Par exemple, si l’actrice qui joue le personnage de Pauline dans Polieucte étoit astreinte à suivre une declamation notée par un autre, cet assujetissement empêcheroit qu’elle ne mît dans quelques endroits de sa declamation les beautez qu’elle y jette ordinairement. […] En premier lieu, comme les acteurs qui recitent des opera ne laissent pas d’être touchez eux-mêmes en recitant, comme l’assujetissement où ils sont de suivre la note et la mesure ne les empêche point de s’animer, et par consequent de déclamer avec une action aisée et naturelle, de même l’assujetissement à suivre une déclamation notée dans laquelle étoient les acteurs des anciens, n’empêchoit pas ces acteurs de se mettre à la place du personnage qu’ils representoient.
La Fayette a eu si longtemps un rôle extérieur, et l’a eu si constant, si en uniforme j’ose dire, qu’on s’est habitué, pour lui plus que pour aucun autre personnage de la Révolution, à le voir par cet aspect ; habit national, langage et accolade patriotique, drapeau, pour beaucoup de gens La Fayette n’a été que cela. […] Sans prétendre suivre en détail La Fayette dans son personnage politique à dater de 89, j’aurai pourtant à parcourir ses Mémoires pour l’appréciation de quelques-uns de ses actes, pour le relevé de quelques-uns de ses portraits anecdotiques ou de ses jugements. […] Il y a là une différence essentielle ; et c’est ce qui nous doit rendre fort humbles, fort circonspects, nous autres simples écrivains, quand nous jugeons ainsi à notre aise des personnages d’action. […] Combien de fois n’ai-je pas entendu tel personnage célèbre nous faire, comme le plus piquant moraliste (complètement à son insu ou pas tout à fait peut-être), l’histoire de son défaut, de ce qui dans l’action l’avait fait échouer toujours ! […] On trouvera le personnage au complet dans ces Mémoires de La Fayette, surtout dans la lettre à M. de Maubourg (tome V), écrite à la veille du 18 brumaire.
Ainsi il marchait de torture en torture, et plus la position du personnage comique devenait plaisante, plus augmentaient les souffrances de cet infortuné. […] — a pris l’intrigue, l’idée première et les personnages principaux du Sicilien, dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais ! […] Quant au personnage de Célimène, ne demandez pas s’il appartient à la cour ou à la ville ; il est moitié l’un, moitié l’autre. […] Les divers personnages de la comédie s’y montrent enfin dans toute leur vérité. […] Elmire, dans ce drame terrible de L’Imposteur, c’est tout à fait le point lumineux autour duquel se dessinent à merveille le personnage hideux, et les personnages tristes ou gais, sérieux ou burlesques de ce magnifique et sombre tableau.
Il s’enfonça dans le personnage de censeur universel qu’il venait de faire applaudir. […] Ses émotions sont la cause finale de tout ce que pensent, disent et font les autres personnages. […] Sans doute, l’imitation pittoresque de son personnage ne dura que quelques générations. […] Il fallait pour ce personnage une lourdeur de sang qui n’est pas de chez nous. […] Ses personnages romanesques ou historiques sont de véritables chaos d’impossibilités morales.
C’est le cas des faits généraux, usages, institutions, objets, personnages, que l’auteur mentionne incidemment. […] Il suffit que plusieurs personnages aient assisté au fait, l’aient noté et que leurs écrits nous soient parvenus. […] Chacun de nous peut retrouver dans ses souvenirs la façon absurde dont il a conçu d’abord les personnages et les scènes du passé. […] Parmi les espèces de faits, les personnages, les sociétés bien connus (soit par l’observation directe, soit par l’histoire), on cherchera ceux qui ressemblent aux faits, au personnage, à la société qu’il s’agit d’étudier. […] On doit conserver les personnages et les événements qui ont agi visiblement sur la marche de l’évolution.
Plusieurs fois dans l’Odyssée, quand Ulysse ou Télémaque rencontrent à l’improviste un personnage grand et beau, ils lui demandent s’il est un dieu. […] Les personnages s’asseyent, se lèvent, se regardent en disant des choses ordinaires, sans plus d’effort que les figurines peintes sur les murs de Pompéi. […] Elle-même n’est d’abord que la fête religieuse, à la fois perfectionnée et réduite, transportée de la place publique dans l’enceinte fermée d’un théâtre, une succession de chœurs coupés par le récit et par la mélopée d’un personnage principal, analogue à un Evangile de Sébastien Bach, aux Sept Paroles de Haydn, à un oratorio, et une messe de la Sixtine dans laquelle les mêmes personnages chanteraient les parties et feraient les groupes. […] Il y en avait, et c’étaient justement les plus populaires, que le travail plus énergique de la légende avait détachés et érigés en personnages distincts. […] Cela fait un singulier contraste avec le style moderne qu’elle emploie lorsqu’elle parle en son propre nom ou fait parler des personnages cultivés.
