette retraite du jeune Perrault au Luxembourg est, je le répète, sa retraite du mont Aventin ; il s’émancipe et se prépare à devenir bientôt une sorte de tribun des idées nouvelles. […] Mais Perrault s’ennuie bientôt de « traîner une robe dans le Palais » ; d’avocat il devient commis de son frère aîné, receveur général des finances de Paris. […] Il est membre, dès le commencement, avec l’abbé de Bourzeis, Chapelain, Cassagne, et lui quatrième, de la petite Académie destinée par Colbert à fournir des devises et inscriptions un peu érudites et jolies pour les bâtiments du roi ; cela est devenu plus tard la docte et grave Académie des inscriptions et belles-Lettres. […] Colbert, de facile et aisé qu’il était, devint difficile et difficultueux. […] Mais ce n’était là qu’une théorie qui restait stérile entre leurs mains, et qui ne pouvait devenir florissante et vivante qu’à l’aide du génie d’un Milton ou de l’art d’un Chateaubriand.

455. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Devenue l’institutrice des enfants de Mme de Montespan, elle n’eut là aucune lâche faiblesse. […] Il est vrai que c’est sur la même claie, devenue splendide, qu’il a étendu le corps rayonnant de Louis XIV ! […] Il est évident que les Mémoires devenaient alors pour lui ce que le poème de l’Enfer fut pour Dante qui, dit-on, y mit ses ennemis. […] Il y avait enfin à prononcer sur l’homme devenu ministre le jugement définitif qu’un homme ayant en soi instinct de ministre, comme croyait l’avoir Saint-Simon, aurait du moins essayé de le prononcer ! […] Laissons sa capacité scientifique et un esprit qui a beaucoup de rapport, pour la souplesse et le mouvement, et la grâce même, avec l’esprit de Voltaire ; laissons sa vaste littérature et ce qui l’empêcha d’être complètement vil, sa bravoure au feu, ce sens de l’épée, qu’il avait tout comme un héros ; ne voyons que l’homme politique, qui dura si peu, et demandons-nous ce qu’il fût devenu s’il avait duré !

456. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Aussi individuel que qui que ce soit dans sa manière de caractériser les œuvres et les hommes, Aubryet est cette rareté de tous les temps, devenue presque introuvable dans le nôtre, le diamant bleu de Μ.  […] peut-être le deviendra-t-il beaucoup plus. […] Si Aubryet n’a pas de christianisme intégral plus que de métaphysique intégrale, il a du moins dans l’esprit des rayons fondus de christianisme qui lui font une délicieuse quoique trop inégale lumière, et qui peuvent devenir très bien un jour profond, immuable et complet. […] De relative, s’il le voulait, la supériorité d’Aubryet deviendrait très vite absolue. […] Et voilà pourquoi, né délicat et difficile, il est devenu, au contact des choses grossières de ce Carnaval que voilà fini, plus délicat et plus difficile que jamais, Voilà pourquoi cet esprit doux a revêtu, comme l’orange, qui est douce aussi quand elle est ce qu’elle doit être, une écorce amère, mais salubre.

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