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1152. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Par la vertu de cette illusion, les hommes ressemblent à des sujets hypnotisés qui, ayant reçu pendant leur sommeil une suggestion, créent pour l’accomplir, sitôt que l’heure est venue, les circonstances et le décor qui leur sont nécessaires, modifiant et travestissant s’il, le faut le monde extérieur, et suscitant aussi dans leur âme toute nue germination de motifs, afin d’enraciner l’acte dans les régions profondes de leur volonté, de lui imprimer le sceau de leur personnalité coutumière.

1153. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

Le plus grand nombre étoit d’avis qu’on annonçât en François, aux peuples, les actions éclatantes des rois & les vertus des citoyens.

1154. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

Ainsi pensent ceux, pour qui l’âme n’est que la résultante des actions cérébrales ; mais on oublie qu’une lyre ne tire pas d’elle-même et par sa propre vertu les accents qui nous enchantent, — et que tout instrument suppose un musicien.

1155. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Le premier s’est moqué de la bonne foi de son lecteur ; le second a révélé de honteuses turpitudes, en se proposant, même au jugement de Dieu, pour un modèle de vertu.

1156. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Combien de fois, pour parler de toi dignement, n’ai-je pas envié la précision et le nerf, la grandeur et la véhémence de ton discours, lorsque tu parles de la vertu ?

1157. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Il y a dans l’art, comme dans la société, les fausses grâces, la minauderie, l’afféterie, le précieux, l’ignoble, la fausse dignité ou la morgue, la fausse gravité ou la pédanterie, la fausse douleur, la fausse piété ; on fait grimacer tous les vices, toutes les vertus, toutes les passions ; ces grimaces sont quelquefois dans la nature ; mais elles déplaisent toujours dans l’imitation ; nous exigeons qu’on soit homme, même au milieu des plus violents supplices.

1158. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Bien des gens croïent que lui seul il empêche plus de mauvaises actions que toutes les vertus.

1159. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Ainsi partout l’intérêt public a dicté les éloges ; chaque nation a loué ce qui était utile à ses besoins ou à ses plaisirs ; on a loué la piraterie chez les Scandinaves, le brigandage chez les Huns, le fanatisme chez les Arabes, les vertus douces et les talents chez les peuples civilisés, la chasse ou la pêche chez les sauvages, la navigation chez les habitants des îles ; mais il y a une qualité qui partout a toujours été également louée, c’est celle qui a créé toutes les révolutions, qui bouleverse tout, qui assujettit tout, qui soutient les lois et qui les combat, qui fonde les empires et qui les détruit, à qui tout est soumis dans la nature, et devant qui l’univers et les panégyristes seront éternellement prosternés : la force.

1160. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Mlle de Bourbon avait vingt-trois ans (1642) lorsqu’on la maria au duc de Longueville, âgé de quarante-sept ans, déjà veuf d’une princesse de plus de vertu que d’esprit, que j’ai montrée ailleurs159 très-liée avec les Mères de Port-Royal durant l’époque dite de l’Institut du Saint-Sacrement et dans la période de M. […] Cette atteinte était la première qu’on eût encore portée à la vertu de la jeune duchesse. […] Elle se réconcilia en ces années avec le prince de Conti, et se lia étroitement avec la princesse de Conti sa belle-sœur, qui, nièce du Mazarin, rachetait ce sang suspect par de hautes vertus : ces trois personnes devinrent bientôt à l’envi des émules dans les voies de la conversion.

1161. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Un parfum de piété et d’amour sort de tous les vers ; le cœur est doucement ému, mais jouit de son émotion comme d’une vertu. […] et combien le génie des Goethes futurs deviendrait un puissant auxiliaire de la liberté et de la vertu ! […] Mais Goethe semblait croire à une première grande révélation primitive, faite à l’homme nouvellement créé par Dieu ou apportée par des messagers demi-dieux, qui avait enseigné directement à la créature raisonnable les premières notions de la Divinité, de la vertu, des langues, notions que la terre seule était impuissante dans son silence à donner.