Quant au personnage même de l’héroïne, quelques circonstances précieuses et consolantes dans la vie du poëte avaient rehaussé encore et achevé de perfectionner les traits. […] Quand il le dépouille et qu’il s’avance sans personnages et sans symboles, est-il plus à l’aise ? […] Cette manière de consacrer l’homme par l’idée, et de l’ériger en représentant mystérieux, va mieux, on le sent, aux personnages lointains qu’à des individus qu’on peut coudoyer. […] Il s’en retourna égaré à son banc, ayant voté la mort. — Ce qui est vrai de l’Homme sans nom l’est aussi à quelque degré, j’en suis certain, des personnages introduits ailleurs par M. […] Ce n’est pas en étudiant, par exemple, les fragments attribués à Orphée, qu’il s’est préparé à faire parler son personnage : de même dans les peintures qu’il nous donne de cet ancien monde, il n’a pas visé à retrouver en géologue l’aspect réel, persuadé que ce serait toujours un paysage très-aventuré.
Cette introduction renferme et révèle l’élément mystique, toujours présent et toujours caché dans la pièce ; secret divin, ressort surnaturel, suprême loi de la destinée des personnages, et de la succession des incidents que nous allons contempler. […] Si les personnages de ses drames sont des souffrants, c’est qu’il était, aussi, le contemporain affiné de nos pessimisme* ; il a, joyeusement, créé le monde nouveau de l’émotion artistique ; et il a créé l’émotion douloureuse, parce qu’il la trouvait plus réelle, et vivait, la créant, plus joyeux. […] Celui-ci, après avoir réfléchi pendant quelques jours, lui dit : « Vous voulez avoir mon sentiment : eh bien, en toute franchise votre Lohengrin me paraît un personnage très peu sympathique. […] Réunissons nos souvenirs sur l’impression que nous a produite ce personnage de Coriolan dans le Drame de Shakespeare ; et pour cela, dans tout le détail de l’action si complexe, prenons d’abord, seulement, ce qui nous a fait impression par rapport à ce personnage principal. […] Maintenant, si nous suivons avec attention la direction et le développement de ces motifs dans leur opposition mutuelle et dans leur caractère musical ; si nous laissons agir sur nous, pleinement, les détails purement musicaux constitués par les rapprochements, les séparations et les élévations de ces deux motifs ; nous suivrons, en même temps, un drame qui, dans son expression propre, contient tout ce que l’œuvre du dramaturge a pu nous donner seulement par le moyen d’une action complexe, et l’addition de personnages moins importants.
IX En un temps où tout personnage réputé wagnérien aime conter, sauves les vraisemblances, comment il fut des premiers wagnéristes français, les lecteurs de la Revue Wagnérienne me sauront-ils un gré, pour peu qu’ils se soient une fois souciés de ce que peut être le directeur et fondateur d’une telle revue, si je leur avoue être l’un des derniers venus du wagnérisme. […] L’anecdote du Parsifal étant en soi insignifiante, sera-t-elle donc admise comme symbole d’un drame humain — au même titre que le sujet d’un drame racinien est symbolique d’une action générale — et dans le Parsifal verra-t-on un drame, comme le Rheingold est un drame, comme Lohengrin, comme Fidelio, comme Alceste, un drame lyrique, un drame d’art complexe, un drame où des actions soient effectuées par des personnages imitant des types humains ? Dans le drame racinien, l’anecdote, eût-elle d’encore plus grandes magnificences d’écriture, n’est donc pas ce qui intéresse, mais le développement par elle symbolisé de psychologies ; et les noms de Bajazet, Roxane, Acomat sont un moyen de ne pas nommer les personnages algébriquement A. […] D’aucune façon le Parsifal n’apparaît tel ; dans le texte, il n’y a qu’anecdote ; dans l’ensemble du texte et de la musique, il ne peut y avoir qu’illustration d’une anecdote, ou musique additionnée d’une anecdote ; car le Parsifal, Amfortas, Kundry ne sont pas personnages humains ; ils n’ont pas de psychologie ; leur nature se modifie à chaque scène, ou plutôt n’est posée en aucune ; tous falots et irréels, Kundry, Parsifal, Amfortas ne répondent à rien d’humain ; ce n’est que mise en action d’un vague romancero religieux. […] Je me rappelle qu’au dernier an un esprit d’une très subtile et vive critique, assistant au Pasifal, exprimait que les personnages n’existaient point ; il disait notamment les insignes faiblesses du duo du second acte, l’homme subitement et immotivement illuminé et dès lors stagnant, la femme dont on ignore si elle est ou non d’elle-même attirée vers le garçon qu’elle appelle ; et il expliquait l’illogisme et le romantisme des trucs dramatiques ; et il s’étonnait de l’entière inutilité de tant d’accessoires ; réservant une admiration constante à l’orchestre, il méprisait intimement Parsifal pour un piètre mélodrame superbement décoré de symphonies : car ce subtil esprit — coupable seulement de se refuser par logiques de système à d’entiers côtés d’art — cherchait en le Parsifal et n’y pouvait trouver un drame.
