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1033. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

On les regarde, on sourit, on rougit, et on passe. […] Toute la jeunesse aristocratique de Rome y passait quelques années, occupée à entendre les cours de philosophie, de poésie, d’éloquence, de la bouche des plus célèbres pédagogues. […] Je passe des jours entiers avec lui et quelquefois une partie des nuits, car je l’engage le plus souvent que je puis à souper. […] Épicrate, l’homme le plus considéré dans Athènes, Léonidas et plusieurs personnes du même rang passent une partie de leur temps avec moi. […] Horace, maintenant rallié, célébrait quelquefois ses exploits en vers pindariques ; il passait de l’élégie à l’ode comme le musicien consommé d’une corde à l’autre sur le même instrument.

1034. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

C’est dans la vie du grand démocrate qu’il faut chercher, à travers quelques mensonges, la vérité sur l’écrivain et sur ses œuvres, avant de passer à l’appréciation de ses principes. […] Rousseau pousse l’exigence du parvenu jusqu’à vouloir dîner, malgré son ambassadeur, avec les têtes couronnées qui passent à Venise et qui invitent à leur table l’ambassadeur de France. […] Dans un voyage à Genève, il passe avec Thérèse à Chambéry comme on repasse sur les traces de sa jeunesse dans un jardin couvert de ronces ; il y trouve madame de Warens dans l’abandon et dans la misère ; sa pitié est froide comme un passé refroidi. […] Le grand historien anglais Hume a pitié de ses agitations : il se dévoue à le conduire en Angleterre et à lui trouver, avec une pension du roi, un asile champêtre dans le plus beau site du royaume pour passer en paix le reste de ses jours. […] Dieu n’a pas voulu que, dans la science expérimentale par excellence, qui est la politique, la société pût réaliser ses rêves et se passer de l’épreuve du temps, de la connaissance des hommes, des leçons de l’histoire et du contrôle des réalités.

1035. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Les faits accomplis ont eu raison d’être, et, si l’on peut en appeler contre eux, c’est à l’avenir, jamais au passé. […] Il passe un vent tiède et humide, qui distend toute rigidité, amollit ce qui tenait ferme. […] L’orthodoxie, au contraire, pétrifiée, stéréotypée dans ses formes, ne peut jamais se départir de son passé. […] Tous les arguments tirés du passé pour prouver l’impuissance de la philosophie ne prouvent rien pour l’avenir ; car le passé n’a été qu’une introduction nécessaire à la grande ère de la raison. […] Des récits qui feraient sourire, si on les donnait comme contemporains, passent grâce à la fantasmagorie de l’éloignement.

1036. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

De là il passa en Angleterre. […] Il la faisait revivre cette jeunesse entre la mort et lui pour se retenir encore à la vie par les perspectives en arrière du bonheur passé. […] Je ne voudrais pas passer l’âge de Raphaël, de Mozart, de Weber, de la divine Malibran !  […] Il avait passé sans secousse d’un monde à l’autre ; son dernier souffle n’avait pas été entendu. […] Que t’importe à toi ce qui passe dans la rue, pourvu que l’or roule, que le verre écume, que la courtisane chante, et que la baïonnette étincelle au soleil ?

1037. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Tous ceux qui me voient passer desserrent les lèvres pour rire de moi et secouent la tête avec dérision ! […] « Réveille-toi, ma gloire passée ! […] « À l’aurore elle fleurit et passe, le soir elle est desséchée et morte ! […] Mais il n’y a plus de chant dans le cœur de l’homme ; les lyres restent muettes, et l’homme passe en silence, sans avoir ni aimé, ni prié, ni chanté. […] Ce sentier suit la vallée de Josaphat et passe entre le tombeau d’Absalon et la fontaine de Siloé.

1038. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

L’âge de l’inspiration épique, et même chevaleresque est passé. […] N’étant pas un méchant homme, il trouve excessif de passer au fil de l’épée toute une population désarmée, les enfants et les femmes : mais il ne faut pas lui demander plus. […] C’est un voyant : il ne fait qu’appeler les images qui passent en lui. […] Eustache Deschamps passe pour un élève de Machault. […] Ils n’ont souci que du résultat, aussi passent-ils par-dessus toutes les convenances, tous les scrupules de goût.

1039. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Passons en revue tous ces griefs. […] Pour ma part, j’en passerais bien d’autres à Racine. […] De même de certains grands hommes ; et cela ferait honneur à ceux qui ont ces exigences, si ces mêmes censeurs ne passaient tout à d’autres grands hommes qu’ils trouvent plus à leur gré. […] Du moins cela saute-t-il assez aux yeux pour se passer d’explication   Dépêchons-nous de dire que M.  […] Je sais qu’on se passe aujourd’hui volontiers de cette clarté suprême.