1162. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Leurs leçons de bonté et de moralité, qui me semblaient la dictée même du cœur et de la vertu, étaient pour moi inséparables du dogme qu’ils enseignaient. […] J’entendais toujours mes camarades parler avec une rare estime de cette petite servante, qui était en effet un modèle de vertu et joignait à cela la figure la plus agréable et la plus douce. […] Si les rémunérations et les châtiments futurs ont quelque réalité, il est clair que ces rémunérations et ces châtiments doivent être proportionnés à une vie entière de vertu ou de vice.

1163. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Cette vie de calme et de vertu lui pèse ; ce vieux marquis et cette vieille marquise, blanchis dans l’honneur et la loyauté, lui semblent baroques et intelligibles, comme des momies égyptiennes. […] … Un peu de vertu tempérée par cent mille livres de rente, ne vaut-elle pas une vie si chanceuse ? […] Et même je suppose qu’à ces antipodes de son ancien monde, elle eût rencontré, non pas l’honnête et larmoyant comédien que vous faites asseoir à sa table, mais quelque cabotin roué, dépravé, nomade, qui aurait roulé par hasard sa bosse postiche jusque sur les tréteaux de l’Armorique… Eh bien, j’aurais admis qu’en haine de son servage féodal et de ces mœurs antédiluviennes, et des vieux portraits à perruque, et des vertus en vertu-gadin, elle se fût amourachée de cet histrion.

1164. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Il fut vertueux… mais que Dieu nous garde des vertus de cœur qui s’arc-boutent dans les hommes à un esprit faux ! […] Rien des vertus du cœur ne rachète les vices ou les crimes du cerveau, Les faiseurs d’analyse peuvent les séparer, les mettre à part les uns des autres pour le service et l’amusement de la curiosité humaine, la synthèse de la vie les reprend et les étreint dans son unité inflexible, et la balance morale est toujours emportée du côté des crimes spirituels, qui pèsent davantage, puisqu’ils sont les plus grands ! […] Il n’y a que les blasés du xviiie  siècle, les écœurés de plaisir de ce temps libertin, qui aient pu donner du génie à Rousseau, à ce déclamateur qui parlait parmi eux de vertu comme Diogène ou Antisthène chez Laïs, et par reconnaissance d’une sensation nouvelle qui leur paraissait piquante.

1165. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

En vain, en regard d’écrivains si suspects, un grand poète, qui ne s’était jamais avili, celui-là, avait-il chanté les vertus de Lucrèce. […] L’histoire des Borgia n’est, en effet, comme elle a été inventée, racontée et admise par des imaginations corrompues, qu’une immonde et scélérate polissonnerie, et les polissons et les polissonneries sont plus dramatiques que la vertu, la dignité, les attitudes patriciennes, l’immobilité majestueuse des caractères qu’on retrouve toujours à la même place, aujourd’hui comme hier et comme demain ! […] il y a touché, et il l’a renversé, dans ce livre que nous annonçons, le colosse du faux Alexandre VI qui pendant si longtemps nous a caché le vrai, de cet Alexandre VI qui ne fut, comme on l’a dit, ni un Sardanapale ni un Tibère, mais auquel on a fait des vices surhumains pour cacher des vertus seulement humaines, comme on fait le masque plus grand que la figure pour mieux la cacher !

1166. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Une des raisons qui ont dû susciter bien des théories erronées ou insuffisantes du rire, c’est que beaucoup de choses sont comiques en droit sans l’être en fait, la continuité de l’usage ayant assoupi en elles la vertu comique. Il faut une solution brusque de continuité, une rupture avec la mode, pour que cette vertu se réveille. […] Voici donc que le déguisement a passé quelque chose de sa vertu comique à des cas où l’on ne se déguise plus, mais où l’on aurait pu se déguiser.

1167. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Elle lui paraissait contraire à la politesse, à la modestie, à la tolérance, à la sincérité, c’est-à-dire aux vertus qu’il estimait entre toutes. […] Ils se sont gardés d’imiter ses vertus, son colossal labeur et son dévouement à la science. […] Il croyait que le vrai doit triompher tôt ou tard par sa seule vertu, et que les polémiques, qui transforment les luttes de doctrines en querelles de personnes, ne font qu’obscurcir les questions. […] Il ne lui attribuait aucune vertu mystique et ne lui demandait pas les règles de la vie. […] Il aimait et pratiquait la vertu, mais une vertu humaine, accessible et simple.