Usant d’une série de moyens qui reviennent à indiquer un état d’âme momentané de la façon la plus sobre et en des mots dont le lecteur doit compléter le sens profond, il dit tantôt un acte significatif sans l’accompagner de l’énoncé de la délibération antécédente, tantôt la manière particulière dont une sensation est perçue en une disposition ; enfin il transpose la description des sentiments durables soit en métaphores matérielles, soit dans les images qui peuvent passer dans une situation donnée par l’esprit de ses personnages. […] De ces procédés, ce sont les moins artificiels qui subsistent dans l’Éducation sentimentale ; les personnages de ce roman sont montrés par de très légères indications, un mot, un accent, un sourire, une pâleur, un battement de paupières, qui laisse au lecteur le soin de mesurer la profondeur des affections dont on livre les menus affleurements. […] Certans personnages, Homais, mieux encore le formidable Regimbart de l’Éducation, exposent toute la platitude humaine, folâtre ou grognonne, en des individuations si complètes qu’elles peuvent être érigées en types. […] Comme M. de Maupassant le dit dans sa préface aux lettres de Flaubert à George Sand, même les romans, Madame Bovary, l’Éducation, bien que réalistes, pleins d’actes et de lieux précis, ont pour personnages principaux des êtres-si parfaitement choisis entre une foule de similaires, qu’ils représentent une classe, ou une espèce plutôt qu’un individu. […] Il faut par un effort d’esprit se transporter dans les personnages et non les attirera soi.
L’incontinence générale ne pouvait souffrir patiemment cette réserve de langage et de manières qui faisait ressortir son effronterie ; la décence gracieuse, du genre de celle de la marquise de Rambouillet, de Julie, des Sévigné, des La Fayette, importunait la cour, foyer de la dissolution générale, choquait les personnages importants de la capitale. […] Il prit ses personnages en province, parce que ce fut là qu’il les trouva ; il les prit dans une condition médiocre, parce qu’elle faisait mieux ressortir la vanité de leurs prétentions. […] Il n’en est pas de même de la dénégation d’écrivains qui ont cru se faire une place distinguée au temple de mémoire, en accusant de mauvais goût, des personnages de liante célébrité ; ils ont un grand intérêt à mettre à couvert leurs accusations sous une autorité telle que celle de Molière, et ont de bonnes raisons pour nier que Les Précieuses aient été représentées à Béziers, cinq ans avant de l’être à Paris. […] Mais comme c’est une vérité de l’art littéraire ou poétique observée par Voltaire, que ce qui fait rire au théâtre, ce sont les méprises des personnages, et que c’est une autre vérité recueillie par l’observation, que la méprise la plus risible et la plus ridicule consiste essentiellement dans la prétention manquée, il faut avoir plus d’esprit qu’il ne m’en appartient, pour reconnaître que Molière, ce grand maître de l’art dramatique, cet observateur profond, n’a exprimé ou sous-entendu ces vérités dans la préface des Précieuses que pour masquer un gros et plat mensonge sur ses intentions relativement à l’hôtel de Rambouillet. […] Taschereau dit aussi que « Molière, pour détourner de lui la colère de personnages puissants, crut devoir déclarer qu’il n’avait point en en vue les véritables précieuses, mais celles qui les imitaient mal.
Avouons que ce ne sont pas là des modèles ; avouons que Racine a donné ce modèle qui n’existait pas avant lui ; que dans Andromaque les grands crimes sont produits par les grandes passions, les intérêts clairement développés, habilement opposés l’un à l’autre sans se nuire et sans se confondre, expliqués par les personnages et jamais par le poëte ; que les moyens que l’auteur emploie ne sont jamais ni trop vils ni trop odieux ; que les ressorts sont toujours naturels sans être prévus, les événemens toujours fondés sur les caractères ; et convenons que Racine est le premier qui ait su assembler avec tant d’art les ressorts d’une intrigue tragique. Et cette autre partie du drame non moins importante ; cet art des moeurs et des convenances, qui enseigne à faire parler chaque personnage selon son caractère et sa situation, et à mettre dans ses discours cette vérité soutenue qui fonde l’illusion du spectateur, qui l’avait appris à Racine ? […] Un esprit juste, et une imagination souple et flexible, naturellement disposée à repousser tout ce qui était faux et affecté, à se mettre à la place de chaque personnage, voilà ce qui lui apprit à prêter à Andromaque, à Hermione, à Pyrrhus, à Oreste un langage si vrai, si caractérisé, qui semble toujours appartenir à leurs passions, et jamais à l’esprit du poëte. […] Si nous passons aux autres personnages, quelle bouillante activité dans le fils d’Achille ! […] Qu’il était beau d’oser introduire un pareil personnage, parlant de l’amour avec le plus grand dédain, à côté de cette Roxane qui en a toutes les fureurs !