1040. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Passons à Ibsen. […] Puis il y a le passé russe, le passé anglais, le passé norvégien, les traditions, les mœurs publiques et privées, la religion, et la marque de tout cela imprimée aux cerveaux norvégiens, anglais et russes. […] Plus patients  non point peut-être plus pénétrants, mais d’une plus grande endurance, si je puis dire, dans la méditation ou l’observation  plus capables de se passer eux-mêmes de divertissement, ils s’adressent à des lecteurs qui ont moins besoin que nous d’être amusés. […] Tout le sérieux, toute la substance morale de Georges Eliot semblent avoir passé dans les profondes études de M.  […] Et si ce n’est point, comme chez Tolstoï, pour notre conversion ou notre édification, c’est que la vanité des choses peut prêter à des conclusions extrêmement différentes, ou même se passer de conclusion.

1041. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Les hauts faits du présent réveillèrent les légendes épiques du passé. […] Déjà il a passé au cou de la mer un joug de nefs liées par des cordes et fixées par des clous d’airain. […] Il ne passe plus maintenant hors de ses longs plis que la tête épargnée du Roi et quelques membres mutilés de l’armée détruite. […] » — « Avec les deux : l’armée avait une double face. » — «  Et comment l’armée de terre a-t-elle passé la mer ?  […] Il parle aux Vieillards d’une rive à l’autre ; le fleuve de la vie qu’il a passé roule entre eux.

1042. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Je passe une partie de la nuit à vous écrire. […] Là nous passerions dans notre souvenir tous les événements qui ont changé la face des nations. […] Tout passe, et il ne reste de solide et de consolant que le souvenir du bien que l’on a fait. […] On peut s’y passer d’habits. […] Nous passâmes au milieu et vîmes au loin Gomère, Palma et le célèbre pic de Ténériffe qui ressemble à un téton.

1043. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Si de la prose nous passons à la poésie, nous retrouverons les mêmes symptômes et l’application invariable des mêmes règles, mais bien plus frappante encore, parce que (le théâtre excepté) le siècle de Louis XIV et celui de Voltaire ne sont pas, à beaucoup près, aussi grands ni aussi complets dans la poésie que dans la prose. […] Les censeurs classiques et moroses qui ne cessent de vanter le passé au préjudice du présent, ont également tort et raison. […] Si nous passons à l’Odéon, nous trouvons en première ligne des tragédies qu’on y a représentées, les Macchabées, ouvrage fort remarquable de M.  […] Nous pouvons affirmer que le ton, la couleur, toute la poésie du poète allemand a passé dans l’œuvre du poète français ; c’est une tragédie d’un intérêt puissant et d’une exécution parfaite. […] Comme l’a fort judicieusement observé le Globe, dans un des excellents articles qu’on y rencontre souvent : « Le temps des imitations est passé.

1044. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Déjà il passe pour démontré qu’il y a plusieurs familles de langues comme il y a plusieurs races d’hommes. […] Les langues sont douées d’une force de transmission qui peut se passer heureusement de tout cet appareil, et qui va toujours droit à son but, parce que Dieu a fait de toutes les langues le lien sympathique et mystérieux des esprits. […] La voici : « Les langues du nord de l’Europe n’avaient à l’origine que deux temps simples, le présent et le passé, et elles manquaient de futur ; tandis que les langues de l’Asie occidentale, qui paraissent originaires de l’Afrique, manquaient de présent, n’ayant également que deux temps simples, le passé et le futur. » M. de Bonald, frappé de cette anomalie qu’il a crue particulière à la langue hébraïque, langue qu’il regarde comme fidèle expression de l’homme, M. de Bonald a dit fort bien : « Le temps, pour l’homme civilisé, toujours agité de regrets et de désirs, le temps n’est jamais qu’au passé et au futur. » Mais M. Fabre d’Olivet nie que dans les langues sans présent, surtout dans l’hébreu, le passé et le futur fussent des temps aussi déterminés que dans nos langues actuelles. C’était le sentiment de la continuité d’existence, qui allait du passé au futur, et qui alors embrassait le présent.

1045. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Au conclave même, il passait pour un jésuite, sous son froc de Cordelier. […] Les plus intelligents parmi les hommes passent leur vie à les mépriser, à n’en pas écouter la voix ! […] Le temps propice n’est pas encore arrivé pour vous, il viendra et il passera pour les autres. […] L’histoire du passé tonnait dans leurs esprits comme une lugubre prophétie. […] Alors on comprend les mots du Jésuite à ses frères : « Le temps propice n’est pas encore arrivé pour vous, il viendra et passera pour d’autres.

