Le grotesque de ce temps-là et de ces gens-là diffère essentiellement de celui d’aujourd’hui : le leur était abandon, bouillonnement et débordement, plein de naturel et de coulant jusque dans son épaisseur ; le nôtre est tout prétention et affectation, pur procédé d’art, un grotesque fabriqué à froid, besoin de paraître gai dans une époque triste, et chez quelques-uns, je gage, parti-pris de se singulariser, en désespoir de ne savoir se distinguer simplement et noblement.
remy ; et il voit déjà dans ce choix l’indice d’un goût peu sûr : « car, ajoute-t-il en style étrange, l’Oaristys s’éloigne sous plus d’un point de ces sujets naturels et simples où l’on sent à peine l’effort de l’art. » J’avoue que, lorsque je vois un critique aborder sur ce ton des œuvres toutes de grâce et d’élégance, j’entre aussitôt en une méfiance extrême, et je me demande si l’écrivain de cette prose est bien un maître-juré en telle expertise de poésie (arbiter elegantiarum).
Je n’ose affirmer tout à fait pour Hervé : mais il l’aimait avec tendresse, il la chérissait plus qu’une sœur ; et il est certain que, dès le second jour de cette intimité, il agita de naturels, de délicats et loyaux projets.
C’est une des facultés les plus naturelles et les plus universelles de l’homme que de reproduire en lui par l’imagination et la pensée, et en dehors de lui par l’art et par la parole, l’univers matériel et l’univers moral au sein duquel il a été placé par la Providence.
Cette parcimonie de la nature à créer les grands historiens s’explique d’elle-même, quand on y réfléchit, par le nombre, la diversité et la supériorité des dons naturels et des dons acquis nécessaires pour écrire une histoire digne de ce nom.
Si, en effet, les anciens ont mené Boileau à définir l’art une imitation de la nature, on sent à chaque moment une conception nouvelle de la vérité, une conception presque scientifique, dans les formules que le critique français emploie : et c’est en cartésien, ou, si l’on veut, en classique, enfin en homme de sa race et de son temps, qu’il a substitué au naturel aisé des anciens son « naturalisme » rationnel et conscient.
La métaphore soutenue plaît ou déplaît, selon que dans cette continuité l’on sent une rencontre naturelle ou une recherche laborieuse ; elle est de bon goût, quand les expressions figurées qui font cortège à la figure initiale naissent d’une création incessante de l’imagination, qui garde l’image comme elle la changerait, par la découverte instantanée et toujours renaissante de ressemblances successives ; elle est de mauvais goût, quand, par un renversement des rôles, l’esprit sacrifie la pensée à la figure, quand celle-ci, devenant tyrannique en cessant d’être dépendante, avide de durer, ne laisse plus pénétrer dans la phrase que les idées qu’elle peut absorber et amalgamer.
Il est tenté de croire, du moins la première fois, à un pétillement naturel d’idées, à un don surprenant, extraordinaire.
Il balbutiait une naïveté et une pauvreté, le mot qui aurait pu dire tout le dédain de l’homme qui pense pour la société, la plus brutale des forces naturelles.
Mme de Maintenon n’est pas moins saisie au naturel : « Je persiste à trouver que cette femme n’était point fausse, mais elle était sèche, austère, insensible, sans passion… » Tout ce portrait de Mme de Maintenon est à lire chez Mme Du Deffand, et reste le plus ressemblant de tous ceux qu’on a pu faire.
Il oublia sa propre maxime : « La réputation de fourbe est aussi flétrissante pour le prince même, que désavantageuse à ses intérêts. » Mais ici l’intérêt considérable du moment et de l’avenir, l’instinct de l’accroissement naturel, l’emporta.
Montaigne avait l’âme simple, naturelle, populaire, et des plus heureusement tempérées.
Ôtez ce mot de grandeur, ôtez ces noms de Platon et d’Aristote qui sont de trop, il reste vrai que l’abbé Barthélemy avait la plus belle tête ; trop de maigreur, mais tous les avantages extérieurs qui préviennent, et des manières qui faisaient de ce jeune savant le plus naturel des gens du monde : « L’abbé Barthélemy est fort aimable et n’a d’antiquaire qu’une très grande érudition » ; c’est ce que dit Gibbon et ce que répètent tous ceux qui l’ont connu.