Nous examinerons plus loin si cet avantage n’a pas été payé depuis trop chèrement, en nous privant d’un grand nombre de ressorts dramatiques ; toujours est-il vrai, que si les pères de la tragédie française n’ont pas créé beaucoup de personnages, ni de fables, on ne peut leur refuser une création immense, celle d’un système entier dont les formes majestueuses ne se sont pas altérées pendant deux cents ans. […] Ses personnages turcs, chinois, arabes ou américains, sont bien plus des Français, que les Grecs et les Romains de Racine et de Corneille, et comme ce sont des Français du siècle de Louis XV, au lieu d’être des Français du siècle de Louis XIV, leur langage est moins grand, moins pur et moins idéal Ce n’était plus devant madame de la Vallière, mais devant madame de Pompadour qu’ils parlaient. […] Assez longtemps, on nous a donné les mêmes tragédies sous des noms différents, assez longtemps, les continuateurs, exagérant ce qu’il y avait de défectueux dans nos chefs-d’œuvre sans en reproduire les beautés, nous ont montré des personnages antiques habillés à la moderne, ou des modernes parlant un vieux langage ; la tragédie française, d’imitation en imitation, est arrivée, à fort peu d’exceptions près, à ne plus être qu’un moule banal où l’on jette des entrées et des sorties extrêmement bien motivées, sans s’occuper de faire agir et parler les personnages d’une manière neuve et attachante. […] Ils dépensent tout ce qu’ils ont de poésie dans leur mémoire pour faire raconter un détail vulgaire, par un personnage subalterne, et lorsqu’arrivent les scènes de passion, ils n’ont plus que des lieux communs à nous débiter dans un style éteint, comme cet avocat des Plaideurs, Qui dit fort longuement ce dont on n’a que faire, et qui glisse sans qu’on s’en aperçoive sur le point essentiel.
Mais si on admire un grand poète dramatique parce qu’il a la force de s’effacer et de parler à travers le personnage d’un autre, que doit-on penser de Balzac, qui, pendant trente Contes plus longs qu’aucun drame, parle à travers la passion, les manières de voir et la langue vraie du xvie siècle ? […] … Le Moyen Âge, c’est-à-dire des casques à visières, des hennins, des cuirasses, des capuchons, des faucons sur le poing, qui ont leur physionomie de tapisserie ou de haute-lisse, qu’était cela quand il s’agissait des personnages, des passions et des drames de ces admirables récits ? […] … Doré, qui est un artiste vrai, a pensé, lui, à bien autre chose qu’à daguerréotyper tout le mobilier d’une époque, armes et bagages, et il s’est mis à peindre, en pied et en esprit, les divers personnages des Contes, puis, s’inspirant des différentes scènes de ce drame multiple, à composer des tableaux. […] Il y déploie un luxe d’imagination qu’il n’a point au même degré quand il s’agit de la physionomie de ses personnages. […] L’identité du personnage est dans l’air presque humain de ces incroyables panaches.
Il y a quelques années, on eût été assez embarrassé de répondre ; et, à voir les contradictions à son sujet, les enchevêtrements inextricables de la légende et de l’histoire, il y avait tel savant espagnol qui en était venu à un scepticisme complet sur la vie et sur l’existence même du glorieux personnage. […] Mais le vrai Cid ne ressemble presque en rien à celui de la légende, et cela est un second point, presque aussi constant que le premier en ce qui concerne ces personnages légendaires : c’est là un désaccord assez dépitant et désagréable, mais par où il faut en passer, quoi qu’il en coûte. […] Rodrigue, qui semble avoir été le personnage principal de l’armée, se trouva chargé, par suite de ce meurtre, de stipuler pour les Castillans avec Alphonse, qui redevenait roi. […] Personnage redouté, guerrier puissant, acharné, vrai démon, vrai diable à quatre, et qui sut se conquérir à lui seul une manière de couronne, deux faits surnagent et dominent dans sa vie d’exploits et de ruses, d’entreprises et de rapines : il a été, somme toute, et malgré ses alliances avec les mécréants, un reconquistador, un reconquéreur de l’Espagne sur les Arabes ; il reprit Valence et conçut le projet de faire plus encore ; — et aussi il fut l’objet de la part de son roi d’une persécution et d’une grande injustice, de laquelle il se vengea par des victoires réitérées, éclatantes.
Cette flatterie adressée à chaque ville où l’auteur pose ses personnages lui en vaut la conquête ; l’espérance qu’ont les villes encore obscures d’être bientôt décrites dans quelque roman nouveau prédispose pour lui tous les cœurs littéraires de l’endroit : « Il n’est pas fier au moins, celui-là ! […] La conclusion et la solution fréquente des embarras romanesques où M. de Balzac place ses personnages, c’est cette mine d’or dont il a la faculté de les enrichir ; ainsi dans l’Absolu, ainsi dans Eugénie Grandet, ainsi dans le conte du Bal de Sceaux où l’or de M. de Longueville est le ressort magique, le Deus ex machina. […] M. de Balzac, en effet, prodigue volontiers à ses personnages les termes de génie, comme il leur prodigue les trésors ; il ne laisse pas d’alternative entre le génie et tous les défauts. […] Cette prétention l’a finalement conduit à une idée des plus fausses et, selon moi, des plus contraires à l’intérêt, je veux dire à faire reparaître sans cesse d’un roman à l’autre les mêmes personnages, comme des comparses déjà connus.
