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280. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

Seulement, que le Journal des Débats, le journal de la tolérance universelle, — et des coups de chapeau, — qui proclame depuis quarante ans la liberté des poids et des mesures, des mathématiques et de la conscience, fasse, à propos de nous et contre nous, ce terrible partage en deux camps et se fourre dans le bon, n’est-ce pas inconséquent, nouveau et comique ? […] Ni l’un ni l’autre, il est vrai, de ces grands esprits différents, ne connut les honnêtes gens du Journal des Débats ; mais tous deux savaient ce qui se cache sous cette vague expression d’honnêtes gens, qui se dilate à mesure qu’on la presse pour envelopper mieux toutes les défaillances et toutes les lâchetés morales, et que les fats du vice élégant ou lettré jettent par-dessus leurs mauvaises mœurs ou leurs mauvaises doctrines.

281. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Son style est quelquefois mystérieux comme l’être à qui il parle ; son oreille même cherche dans les sons une harmonie inconnue ; et comme pour donner une habitation à la divinité, il a élevé des colonnes, exhaussé des voûtes, dessiné des portiques ; comme pour la représenter, il a agrandi les proportions et cherché à faire une figure imposante ; comme pour en approcher dans les jours de fêtes, il a substitué à la marche ordinaire des mouvements cadencés et des pas en mesure ; ainsi, pour la louer, il cherche, pour ainsi dire, à perfectionner la parole ; et joignant la poésie à la musique, il se crée un langage distingué en tout du langage commun. […] Mais l’homme et Dieu, où est la mesure commune ?

282. (1842) Discours sur l’esprit positif

En même temps, cette grande destination pratique complète et circonscrit, en chaque cas, la prescription fondamentale relative à la découverte des lois naturelles, en tendant à déterminer, d’après les exigences de l’application, le degré de précision et d’étendue de notre prévoyance rationnelle, dont la juste mesure ne pourrait, en général, être autrement fixée. […] Ainsi à mesure que les lois physiques ont été connues, l’empire des volontés surnaturelles s’est trouvé de plus en plus restreint, étant toujours consacré surtout aux phénomènes dont les lois restaient ignorées. […] L’étude rationnelle d’une telle opposition démontre clairement qu’elle ne pouvait se borner à la théologie ancienne, et qu’elle a dû s’étendre ensuite au Monothéisme lui-même, quoique son énergie dût décroître avec sa nécessité, à mesure que l’esprit théologique continuait à déchoir par suite du même prodige spontané. […] Mais cette disposition initiale tend ensuite à disparaître, non moins nécessairement, à mesure que l’esprit positif, prenant un caractère de plus en plus systématique, substitue peu à peu, au dogme des causes finales, le principe des conditions d’existence, qui en offre, à un plus haut degré, toutes les propriétés logiques, sans présenter aucun de ses graves dangers scientifiques. […] D’abord, cette fatale solidarité devait directement affaiblir, à mesure que la loi s’éteignait, la seule base sur laquelle se trouvaient ainsi reposer des règles qui, souvent exposées à de graves conflits avec des impulsions très énergiques, ont besoin d’être soigneusement préservées de toute hésitation.

283. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

De la périphérie au centre, à mesure que le cercle se rétrécit, les obligations s’ajoutent aux obligations et l’individu se trouve finalement devant leur ensemble. […] Notre exposé correspondrait de mieux en mieux à la réalité, croyons-nous, à mesure qu’on aurait affaire à des sociétés moins évoluées et à des consciences plus rudimentaires. […] L’ironie courait à travers l’enseignement socratique, et le lyrisme n’y faisait sans doute que des explosions rares ; mais, dans la mesure où ces explosions ont livré passage à un esprit nouveau, elles ont été décisives pour l’avenir de l’humanité. […] Entre le développement et la transformation il n’y a ici ni analogie, ni commune mesure. […] La nature, en faisant de l’homme un animal sociable, a voulu cette solidarité étroite, en la relâchant toutefois dans la mesure où cela était nécessaire pour que l’individu déployât, dans l’intérêt même de la société, l’intelligence dont elle l’avait pourvu..

284. (1888) Poètes et romanciers

La Charité, plus forte que le Désir, va donner à l’homme la mesure du sacrifice divin. […] L’idéal périt avec le mystère et le mystère disparaît à mesure que la science avance. […] Victor Hugo semble avoir perdu la juste mesure des choses. […] Hugo, c’est la vraie mesure, la juste proportion. […] Nous résistons au charme à mesure qu’il opère : à la fin, nous devenons tout à fait rebelles.

285. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Ainsi que je l’ai établi autre part, la crainte de l’homme s’acquiert peu à peu par divers animaux qui habitent des îles désertes, à mesure qu’ils expérimentent nos moyens de destruction. […] Un ouvrier habile, pourvu d’instruments de précision et de mesures exactes, aurait encore une grande difficulté à exécuter en cire des cellules de forme identique à celles qu’un essaim d’Abeilles construit au fond d’une ruche obscure. […] Mais, ainsi qu’on peut le voir lorsqu’on examine le bord d’un rayon en construction, les Abeilles font d’abord une muraille grossière ou rebord tout autour de la circonférence du rayon, et elles le creusent ensuite en le rongeant des deux côtés, travaillant toujours circulairement à mesure qu’elles creusent chaque cellule. […] Il me sera plus aisé de faire évaluer l’importance des différences que je constatai entre les ouvrières de cette tribu d’après des termes de comparaison exactement proportionnels, que d’après les mesures réelles. […] Il sera à jamais impossible de rendre complétement compte du travail des Abeilles, tant qu’on leur refusera toute intelligence, toute liberté d’action et surtout le sentiment esthétique de la forme et de la mesure.

286. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Dès qu’il fut en Afrique, et sur un terrain digne de son activité, il donna sa mesure et dépassa les espérances même de ses amis. […] Dans la mesure où tout cela est présenté (et il faut en savoir gré aux éditeurs qui ont dû quelquefois choisir entre divers passages de la correspondance), personne n’a à se plaindre. […] Par une campagne de quatre-vingts jours (mai-juillet 1851), durant laquelle sa colonne se mesure vingt-six fois avec l’ennemi, et toujours avec avantage, et où il dirige une série de mouvements qui amènent des résultats prévus et décisifs, il couronne sa carrière d’Afrique et mérite d’être nommé général de division comme il convient de le devenir, c’est-à-dire à la suite « d’une des plus rudes, des plus longues et des plus belles expéditions qui se pussent faire ». […] Pendant toute cette première partie de l’expédition, le maréchal Saint-Arnaud, on le conçoit, pétille d’impatience ; il voudrait tout hâter, tout concentrer dans sa main pour une exécution rapide ; il se sent pressé, il l’est plus qu’un autre, et ce n’est, en effet, qu’au prix de cette activité dévorante, de ce cri continuel d’appel, qu’à de telles distances et avec des éléments si nombreux et si disparates à concerter, on parvient à être en mesure pour l’occasion. […] Enfin, au moment où nous étions en mesure, quand nous pouvions, avec quelques jours de marche, être en face des Russes, ils ont… ils ont lâchement levé le siège d’une bicoque, dont les défenseurs ont fourni une belle page à l’histoire de l’empire turc, et m’ont enlevé, à moi, une magnifique occasion de les battre ; car j’avais quatre-vingt-dix-neuf chances contre une pour moi… C’est vexant… Le fait est accompli, les Russes ont repassé le Danube en détruisant leurs redoutes, leur camp retranché, leurs ponts.

287. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Ses ennemis croissent en nombre à mesure qu’il croît en renommée. […] De là vient cette incertitude qui s’attache à son nom, et qui s’accrut au lieu de s’éclaircir à mesure que son œuvre renommée se répandait davantage, chaque monastère donnant à l’Imitation le nom d’un de ses sectaires pour accroître le nom du couvent. […] Donnez-moi ce qu’il vous plaît, et selon la mesure qu’il vous plaît, et dans le temps qu’il vous plaît. […] Je suis assez puissant pour vous récompenser au-delà de toutes bornes et de toute mesure. […] L’amour souvent ne connaît point de mesure ; mais, comme l’eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts.

288. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Sully-Prudhomme est incomparable dans les pièces courtes, exquises par contre, et, si l’expression d’une pensée fait leur mesure, la pensée n’y est pas d’une délicatesse moins rare que la forme qui l’enchâsse ; parfois même sa subtilité devient telle qu’elle en arrive à n’être sensible qu’à la façon d’un souffle, et visible seulement comme le « fard léger » de l’« aile fraîche des papillons blancs » auquel le poète se plaît à comparer ses vers. […] Le propre de la pensée vraiment poétique, c’est, en quelque sorte, de déborder le vers, dont la mesure ne semble lui avoir été imposée que pour limiter en elle ce qui seul peut l’être, la forme, non le fond. […] Car sa taille n’a pas de mesure hors d’elle, Et sa nécessité ne comporte aucun don…   » Je n’accepte de toi ni vœux ni sacrifices, Homme, n’insulte pas mes lois d’une oraison. […] Ils montent, épiant l’échelle où se mesure L’audace du voyage au déclin du mercure… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . […] Mais le poète, pas plus que le philosophe, ne mesure à la durée la valeur, la beauté, l’éternité véritable des choses

289. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

La poésie est née en vous, elle vous inonde, elle vous submerge, elle vous étouffe ; l’hymne ou l’extase naissent sur vos lèvres, le silence ou le vers sont seuls à la mesure de vos émotions ! […] Ses vers se façonnent et s’harmonisent sur la succession et sur l’alternation des ondes par le rythme, c’est-à-dire par la mesure musicale des mots. […] XII Si maintenant on nous interroge sur cette forme de la poésie qu’on appelle le vers, nous répondrons franchement que cette forme du vers, du rythme, de la mesure, de la cadence, de la rime ou de la consonance de certains sons pareils à la fin de la ligne cadencée, nous semble très-indifférente à la poésie, à l’époque avancée et véritablement intellectuelle des peuples modernes. Nous dirons plus : bien que nous ayons écrit nous-même une partie de notre faible poésie sous cette forme, par imitation et par habitude, nous avouerons que le rythme, la mesure, la cadence, la rime surtout, nous ont toujours paru une puérilité, et presque une dérogation à la dignité de la vraie poésie. […] On les mesure avec une mystérieuse terreur ; on n’en devine pas bien la destination ; ils ne sont pas de la main d’un seul homme ; chaque siècle semble y avoir apporté sa pierre.

290. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Le Moyen Âge (842-1498) [Discours] I « J’ai eu l’occasion — a dit quelque part un historien philosophe — d’étudier les institutions politiques du Moyen Âge en France, en Angleterre et en Allemagne ; et, à mesure que j’avançais dans ce travail, j’étais rempli d’étonnement en voyant la prodigieuse similitude qui se rencontre en toutes ces lois ; et j’admirais comment des peuples si différents et si peu mêlés entre eux avaient pu s’en donner de si semblables. » [Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, livre I, chap.  […] On prête aux Roland, aux Guillaume, aux Renaud, des vertus qui excèdent la mesure de l’humanité ; on leur attribue des exploits dignes de leurs vertus ; on arme l’un de sa « Durandal », on met l’autre à cheval sur « Bayard ». […] D’un autre côté, à mesure que l’on conçoit mieux la grandeur purement humaine des événements historiques, l’épopée se change en chronique, comme dans la Chanson de Bertrand du Guesclin. […] Granier de Cassagnac, Les Origines de la langue française.] — Hypothèse de Raynouard sur la formation d’une « langue romane » intermédiaire entre le bas-latin ou latin vulgaire et les langues novo-latines ; — dans quelle mesure on peut la soutenir ; — et, en tout cas, de la commodité qu’elle offre. — Déformation ou transformation du latin vulgaire par les accents locaux ; — et par le seul effet du temps. — Parlers provinciaux : dialectes et patois. […]   On voit par ces détails sommaires l’importance de la littérature « allégorique » au Moyen Âge ; — il resterait à rapprocher ces « personnifications » des « Entités » ou des « Quiddités » de la scolastique ; — et les unes et les autres de ce que l’on appellera plus tard « la réduction à l’universel » ; — ou, en d’autres termes, les idées générales. — Que, malheureusement, si les intentions étaient bonnes, le moyen était faux ; — car, à mesure qu’on allégorisait davantage, l’idée n’en devenait pas plus claire ; — et on s’éloignait à mesure du naturel et de la vérité. — C’est ce que voulait dire Pétrarque, dans la lettre citée plus haut, quand il reprochait aux auteurs du Roman de la Rose que leur « Muse dormait » ; — et quand il opposait à leur froideur l’ardeur de passion qui respire dans les vers de « ces chantres divins de l’amour : Virgile, Catulle, Properce et Ovide ».

291. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Sa figure régulière s’animait surtout par l’expression de très-beaux yeux noirs ; le reste, sans frapper d’abord, gagnait plutôt à être remarqué, et toute la personne paraissait mieux à mesure qu’on la regardait davantage. […] Où retrouver les éléments et la mesure ? […] J’y trouve des observations du monde, et des délicatesses sentimentales, dans une mesure pourtant qui n’est peut-être ni tout à fait le monde même, ni tout à fait l’idéal romanesque. […] L’étiquette jette un voile uniforme sur tout cela : c’est une sorte de mesure positive qui donne à des tons discordants les apparences de l’harmonie. » Il y a dans cette cour une comtesse de Lémos, femme d’esprit, qui ose être elle-même et se soucier peu de ce qu’on suppose : « L’attitude indépendante qu’elle sait y conserver, dit l’auteur, m’a fait imaginer quelquefois que, dans cette même cour où l’on ne parle guère, il ne serait pas si difficile qu’on le croit de se permettre de tout dire, pourvu que l’on consentît en revanche à permettre d’y tout penser. » On est très-prompt, en effet, à y penser beaucoup de choses. […] Une fois au delà, l’esprit mieux rassis mesure ses pertes et s’aperçoit des consolations qui lui restent.

292. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Ceux-là même, parmi les membres du gouvernement les plus démocrates, que l’ignorance publique a accusés de connivence perfide avec l’insurrection étaient, au fond, les plus impatients et les plus actifs dans la préparation des mesures militaires destinées à écraser cette sédition. […] Il voulut la déployer dans une mesure qui étonnât ses amis et ses ennemis. […] » XVII « Nous venons de voir qu’aucune loi ne pouvait être appliquée au roi, et que, ses juges étant ses ennemis, son jugement ne pouvait être légal, mais une grande mesure d’État dont l’équité seule devait débattre les motifs et dicter l’arrêt. […] L’incohérence et le repentir des mesures trahissaient la faiblesse et avaient souvent servi de prétexte aux violences et aux attentats du peuple. […] XIX « Enfin le meurtre du roi, comme mesure de salut public, était-il nécessaire ?

293. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Il y a encore une raison : c’est que Lessing faisait tous ses efforts et, il faut le reconnaître, il avait raison, pour déshabituer les Allemands de l’idolâtrie de la littérature française, et, fondant la littérature allemande, il disait que, dans tout pays, il faut vouloir être soi-même et donner sa mesure, et ne jamais imiter personne, surtout ne jamais être engoué de personne. […] L’homme qui est doué comme un grand romantique, et qui est doué, d’autre part, comme un grand réaliste, s’il a le sentiment de la vérité, c’est-à-dire de la mesure, s’il n’est pas exagéreur, s’il a toutes les qualités du romantique sans en avoir les défauts, s’il a toutes les qualités du réaliste sans en avoir les imperfections, sera un classique. […] Si ce défaut de la réalité, le poète, l’écrivain l’exagère encore, il est exagéreur dans un sens, comme le romantique l’est dans un autre  Le classique sera donc l’homme qui, doué de toutes les qualités littéraires, aussi bien de celles qu’on a appelées romantiques que de celles qu’on a appelées réalistes, a, de plus, le sentiment de la vérité, le sentiment de la mesure ; et le sentiment de la vérité, c’est-à-dire de la mesure, c’est ce que l’on a appelé le goût. […] toutes les qualités de toutes les écoles les plus opposées, avec ce beau juste milieu qui est le sentiment de la vérité et de la mesure, et dans un goût exquis, voilà ce que La Fontaine a eu souverainement, et voilà, s’il est question d’étiquette, l’étiquette que l’on donnera définitivement à La Fontaine : c’est le grand classique le plus original que toute la littérature classique ait pu enregistrer dans ses illustres annales.

294. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

« Scaliger a été, par ses bonnes parties, un des plus grands hommes qui aient vécu depuis les Apôtres. » Et le médecin Fernel, ce moderne héritier de Galien, Gui Patin a, pour l’honorer, des paroles sans mesure ; il disait un jour à une personne de cette famille, « qu’il tiendrait à plus grande gloire d’être descendu de Fernel que d’être roi d’Écosse ou parent de l’empereur de Constantinople ». […] L’esprit ainsi délassé, je retourne à ma maison, où, après quelque entretien avec mes livres, ou quelque consultation passée, je vais chercher le sommeil… La juste mesure des opinions et de la charte de Gui Patin est toute dans ces paroles : Ni réformation ni sédition, mais autant de franc-parler que possible ! […] Ses dernières lettres, à mesure qu’on avance dans le règne de Louis XIV, montrent à quel point il retarde en quelque sorte et ne peut se faire au siècle nouveau. […] À mesure qu’on s’éloigne, le moment arrive où, par suite de l’encombrement historique croissant, la postérité est heureuse de rencontrer de ces représentants abrégés qui lui donnent jour sur toute une époque et qui lui font miroir pour tout ce qui a disparu.

295. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Mais ces sortes d’adhésions, pour être valables et sincères, ne doivent se manifester que dans leur temps, et, jusqu’à cet invincible éclat intérieur, on n’y saurait mettre en paroles trop de mesure, je dirai même trop de pudeur. […] M. de La Mennais, abandonné à mesure qu’il avançait, dut conquérir en apôtre, un à un, et dans les rangs jeunes et obscurs, ses véritables disciples. […] Buonaparte opprimait la pensée par des mesures de police arbitraires, mais une sorte de pudeur l’empêcha toujours de transformer en ordre légal le système de tyrannie qu’il avait adopté. […] Le style de l’Essai sur l’indifférence, qui s’est épuré, affermi encore, s’il se peut, dans les deux écrits subséquents de l’auteur (la Religion considérée dans ses rapports, etc., et les Progrès de la Révolution), possède au plus haut degré la beauté propre, je dirai presque la vertu inhérente au sujet ; grave et nerveux, régulier et véhément, sans fausse parure ni grâce mondaine, style sérieux, convaincu, pressant, s’oubliant lui-même, qui n’obéit qu’à la pensée, y mesure paroles et couleurs, ne retentit que de l’enchaînement de son objet, ne reluit que d’une chaleur intérieure et sans cesse active.

296. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Il convient de faire une place au roi354, qui dans ses Mémoires et dans ses Lettres, se montre à son avantage, avec son sens droit et ferme, son application soutenue aux affaires, sa science délicate du commandement : une intelligence solide et moyenne, sans hauteur philosophique, sans puissance poétique, beaucoup de sérieux, de dignité, de simplicité, une exquise mesure de ton et une exacte justesse de langage, voilà les qualités par lesquelles Louis XIV a pesé sur la littérature, et salutairement pesé. […] La théorie littéraire qui est faite exactement à sa mesure, ce n’est pas celle de Boileau, c’est celle de Bouhours. […] Au lieu de s’émousser, l’impression s’avive en elle, parce que lentement, à mesure que les circonstances lui parviennent, son imagination en élabore une représentation complète : et c’est de cette vision que jaillit le récit définitif, simple, objectif, et saisissant comme la réalité même. En un mot, elle est artiste, et comme telle, sa personne n’est pas la mesure de son œuvre ; par cette riche faculté de représentation qu’elle possède, elle se donne des émotions que la simple affection ne ferait pas naître, et elle émeut plus qu’elle n’a elle-même d’émotion.

297. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

À mesure que l’humanité avance dans sa marche, le problème de sa destinée devient plus compliqué : car il faut combiner plus de données, balancer plus de motifs, concilier plus d’antinomies. […] Nous n’avons pas vu de grandes choses ; alors nous nous reportons pour tout à la Révolution : c’est là notre horizon, la colline de notre enfance, notre bout du monde ; or il se trouve que cet horizon est une montagne ; nous mesurons tout sur cette mesure. […] L’égalité ne sera de droit que quand tous pourront être parfaits dans leur mesure. Je dis dans leur mesure ; car l’égalité absolue est aussi impossible dans l’humanité que le serait l’égalité absolue des espèces dans le règne animal.

298. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Seulement, comme d’ordinaire on ne sait par cœur que ce que l’on a étudié, il est rare qu’un effort intellectuel soit nécessaire pour interpréter les mots qui se succèdent dans l’esprit ; l’effort mental se concentre sur la remémoration, et nous comprenons à mesure sans intervalle appréciable. […] Et, à mesure qu’avec l’âge les souvenirs de nos inventions s’accumulent en nous plus nombreux, nos idées nouvelles sont moins nouvelles ; à tâche égale, un moindre effort suffit et pour innover et pour exprimer nos découvertes ; l’intervalle diminue donc pour les idées nouvelles comme pour les idées que nous répétons ; on dirait, — pure illusion, — que nous nous habituons peu à peu à ne pas suivre nos habitudes, comme si le contraire de l’habitude était soumis lui-même à la loi de l’habitude. […] De même, un texte difficile éveille, dès le premier essai de déchiffrement, un groupe d’idées, groupe instable, destiné à se modifier et à s’enrichir à mesure des efforts et des succès de la réflexion ; mais cette interprétation provisoire, bien qu’incomplète et inexacte, est une interprétation, un sens, au moins hypothétique, de la phrase. […] A mesure que se fait la coordination du langage et de la pensée, l’enfant cherche toujours ses mots quand il porte un jugement nouveau, mais il les trouve de plus en plus facilement ; d’autre part, quand il parle pour parler, les mots éveillent des pensées de plus en plus riches, nettes et cohérentes ; et, à la longue, l’accord de la parole et de la pensée devient si étroit que l’enfant devenu un adolescent ne peut plus guère trouver une pensée sans la bien exprimer, ni se rappeler des mots sans y attacher un sens plein et sérieux.

299. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

. — Ici, je vous arrête encore, et je ne puis admettre que ce genre d’application et d’étude ait jamais été la mesure de la force morale des sociétés ni de la vigueur de la civilisation : car cette philosophie-là touche de bien près à la sophistique. […] En vain je m’attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire ; en vain, épouvanté du vide inconnu dans lequel j’allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois avec elles vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m’était cher et sacré : l’inflexible courant de ma pensée était plus fort ; parents, famille, souvenirs, croyances, il m’obligeait à tout laisser ; l’examen se poursuivait plus obstiné et plus sévère à mesure qu’il approchait du terme, et il ne s’arrêta que quand il l’eut atteint. […] Ici, maître de son terrain, manœuvrant de pied ferme, prenant son temps et ses mesures, il étudie les faits, il les ordonne et les combine, il les appuie et les enchaîne dans des compositions savantes qui ont de l’intérêt, du jugement, de la force et des parties d’éclat.

300. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Personne ne fait mieux comprendre que Töpffer comment, sans avoir rien des procédés convenus et artificiels, on parvient à épeler, à bégayer, puis à parler, chacun selon sa mesure et avec son accent, la langue du pittoresque. […] À d’autres endroits de ses écrits, et tout en reconnaissant avec vérité les défauts habituels au caractère du paysan, il est revenu encore sur la part de solide bon sens qu’il trouve en plus grande mesure chez eux que dans les autres classes : « Ceci se marque bien dans leur langage, ajoute-t-il, qui est clair, discret, et d’une constante propriété. […] Douze ans après, au lit de mort lui-même, et durant sa dernière maladie, Töpffer revenait sur cette méditation, sur cette énigme de la destinée, dont il avait désormais une pleine conscience, et il la dénouait, selon sa mesure, en homme de famille, en époux et en père, pieux, résigné et saignant : « Renoncer au monde, si l’on prend le précepte à la lettre, disait-il, c’est fausser sa destinée en dépravant sa nature.

301. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Bailly a beau faire, on ne peut se détacher de l’esprit de son tempsk : il rêve et place un xviiie  siècle idéal à l’origine des choses, il en fait sa mesure de jugement, et là où il ne le retrouve plus, il dit qu’il y a eu décadence. […] C’est l’objet des vœux et des regrets du monde : des regrets supposent nécessairement une perte un changement, un ancien état détruit. » Il analyse ce qui pour chacun en particulier, à mesure qu’on avance dans la vie, peut s’appeler l’âge d’or : Qui ne regrette pas, s’écrie-t-il, le temps de sa jeunesse ? […] Après avoir plus ou moins établi qu’il se rencontre chez les anciens peuples connus de l’Asie des ressemblances d’idées, d’institutions, et particulièrement de notions ou mesures astronomiques qui sont d’une singularité frappante, Bailly se demande d’où peut provenir une telle similitude, et il ne voit pour l’expliquer qu’un de ces trois moyens : ou une communication libre et facile de ces anciens peuples entre eux ; ou une invention spontanée et directe, dérivant essentiellement de la nature humaine en chacun, ou enfin une origine, une parenté supérieure et commune à tous : et il discute ces trois suppositions.

302. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Buffon lui accorde le génie créateur qui tire tout de sa propre substance : « Il n’existera jamais, lui dit-il, de Voltaire second » ; c’était une réplique au compliment de Voltaire qui avait appelé Archimède de Syracuse Archimède premier, pour donner à entendre que Buffon était Archimède second ; et faisant ainsi à son rival de Ferney les honneurs du génie, Buffon ne se réserve pour lui que le talent, lequel, si grand qu’il soit, dit-il, « ne peut produire que par imitation et d’après la matière. » Cette lettre à Voltaire, comme plus tard celles qui seront adressées à l’impératrice Catherine, passe la mesure ; Buffon y est deux fois solennel ; il y fait de la double et triple hyperbole, et l’homme qui, à son époque, avait le plus de sens et de jugement, nous fait sentir par là que ces qualités solides d’une éminente intelligence ne sont pas du tout la même chose que le tact et le goût. […] Un spirituel écrivain a essayé d’établir une mesure entre la sensibilité plus ou moins grande des auteurs à la critique et leur plus ou moins de croyance et de religion ; il est allé jusqu’à dire, et ici même65, que « le génie sans croyance n’est que le plus vulnérable des amours-propres ». C’est joli, mais il me semble que la vraie mesure n’est pas où la met cet homme d’esprit, et de doctrine un peu trop idéale : Racine, par exemple, était un génie religieux et croyant, et nul n’a été plus que lui sensible et susceptible ; il était un amour-propre plus vulnérable que Molière ou Shakespeare.

303. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Les analyses du Journal de l’ambassadeur deviennent fréquemment, sous la plume du jeune écrivain, de piquants tableaux de mœurs, mais sans excéder jamais et sans sortir de la juste mesure de l’histoire. […] Il n’était pas permis de tout dire ; il ne se croyait pas en mesure pour critiquer directement : il avait des tours, des finesses, pour faire entendre sa pensée ; l’ironie est sa figure favorite. […] J’avais écrit sur Tocqueville dans le Moniteur et en le faisant j’avais eu en vue deux choses : témoigner d’abord, dans le journal même du Gouvernement, de mon respect et de mon estime pour un adversaire de haut mérite ; et, en second lieu, à la veille d’une grande solennité littéraire, au moment où l’on allait peut-être essayer de nous donner un faux Tocqueville, j’avais tenu a en présenter un vrai et à prendre, autant que je le pouvais, la mesure de l’homme, avant qu’il passât à l’état de demi-dieu ou de pur génie par le fait de l’apothéose académique.

304. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Je n’ai pas tout dit de cette éducation inventive et agréable où « la conversation, les amusements, la table, tout, par les soins et l’habileté du maître, devenait leçon pour l’élève, et rien ne paraissait l’être. » Je n’ai rien dit du Télémaque, ce cours de thèmes comme il n’y en a jamais eu, qui n’est, a le bien voir, que la plus longue des fables de Fénelon, l’allégorie développée, devenue épique, et où l’auteur, abordant par les douces pentes de l’Odyssée la grandeur d’Homère, de cet Homère qui, « d’un seul trait met la nature toute nue devant les yeux », n’a fait, en le réduisant un peu, que lui donner la mesure et comme la modulation virgilienne, et le ramener en même temps aux convenances françaises, telles crue les entendaient les lecteurs de Racine. Je n’ai point suivi le maître dans les plans et programmes de lectures sérieuses et graduées qu’il propose, à mesure que l’éducation avance : peu de grammaire, pas de rhétorique formelle ni dogmatique, et la logique ajournée ; mais la jurisprudence positive, historique, l’histoire elle-même, la lecture directe des auteurs, c’est ce qu’il conseille, indiquant chacun de ces auteurs alors en usage, le désignant au passage d’un trait juste, et sur les sujets et pour les époques les plus éloignées de cette « ingénue Antiquité » qu’il préfère, montrant qu’il sait comprendre tout ce qu’il regarde, même l’âge de fer et le Moyen-Age, et qu’il est un guide non trompeur, évitant partout sans doute l’accablement et la sécheresse, mais de trop de goût pour aller mettre des fleurs là où il n’en vient pas. […] Il serait à souhaiter sans doute que tous les sujets d’un royaume fussent vertueux, et l’on ne saurait prendre de trop justes mesures pour qu’une bonne éducation les rende tels ; mais il suffit qu’il s’y trouve autant d’hommes versés dans les sciences qu’il en faut pour remplir les places.

305. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Elle est souvent le résultat de mesures justes et précises, non aperçues par le vulgaire, qui ont précédé l’événement. […] Méchancetés, indiscrétions, mensonges, faux rapports, tracasseries, toutes les bêtises de la malice humaine rassemblées dans un cercle étroit et redoublées par l’étiquette, elle éprouve tout cela dans ses relations avec sa mère, avec l’Impératrice, avec son fiancé, avec les femmes qu’on lui donne pour argus ; elle est obligée de garder des mesures avec chacun, et, malgré sa grande jeunesse et son goût vif d’amusement et de plaisir, elle s’en fait une loi : comme chez tous les grands ambitieux (Sixte-Quint, Richelieu), sa passion dominante est assez forte pour se plier à tout et s’imposer d’abord la souplesse ; son orgueil fait le mort et rampe pour mieux s’élever ; seulement, femme et charmante femme qu’elle est, elle a ses moyens à elle, et elle y met de la grâce : « Au reste, je traitais le mieux que je pouvais tout le monde, et me faisais une étude de gagner l’amitié, ou du moins de diminuer l’inimitié de ceux que je pouvais seulement soupçonner d’être mal disposés en ma faveur. […] Cependant le jour solennel qui doit la faire grande-duchesse n’est pas éloigné ; l’Impératrice l’a fixé au 21 août (1er septembre 1745) : « A mesure que ce jour s’approchait, je devenais plus mélancolique.

306. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Ajoutez que la pièce est dans la vraie mesure de l’art ; la moralité y est plutôt conclue qu’affichée ; elle reste à tirer, l’auteur ne l’impose pas ; et si l’on veut à toute force conjecturer que le jeune artiste au cœur trop faible, s’il avait écarté différemment, aurait trouvé un autre genre d’écueil dans le bonheur somnolent du mariage, comme il a trouvé sa perte sur la mer orageuse de la passion, il n’y a pas de raison absolue qui s’y oppose : vous êtes libre d’y rêver tout à votre aise. […] Il y a une scène fort belle où Sibylle ne me paraît pas excéder la mesure du possible : c’est lorsque la duchesse Blanche, son amie, mariée par raison à un homme estimable, retrouve après des années celui que toute jeune elle préférait et de qui elle aurait aimé à faire choix, et lorsque entraînée sur une pente rapide elle se sent bien près de manquer à ses devoirs : dans son trouble, elle s’ouvre tout d’un coup à Sibylle, à cette jeune fille grave, et pour qui elle a conçu une haute estime. […] L’auteur de Sibylle semble être sorti un peu de son rôle et avoir forcé, cette fois, la mesure.

307. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

rien qu’un denier d’or marqué à mon nom, et qui s’ajouterait à cette richesse des âges, à ce trésor accumulé qui déjà comble la mesure ! […] Il s’abandonnait à ses amis ; il ne s’irritait jamais des critiques du dehors ; il cédait outre mesure aux conseils du dedans ; dès qu’on lui disait de corriger, il le faisait. […] Auger, judicieux et bienveillant, quoique sec ; la mesure du jeune poëte y est bien prise.

308. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Ô locataire du moulin de Gaspard Mitifio, conteur des contes du lundi, ami du petit Jack et de la petite Désirée, compatriote infidèle de Tartarin, de Numa et de Bompard, historiographe du Nabab et de la reine Frédérique, ô magicien qui savez unir dans une si juste mesure et par un secret si rare la vérité, la fantaisie et la tendresse, ah ! […] A mesure que M.  […] Mais l’homme peut au moins, dans son humble mesure, participer à ce plaisir divin ; et M. 

309. (1903) Zola pp. 3-31

Nul homme, — ce qui ne m’irrite point outre mesure, et, après tout, on l’a pardonné bien facilement à Byron et à Henri Heine, mais ce qui me blesse cependant un peu, — n’a plus âprement et plus injustement calomnié son pays. […] La force brutale et le défaut de mesure ont sur les hommes à demi lettrés, ou qui ne sont point lettrés du tout, un prestige incomparable. […] Si Zola voulut faire l’expérience de dépasser la mesure, il dut voir qu’il était à peu près impossible de la dépasser et qu’elle est, pour ainsi parler, à l’infini.

310. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Ce monologue ou ce dialogue, ce moi parlant à un autre moi ou se parlant à lui-même dans une sorte de solitude semblable à celle de Fichte, ce monde de la conscience, si ténébreux pour l’imagination, si fermé à la lumière des sens, cette analyse subjective si subtile et en apparence si arbitraire, toute cette spiritualité abstraite, n’avaient rien qui pût parler à ce temps de réalisme objectif, où l’on veut toucher et compter, et où l’on ne reconnaît de science que dans ce qui est susceptible de poids et mesure. […] Cette appréhension impatiente et avide du futur, si souvent signalée par les moralistes, devient une fatigue quand on en prend conscience ; de là, il résulte que la vie est douce dans la jeunesse, malgré toutes les douleurs, parce que, la force de vivre étant toute fraîche, la vie ne coûte aucun effort, tandis qu’elle devient lourde au contraire, même au sein du bonheur, à mesure que l’on avance en âge, par la conscience accumulée de la fatigue passée et la prévision certaine de la fatigue future. […] Nous ne remontons par la mémoire que jusqu’à une certaine période de notre vie, et les intervalles vides de souvenir s’augmentent et grandissent à mesure que nous rétrogradons par la pensée.

311. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Résumé d’une pratique personnelle et forcément restreinte, elles devront nécessairement évoluer à mesure que l’on acquerra une expérience plus étendue et plus approfondie de la réalité sociale. En fait de méthode, d’ailleurs, on ne peut jamais faire que du provisoire ; car les méthodes changent à mesure que la science avance. […] Mais la pensée collective tout entière, dans sa forme comme dans sa matière, doit être étudiée en elle-même, pour elle-même, avec le sentiment de ce qu’elle a de spécial, et il faut laisser à l’avenir le soin de rechercher dans quelle mesure elle ressemble à la pensée des particuliers.

312. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Si au lieu d’être en France, nous étions en Angleterre, le pays du cant où il faut toujours se mettre en mesure vis-à-vis de la morale publique, sous peine de sentir sa vie atteinte et déchirée aux endroits les plus sensibles par une opinion implacable, qui n’a point autrefois pardonné à Byron, qui ne pardonne pas aujourd’hui à Charles Dickens, je concevrais la tentative de Mme George Sand, qui cependant, en Angleterre, ne réussirait pas. […] Elle dit sans cesse de telle ou telle œuvre : « Je la fis à bâtons rompus. » La conscience réfléchie de la chose qu’on fait ; l’idée vraie qui doit la dominer ; la mesure de son influence ; la caresse féconde de l’étude qui en approfondit la beauté ; le calcul de la route qu’on doit suivre pour arriver au but qu’on veut frapper ; toutes ces choses, grandes et difficiles, qui seraient l’orgueil et la force des plus nobles esprits, ne sont pas pour elle « du génie. » Tout cela est trop déduit, trop travaillé, trop voulu. […] Je sais bien qu’elle a une mesure et une suite dans l’image que les Prudhommes fougueux n’ont pas toujours.

313. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Janin envoyait à l’imprimerie, sans les relire, les pages de la Confessions et de Barnave, à mesure qu’il les laissait tomber de sa plume. » Eh bien ! […] C’est là tout un côté de la critique actuelle, de la mauvaise critique ; mais hors de celle-là, en face ou pêle-mêle, il y a la bonne, il y a celle des esprits justes, fins, peu enthousiastes, nourris d’études comparées, doués de plus ou moins de verve ou d’âme, et consentant à écrire leurs jugements à peu près dans la mesure où ils les sentent.

314. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

A mesure que l’heure irréparable d’asseoir grandement l’état transitoire que nous concevions s’écoulait dans une inertie impuissante ou dans des tâtonnements rétrogrades, notre goût pour la lutte passionnée et pour l’attaque immédiate diminuait. […] Nous interrogeâmes de plus près la doctrine ; et à mesure que nous la connûmes davantage, nos doutes et nos objections sur sa vérité essentielle et sa mise en pratique s’évanouirent successivement.

315. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Alors d’idée naîtra pour ainsi dire toute placée, logée en un coin le l’œuvre, sans pouvoir être mise ailleurs, et comme aillée à la mesure et en la manière qu’il faut pour adhérer à ses voisines. […] Comme les pensées absolument et essentiellement neuves sont rares, on peut dire que, dans la plupart des cas, la disposition est la vraie mesure de l’invention : la richesse et la fécondité de l’esprit créateur se manifestent par l’ordonnance de l’œuvre.

316. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

C’est la mesure de cette nécessité, de l’effort qu’on fait pour s’y soustraire, de la douleur qu’on éprouve en s’y soumettant, qui devient la mesure du caractère moral de l’homme, qui, plutôt que de s’y soumettre, consent à s’immoler lui-même (en n’immolant toutefois que lui-même et non ceux dont le sort lui est confié), et s’élève par-là au plus haut degré de vertu auquel l’humanité puisse atteindre.

317. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

Mais, sur toutes ces questions épuisées, il y a l’homme qui les remua, il y a la force du critique, la personnalité d’un esprit comme celui de Lessing et sa juste mesure. […] Mais, heureusement pour lui, il ne savait pas l’allemand ; circonstance qui épargna à sa vieille royauté expirante la familiarité de ce welche en mesure de traiter, par la plaisanterie, d’égal à égal avec lui !

318. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

À mesure qu’il a vécu et travaillé (et j’emploie ce mot à dessein) il s’est dégagé de ses écumes et de ses scories. […] Vous y rencontrez dans une mesure qui ne peut plus s’étendre les qualités dont la Critique superficielle a fait des lieux communs, quand elle parle de M. 

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