Aujourd’hui, j’ai reçu un diplôme de Bethléem, qui me nomme membre de la Société, je sais par le timbre qui porte New-York, que c’est en Amérique, et voilà tout… N’y a-t-il pas des Sociétés en Australie, ayant déjà publié sur l’histoire naturelle, des travaux de la plus grande importance… Un jour il sera impossible de connaître seulement les localités scientifiques… Et la mémoire pourra-t-elle suffire… Pensez-vous qu’à l’heure présente, pour ma partie, il y a, par an, huit cents mémoires dans les trois langues, anglaise, allemande, française !
Or, le besoin de lire étant une traînée de poudre, une fois allumé il ne s’arrêtera plus, et, ceci combiné avec la simplification du travail matériel par les machines et l’augmentation du loisir de l’homme, le corps moins fatigué laissant l’intelligence plus libre, de vastes appétits de pensée s’éveilleront dans tous les cerveaux ; l’insatiable soif de connaître et de méditer deviendra de plus en plus la préoccupation humaine ; les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de toute intelligence grandissante ; on quittera Faublas et on lira l’Orestie ; là on goûtera au grand, et, une fois qu’on y aura goûté, on ne s’en rassasiera plus ; on dévorera le beau, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force ; et un jour viendra où, le plein de la civilisation se faisant, ces sommets presque déserts pendant des siècles, et hantés seulement par l’élite, Lucrèce, Dante, Shakespeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cimes.
[Victor Duruy] Le bon sens dans la poésie, la mesure dans l’idéal étaient les dons naturels qu’avait fortifiés, dans Émile Augier, une bonne instruction historique.
Par une longue observation, par une expérience consommée, par un tact exquis, par un goût, un instinct, une sorte d’inspiration donnée à quelques rares génies, peut-être par un projet naturel à un idolâtre d’élever l’homme au-dessus de sa condition, et de lui imprimer un caractère divin, un caractère exclusif de toutes les contentions de notre vie chétive, pauvre, mesquine et misérable, ils ont commencé par sentir les grandes altérations, les difformités les plus grossières, les grandes souffrances.
J’en viens, par une pente toute naturelle, à songer que Balzac, lui aussi, a consacré deux tableaux de son drame universel à la Bohême littéraire.
Aussi, s’insurgeant contre les Romantiques, les Parnassiens, les Naturalistes, il veut renouer la fameuse « chaîne gallique » de M. du Plessys et restaurer notre langue naturelle : celle de Ronsard, de La Fontaine et de Racine.
… C’est que, systématique ou naturelle, cette absence de couleur et de vie est pour elle quelque chose de bien plus mâle que l’éclat de la forme ou l’enthousiasme de la pensée et qu’être mâle, c’est pour elle ce qu’était être vif pour cet Allemand, qui, voulant prouver qu’il l’était, sautait par la fenêtre avec la légèreté d’un bœuf !
Ils ont l’un et l’autre le nombre dans la phrase : Macaulay, plus de franc jeu et d’opulence dans l’image, et du Méril, qui a gardé un peu du collet monté qu’ils avaient au Globe en 1828, dont il était, je crois moins de naturel et plus d’ingéniosité.
Que le souverain favorise alors ce mouvement naturel, ce sera son droit et son devoir, mais Dieu nous garde qu’il l’excite lui-même !
Après Socin, après Voltaire, après Strauss, il était naturel de s’attendre à un livre qui aurait achevé l’œuvre de ces grands sacrilèges par une œuvre tenue d’être plus forte, sous peine d’être plus faible, puisque Renan est venu après eux !
C’est cette ironie naturelle et très cultivée qui fut la Muse du poète des Fleurs du mal.
Richepin a des parentés naturelles avec ces Maîtres, noblesse oblige, et il est temps d’introduire dans la famille d’esprits dont il fait partie une individualité nouvelle.
« Il avait, dit-il lui-même, une pente naturelle vers les choses d’observation intérieure »… Il suivait « une lumière intérieure, un esprit de vérité qui luit dans les profondeurs de l’âme et dirige l’homme méditatif appelé à visiter ces galeries souterraines… Cette lumière n’est pas faite pour le monde, car elle n’est appropriée ni au sens externe ni à l’imagination ; elle s’éclipse ou s’éteint même tout à fait devant cette autre espèce de clarté des sensations et des images ; clarté vive et souvent trompeuse qui s’évanouit à son tour en présence de l’esprit de vérité. » Ainsi occupé, et ses regards concentrés sur lui-même, il avait fini, comme les philosophes indiens, par isoler et constituer à part, du moins à ses propres yeux, son être intérieur et sa volonté active.