Selon lui, les intentions quelconques, même des principaux personnages, les passions et intérêts individuels, ont leurs limites d’influence et ne sauraient contrarier ni affecter puissamment le système général de l’histoire. […] Dans le discours qu’il adressait à Léon X sur la réforme du gouvernement de Florence, ce grand homme (Machiavel) disait : « Les hommes qui, par les lois et les institutions, ont formé les républiques et les royaumes, sont placés le plus haut, sont le plus loués après les dieux. » En étudiant d’original cette variété de personnages qui viennent comme témoigner sur eux-mêmes dans le Recueil de M.Mignet, on en rencontre un pourtant, une seule figure à joindre à celles des grands politiques intègres et dignes d’entrer, à la suite des meilleurs et des plus illustres de l’antiquité, dans cette liste moderne si peu nombreuse des Charlemagne, des saint Louis, des Washington : c’est Jean de Witt, lequel à son tour a fini par être mis en pièces et dilacéré au profit de cet autre grand politique moins scrupuleux, Guillaume d’Orange ; car ce sont ces derniers habituellement qui ont le triomphe définitif dans l’histoire. […] Et en général, c’est quand un personnage s’identifie avec une idée, avec un système et une des faces de la pensée publique, que M.Mignet s’y arrête le plus heureusement et excelle à le peindre. […] C’est surtout quand cette rigueur de manière s’applique à des faits et à des personnages récents qu’on est frappé du contraste.
Un seul personnage ne pouvait suffire à la célérité et aux revirements toujours justes de son esprit mobile, empressé, accueillant. […] Écoutez-le disant à son frère cadet qui le consulte : « Ce qui est propre à l’un ne l’est pas à l’autre ; il faut donc faire la guerre à l’œil et se gouverner selon la portée de chaque génie… il faut exercer contre son esprit le personnage d’un questionneur fâcheux, se faire expliquer sans rémission tout ce qu’il plaît de demander. » Comme cela est joli et mouvant ! […] Son bon sens le sauva, tout jeune, de la superstition littéraire pour les illustres : « J’ai assez de vanité, écrit-il à son frère, pour souhaiter qu’on ne connoisse pas de moi ce que j’en connois, et pour être bien aise qu’à la faveur d’un livre qui fait souvent le plus beau côté d’un auteur, on me croie un grand personnage….. […] Le jugement en gros sur ces deux personnages, Et ce fut de moi qu’il partit, C’est que l’un cherche à plaire aux sages, L’autre veut plaire aux gens d’esprit.
Voulant traduire en faits les préceptes de l’Art d’aimer, et faire un roman didactique, il se souvint d’un poème latin du siècle précédent, le Pamphilus, où le poème d’Ovide est mis en action par quatre personnages, Vénus, le jeune homme, la jeune fille et la vieille : il prit à un Fabliau du dieu d’Amours le cadre du songe qui transporte l’amant dans le jardin du Dieu ; et, forcé par la tradition de donner un nom de convention à sa belle, il trouva, dans l’usage de donner poétiquement des noms de fleurs aux dames, plus précisément encore dans un Carmen de Roua et dans un Dit de la Rose, l’idée de représenter l’amante sous la figure de la Rose, c’est-à-dire l’allégorie fondamentale de l’œuvre, qui entraînait nécessairement toutes les autres allégories et personnifications. […] Tout élément individuel est soigneusement éliminé : il ne reste que l’amant et l’amante, types irréels : mais, la dame étant identifiée à la rose, il faut projeter hors d’elle tous les sentiments qui appartiennent à son personnage. […] Au fil de cette action ainsi distribuée par personnages se rattachent aisément tous les préceptes de l’amour courtois, tantôt traduits en faits, tantôt promulgués dogmatiquement par un des acteurs, surtout par Amour qui, comme suzerain, dicte ses lois à l’amant. […] D’une certaine vieille, que Guillaume de Lorris avait à peine présentée, Jean de Meung, détaillant avec énergie le caractère du personnage, a fait la digne aïeule des Célestine et des Macette, une figure hideusement pittoresque.
Il avait caché son moi : il ne l’avait pas ôté, comme dit Pascal : on le voit bien aux Mémoires, où il règle sans en avoir l’air les comptes de toutes ses rancunes, et compose son personnage pour la postérité. […] Enfin, quand il fut tout à fait certain que sa vie était finie, il se démit du cardinalat : humilité que le public admira, et qui découvrit au malin Bussy le secret du personnage. […] Ses Mémoires sont une des occupations décentes de ses dernières années : ils suffiraient à montrer que le personnage n’a pas changé. […] Mais il est à noter qu’il n’affadit pas son personnage : il lui arrive de se noircir à plaisir : il ne lui déplaît pas de montrer combien son âme est supérieure aux préjugés, aux vertus des âmes médiocres.