1046. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Lorsqu’en 1782 un généreux anonyme, qui n’était autre que le respectable M. de Montyon, pria l’Académie d’agréer la fondation d’un prix de vertu et de louer publiquement le fait le plus vertueux qui se serait passé depuis deux ans à Paris ou dans le rayon de la banlieue, les plaisanteries ne manquèrent pas ; on essaya du ridicule. […] C’est au point qu’après huit ou dix nuits, et quelquefois plus, passées au chevet des malades, elle a toujours trouvé assez de force et d’énergie pour ne pas prendre ne fût-ce qu’un quart d’heure de repos sur le temps dû à l’école. […] De la commune rurale nous passons à la grande ville. […] Bien des années se passèrent avant qu’il pût réaliser ce vœu qui lui était cher ; ce ne fut qu’en 1849-1850 qu’il lui fut donné de l’accomplir. […] Je voudrais être homme de droit, Messieurs, et avoir qualité pour vous signaler avec précision en quoi la présente loi corrige et améliore la législation précédente ; en quoi aussi elle innove et rompt assez gravement avec le passé.

1047. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Quoi qu’il en soit, en quittant la France, La Mennais ne partit point pour les colonies et se contenta de passer les Cent-Jours à Londres. […] Nous assistons à une crise nouvelle, une des plus mémorables qui se puissent passer dans une âme de cette volée et de cette puissance. […] Peu importe après tout comment se passe le peu qui me reste de vie. […] Que s’est-il passé dans cette âme ? […] Plus libre, il aurait passé sa vie à chercher sa vocation sans la trouver davantage.

1048. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

On ne saurait mieux étudier ces qualités de près et au complet que chez un écrivain de nos jours, âgé d’un peu plus de quarante ans, le plus distingué, sans contredit, et le plus original des prosateurs du pays de Vaud passés et présents, chez M. […] Il accepta et revint ensuite à Lausanne passer ses examens de ministre et recevoir la consécration. […] Les habitudes intérieures du devoir, de la règle morale, ont passé sur son style, en ont déterminé l’allure, et sans doute la marquent trop par endroits19. […] Il passe en revue toute la littérature française, depuis Villehardouin jusqu’à M. de Chateaubriand, et en insistant avec continuité sur les trois siècles littéraires. […] » Ainsi c’est le passé !

1049. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Mais aucun, peut-être, ne marque davantage en lui cette qualité, qui met le cachet à toutes les autres, que l’homme de mérite et de haut talent duquel notre série73 ne saurait plus longtemps se passer. […] Élevé d’abord au collége de sa ville natale, il y terminait sa quatrième, lorsque passèrent des inspecteurs ; le résultat de leur examen fut de faire nommer le jeune élève demi-boursier au lycée d’Avignon, où il alla achever ses études. […] Montesquieu, sans aller jusqu’au sens mystique, croyait également à des lois dans l’histoire ; tous les esprits supérieurs les aiment au point de les créer plutôt que de s’en passer. […] Mais on ne saurait non plus, par le besoin de tout bien savoir, se réduire désormais à ce régime d’histoire purement diplomatique, dont l’objet est surtout d’enregistrer les textes et de faire passer avec continuité sous les yeux la teneur même des dépêches, actes et traités. […] Si habilement et si artistement tissu que soit le filet, les hommes et leurs intentions, et les mille hasards de leur destinée passent de toutes parts au travers, et la présence même du réseau d’airain ne sert qu’à faire mieux apercevoir ce qu’il ne parvient pas à enserrer.

1050. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Près de trois mois se passèrent durant lesquels l’état de ma santé me retint chez moi, et il n’y eut d’ailleurs au Sénat, dans cet intervalle, que des discussions d’un intérêt étranger à la question précédemment soulevée. […] Je vais réveiller des tempêtes, je passerai vite. […] Balzac aussi figure sur la liste maudite : il y passe tout entier avec toute son œuvre. […] Il ne doit point passer pour tel. […] Il se crée lentement une morale et une justice à base nouvelle, non moins solide que par le passé, plus solide même, parce qu’il n’y entrera rien des craintes puériles de l’enfance.

1051. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Vous diriez une figure d’André Chénier, passée du demi-jour de l’élégie à la lumière de la scène. […] De Salomon à Byron, de Lucrèce à Chateaubriand, sa coupe léthargique passe, de main en main, inépuisable et fatale, comme le flambeau même de la vie. […] De la fantaisie franche, elle est passée à la comédie grave ; des traits sérieux se sont mêlés aux francs éclats de son rire. […] Clorinde n’a pas vieilli, quoiqu’elle soit déjà passée à l’état d’aïeule. […] L’action se passe sous Louis XIII.