1168. (1901) Figures et caractères

Il aime la terre de France pour sa saveur particulière et sa vertu native. […] Il mit cette vertu extraordinaire de son cerveau au service des idées contemporaines. […] Il faut croire qu’elles contenaient une vertu particulière. […] L’héroïsme et l’obéissance furent les vertus en honneur. […] Voyez-le, ce Crusoé, dans son île déserte ; il y offre à lui tout seul les plus fortes vertus de sa race.

1169. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Il a fait plus : à côté de la vertu paisible, il a figuré la vertu militante. […] L’énergie stoïque, l’honnêteté foncière de la race se sont éveillées sous l’appel de l’imagination enthousiaste ; et ces caractères tout d’une pièce se lancent sans réserve du côté du renoncement et de la vertu. […] Ils veulent appliquer l’Écriture, établir « le royaume de Dieu sur la terre », instituer non-seulement une Église chrétienne, mais encore une société chrétienne, changer la loi en gardienne des mœurs, imposer la piété et la vertu ; et pour un temps ils y réussissent […] Mais s’ils étaient austères envers autrui, ils l’étaient envers eux-mêmes, et pratiquaient les vertus qu’ils imposaient. […] Cependant les autres, fugitifs en Amérique, poussent jusqu’au bout ce grand esprit religieux et stoïque, avec ses faiblesses et ses forces, avec ses vices et ses vertus.

1170. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Ce qui doit lui faire pardonner ses défauts, est son amour pour la vertu & son respect pour la Religion qui animoient son cœur & sa plume. […] Il faut les mener à la vertu avec plus d’adresse ; & ils n’aiment guéres les livres qui les ennuyent pour les rendre sages. […] Il ne se défie point assez d’une certaine aigreur pardonnable en quelque sorte à ceux qui ayant long-tems vêcu dans le monde, en viennent enfin à se persuader qu’ils n’y ont vu que des vertus feintes, ou des vices déguisés. […] Satyre Ménipée de la vertu du Catholicon d’Espagne, ou la tenue des Etats de Paris en 1593. […] Il est vrai que ce défaut est en quelque sorte couvert par l’exactitude, vertu qui caractérise Machiavel dans son histoire, & qu’il n’a pas dans ses autres ouvrages où son esprit l’emporte sur le jugement.

1171. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Elle n’est pas sans vertu, mais elle est informe, Où manque la grande poésie, nous avons besoin de musique, comme de la nature quand notre passion veille dans l’insomnie et qu’elle est irritée. […] L’exquise vertu des jeunes femmes n’est pas dans ce qu’elles comprennent, mais dans ce qu’elles devinent. […] Les hommes meurent aussi à vingt-cinq ou trente ans, la plupart : en eux se flétrit la vertu de penser au-delà de leurs intérêts propres et de soi-même ; leurs frontières sont fermées pour jamais. […] Chandelles sans lustre, auxquelles les auteurs de ce livre veulent reconnaître tant de vertus — de vertus… qui en vérité vous manquent.

1172. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Et la raison en est simple, c’est que le pédantisme en jupons, la crédulité orgueilleuse d’un vieillard et la flétrissure infligée à l’hypocrisie, tiennent de plus près à la vie ordinaire que la lutte engagée entre la vertu absolue et l’urbanité complaisante. […] C’est assurément une grande vertu dans le maître des Espagnes et des Indes. […] Façonnée dès longtemps aux austères enseignements du christianisme, elle sait que la vertu n’est pas seulement de combattre le danger, mais bien aussi de l’éviter. […] Cette vertu d’airain était-elle à l’usage du père de Diane ? […] Rodolfo, las de Tisbe, poursuit Catarina ; mais il n’a pu apprendre dans les bras d’une courtisane l’art de réduire une vertu rebelle : il a toute l’inexpérience du libertinage.