La mort d’une femme et d’une reine sur l’échafaud, tant de beauté jointe à tant d’infortune, la pitié si naturelle pour le malheur, l’attachement des Français pour une princesse élevée parmi eux, et qui avait été l’épouse d’un de leurs rois ; l’intérêt qu’on prend peut-être malgré soi à des malheurs causés par l’amour ; le nom même de la religion, car elle fut mêlée à ce grand événement ; et l’Europe, agitée alors de fanatisme, regardait presque la querelle de deux reines rivales, comme la querelle des catholiques contre les protestants : tout contribua au grand succès de cet éloge funèbre.
C’est Chateaubriand naturel et vivant, au lieu de la rhétorique des déserts et des sauvages dans Attala. […] Était-ce une disposition naturelle de son âme ? […] Son mari, ex-procureur du gouvernement, connu, dans son temps, pour un homme retors en affaires, caractère décidé et entreprenant, d’un naturel bilieux et entêté, était mort depuis dix ans.
Gandara tout en étant simple, naturel, est un monsieur distingué, qu’on sent en rapport avec les gens du vrai monde. […] Et la conversation va aux poisons, à la fabrication desquels les naturels du pays excellent, entre autres d’un poison trouvé dans les cadavres des cimetières, et qui ne laisse aucune trace. […] Sur une petite étagère de bois de fer se trouve l’assemblage d’originaux objets d’art : un petit bronze, formé d’une feuille de nénuphar, toute recroquevillée, et après laquelle monte un crabe : un bronze d’une patine sombrement mordorée, admirable ; — une petite caisse, dont les lamelles, formant des jours d’un dessin géométriquement différent, sont plaquées du plus beau bois jaune satiné, et sur lesquelles des chrysanthèmes de nacre se détachent d’un feuillage en ivoire colorié ; — une feuille de lotus, qu’enguirlande la liane de sa tige fleurie de deux boutons : un morceau de bambou qui a l’air d’une cire, signé de l’artiste chinois Ou-Sipang ; — un plateau en fer battu, assoupli en la large feuille d’une plante aquatique, mangée par les insectes, et sur laquelle se promène un petit crabe en cuivre rouge, au milieu de gouttes d’eau, fac-similées en argent ; — une boîte à gâteaux, dont l’ornementation est laquée sur bois naturel, et dont le couvercle représente le guerrier, dessiné par Hokousaï, en tête de son album intitulé : Yehon Sakigaké (Les Héros illustres), le guerrier écrivant sur un arbre l’avis qui doit amener la délivrance de son maître ; — une écritoire dans un marbre rouge (appelé là-bas crête-de-coq), sur un pied de bois noir, aux stries des vagues de la mer, et au couvercle surmonté d’un vieil ivoire laqué, représentant le dragon des typhons ; — une boîte à papier, où se voient des bestiaux en corne, paissant sous un soleil couchant, fait d’un morceau de corail, un pâturage de fleurettes d’or ; — un crabe en bronze, d’une exécution si troublante de vérité, que j’étais tenté de le croire surmoulé, si le naturaliste Pouchet ne m’avait affirmé qu’il n’en était rien, se basant sur l’absence de certains organes de la génération.
Il paraît très-persuadé « que notre esprit rampe bien plus facilement qu’il ne s’essore, et que, pour le délivrer de toutes ces chimères, il le faut émanciper, le mettre en pleine et entière possession de son bien, et lui faire exercer son office qui est de croire et respecter l’histoire ecclésiastique, raisonner sur la naturelle, et toujours douter de la civile. » Pour preuve de soumission à l’histoire ecclésiastique, tout aussitôt après ce passage il entame un petit éloge de l’empereur Julien, « de cet empereur, dit-il, autant décrié pour son apostasie que renommé pour plusieurs vertus et perfections qui lui ont été particulières231. » L’histoire ecclésiastique ainsi exceptée, il est évident qu’en toute matière, civile du moins et naturelle, Naudé fait volontiers une double part, l’une de la sottise et de la crédulité des masses, l’autre de la singulière industrie de quelques habiles.
Voilà le traité de Fontainebleau, voilà la transaction que M. de Talleyrand avait conçue, d’accord avec Godoy, premier ministre, ministre presque souverain d’Espagne, et ensuite avec la passion de Napoléon de jeter un de ses frères sur ce trône, au risque d’aliéner à jamais de la France cette grande nation espagnole, alliée naturelle de la monarchie ou de la république française. […] Thiers, Mignet, Villemain, auxquels il donnait le goût des grandes vues et le ton des grandes élégances : magister elegantiarum , portant son aristocratie naturelle dans ces jeunes aristocraties de nature.