1052. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

— il faut qu’il se soit passé dans le cœur de cet homme-là quelque chose de bien monstrueux. […] le fait a passé absolument inaperçu. […] En Grève, en plein jour, passe encore ; mais à la barrière Saint-Jacques ! […] Qui est-ce qui passe là ? […] L’édifice social du passé reposait sur trois colonnes, le prêtre, le roi, le bourreau.

1053. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Mobile à l’excès, il passe sans rougir par toutes les contradictions, et se laisse emporter au flux et au reflux de l’opinion. […] Cette rémunération des auteurs s’accomplit de nos jours sous une forme toute particulière et essentiellement distincte de celle des temps passés. […] L’homme ne vit pas seulement de gloire, la bouche la plus éloquente ne peut se passer du pain de chaque jour. […] Qu’il y paraisse avec le prestige, d’un noble caractère, et, s’il le peut, avec l’éclat de la gloire : le monde estimera celui qui pourrait conquérir la richesse et qui sait s’en passer. […] Les lettres savent fort bien se frayer seules leur route et se passer de l’appui du pouvoir.

1054. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Peut-on en dire autant de tous ceux, sans exception, qui passent pour écrivains et sont comptés dans la « littérature » ? […] Et sur deux chemins parallèles qui coupaient la vallée, au bas de la colline, deux hommes passèrent. […] Tout récemment, un jeune écrivain, parlant déjà de l’école naturaliste au passé défini, comme d’un événement des siècles disparus, disait : « Ce fut le défaut des réalistes de goûter une volupté à surprendre les hommes en flagrant délit d’ignominie2. » Ce jeune avait peut-être tort d’employer un passé d’un recul si profond, mais il avait raison en signalant ce défaut littéraire qui n’est autre chose — il n’est pas inutile de le remarquer — qu’un défaut de sympathie véritable pour l’objet qu’on dépeint. […] C’est l’enfance, l’âge mûr, parfois l’existence entière du héros qui passe sous nos yeux, longues périodes où il y a des chances pour que chaque lecteur reconnaisse quelque trait de sa propre histoire. […] Tout au plus seront-ils, en face des clartés et des harmonies de la phrase, comme ces marins et ces paysans, incapables de raisonner de la beauté de la campagne ou de la mer, mais qui l’aperçoivent obscurément, et l’aiment jusqu’à ne pouvoir s’en passer.

1055. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

» Ici même il s’élève à des idées qui ne lui sont nullement étrangères, mais qu’on n’est point accoutumé d’associer à son nom ; il a des accents qui partent de l’âme : Si les hommes n’étaient pas ingrats, dit-il, je leur passerais la folie, l’inconséquence, l’humeur et toutes les autres imperfections qui dégradent un peu l’humanité ; mais il est dur de ne pas recueillir le fruit de ses bienfaits. […] Cependant les deux années et demie que Bernis eut à passer à Venise lui parurent extrêmement longues. […] Il est presque toujours dangereux de vouloir les forcer ; on n’y gagne que des tourments qui s’accroissent à mesure que nos espérances semblent s’éloigner, et c’est ainsi que l’on passe sa vie, sans y trouver un moment de satisfaction. […] La première année, il dépensa vingt-trois mille francs au-delà ; c’étaient sans cesse des princes ou princesses d’Allemagne, des personnages de marque qui passaient à Venise en visitant l’Italie, et qu’il fallait traiter. […] Pendant cette année si occupée, durant laquelle il met la main aux grandes affaires et qui précède son entrée au ministère (1756-1757), il n’est plus cet homme maladif et languissant de Venise qui a la goutte au genou, et dont la vie se traîne de fluxion en fluxion : il veille, il se prodigue dans le monde, il passe une partie des nuits à jouer, faisant semblant de s’y plaire, pour mieux cacher son autre jeu ; car il n’est pas ministre encore ; la négociation secrète qu’il mène se conduit en dehors du cabinet, et ceux qui sont en place le surveillent : au milieu de tous ces soins, il ne s’est jamais mieux porté.

1056. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

La Normandie est une province qui, de tout temps et dès qu’elle s’est senti un passé, s’est volontiers occupée de ses antiquités et de ses grands hommes : elle n’a cessé de vivre d’une sorte de vie qui lui est propre et qui ne la rend que plus française. […] N’est-ce pas lui qui a fait ces vers délicieux qui expriment comme dans un regret rapide et sobre les premières grâces de la vie : Tout le plaisir des jours est en leurs matinées ; La nuit est déjà proche à qui passe midi. […] Et bientôt, après quelques mots sur la fragilité de la fortune, sur la vanité des poursuites de l’ambition, il passe à la description des délices des champs ; et de cette peinture tant de fois célébrée, il tire une inspiration naturelle, large et durable. […] Il passe ses instants de loisir à polir durant des années des épigrammes de toutes sortes qu’il emprunte à Martial, à Catulle ou à de moins dignes, à correspondre avec les académiciens en renom, avec son voisin Balzac, « l’incomparable ermite de la Charente », avec les illustres de Paris, Chapelain, Gomberville et autres : il leur prodigue les louanges pour qu’ils les lui rendent ; il cherche à se rattacher à ceux qui vivent, et à ce qu’on dise de lui le moins possible feu Maynard. […] L’Alter ab undecimo… de Virgile est assez naïvement imité en ces vers : Je n’avais pas douze ans, quand la première flamme Des beaux yeux d’Alcidor s’alluma dans mon âme : Il me passait d’un an, et de ses petits bras Cueillait déjà des fruits dans les branches d’en bas.