Le cadre populaire n’est pour lui, d’habitude, qu’un décor propice judicieusement interprété, mais dont le choix s’indique seulement par une préférence momentanée, un goût de personnages plus humbles après de brillantes ou de rares visions. […] En soi, peut-être ce dernier trait ne serait-il pas un très grand mal ; ce qui nous intéresse c’est l’homme en dehors de l’époque et du pays où vécut tel personnage ; que ce personnage fût italien, allemand, lapon, nègre ou malais, cela importerait peu si le Poète devenait à son gré lapon, malais ou italien, et s’il n’était tenté aussi de sacrifier l’esprit de son œuvre aux puérilités de la « couleur locale ». […] Et pourtant il est, lui aussi, le conteur de soi-même ; mais sur un mode tranquille et froid, à l’aide d’emblématiques personnages comme le Silence, la Nuit, la Tristesse, avec des mots vagues et voilés, qui gardent un doigt sur les lèvres ; le plus constamment usité d’entre eux est le mot taciturne.
Allons, nous voilà dans les mains un outil d’immortalisation pour ce que nous aimons, pour le xviiie siècle, et nous roulons projets sur projets de livres à figures, popularisant par l’estampe les hommes et les choses de ce temps : d’abord une série sur les artistes par fascicules et dont la première livraison, Les Saint-Aubin, s’imprime dans ce moment chez Perrin de Lyon ; puis un Paris au xviiie siècle, donnant les tableaux et les dessins inédits ; enfin les personnages célèbres peints au pastel par La Tour, les masques et les têtes reproduites dans leur grandeur nature. […] » ce glorieux personnage couronné de sa perruque, en grand et magnifique habit, avec ses brassards et ses cuissards de dorure et de broderie, sa cuirasse de rayons ! […] Il fixe le personnage royal, comme un grand acteur fixe un type au théâtre. […] Quand la feuille est venue, que nos personnages paraissent vivants, que notre dialogue nous semble une voix, nous sortons de ce papier, échappé de nos entrailles et que nous corrigeons avant de nous coucher, — nous sortons avec une vraie fièvre qui nous retourne deux ou trois heures, sans sommeil, dans notre lit.
De cette loge, les personnages de la scène ressemblent à des peintures en grisaille. […] Ça devait être, dans le même milieu et la même tonalité, une vieille fille dévote et chaste… Et puis j’ai compris que ce serait un personnage impossible. » En rentrant à la maison, nous trouvons notre manuscrit de Sœur Philomène que nous retourne Lévy, avec une lettre de regret, s’excusant sur le lugubre et l’horreur du sujet. […] Quant à une restitution morale, le bon Flaubert s’illusionne, les sentiments de ses personnages sont les sentiments banaux et généraux de l’humanité, et non les sentiments d’une humanité particulièrement carthaginoise, et son Mathô n’est au fond qu’un ténor d’opéra dans un poème barbare. […] Seulement, comme fait presque toujours Rembrandt, ce n’est pas avec du jour, un jour égal qu’il a éclairé sa toile, mais avec un coup de soleil qui tombe de haut et éclate en écharpe sur les personnages.
Quoique la scène soit en Arcadie, l’auteur fait ses personnages trop savans & trop instruits des grands systêmes de l’ancienne Philosophie. […] La reconnoissance y est bien amenée, & le changement d’état produit l’effet convenable à la Comédie, qui est de rendre tous les personnages contens. […] L’intrigue est naturelle, la scène animée par les actions qui s’y passent, les mœurs sentent l’antique ; le langage est noble & poétique sans être affecté, les personnages sont intéressans. […] Le rôle de Caton est fort au-dessus de celui de Cornelie dans le Pompée de Corneille ; car Caton est plus grand sans enflure & Cornelie, qui d’ailleurs n’est pas un personnage nécessaire, vise quelquefois au galimatias.
Clymène est ce que je vous disais, un conte fantaisiste en dialogue, où paraissent des personnages réels ou supposés, comme Clymène elle-même, et Acanthe qui est l’amoureux, qui est le poète amoureux, qui, évidemment, représente La Fontaine. Et, d’autre part, paraissent les personnages des dieux de l’ancienne mythologie, à savoir Apollon et les muses. […] Psyché écrit (comme un personnage de l’Astrée), écrit, au milieu de ses épreuves, les vers suivants sur les rochers d’un désert affreux qu’elle est forcée de traverser : Que nos plaisirs passés augmentent nos supplices ! […] Il joue un personnage de bouffon dans ce poème, et Molière n’a jamais eu, aux yeux de n’importe lequel de ses trois amis, le caractère d’un bouffon.
Mais, quel que fût l’effet du spectacle, ici l’éclat lyrique nuisait à la grandeur du drame, si pathétique entre deux personnages. […] On reste muet d’admiration, à ce mélange de merveilleux délire et de pathétique, devant ce personnage demi-surnaturel de Cassandre, et devant la pitié, la crainte tout humaine, exprimées par les femmes grecques qui l’entendent. […] Malgré cette simple douceur d’expression, à laquelle il se plaît, et ces personnages plus humains, dont il nous occupe, l’accent lyrique lui revient souvent ; mais il semble que, tempéré par la flûte, cet accent serve pour lui, non pas à l’effet redoublé du drame, mais à la diversion, au repos de l’âme du spectateur. […] Mais Aristophane n’avait pas connu cette entrave ; et, prodiguant la poésie comme le sarcasme dans tout le jeu de ses personnages, il avait réservé pour ses Chœurs des élans tout lyriques, même des hymnes à la louange des dieux, là où il ne s’en moquait pas.