1173. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

… De toute la vertu sur la terre épandue Tout le prix à vos Dieux, toute la gloire est due ! […] dans si peu de temps aurait-on abattu Le temple le plus beau qu’eut jamais la vertu ! […] … Ou bien encore : la vertu de Polyeucte vous paraît surhumaine ! […] Vertu de femme ou de dilettante, elle est trop délicate, trop facile à émouvoir ou plutôt à surprendre, et par suite à tromper ; elle répugne à trop de besognes ; elle paralyse enfin l’action plus souvent qu’elle ne l’aide. […] Car, autrement, ce n’est qu’un pauvre homme, à qui le monde ne saurait reprocher de se restreindre ou de lésiner sur le présent pour ménager l’avenir ; et, sous le nom d’économie, son avarice devient presque une vertu.

1174. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

De fermes vertus héréditaires avaient toujours marqué cette lignée qui allait se penser dans ce vigoureux rejeton. […] Il en eût montré l’excellence dans cette Anatomie, de même que la rigidité restrictive des pratiques de l’Eglise, objet de la raillerie des apôtres du progrès, eût, sans aucun doute, été le thème de sa Monographie de la vertu. […] Il est d’avis que, pour être vigoureuse, toute famille doit se fixer, et pratiquer cette vertu si peu connue à laquelle le génie d’un de ces grands psychologues qui furent les fondateurs des ordres religieux avait trouvé un nom. […] Nous n’ignorons pas que la responsabilité du cataclysme de 89 incombe aux dirigeants qui n’ont rien su diriger, à une noblesse qui n’a pas substitué le service civil au service militaire, à un clergé qui a manqué de vertus sacerdotales, à des princes qui n’ont pas fait leur métier de roi. […] La moyenne du Code et surtout la moyenne des vertus familiales sont encore hautes chez elle.

1175. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Malheureux pileur de mots et découpeur de motifs, qui, dans ton moulin logique, possèdes un mécanisme pour le divin lui-même et voudrais m’extraire la vertu des écorces du plaisir ; je te dis non1437 !  […] Le héros y habite : « Il y vit1439 dans cette sphère intérieure des choses, dans le vrai, dans le divin, dans l’éternel qui existe toujours, invisible à la foule, sous le temporaire et le trivial ; son être est là, sa vie est un fragment du cœur immortel de la nature1440. » La vertu est une révélation, l’héroïsme est une lumière, la conscience une philosophie, et l’on exprimera en abrégé ce mysticisme moral en disant que Dieu, pour Carlyle, est un mystère dont le seul nom est l’idéal. […] Quel que soit le culte, c’est le sentiment qui lui communique toute sa vertu. […] Car si une portion de nous-même nous soulève jusqu’à l’abnégation et à la vertu, une autre portion nous emmène vers la jouissance et le plaisir. […] « La destruction accomplie, restèrent les cinq sens inassouvis, et le sixième sens insatiable, la vanité ; toute la nature démoniaque de l’homme apparut », et avec elle le cannibalisme1465. » — Ajoutez donc le bien à côté du mal, et marquez les vertus à côté des vices !

1176. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

S’il eut de grands défauts, il eut aussi de très grandes vertus, et la France a eu peu de rois qui eussent eu plus de talents et de qualités nécessaires pour bien gouverner. » Et après une comparaison suivie de Louis XI avec Louis XIII, puis avec Louis XII, il termine de la sorte : Si présentement quelqu’un, dépouillé de toute prévention et pesant tout au poids du sanctuaire, voulait faire le parallèle de ces deux rois, il trouverait qu’après avoir épargné Louis XII sur tout ce qu’il a fait jusqu’à ce qu’il soit monté sur le trône, on n’en pourrait faire que ce qui s’appelle un bonhomme, et que Louis XI, malgré tous les défauts qu’on peut lui reprocher, a été un grand roi. Duclos ici s’est piqué d’honneur et, rentrant dans ce genre de tour énergique et bref qui est à lui, il a dit : « Il s’en faut beaucoup que Louis XI soit sans reproche, peu de princes en ont mérité d’aussi graves ; mais on peut dire qu’il fût également célèbre par ses vices et par ses vertus, et que, tout mis en balance, c’était un roi. » On a là le plus frappant exemple du genre de supériorité que Duclos a sur l’abbé Le Grand comme écrivain.