1057. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Il regarda comme de dessus un pont intérieur le fleuve qui passait en lui et qui n’était autre chose que lui. […] Nous allions de pair l’année dernière ; il faut désormais que j’apprenne à me passer de considération publique, de renommée, et que je me couvre du manteau philosophique en prenant pour devise : Bene qui latuit bene vixit. […] Maine de Biran est de ceux qui passent leur vie à se creuser un puits artésien en eux-mêmes : l’eau ne vint que tard et pas abondamment. […] Maine de Biran veut encore davantage, il aspire à dire avec le chrétien parfait : « Douleur, tu es mon bien » — « Car, remarque-t-il délicatement, c’est le trouble et non la souffrance qui nuit à l’âme. » Tout cela ne se passe pas en un jour chez Maine de Biran, mais dure des années. […] Bien d’autres ont passé par le même chemin, mais il y procède à sa manière, il y parle avec son accent.

1058. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Il se remet cependant presque aussitôt, et il proteste à Mirabeau qu’il n’est pas si homme de livres que son ami se le figure : Je ne passe point ma vie sur les livres, comme vous avez la bonté de le croire pour justifier ma retraite. […] Il vint un temps où Mirabeau n’eût plus été admis à dire à Vauvenargues : « Aimez vos amis avec leurs défauts ; je vous passe trop de sagesse, passez-moi le contraire. » Ce n’est pas toujours le rôle de Vauvenargues de recevoir des conseils ; il aime et excelle à en donner. […] un homme de condition est-il bien placé de passer les plus belles années de sa vie à Verdun ? […] Si les plaisirs vous dominent, suivez-les ; mais songez que le temps se passe. […] Passons là-dessus, je veux bien ne pas rappeler nos querelles ; mais soyez bien persuadé qu’il me serait plus facile de justifier ma conduite, qu’à vous de colorer la vôtre.

1059. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

C’est là, dans un riant asile, partagé entre l’étude et les soins du cultivateur, que se passa, non sans quelques épreuves gaiement supportées, la première jeunesse de Sismondi, de 22 ans à 27. […] Déjà introduit dans le monde de Mme de Staël à Coppet, présenté par elle à tout ce qui y passait de distingué, l’accompagnant dans ses voyages d’Italie et d’Allemagne, Sismondi fut à même de développer dans tous les sens sa bonne, loyale et intelligente nature ; il ne put manquer aussi, grâce au frottement continuel, de s’y aimanter et de s’y aiguiser. […] Tantôt il était trop enthousiaste, tantôt ébloui et comme abasourdi de ces passes d’armes continuelles et de ce cliquetis de discussions ; parfois aussi il souffrait tout bas de ne pas assez briller entre les jouteurs, de ne pas être assez compté dans le tous-les-jours et assez écouté. […] Mme d’Albany, toutefois, lui passait l’une de ces critiques plus que l’autre, et à propos de la fameuse brochure des Deux Phèdre qui souleva toute la presse littéraire de Paris en 1807, et dans laquelle la Phèdre de Racine est si complètement sacrifiée à celle d’Euripide, elle s’était exprimée avec assez de faveur. […] Il s’agit des confidents de tragédie : « On fait encore, dit Schlegel, un grand mérite à Alfieri d’avoir su se passer de confidents, et c’est en cela surtout qu’on trouve qu’il a perfectionné le système français ; peut-être ne pouvait-il pas mieux souffrir les chambellans et les dames d’honneur sur la scène que dans la réalité. » Il est difficile de ne pas voir là une allusion plus ou moins directe à la petite Cour de la comtesse d’Albany et de Charles-Édouard.