Ses personnages, au lieu de vivre, de marcher et de se développer par leurs actions mêmes, s’arrêtent, se regardent, et se font regarder en nous ouvrant des jours secrets sur la préparation anatomique de leur cœur. […] Ce paysan est né observateur et moraliste : il lit à livre ouvert les physionomies et les visages : « Ce talent, dit-il, de lire dans l’esprit des gens et de débrouiller leurs sentiments secrets est un don que j’ai toujours eu, et qui m’a quelquefois bien servi. » L’auteur, en faisant faire à son personnage un chemin si rapide à la faveur de sa jolie figure, a échappé à un écueil sur lequel tout autre romancier aurait donné ; il lui a laissé de l’honnêteté et s’est arrêté à temps avant la licence. […] Les valets et les soubrettes de Marivaux, ses Frontin et ses Lisette ont un caractère à part entre les personnages de cette classe au théâtre.
Le portrait saillant, ineffaçable, qu’a tracé de lui Saint-Simon en sa fureur de peintre, reste dans les yeux, et empêche qu’on ne soit tenté de regarder le personnage en lui-même et d’une vue plus reposée. […] Il y eut depuis, sur la liste des Quarante, plus d’un personnage revêtu de cette éminente dignité militaire, les maréchaux de Richelieu, d’Estrées, de Belle-Isle, de Beauvau ; mais il fut le premier maréchal de France qui, en possession du bâton, eut cette idée gracieuse sous Louis XIV de vouloir être de l’Académie. […] Le père de Villars dans sa jeunesse, par sa tournure ou ses sentiments, donnait à ses enjouées contemporaines l’idée de cet intéressant personnage, et le nom lui en était resté.
Il y a dans Bussy plusieurs personnages qui se compliquent et qui se nuisent l’un à l’autre, en même temps qu’ils doivent nuire à la parfaite naïveté de sa parole. […] Il en est un peu de cet art d’esprit comme de la toilette des personnages, desquels Bussy remarque volontiers qu’ils ont bien de la propreté ou qu’ils sont malpropres, ce qui ne veut pas toujours dire qu’ils se mettent bien ou mal ; cela veut dire qu’ils se soignent ou ne se soignent pas, et suppose qu’il y avait une certaine moyenne de propreté qui n’était pas alors en usage et de rigueur. […] Saint-Évremond au fond est un épicurien, et il est cela avant tout ; les circonstances tournant autrement, il aurait pu paraître un tout autre personnage sans doute, mais il avait en lui essentiellement l’étoffe d’un philosophe d’indifférence et de plaisir, d’un observateur souriant et ferme qui compare, qui apprécie la valeur des choses et s’en détache autant qu’il lui sied.
Quelle démonstration plus sensible de la beauté et de la vérité du personnage tout historique de Jésus que ce premier Sermon sur la montagne ! […] On reprochait à Aristote d’avoir secouru un homme qui ne le méritait pas : « Ce n’est pas l’homme que j’ai secouru, répondit-il, c’est l’humanité souffrante. » L’imagination de Platon avait fait plus et semblait s’être portée spontanément au-devant du christianisme : on le voit, dans un de ses dialogues, se plaire à figurer en face du parfait hypocrite, honoré et triomphant, le modèle de l’homme juste, simple, généreux, qui veut être bon et non le paraître : « Dépouillons-le de tout, excepté de la justice, disait un des personnages du dialogue, et rendons le contraste parfait entre cet homme et l’autre : sans être jamais coupable, qu’il passe pour le plus scélérat des hommes ; que son attachement à la justice soit mis à l’épreuve de l’infamie et de ses plus cruelles conséquences et que jusqu’à la mort il marche d’un pas ferme, toujours vertueux, et paraissant toujours criminel… Le juste, tel que je l’ai représenté, sera fouetté, mis à la torture, chargé de fers ; on lui brûlera les yeux à la fin, après avoir souffert tous les maux, il sera mis en croix… » C’est une vraie curiosité que ce passage de Platon, et même, à le replacer en son lieu et à n’y chercher que ce qui y est, c’est-à-dire une supposition à l’appui d’un raisonnement, sans onction d’ailleurs et sans rien d’ému ni de particulièrement éloquent, ce n’est qu’une curiosité. […] Remonter, comme quelques-uns l’ont voulu, pour les types et figures des personnages sacrés, aux peintres antérieurs à Raphaël, c’est à peine se rapprocher des temps évangéliques ; c’est retomber, moins par simplicité que par système, dans les tâtonnements, les roideurs et les gaucheries du pinceau.
Napoléon est-il un personnage d’épopée ? […] Comme ces empereurs romains que la mort incontinent faisait dieux, suffit-il à nos personnages historiques de mourir pour être faits tout aussitôt idées ? […] Non pas que le livre des Niebelungen ait rien de vague, pris en lui-même ; mais le vague a lieu par rapport aux personnages historiques qui y figurent.