» Ma première pensée fut, non pas de la réduire, c’eût été trahir la patrie, mais de la faire plus départementale que nationale, c’est-à-dire de la diviser organiquement en quelques grands corps recrutés dans certaines zones départementales du pays, y résidant toujours sous l’influence de l’opinion locale et sous le commandement de généraux pris, autant que possible, dans les mêmes provinces, de peur que l’ascendant naturel d’un Auguste popularisé par le nom de César ne pût disposer de l’armée entière et rétablir l’empire, œuvre des soldats, au lieu de la république ou de la monarchie tempérée, œuvre des citoyens. — Les raisons que je me donnais à moi-même pour cette organisation de nos forces étaient puissantes. […] Je m’étonne seulement que vous en ayez été touché, mon ami ; tout cela est naturel.
Son génie naturel ayant trouvé là sa vraie voie, il déborda spontanément de facilité, de grâce et de force. […] « Derrière les dames était un espalier de jasmins naturels, qui faisait tellement ressortir leur beauté, et surtout celle de Diego, qu’il m’est impossible de l’exprimer ; c’est ainsi que nous fîmes la meilleure chère du monde.
Il n’y a donc de véritablement immortel et d’incomparable dans Voltaire que ses lettres et ses poésies légères ; là, il est grand, parce qu’il est naturel, et que l’artiste disparaît devant l’homme. […] L’épopée s’anime et devient le drame le plus miraculeux, le plus naturel et le plus surnaturel de tous les drames conçus par le génie religieux de l’humanité.
Mais la conséquence tirée par Kant est inattendue : — « On voit par-là, dit-il, que la représentation du temps est une intuition, puisque toutes ses relations peuvent être exprimées par une intuition extérieure. » La conclusion naturelle serait que le temps est une représentation expérimentale, non une intuition pure, puisque toutes ses relations ne peuvent être exprimées « que par une intuition extérieure », par des images parlant aux sens ou à l’imagination et empruntées à l’espace. […] Hypothèse paresseuse, ignava ratio, qui, loin d’expliquer l’expérience par des lois, érige en loi l’absence même de loi naturelle sous le nom d’intuition pure ou de forme a priori.
Ce voleur de l’auteur d’Othello, qui lui avait pris son magnifique Jaloux pour le mettre en Turc et en faire Orosmane, afin qu’on ne le reconnût pas, ne permettait guère qu’on vantât de son temps celui qu’il avait osé nommer Gilles ; et de la bande de philosophes qui obéissaient à son grelot et tenaient l’opinion de la France esclave, Diderot seul, le débraillé de naturel et de déclamation, avait eu le front d’écrire cette phrase superbe et cynique : « Moi, je ne comparerai Shakespeare ni à l’Apollon du Belvédère, ni au Gladiateur, ni à l’Antinoüs, ni à l’Hercule de Glycon, mais au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté, mais dans les jambes duquel nous passerions tous sans que notre front touchât à ses parties honteuses. » Mais, comme on le voit, cette phrase ambitieuse et fausse, quoiqu’elle voulût être plus juste que tout ce qu’on disait alors, prouvait que Diderot lui-même ne connaissait pas tout Shakespeare dont le colossal disparaît précisément quand on l’a tout entier sous le regard, dans la perfection de son harmonie. […] la famille, l’amour et le respect de la famille que l’on aime et que l’on respecte si peu à présent voilà l’inspiration du Coriolan et surtout du Roi Lear car dans le Coriolan il y a autre chose que de la famille, il y a de la société politique, mais dans le Roi Lear, la tragédie n’est faite uniquement que par les sentiments naturels.
Sans soucis politiques désormais, conservant ce qu’ils pensaient être la vérité religieuse pour aliment de leur vie, faisant s’épanouir leurs facultés naturelles au souffle de ce qui leur avait été laissé de liberté, ils laissèrent la paix descendre sur eux et les envelopper. […] La haine sauvage dont il fit preuve en d’autres circonstances, envers le doux et inoffensif Fénelon, montre bien que la violence lui était naturelle.
Dans cette épître Sur la paresse, la seule que La Harpe ait distinguée, on voit Bernis au naturel, assez gracieux, mais sans force, sans élévation de but et sans idéal.
J’ai l’esprit trop juste, madame, et j’ai l’âme trop sensible pour résister à l’idée de notre situation présente et à venir, il est vrai que l’état de mes nerfs ajoute beaucoup à ma sensibilité naturelle.