1060. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Je veux prévenir cela et vous conjure de croire aux avis d’une mère qui connaît le monde et qui idolâtre ses enfants et ne veut passer ses tristes jours qu’en leur étant utile. […] … » On sourit à la seule idée d’une telle comparaison entre Mesdames, filles de Louis XV, et celle dont Frédéric, le glorieux rival et ennemi, a parlé comme « d’une grande femme, faisant honneur à son sexe et au trône. » Nous reviendrons sur ces jugements de Marie-Thérèse, portés par l’adversaire qui passa sa vie à se mesurer contre elle, et qui lui a rendu le plus digne, le plus historique des hommages. […] Il est si jeune, si étourdi ; passe encore pour un prince ! […] Un tel mot ne passe point sans être relevé et sans donner occasion à toute une tendre mercuriale : « Je suis bien contente que vous n’avez point de part au changement des deux ministres, qui ont pourtant bien de la réputation dans le public et qui n’ont manqué, à mon avis, que d’avoir trop entrepris à la fois. […] Ce reproche paraît s’adresser surtout à Mesdames, filles de Louis XV, et il est même un peu réversible, en remontant dans le passé, sur la feue reine, épouse de Louis XV, Marie Leczinska.

1061. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

M. de Sénancour, en 1832 Nous vivons dans un temps où la publicité met un tel empressement à s’emparer de toutes choses, où la curiosité est si indiscrète, la raillerie si vigilante, et l’éloge si turbulent, qu’il semble à peu près impossible que rien de grand ou de remarquable passe désormais dans l’oubli. […] Immédiatement après le collége, en juillet 89, le père de M. de Sénancour, sans prétendre engager l’avenir de son fils, exigeait impérieusement qu’il passât deux années au séminaire de Saint-Sulpice. […] Notre fugitif s’arrêta vers le lac de Genève, et passa plusieurs mois à Charrières, près Saint-Maurice. […] L’auteur les avait composées deux ans auparavant, tout en se promenant chaque jour dans le parc d’un château où il passait quelques mois. […] Ainsi livrés à tout ce qui s’agite et se succède autour de nous, affectés par l’oiseau qui passe, la pierre qui tombe, le vent qui mugit, le nuage qui s’avance, modifiés accidentellement dans cette sphère toujours mobile, nous sommes ce que nous font le calme, l’ombre, le bruit d’un insecte, l’odeur émanée d’une herbe, tout cet univers animé qui végète ou se minéralise sous nos pieds ; nous changeons selon ses formes instantanées, nous sommes mus de son mouvement, nous vivons de sa vie. » Cette abdication de la volonté au sein de la nature, cette lenteur habituelle d’une sensation primordiale et continue, il la trouve si nécessaire au calme du sage en ces temps de vertige, qu’il va jusqu’à dire quelque part que, plutôt que de s’en passer, on la devrait demander aux spiritueux, si la philosophie ne la donnait pas.

1062. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Le jeune Théodore Leclercq, en descendant de son faubourg Saint-Antoine, passait chaque fois auprès du jardin de Beaumarchais. […] Il s’accommodait volontiers de tout ce qui passait devant lui dans le monde, parce qu’il y trouvait matière à sa raillerie et à son plaisir. […] Mais ce mot, chez lui, n’est le plus souvent qu’un prétexte aux jolies scènes, comme la moralité n’est guère qu’un prétexte à bien des fables de La Fontaine ; on s’en passerait très aisément. […] Théodore Leclercq est ainsi de saisir la comédie toute faite qui passe devant lui, de la décalquer et de l’encadrer dans des dialogues vrais, sans lui rien donner du grossissement et du relief propres au théâtre. […] Théodore Leclercq continua de produire encore et de publier le recueil de ses volumes : pourtant, si sa réputation était dès lors tout à fait établie, le grand moment de vogue et d’attention était passé.

1063. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Cet homme, qui avait tant embrassé d’espaces et d’époques, et tant décrit de formes vivantes, pouvait dire : « J’ai passé cinquante ans à mon bureau. » Buffon avait la vue basse : c’était sa seule infirmité. […] Chaque année, il vient passer quelques mois à Paris pour les devoirs et les obligations de sa place, pour les intérêts de l’établissement auquel il préside et dont il accroît chaque jour l’importance. […] Il passait de là à des considérations conjecturales sur la naissance et la reproduction des êtres animés. […] Buffon n’y présente point son hypothèse comme réelle, mais comme un simple moyen de concevoir ce qui a dû se passer d’une manière plus ou moins analogue, et de fixer les idées sur les plus grands objets de la philosophie naturelle. […] Tel de ses chapitres sur l’homme semble être d’un idéaliste qui croit à peine à la matière : ses discours sur la nature et ses Époques sont d’un naturaliste qui se passerait aisément de Dieu.