1177. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

L’amour de la gloire et la vertu, qu’il trouvait si absents dans le train de vie moderne, lui paraissaient avec raison l’âme du monde antique en ses beaux temps. […] Par dédain pour les qualités tempérées qui suffisent aux conditions d’une société vieillie, il disait : « Mêlez un peu d’orgueil qui empêche d’oublier ce qu’on se doit, de sensibilité qui empêche d’oublier ce qu’on doit aux autres, et vous ferez de la vertu dans les temps modernes. » Mais pour les anciens, tout en sachant en quoi nous les surpassons, il les montre bien supérieurs en énergie, en déploiement de facultés de tout genre : forcés par la forme de leur gouvernement de s’occuper de la chose publique d’en remplir presque indifféremment tous les emplois de paix et de guerre, de s’y rendre propres et de s’y tenir prêts à tout instant, de parler devant des multitudes vives, spirituelles, mobiles et passionnées : Quelle devait être, dit-il, l’explosion des talents animés, stimulés par d’aussi puissants motifs !

1178. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Rendant hommage au mérite de M. de La Motte, qu’il ne craint pas d’appeler, « de l’aveu de tout le monde littéraire, un des premiers hommes de son siècle », l’abbé de Pons s’exprimait en paroles bien senties et moins contestables sur son caractère moral et ses vertus de société : Cette supériorité24, disait-il, est d’ordinaire compagne de l’orgueil immodéré ; mais le souverain éloge de M. de La Motte, c’est d’avoir su allier aux talents les plus éminents la plus modeste opinion de lui-même ; c’est de n’avoir jamais cherché dans les ouvrages de ses rivaux que le beau pour le protéger, et de s’être imposé un silence religieux sur les fautes dont il aurait pu triompher. En vain ces mêmes rivaux s’obstinent à l’assiéger avec des épigrammes injurieuses, des satires infâmes, des critiques insolentes, on ne peut réussir à lui faire démentir ce caractère de douceur, de modestie et de charité, vertus qui lui sont plus précieuses que la réputation de ses ouvrages.

1179. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Bouchu se trouvait dans la chambre du roi au moment où Louis XIV, dans son cabinet, déclara les nouveaux maréchaux, et les personnes qui étaient dans la chambre, c’est-à-dire dans la pièce voisine, en eurent la première nouvelle : ce fut l’archevêque de Paris, M. de Harlay, qui, sortant du cabinet, le dit à Bouchu, et le pria de mander à Catinat cette circonstance que le roi, en lisant au Père de La Chaise et à lui archevêque la liste des sept nouveaux maréchaux, avait dit, en répétant le nom de Catinat : « C’est bien la vertu couronnée !  […] Ceux qui se trouvèrent dans l’infanterie furent chargés sans tirer, la baïonnette au bout du fusil, et furent renversés. » Et dans un second rapport : « Je ne crois pas, Sire, qu’il y ait encore eu d’action où l’on ait mieux connu de quoi l’infanterie de Votre Majesté est capable. » Le brave La Hoguette, officier de vertu et de mérite, qui commandait notre centre, fut blessé à mort.

1180. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Tout d’abord Du Bellay a sur l’origine des langues une idée fausse, abstraite, rationnelle : « Les langues, dit-il, ne sont nées d’elles-mêmes en façon d’herbes, racines et arbres, les unes infirmes et débiles en leurs espèces, les autres saines et robustes, et plus aptes à porter le faix des conceptions humaines ; mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels. » On voit l’erreur ; c’est déjà la doctrine du rationalisme appliquée aux langues. […] Mais Du Bellay ne pouvait deviner une science de linguistique qui ne datera que du xixe  siècle, et il est peut-être bon que la force humaine, la faculté d’initiative de chacun s’exagère sa vertu et son pouvoir pour arriver et atteindre à tout son effet, à tout son talent.

