/ 3963
599. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

Ceux qui ont gouverné les peuples dans tous les tems, ont toujours fait usage des peintures et des statuës pour leur mieux inspirer les sentimens qu’ils vouloient leur donner soit en religion, soit en politique. […] Dans la republique dont je parle, on fait apprendre à lire aux enfans dans des livres dont l’éloquence est à la portée de cet âge et remplis encore d’images qui répresentent des évenemens arrivez dans leur propre patrie, lesquels sont propres à leur inspirer de l’aversion contre la puissance de l’Europe qui dans le tems est la plus suspecte à la republique. […] On appelloit la peinture au secours de l’art oratoire en un tems où cet art étoit dans sa perfection. […] Turlow, disent-ils, lui expliquoit dans le tems, et comme on l’explique à une femme qu’on veut faire agir dans une affaire importante, quelles personnes il falloit gagner pour faire réussir un projet, et par quel endroit il falloit les attaquer. […] Enfin il est facile de concevoir comment les imitations que la peinture et la poësie nous présentent, sont capables de nous émouvoir, quand on fait reflexion qu’une coquille, une fleur, une médaille où le tems n’a laissé que des phantômes de lettres et de figures, excitent des passions ardentes et inquietes : le desir de les voir et l’envie de les posseder.

600. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Le temps a fait un pas et la face de la terre a été renouvelée. […] Lorsque tu perdis ta mère, peu de temps après ta naissance, je te pris sous ma garde. […] Sa Muse, encore enfant, ignorait l’art du poète, fruit du travail et du temps. […] Mais comment passer le temps sur un sol étranger ? […] … « Génération vraiment nouvelle, et qui sera toujours distincte et marquée d’un caractère singulier qui la sépare des temps anciens et des temps à venir !

601. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

C’était sur la fin de l’été et de sa vie, en 1869, après la publication, dans le Temps, de sa grande étude sur Jomini. […] Il était seulement indécis sur le choix du lieu où il insérerait cet article, ne pouvant, pour des raisons que l’on comprendra en le lisant, le destiner au Temps. […] Il publiait en ce temps-là ses Mémoires. […] Oui ; mais il a pris sa revanche par sa mémoire qu’il avait développée de bonne heure comme par pressentiment, qu’il a meublée de toutes sortes de beaux passages, de scènes dramatiques en prose et en vers, une vraie mémoire d’aveugle qui ressemble à celle des anciens poëtes et rapsodes, du temps où l’on n’écrivait pas ; il retient, il récite, il joue. […] Refoulé en quelque sorte sur lui-même, ce net et vaillant esprit a cherché à tirer parti de ses souvenirs ; mais écrire vrai n’est facile en aucun temps, et dans tout ce qui se rapporte à des confessions, celles qu’on fait de soi touchent de bien près à celles des autres.

602. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Je ne trouve point cela bon, parce que cette mauvaise humeur ferait grimacer le talent le plus charmant, si on l’avait, et qu’elle doit horriblement fausser le regard de l’écrivain quand il s’agit de le promener avec lucidité sur le temps présent, dont on se croit franchement victime. […] Je puis trouver plus ou moins drôle… ou triste — et le garder pour moi — qu’un esprit, qui paraissait en bonne santé, en soit venu à ce point d’agacement et de révolte contre la réalité qu’il s’imagine que chaque semaine de ce temps, si peu exigeant et si tranquille ! […] La seule foi bien établie en quelque chose, la seule conviction que j’aie trouvée sous les phrases légères comme le vide de Prévost-Paradol, c’est l’idée, qui brille partout dans ses livres, que par les temps actuels, — ces temps durs, ingrats, injustes, malhonnêtes, comme la fièvre de la princesse Uranie dans le sonnet de Trissotin, — Prévost-Paradol avait manqué fatalement sa gloire ! […] Évidemment, elle n’est plus pour lui qu’un pis-aller, une espèce de champ d’asile pour sa pensée, le refuge dans lequel il se sauve contre les rigueurs du temps présent, cet outlaw de la politique impossible ! […] ce n’est point cependant à travers cette phraséologie artificielle, quoiqu’il y soit reconnaissable, que le sophiste m’est le plus distinctement apparu, ce sophiste fatal que ne manque jamais, dans un temps donné, de traîner après soi le rhéteur.

603. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

Le xixe  siècle diffère trop essentiellement du xviie pour bien comprendre et pour apprécier toutes les manières de sentir, de penser et d’agir, d’un temps si dissemblable à lui-même ; il en diffère trop… et il n’en est pas assez loin. Si seulement il en était plus éloigné, s’il n’y avait pas entre eux une révolution, cette grande rupture qui saigne encore ; si le temps les avait séparés par ces espaces qui permettent de juger des faits dans leur véritable perspective et qui sont comme les clairières de l’Histoire, nous le verrions mieux et nous le comprendrions davantage. […] À une autre époque que la nôtre, dans un temps où l’on n’eût pas interverti l’ordre de tous les problèmes sociaux, on ne se fût peut-être pas tant préoccupé des conséquences d’une mesure plus haute que des intérêts matériels, et on eût souri du chirurgien, non de la dernière heure, mais de l’heure passée, qui aurait pris avec tant de soins les dimensions qu’il n’a pas à guérir, mais qu’il veut montrer. […] Elles n’avaient jamais eu qu’une visée, et n’avaient poursuivi, sous des formes diverses modifiées par le temps et par les circonstances, que l’éternel but de tous les pouvoirs dignes de ce nom. […] Quant à celui de Weiss, quant à cette histoire qui n’est que le bas-côté d’une autre histoire bien plus élevée et bien plus profonde, nous avons dit qu’elle pouvait être sa portée sur l’opinion de notre temps.

604. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

» Ainsi, on effleure de l’œil qui veut rire le Journal d’un homme qui est timbré chansonnier, et qui ne peut être qu’un chansonnier alors même qu’il écrit l’histoire de son temps avec une gravité mordante et une élévation singulière. […] Voltaire, comme il l’appelle en ses Lettres inédites : « le plus prodigieusement bel esprit que la nature ait créé avec une vaste mémoire », est jugé avec une impartialité froide qui n’était pas du temps. […] Modeste sans hypocrisie, comme on ne l’est presque dans aucun temps, mais comme on l’était moins que jamais dans le sien, il est certainement l’homme le plus naturel d’une société surexcitée et artificielle. […] Placé entre son admiration, dix fois exprimée dans son livre, pour les hommes et les choses de ce temps, et son goût et sa position d’éditeur de Collé, M.  […] Collé est peut-être le seul homme dont il parle dans son livre qui n’y soit pas flatté, tandis que toute la littérature de notre temps y est l’objet des plus amples révérences et d’un moulinet de flatteries qui atteint toutes les oreilles.

605. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Je n’y retrouve qu’épuisée, ramollie, finie, cette formidable Sophie Arnould qui faisait tout trembler devant son esprit, devant cette furie de mots coupants et vibrants que personne n’eut au même degré qu’elle, dans un temps où l’esprit dominait le génie et où les hommes de génie étaient encore plus des hommes d’esprit, comme Voltaire et Montesquieu… Allez ! […] Elle fut la Bacchante d’esprit de toutes les orgies de ce temps d’orgies que fut le xviiie  siècle. […] C’est qu’elle a son cœur sur ses lèvres. » Les livres, les mémoires, — les espions du temps, —    nous disent tous qu’elle avait l’haleine infecte, l’haleine de ses mœurs. […] Mais si réellement elle en fut un, il faut s’étonner d’autant plus de l’empire d’une fille qui fut la Ninon de son temps, bien plus dépravé que le temps de Ninon, et qui n’avait que la moitié de ce qu’avait Ninon pour vaincre dans les luttes olympiques de son métier de courtisane, — car Ninon avait sa beauté. […] Celle-là qui s’appela un soir Iphigénie en Champagne, leur avait versé du sien… Depuis ce temps-là, les années sont venues, avec les mélancolies qu’elles apportent.

606. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Il a donc réalisé le terrible mot de Stendhal, qui était aussi de cette boutique de la Libre Pensée et qui mourut frappé d’apoplexie sur le pavé, sans que Dieu lui laissai le temps d’être inconséquent à son célèbre dire : « la pénitence est une sottise. […] Eugène Sue lu de tous les cochers et de tous les ouvriers de son temps avec ivresse, et dans l’ivresse, et pour des raisons qui n’ont rien de littéraire, à coup sûr. […] Sceptique nui joua avec un certain brio, mais avec des doigts creux, sur tous les claviers d’idées de son temps, il n’eut point de ces convictions qui font les talents incontestables et impérissables. […] Lui, l’ancien écrivain régence et à outrance, il devint le moraliste des temps futurs. […] Pour cette raison suprême et péremptoire, il ne restera donc rien de ce romancier qui a rempli vingt années de notre temps de sa renommée.

607. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Dans les derniers temps, Walter Scott a pris quelque part de cet héritage domestique si enviable. […] Sa mère, sa sœur, toute sa famille, sont en fuite déjà, et vont chercher quelque abri au delà des mers ; lui-même, avec douze louis d’or qu’on lui fait secrètement remettre, il n’a que le temps de s’échapper. […] Une lutte s’engage au bord du sentier ; les soldats y glissent, et roulent, broyés, dans l’abîme ; mais le proscrit blessé et mourant n’a que le temps de confier à Jocelyn Laurence. […] Ce bon ministre, chez qui la peur est l’unique passion dirigeante, deviendrait, en des temps orageux, le pendant exact du curé Abondio des Fiancés de Manzoni. […] C’est ainsi que le Temps, par Dieu même conduit, Passe, pour avancer, sur ce qu’il a détruit ; Esprit saint !

608. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Où le temps a cessé tout n’est-il pas présent ? […] Et comment passez-vous le temps que Dieu vous a mesuré plus large qu’aux autres hommes ? […] non, jamais », dit-il ; « jamais le temps ne me dure. […] non, le temps ne me dure pas ; seulement quelquefois je voudrais bien, comme à présent, revoir le visage de ceux qui me rencontrent sur le chemin, et que j’ai connus dans les vieux temps. […] Je croyais retrouver, en entrant dans la cour et en passant le seuil, tout ce que le temps était venu en arracher.

609. (1905) Promenades philosophiques. Première série

« Le temps, dit M.  […] Joyau considère le temps est plus humaine. […] L’intensité des émotions allonge le temps. […] On n’en sait rien, tuer le temps peut-être. […] Emmanuel Joyau, l’Idée de temps.

610. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Les mœurs du temps étaient rudes. […] Mais les temps sont changés, et l’on n’est plus contraint d’en passer par là. […] Au temps du miracle grec, presque toute la terre était barbare. […] Pour elle, le temps n’est certes pas un absolu. Le temps n’est qu’une apparence : donc le modernisme aussi.

611. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

… Tel est ce chef-d’œuvre, selon les jeunes réalistes de ce temps, où le Réalisme, qui ne veut que peindre l’objet, est souffleté par le Matérialisme et sa morale ! […] Les amis de Flaubert, qui ne sont pas des sauvages, mais des apprivoisés très aimables et très doux, pratiquent un peu le même système… Pour délivrer leur ami de sa grossesse intellectuelle, ils font du bruit, autour du livre qu’il porte, tout le temps de sa laborieuse gestation, croyant par là l’exciter et lui donner la force de le pousser et finalement de le pondre : Ce sera superbe, disent-ils, ce nouveau livre de Flaubert, mais il y met le temps, car de pareilles œuvres ne sortent pas aisément d’un homme. […] C’était même pour moi d’une curiosité assez piquante, le contraste qu’il y avait entre le héros du livre et l’auteur, entre l’ardente et pieuse individualité d’un Saint à proportions grandioses, et qui paraissent fabuleuses en nos temps rapetissés et amaigris, et l’homme le plus froid de ces temps, le plus matérialiste de talent, le plus indifférent aux choses morales, qui a traité presque pathologiquement, dans le plus célèbre de ses livres, le cas honteux de Madame Bovary. […] Ce sont les hérésies du temps, les mythologies du passé, et toujours et surtout la grosse et éternelle cuisinière rousse, « lascive, — dit Flaubert, — grasse, avec une voix rauque, la chevelure de feu et des chairs rebondissantes ». […] Henri Monnier et Balzac se sont moqués des affectations et des ridicules des bourgeois, mais ils ne les ont pas bernés dans leur désir, qui n’est pas bête, de s’élever dans la lumière sociale et scientifique de leur temps.

612. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Où veut-on que le moraliste et le romancier prennent leurs modèles, si ce n’est pas dans des êtres réels qui ont passé devant leurs yeux, surtout quand ils peignent les mœurs de leur temps ? […] Les Rois dans l’exil de ce temps ne sont plus les Rois dans l’exil d’un temps où, sur le trône, il y avait des Rois encore. […] Paris, dans ce temps, c’est le sujet inépuisable et délicieux des livres qui ne tombent jamais, et c’est aussi le délicieux lieu d’exil des rois qui tombent, eux ! […] Lui, c’est un jeune encore de ce temps maudit, qui n’a pas plus la religion des rois que la religion d’autre chose. […] … Un Louis XV qui a laissé là sa défroque de roi parce que, pour lui comme pour son temps, ce n’est plus qu’une défroque !

613. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

La critique, en ce temps-là, ne s’exerçait pas paisiblement et comme un droit que nul ne songe à nier. […] La plupart du temps ceux qui disaient leur sentiment sur les ouvrages nouveaux étaient les amis ou les ennemis de l’auteur. […] Il fallait condamner en bloc ce qu’on admirait en bloc ; il serait temps après de mettre les nuances et d’adoucir la sévérité. […] Il fut à coup sûr un révolutionnaire en son temps ; mais les révolutions ne sont-elles pas toujours des secousses qui accélèrent l’évolution ou en dégagent les résultats ? […] et par une volonté expresse, la Pucelle, le plus dénué de poésie des poèmes épiques du temps.

614. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Vers le temps où j’écrivais ces lignes, M.  […] M. de Sacy, peu de temps après, m’encouragea dans la même voie. […] Il y avait aussi beaucoup d’illusions dans l’accueil que je faisais, en ces temps très anciens, aux idées socialistes de 1848. […] Combien de temps l’esprit national l’emportera-t-il encore sur l’égoïsme individuel ? […] Si j’étais à recommencer, je referais ce que j’ai fait, et, pendant le peu de temps qui me reste à vivre, je continuerai.

615. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

On peut admettre que des causes permanentes ou presque insensiblement changeantes ont dû produire en tout temps sur les corps et les humeurs des effets à peu près identiques. […] Essayez un peu de démêler l’écheveau embrouillé que forment les croisements de sang dans un pays composite où se sont mêlés, dès les premiers temps, des Celtes, des Romains, des Germains, des Basques, des Israélites ! […] Les femmes, en tout temps, sont plus sensibles, tout au moins plus expansives, que les hommes ; mais, en ce temps-là, elles sont plus que jamais exaltées, romanesques. […] On cite encore, en ce temps-là, des nez qui ont une notoriété dont leurs possesseurs se seraient volontiers passés. […] Qu’on cherche dans les romans, les pièces et les poésies du temps, le contre-coup du grand choléra de 1832.

616. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Enfin, parmi ces nobles esprits, il faut placer au premier rang l’illustre publiciste enlevé à la France il y a quelques années, et dont le nom grandira de plus en plus avec le temps, M. de Tocqueville. […] Pour bien comprendre la philosophie politique de M. de Tocqueville, il importe d’abord de le placer au milieu des écoles politiques de son temps. […] Mais en même temps, il porte l’esprit aristocratique à un point qu’il est impossible à notre temps de comprendre ; il a pour l’industrie un mépris digne d’un grand seigneur féodal. […] Il fallait l’entendre parler de la Révolution, personne ne faisait mieux comprendre la grandeur de ce temps. […] La première période du socialisme est celle que j’appellerai période industrielle : c’est le temps des premiers écrits de Saint-Simon5.

617. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Il faut savoir beaucoup de choses, aux temps présents, pour en apprendre un peu aux hommes, pour en mettre quelque essence dans ses écrits. […] Est-ce jusqu’aux temps de l’homme des cavernes, du déluge ou des croisades ? […] Au bout d’un certain temps, les impressions produites, toujours répétées, se mécaniseront pour ainsi dire, dans l’esprit de l’auditeur. […] S’il n’est vraiment l’initiateur et le voyant, tel qu’il le fut aux temps passés, le poète n’a plus rien à dire aux temps modernes. […] En invoquant les temps présents, nous leur demandons tout simplement la permission de parler comme eux.

618. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

Ainsi comme l’opinion que ce poëme est un ouvrage excellent, ne sçauroit prendre racine ni s’étendre qu’à l’aide de la conviction intérieure et émanée de la propre expérience de ceux qui la reçoivent, on peut alleguer le temps qu’elle a duré pour une preuve qui montre que cette opinion est établie sur la verité même. […] Il n’entre qu’une supposition dans ce raisonnement, c’est que les hommes de tous les temps et de tous les païs soient semblables par le coeur. […] Cette opinion ne peut être avancée que par un homme qui ne veut point porter ses vûës hors de son temps et hors de son païs. […] Cette approbation s’étoit déja changée en admiration dès le temps de Quintilien, qui écrivoit environ quatre-vingt-dix ans après Virgile. […] Ils ont conçu que le monde avoit raison de penser comme il pensoit depuis plusieurs siecles, que si la réputation des anciens pouvoit être affoiblie, il y avoit déja long-temps que le flambeau du temps l’auroit, pour ainsi dire, obscurcie ; en un mot que leur zele étoit un zele inconsideré.

619. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Aujourd’hui nous redisons ce noble nom d’un homme doué de facultés éclatantes et que beaucoup d’entre nous ont aimé, nous le disons parce que l’air de notre temps vibre encore des coups de feu sous lesquels il s’est si magnanimement abattu. Mais ce nom, comme celui de tant d’autres vaincus du sort, le Temps l’enveloppera bientôt de son ombre et l’arrachera peu à peu à la Renommée. […] Ruiné en très peu de temps par le train d’une vie que ne comporte plus en France la médiocrité des fortunes, il ne s’appliqua pas sur le front le pistolet qui fit long feu quatre fois sur le front prédestiné de Clive. […] Quoi qu’il en soit, c’est une biographie à la manière des temps actuels bien plus qu’une vie historique composée, profonde et sévère. […] Fortune, amis, jeunesse, amours, feuille qui vole Et que le temps emporte et qu’il ne rend jamais, Bientôt tu perdras tout !

620. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Les temps modernes ne sont pas tellement beaux pour la littérature qu’elle ne puisse supporter beaucoup de choses cruelles et qu’elle n’y soit même accoutumée ; mais la condition d’avoir Buloz pour correcteur, — non plus d’épreuves, mais de son style et de sa pensée, — lui sembla cependant trop dure pour la supporter, et on vit en très peu de temps tout ce groupe de talents que je viens de nommer se détacher de la Revue des Deux Mondes 24, s’égrener et complètement disparaître d’un recueil dont la rédaction, pour qui avait le sentiment de sa valeur propre ou de son œuvre, était une douleur, quand ce n’était pas une indignité. […] Ils jugeaient l’esprit de leur temps par le leur, et voilà pourquoi ils se trompèrent… Le public de ce temps-ci est très indifférent au talent. […] Je ne connais guères qu’une personne de ce temps-ci qui ait eu un honneur égal à celui de Buloz, et c’est Véron, ce gros mauvais sujet de Philibert, devenu le docteur Véron vers le tard. […] je sais bien tout l’avantage qu’il y a, dans ce temps-ci, à être ouvrier, et je concevrais le mérite de Buloz s’il l’était encore ; mais il faut bien le dire ! […] Hésiode nous apprend que, de son temps, les rois s’appelaient mangeurs de présents, Δωροφαγος.

621. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Nous avons bien le temps de le voir. […] Kant s’en occupe tout le temps. […] Ne pas en faire un passé anticipé, une tranquillité prématurée, un repos en temps de peine, un loisir en temps de travail, une retraite en temps d’activité, un temps d’arrêt en temps de mouvement, une paix en temps de guerre, une mort en temps de vie. […] Ils sont de tous les temps. […] Un espace clos, un temps clos.

622. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Dans le temps que M.  […] Ils étaient restés plus Italiens que Français : il fut, lui, un Français des plus accomplis, ayant bien le cachet de son temps. […] Dans Horace Walpole nous avons l’image de l’amateur anglais en son temps. […] Il eut tout le temps de se faire à ses rigueurs et à ses menaces. […] [1re éd.] et depuis ce temps-là elle appartient à tous et à personne.

623. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Elle déploya à ce soin, durant des années, une faculté remarquable d’action et d’entente des affaires, qu’elle contint du reste, en tout temps, à son intérieur. […] Ils trouvèrent place aussi dans les volumes de Mélanges que publia vers ce temps M. […] A partir de ce temps, une seconde époque, celle dans laquelle elle est plus connue, commence pour Mme Guizot. […] Elle publia vers ce temps les Enfants, contes, premier ouvrage auquel elle attacha son nom, guidée par un sentiment de responsabilité morale. […] De tout temps elle a moins songé à décrire, à peindre ce qu’elle sentait, qu’à exprimer ce qu’elle pensait.

624. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Malheur à Louis XIV, malgré sa grandeur, n’avoir pas su les maintenir coexistants, quand le temps les pacifiait de jour en jour, et d’avoir rallumé la persécution par faux zèle et ignorance ! […] Ces temps ont été courts, bien qu’ils aient pu paraître longs à ceux qui avaient à les traverser. […] La calomnie, on le voit, avait mis du temps à cheminer et à suivre son détour. […] ce qui nous frappe et nous choque sous d’autres noms à distance nous paraît tout simple de notre temps et à nous-mêmes sous des noms différents. […] Elle l’est de l’attitude agressive et envahissante qu’a prise depuis quelque temps et avec un redoublement d’audace le parti clérical.

625. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

… Mais vous, Flaubert, pourquoi ne faites-vous pas quelque chose sur ce temps ? […] Et le reste du temps, un état trouble de la tête ne me permettant pas de travail, ou ne produisant que du mauvais travail. […] Elle lui déclarait qu’il n’y avait plus rien à faire dans son état : l’amour dans les basses classes ayant, depuis quelque temps, perdu de son enragement. […] Et je me rappelle dans ce temps, où l’on ne se servait pas de verre mousseline, il buvait son bordeaux dans un verre qu’aurait brisé, en le touchant, une main grossière. […] … Une fois que j’étais couché sur le dos, au haut d’une de ces meules, jouissant de la nuit, je me suis surpris, je ne sais combien de temps cela durait, disant stupidement : « Une, deux !

626. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Il avait décidé la Veuber, une actrice célèbre de ce temps-là, à se fixer à Leipzig. […] Il fallait bien le mettre dans un cadre du temps. […] mais de ce qui faisait le fond de toutes les conversations en ce temps-là, l’amour ! […] Mais c’étaient les mœurs du temps. […] Elle y va donc bon jeu, bon argent, à la bonne franquette, comme on disait en ce temps-là.

627. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

On ne saurait objecter que le temps nécessaire à des changements organiques si considérable a manqué, car la longueur des temps écoulés est absolument incommensurable pour l’entendement humain. […] Les espèces nouvelles ont apparu sur la scène du monde lentement et par intervalles successifs ; et la somme des changements effectués dans des temps égaux est très différente dans les différents groupes. […] L’extension graduelle des formes dominantes et les lentes modifications de leurs descendants font qu’après de longs intervalles de temps les formes de la vie semblent avoir changé simultanément dans le monde entier. […] Chez tous les êtres organisés, l’union de deux cellules élémentaires, l’une mâle et l’autre femelle, semble être de temps à autre nécessaire à la production d’un nouvel être. […] Cependant un certain nombre d’espèces, se maintenant en corps, pourraient se perpétuer sans changements pendant de longues périodes, tandis que, pendant le même temps, plusieurs de ces espèces, venant à émigrer en d’autres contrées et à entrer en concurrence avec des associés étrangers, se seraient modifiées ; de sorte qu’il ne nous faut pas surfaire la valeur du mouvement de transformation organique considéré comme exacte mesure du temps.

628. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Necker, le long séjour qu’il fit à Paris, jeune et non marié encore, Mme de Staël a pu dire : « Quelquefois, en causant avec moi dans sa retraite, il repassait ce temps de sa vie dont le souvenir m’attendrissait profondément, ce temps où je me le représentais si jeune, si aimable, si seul ! […] Beuchot paraît attribuer à notre auteur, mais qui fut désavoué dans le temps (1818). […] Le succès de ces Lettres, qui répondaient au mouvement sympathique du temps, fut universel. […] Il y a aujourd’hui temps d’arrêt dans l’invasion, comme sous l’empereur Probus ou quelque autre pareil. […] le bon temps, que ce siècle de fer !

629. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Ceci est vrai pour l’évolution de tous les arts, en tous les temps. […] Il n’a pas le temps d’y défaillir, car toute une armée est sur lui. […] Rien n’a changé, depuis le temps où l’idée du déluge se fut rassise dans les esprits, c’est-à-dire peu ou beaucoup de temps après un laps de temps inappréciable de cent ou de deux mille ans, minute d’éternité. […] C’est le temps qui fixera ces points. […] C’est le grand temps de l’influence d’Hugo.

630. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Marot était un homme et un homme de son temps. […] Comme tout son temps il a peu usé de l’alexandrin. […] Rabelais et les mœurs de son temps. […] Il n’a que trop raison pour son temps. […] Cela suffisait pour un temps.

631. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Il régnait à Saverne et possédait l’âme du cardinal, lorsqu’il fut obligé de s’éloigner de Strasbourg, où son séjour excitait de l’ombrage, et de voyager quelque temps. […] Il est difficile pourtant d’admettre que Ramond n’ait pas été lui-même fasciné dans les premiers temps, qu’il n’ait pas payé tribut par une courte fièvre de jeunesse à la maladie épidémique du siècle et du lieu. […] Une femme intrigante et criminelle, Mme de La Motte, se mit, vers le même temps, à exercer sur le cardinal son ascendant funeste et vraiment fabuleux, qui conduisit ce malheureux prince à acheter des joailliers de la reine le fameux Collier, en croyant n’obéir qu’à un ordre de sa souveraine. […] Lorsque le procès fut terminé et le cardinal absous, mais exilé à La Chaise-Dieu en Auvergne, Ramond l’y suivit, le servit encore quelque temps, puis se sépara de lui, avec trop d’éclat, disent les uns, avec tous les égards voulus, assurent les autres ; et certainement après avoir accompli au moins les devoirs essentiels que lui imposait une protection devenue vers la fin si compromettante et si ruineuse. […] Depuis Homère jusqu’à Milton, jusqu’au Tasse, jusqu’à Voltaire, je ne crois pas que le génie de l’épopée ait enfanté un poème qui ait paru dans un temps où l’on n’eût autre chose à faire que de le lire ; et beaucoup de difficultés doivent se réunir contre cette œuvre de l’esprit qui acquiert à son auteur la plus grande gloire dont l’homme soit susceptible.

632. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Ce qui est certain, c’est qu’en lisant les Commentaires de Montluc, il revit pour nous tout entier. « Il faisait beau l’ouïr parler et discourir des armes et de la guerre » ; ainsi disait en son temps Brantôme qui l’avait entendu, et nous, lecteurs, nous pouvons le redire également aujourd’hui. […] Montluc ne fait que courir sur ces premiers temps de sa carrière, et il a pour principe de n’insister que sur les affaires où il a commandé. […] Ses Commentaires, ainsi nommés très justement, sont dans sa pensée un livre tout pratique, destiné à instruire la jeune noblesse de son temps et à la former au métier des armes. […] Laissez l’amour aux crochets lorsque Mars sera en campagne : vous n’aurez après que trop le temps. […] Le reste de la ville et des habitants subit les conséquences d’une prise d’assaut irritée, telle qu’on la pratiquait en ce temps-là.

633. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Avant et après ce temps, il n’était que le lieutenant d’un roi allié : « Or là, dit-il, il ne me fallait pas faire le mauvais, car ils étaient plus forts que moi ; et fallait toujours gagner ces gens-là avec remontrances et persuasions douces et honnêtes, sans parler de se courroucer. […] le farouche, le bizarre, le colérique Montluc, sous l’empire d’un noble et puissant désir, fera tout cela ; la plus forte de ses passions refrénera pour un temps toutes les autres. […] Une négociation fut donc entamée et conclue entre les Siennois et le duc de Florence, Côme, « l’un des plus sages mondains, dit Montluc, qui aient été de notre temps. » Un article de cette capitulation concernait Montluc et ses troupes. […] Ce point de sa conduite a été critiqué dans le temps même, notamment par Brantôme, qui se fait en cela l’écho de plusieurs autres : il lui reproche d’avoir été plus cupide d’honneur que jaloux de l’intérêt général, et d’avoir plus songé à la singularité qu’à pourvoir à la sûreté de son monde ; car, en agissant ainsi, il semblait s’être mis à la merci du plus fort. […] Lieutenant de roi en Guyenne et révoqué par Charles IX, il se vit remplacé dans le temps même où il envoyait sa démission, ayant reçu au siège de Rabastens (1570) sa dernière et horrible blessure, un coup d’arquebuse qui lui perça les os de la face ou du nez et le força à porter le reste de ses jours un masque au visage.

634. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Mais, pendant ce temps-là, Schwarzenberg a fait des progrès, et s’est avancé le long de la Seine ; il est grand temps de l’arrêter et de le refouler à son tour, laissant donc Marmont à Étoges pour observer Blucher, qui a assez à faire de ramasser et de rejoindre comme il peut ses débris, il se porte lui-même en arrière et à la traverse pour rallier les autres maréchaux qui ont dû rétrograder. […] Il n’est plus question d’agir comme dans les derniers temps, mais il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93. […] Dans les dernières combinaisons stratégiques imaginées jusqu’à la fin de la lutte par Napoléon et qui consistent à enfermer plus ou moins les coalisés, à opérer sur leurs flancs et sur leurs communications, à les étreindre dans un cercle fatal d’où ils ne sortiront pas, il y a toujours une supposition et un sous-entendu qui frappe même les profanes comme nous et les ignorants dans l’art de la guerre : c’est que Paris, pendant ce temps, tiendra ferme, c’est que le point d’appui de tout l’effort, la clef de voûte ne cédera pas. […] Je ne pense jamais à ce temps où se discutait et s’agitait si vivement parmi nous le plus ou moins d’utilité des onze ou douze lieues de murailles et des seize citadelles dominantes, sans me rappeler les sentiments divers et soudains qui, dès le premier jour, partagèrent à ce sujet le monde politique et qui séparèrent des hommes habitués jusque-là à se croire unis. […] Avec sa lucidité sans pareille, elle constitue son originalité comme historien, et son cachet même entre les hommes politiques de son temps.

635. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Que restera-t-il des poètes de ce temps-ci ? […] Mais le temps marche si vite de nos jours, qu’on peut, dès à présent, apercevoir ses effets divers sur des œuvres qui, à leur naissance, paraissaient également vivantes. […] Poètes de ce temps-ci, vous êtes trois ou quatre qui vous disputez le sceptre, qui vous croyez chacun le premier ! […] Rien ne subsistera de complet des poètes de ce temps. […] Ô puissance du temps !

636. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Moins de six semaines après l’entrée en jeu de la première Fronde, il le dit énergiquement : Les peuples sont las quelque temps devant que de s’apercevoir qu’ils le sont. […] Ces procédés du temps de la Ligue lui font horreur ; il les laisse aux Seize et aux ambitieux sanguinaires. Il n’en a pas moins d’horreur que de Cromwell, dont il repoussera les avances, de même qu’il répugne de tout temps à une trop étroite et entière union avec l’Espagne. […] Il est vite obligé de réparer ces bons accès en faisant à son tour quelque proposition bien folle ; c’est ce qui marque très naturellement, dit-il, « l’extravagance de ces sortes de temps, où tous les sots deviennent fous, et où il n’est pas permis aux plus sensés de parler et d’agir en sages ». […] — Je sais qu’encore aujourd’hui, ajoute-t-il, les misérables gazettes (qui traitent) de ce temps-là sont pleines de ces ridicules idées.

637. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Le peuple ne trouve jamais le temps ni les moyens de se livrer à ce travail. […] Il est beaucoup plus observateur sociologue qu’historien et envisage plutôt l’état d’un temps que la suite des temps. […] Il était assez nouveau en son temps et très populaire. […] Il est temps d’examiner dans le détail comment il s’y est conduit. […] Il est singulier que nous voyions tant d’accidentel dans le temps où nous vivons et que nous n’en voulions plus voir dans les temps qui se sont écoulés avant nous.

/ 3963