1064. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Vous êtes tous deux mes grands vicaires, et, comme tels, vous devez n’avoir autre dessein que de faire passer toutes choses à mon contentement, ce qui se fera pourvu que ce soit à la gloire de Dieu. […] Du fond de sa retraite grondeuse et tournée vers le passé, il ne lui rendra jamais justice ; mais, dans ce premier moment, l’erreur peut-être était permise : le maréchal d’Ancre masquait encore Richelieu. […] Ce procédé vigoureux du roi, et qui « sentait plus sa majesté royale que la conduite passée », n’était pas néanmoins reçu des peuples comme il aurait dû l’être, à cause du maréchal d’Ancre : tout ce qui, sans lui, eût été reconnu avantageux au service du roi et au bien de l’État, était pris en mauvaise part et envenimé par les mécontents ; ce fut là l’écueil et le point ruineux du premier ministère de Richelieu, et lui-même le reconnaît. […] Lui qui passera un jour pour cruel et impitoyable, qui le sera quelquefois, mais dont les principales vengeances se confondront pourtant dans les intérêts de l’État, il estime, à propos de ce meurtre du maréchal, que « ce fut un conseil précipité, injuste et de mauvais exemple, indigne de la majesté royale et de la vertu du roi ». […] Nous montrant la reine Marie de Médicis forcée alors de quitter le Louvre, accompagnée de tous ses domestiques qui portaient la tristesse peinte en leur visage : « Il n’y avait guère personne, se plaît-il à faire observer, qui eût si peu de sentiment des choses humaines, que la face de cette pompe quasi funèbre n’émût à compassion. » Et parlant de l’odieux et barbare traitement infligé à la maréchale d’Ancre et de son supplice, quand elle fut condamnée comme sorcière à avoir la tête tranchée sur l’échafaud, et ensuite le corps et la tête brûlés et réduits en cendres, il a des paroles d’une haute pitié : Sortant de sa prison et voyant une grande multitude de peuple qui était amassé pour la voir passer : « Que de personnes, dit-elle, sont assemblées pour voir passer une pauvre affligée ! 

1065. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Et encore que ce siècle fût passé, je fis semblant de ne m’en pas apercevoir, et j’ai perpétué parmi toi la race des grands hommes et des talents extraordinaires. […] Je veux bien faire un voyage et passer quelques mois dans ma république ; mais, par les propositions que l’on me fait, il s’agit de m’y fixer, et, si j’accepte, je ne serai pas maître de n’y pas rester. […] La scène se passait chez Mme d’Épinay, à la Chevrette. […] combien de fois cette crainte a corrompu la douceur des moments passés près de vous ! […] Les mois qu’il avait passés à Genève auprès de la malade, et dans une intimité de chaque jour, lui semblèrent un dernier bonheur, et qui ne devait jamais se retrouver à ce degré.

1066. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Faisons comme lui et passons sur cette sombre et funeste période de persécution domestique. […] Les occupations sérieuses ont cependant toujours la prérogative de passer devant les autres, et j’ose vous dire que nous ne faisons qu’un usage raisonnable des plaisirs. […] Quelqu’un, ces jours passés, m’a sommé de lui en donner un extrait ; je me suis fort excusé sur ce que l’original n’était pas entre mes mains, ce qui fit une scène semblable à celle qui se trouve dans Le Joueur, où M.  […] Cela revient à ce que je viens de dire, qu’il ne suffit pas d’avoir simplement du mérite, mais qu’il faut encore être en passe de le pouvoir faire éclater. […] Cinq jours avant sa mort, il adressa à Frédéric une admirable lettre qui peint l’une des plus belles âmes qui aient passé sur la terre, et qui couronne dignement cette idéale amitié.

1067. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Au contraire, dans l’émotion réelle, ces images ont toute l’intensité que leur donne la certitude de leur réalité, et, dans le cas d’une participation personnelle, la certitude qu’elles vont passer à l’état de sensation. […] Pour composer un roman, il faut décrire les endroits où l’action se passe, les personnages et leurs actes. […] L’émotion produite par un roman dépend du décor où il se passe, des personnages qu’il montre, des actes que ceux-ci commettent ou subissent ; elle dépend encore de l’intensité avec laquelle sont rendus évidents ces personnages, ces actes et ces décors. […] Guyau (Prob. de l’esth. contemp) passe fort près de cette opinion. […] (NdE)] (Esthétique) admet ce fait et l’explique eu disant que l’admiration pour le génie de l’artiste fait passer par-dessus la répulsion causée par les objets représentés.