1181. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Pensers mystérieux, espace, éternité, Ordre, beauté, vertu, justice, vérité, Héritage immortel dont j’ai perdu les titres, D’où m’êtes-vous venus ? […] La province, certes, possède mille dons d’étude, de sensibilité, de vertu ; mais le goût, il faut le dire, y est chose plus rare et plus cachée qu’à Paris, où, du reste, on le paye si cher.

1182. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Ce que l’on aime, on l’aime pour la perfection qu’on y voit : d’où, quand cette perfection est réelle, la bonté de l’amour, vertu et non faiblesse. […] Ce qui a fait le plus méconnaître cette vérité, c’est qu’on a longtemps identifié l’héroïsme cornélien à la vertu.

1183. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il y prit le courage de s’ennuyer librement, et de se plaire sans scrupule, selon la propre et intrinsèque vertu des œuvres. […] Il y avait moyen de les sauver, en vertu même du naturalisme : mais ni Boileau ni le xviie  siècle n’y ont songé.

1184. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Et la vertu ne lui plaira qu’à la condition d’être excessive et héroïque. […] Mais qu’importe que notre vertu nous soit peut-être une source aussi abondante de souffrances que nos instincts mauvais et nos passions intéressées !

1185. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Adolescent, les plaisirs auxquels, de son propre aveu, il se livra immodérément, dans les dispositions les plus propres à activer l’épanouissement de ses vertus clairvoyantes, n’ont pu marquer qu’une déperdition momentanée de sa force d’extensibilité psychique. […] Et, parallèlement, les vertus qui nous distinguent, auraient-elles leurs torpeurs, et, soumises à des lois de nutrition, à des fonctions actives analogues à celles qui régissent la vie animale, courraient-elles les mêmes périls, et traverseraient-elles les mêmes crises !

1186. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

L’abstinence et la mortification sont des vertus de barbares et d’hommes matériels, qui, sujets à de grossiers appétits, ne conçoivent rien de plus héroïque que d’y résister : aussi sont-elles surtout prisées dans les pays sensuels. Aux yeux d’hommes grossiers, un homme qui jeûne, qui se flagelle, qui est chaste, qui passe sa vie sur une colonne, est l’idéal de la vertu.

1187. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Il n’attache en effet d’importance qu’à la pensée ; il laisse presque tout à fait à l’écart la sensibilité et il la traite assez mal : les sens nous trompent ; l’imagination est, comme dit Pascal, une maîtresse d’erreur et de fausseté ; les passions sont des guides déplorables qui nous détournent de la vertu et de la vérité, etc. […] Puis un évêque monte en chaire, et dans un discours d’apparat célèbre les vertus du mort, qui fut souvent un piètre sire, exalte l’esprit de la princesse défunte, qui fut peut-être un modèle d’insignifiance, et ne manque pas de placer l’un et l’autre à la droite du Tout-puissant, attendu qu’un grand de la terre ne saurait être confondu, même dans la tombe, avec le troupeau de la vile multitude.

1188. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

« À quarante-cinq ans, dit madame de Maintenon, il n’est plus temps de plaire, mais la vertu est de tous les âges… Il n’y a que Dieu qui sache la vérité… Je le renvoie toujours affligé, jamais désespéré. […] Là, sa vertu éclate avec tous ses autres mérites ; là, nul soupçon d’intérêt personnel ne peut l’atteindre ; là fut même le pénible sacrifice de ses sentiments, s’il est vrai, comme on n’en peut douter et comme le disait sa clairvoyante rivale, qu’elle aimât ce roi dont elle remettait la reine en possession, et que les désirs qu’elle reconduisit vers la couche conjugale, s’étaient allumés ou éveillés pour elle.

1189. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Oui s’y frotte s’y pique ; c’est le hérisson de la vertu. […] Un grand cœur cède un trône et le cède avec gloire ; Cet effort de vertu couronne sa mémoire.

1190. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

N’exagérez pas la vertu ; à ce degré d’excentricité, elle devient presque ridicule. […] Alors cet homme de paix et de vertu, drapé en juste, posé en martyr, nous paraîtrait étrangement implacable, et nous comprendrions la colère de la suppliante rejetée.

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