En un mot, un peu de Caverly répandu çà et là, à diverses doses, sur tous ces personnages, ne ferait pas mal : c’est ainsi dans la vie. […] Au reste, nous demandons peut-être là quelque chose de contraire à la construction habituelle de ce genre de comédie, qui, à l’aide de personnages calqués à distance sur la vie et plus ou moins artificiellement découpés, tient surtout à produire des effets de réflexion, des développements moraux, des observations spirituelles ou de nobles leçons exprimées en beaux vers. […] Les vers spirituels abondent ; le piquant personnage de Caverly est là tout à point pour en semer la pièce.
La seconde question est indiscrète, car elle demanderait une réponse prolixe, à savoir la liste des quarante personnages en question, ce qui, de plus, est bien difficile. […] Toutefois, dans son ensemble, elle est encombrée de personnages médiocres. […] Rosny aîné estime que « dans son ensemble, elle est encombrée de personnages médiocres » et qu’elle a « une tendance fâcheuse à nommer des hommes influents ».
Or, le savant déçu par la science, même poursuivie avec succès, est aussi dramatique personnage que l’artiste heureux dégoûté de son art. […] Il est typique qu’elle n’éveille pas une minute le sourire ; c’est une marque singulière des progrès de l’occultisme, qu’un roman dont le personnage essentiel est fantômal ne nous interloque nullement. — Je reprocherai à l’auteur d’avoir fait à la science un procès mesquin (chapitre VII). […] L’histoire de leur propagande nous conduit chez un lord anglais, chez un ex-ministre allemand, chez le Tzar et chez le roi de Prusse ; ces divers personnages successivement se laissent persuader et vont travailler à la régénération de l’élite et par l’élite.
Byron n’a pu soutenir jusqu’au bout son personnage de dandy et encore moins celui que l’on avait appelé « Mademoiselle Byron » : Alfred de Musset. […] Comme il déguisait sa pensée, il déguisait son personnage. […] Pourtant il doit soutenir son rôle jusqu’au bout. » Le tort de Wilde ou son excuse, selon le point de vue où l’on se place, c’est de n’avoir pas pu soutenir jusqu’au bout son personnage.
Pour faire vivre un personnage, il faut le vivre soi-même. […] Mais ses personnages sont toujours lui-même, ce qui justifie le procédé.
Comment par exemple ne pas reconnaître comme une ébauche de Mirabeau dans son père l’Ami des hommes, cet original personnage dont la fougue, l’énergie, la ténacité soutiennent une lutte si terrible, avec les qualités semblables de son fils ? […] Nous remarquons, en lisant les tragédies de Racine, que tous ses personnages ont toujours un langage noble ; qu’ils gardent, même dans la passion, un sentiment profond des bienséances ; qu’Achille en fureur, que Néron prêt au crime, enveloppent de politesse leur colère et leurs desseins de meurtre ; que Mithridate expire avec une majesté théâtrale ; qu’un enfant comme Joas, qu’une nourrice comme Œnone, parlent en termes choisis où ne détonne aucune expression basse ou vulgaire ; que, en dépit d’une amitié restée proverbiale, Pylade ne tutoie pas Oreste (par lequel il est tutoyé), parce que l’un est simple citoyen, et l’autre héritier du trône d’Agamemnon.
Tout y a sa voix et son personnage, comme dans un drame, avec ces jolies appellations, entre strophes, Les Fleurs, L’Esprit des montagnes, Les Moissonneurs, Bertha, Rosa mystica, etc., appellations que je conçois bien dans un drame fait pour être joué, mais qui me troublent lorsque je lis de la poésie lyrique qui devrait se couler d’un seul jet comme une glace de Venise, et non pas se juxtaposer par morceaux. […] Nous n’avons pas, comme M. de Laprade, l’esprit des sommets, qui finit par devenir un personnage dans son livre, et qui n’est pas seulement, comme on pourrait le croire, le vent de la montagne : car le vent est quelquefois spirituel.
Les personnages qu’elle consacre, moins saillants que ceux des temps fabuleux, se montrent tels qu’elle les vit, effacés dans le frottement des intrigues d’état. […] Les poètes s’appliqueront donc à choisir les époques où les mœurs reluisent de tout leur éclat : mais quelles que soient celles qu’ils représentent, ils sont certains d’attacher la curiosité en les traçant avec détail, et d’une manière conforme aux temps, aux lieux, et aux personnages. […] Milton, de qui la fable n’exigeait que deux acteurs humains, a trouvé dans son génie inventif l’occasion de faire un dénombrement de personnages imaginaires afin de signaler leurs traits et leurs mœurs. […] Alors le chantre de Roland, exagérant à sa guise les mœurs extravagantes des chevaliers et les mœurs cavalières des dames, conformera la vie et les coutumes adoptées par ses paladins à l’existence imaginaire des fantastiques personnages qui les seconderont de leur entremise dans leurs prouesses ridicules. […] Les épisodes du chant suivant portent l’empreinte d’une douce mélancolie qui, charmant et reposant le lecteur, signalent aussi bien la vive sensibilité du poète que son rare talent à les conformer au sujet, aux personnages et aux époques célébrés par son génie.