1068. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Elle présente au spectateur hors du tableau la face latérale d’une coupe verticale qui passe par le pied droit de la porte de cet édifice, laisse la porte entière, divise le parvis qui est au devant et l’escalier qui descend dans la rue ; en sorte que ce parvis et cet escalier divisés forment un grand massif à pic au-dessus d’une terrasse qui règne sur toute la largeur du tableau. […] Et puis, encore une fois, pourquoi la scène se passe-t-elle à la porte d’un hôpital ? […] Si vous eussiez consulté ces gens à petit goût raffiné qui craignent des sensations trop fortes, vous eussiez passé la brosse sur votre frénétique qui s’élance de l’hôpital, sur ce malade qui se déchire les flancs au pied de votre massif ; et moi j’aurais brûlé le reste de votre composition, j’en excepte toutefois la femme au chapelet, à qui que ce soit qu’elle appartienne. […] Je m’explique : il y a dans toute composition un chemin, une ligne qui passe par les sommités des masses ou des groupes, traversant différens plans, s’enfonçant ici dans la profondeur du tableau, là s’avançant sur le devant. […] Autre défaut, c’est que la fabrique est d’architecture grecque ou romaine, et que l’action se passe sous le règne de l’architecture gothique, licence inutile.

1069. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

ce grand homme sut s’arracher aux enivrements de la causerie dans laquelle il était passé maître, et qui dévora Rivarol. […] … Le temps a passé depuis ces « Tableaux de la Révolution » qui en peignirent si bien l’affreuse aurore, et qui allumèrent contre elle l’imagination du grand Burke, un des hommes qui l’ont le plus haïe et méprisée, et ces « Tableaux », qui n’ont pas perdu une nuance de leur horrible fraîcheur première, sont restés de l’histoire, — de la définitive, ineffaçable et incorruptible histoire, — quand tout est fini des exaltations et des passions contemporaines d’un journalisme qui n’est plus ! Tel est le mérite de ces pages de Rivarol, tirées si tard, mais enfin tirées de l’ombre et replacées sous nos yeux, et qui révèlent en cet homme, d’une littérature que sa phénoménale conversation a fait oublier, un autre homme qu’on n’y cherchait passait pour l’histoire et les choses sévères de l’histoire. […] — l’histoire de la Révolution est finie à cette date honteuse et funeste… Ce qui suivra sera le luxe inutile des atrocités et des massacres ; mais au 5 et au 6 octobre, quand la Royauté s’arrache elle-même de Versailles., aux injonctions d’une canaille devenue la Reine de France, pour passer, le front bas, sous la voûte d’acier de l’Hôtel de Ville de Paris, on peut dire que la Révolution est définitivement accomplie. […] Il avait l’acuité de ceux que j’ai appelés un jour : les Prophètes du passé.

1070. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Il voudrait bien pouvoir ne le reléguer que dans les dehors de la place, dans ce qu’on appelle humeur : « Mes malheurs, mon cher Coindet, n’ont point altéré mon caractère, mais ils ont altéré mon humeur et y ont mis une inégalité dont mes amis ont encore moins à souffrir que moi-même. » Avant d’en venir à se croire l’objet de cette conspiration générale qui paraît avoir été son idée fixe depuis 1764-1766, il avait passé par bien des degrés. […] Aussi est-ce la France, est-ce Paris, le lieu du monde où il est le plus aisé de se passer de bonheur, qu’il avait choisi pour y achever de vieillir et de souffrir. […] Comme la plupart de ces lettres qu’on donne aujourd’hui sont adressées à son compatriote Coindet, il se passe les locutions genevoises, et il en gardera dans son parler, même là où il y songera le moins. […] Streckeisen-Moultou, qui nous promet de tirer de ses papiers de famille d’autres pièces intéressantes encore concernant Rousseau, a droit à nos remerciments ; qu’il me permette cependant une critique que je ne puis passer sous silence, et qui peut être utile pour l’avenir. […] Il n’a pas écrit (même page) : « Mes travaux passés me semblent tellement étrangers à moi que, quand j’en retire la prise, il me semble que je jouis du travail d’un autre. » C’est le prix qu’il faut lire.

1071. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Je voudrais être assez initié à ces choses d’État pour pouvoir faire en regard une esquisse de l’humble rédacteur ou publiciste des Relations extérieures, de celui dont le nom ne se prononçait jamais et dont toute la vie se passait devant des cartons verts, dans les bureaux ou les corridors : Nourri dans le sérail, j’en connais les détours. […] La stabilité et la tradition permettaient à ces utiles existences, dénuées d’avancement, de se continuer et de se transmettre, en quelque sorte, dans la même famille : on tenait le fil, on avait le secret des affaires et le chiffre ; on se le passait de la main à la main. […] La discrétion, la circonspection était passée dans leurs habitudes et dans toute leur allure. […] La reine, à cette proposition inopinée et qui, à la rigueur, pouvait ne passer que pour une idée en l’air de son ambassadeur, n’avait à faire aucune réponse officielle : « Cependant elle crut devoir s’en ouvrir elle-même, non à M.  […] Il y resta jusqu’en 1811 et passa alors, avec le même titre de secrétaire de légation, à Berlin.

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