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889. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Des esprits dont l’admiration s’est gauchie à se trop presser d’admirer ont avancé que ce livre marqua le genre d’Audin comme historien, de même que son Essai sur le Romantique révéla sa forme littéraire ; et rien n’est plus faux d’une double fausseté. […] Mais la jeunesse du talent d’Audin n’est pas de celles que le temps emporte ; elle ne tient pas aux formes de l’imagination de son époque ; car chaque époque a son genre d’imagination comme son genre de sensibilité. […] Les formes littéraires sont épuisées. […] Mais la vérité complète, la vérité dans sa variété infinie, tel est le but, plus profond que la forme, de toute histoire, et qui restera à atteindre, quand il n’y aurait plus de littérature, jusqu’au jour de la mort de l’esprit humain. […] L’originalité d’Audin est d’être un missionnaire historique… Les esprits qui croient encore à la division des genres en littérature l’ont loué d’être revenu, dans son Henri VIII, aux vieilles formes conventionnelles de l’histoire.

890. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Il était loyal, détestait l’hypocrisie et cette conscience approximative qui n’est qu’une forme de l’hypocrisie. […] » — Cette probité intellectuelle, qui du reste n’est qu’une forme de la probité morale, était chez lui intransigeante. […] Elle est donc, à proprement parler, une « forme du sentiment de fierté croissante ». […] L’aristocratisme est une forme du patriotisme et n’est pas autre chose. Si l’on veut, l’aristocratisme est une forme de l’instinct de hiérarchie et l’instinct de hiérarchie c’est le patriotisme lui-même.

891. (1898) La cité antique

Elle fait que la famille forme un corps dans cette vie et dans l’autre. […] Au temps d’Auguste ils avaient encore conservé toutes leurs formes antiques. […] L’admission avait lieu sous une forme religieuse. […] La cité se forme. […] Sous cette forme légendaire il y a une vérité.

892. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Comprend-elle la matière et la forme ? […] Le poëte le conçoit à l’image du nôtre, mais plus beau, plus harmonieux ; la vie y est plus pleine et plus largement savourée : il y contemple des formes visibles et palpables, concrètes, vivantes, plus réelles pour lui que la réalité. […] L’histoire de l’ancienne physique, embarrassée de formes substantielles et de causes occultes, montre assez combien les meilleurs esprits cèdent au penchant de réaliser des abstractions. […] Les idées scolastiques sur l’immutabilité des formes de la vie et l’uniformité des époques de l’histoire ont fait place à une conception contraire. […] L’auteur distingue deux ordres de sciences : celles qui se rattachent aux idées d’ordre et de forme ; et celles qui étudient les fonctions de la vie et font un usage perpétuel de l’idée de force.

893. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Les deux romans de Chateaubriand, Atala et René, possèdent l’inestimable mérite de renfermer, sous un petit volume et dans une forme littéraire, les principales caractéristiques du moment psychologique, disséminées dans d’innombrables et aujourd’hui illisibles productions, qui naissaient pour mourir le lendemain. […] Mais la révolution avait renouvelé la langue parlée à la tribune et écrite dans le journal et les romans ; des mots, des tournures, des formes de phrases, des images, des comparaisons, venus de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, avaient envahi la langue châtiée, polie, légère et élégante des salons aristocratiques, la langue de Montesquieu et de Voltaire, et l’avaient révolutionnée. […] La manière de vivre de chaque classe imprime aux sentiments et aux passions humaines une forme propre. […] Ce sont les contemporains qui fournissent à l’écrivain ses idées, ses personnages, sa langue et sa forme littéraire, et c’est parce qu’il tournoie dans le tourbillon des humains, subissant, ainsi qu’eux, les mêmes influences du milieu cosmique et du milieu social, que le poète peut comprendre et reproduire les passions de l’humanité, s’emparer des idées et de la langue courante et pétrir à son usage personnel la forme littéraire donnée par le frottement quotidien des hommes et des choses. […] Dans cet ouvrage, que Taine a pillé honteusement, sans toujours comprendre la portée de ce qu’il dérobait, Mme de Staël émet des vues géniales sur l’action exercée par le milieu social pour déterminer la forme littéraire.

894. (1914) Boulevard et coulisses

Car Gaston Calmëtte n’avait pas plus d’ambition que nous, ou plutôt il avait, comme nous tous, cette forme vague d’ambition qui est la confiance dans l’avenir et dans la bonne disposition des événements à notre égard. […] Alors, elle s’adapte d’une façon presque instantanée aux conditions de la scène : elle est le liquide qui prend la forme du vase. Élégante ou vulgaire, cette forme, pendant trois ou quatre heures, devient la sienne ; et quand elle l’a dépouillée, il lui en reste encore le frôlement. […] Mais, jusqu’ici, vous avez au moins reçu, en échange, ou de nobles exhortations au patriotisme et au travail, ou de beaux aperçus de philosophie et d’histoire, dans les formes les plus élevées de l’éloquence. […] C’est à vous maintenant de créer d’autres légendes et d’autres formes de la joie.

895. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il forme une littérature qui n’est pas ou qui est peu nationale. […] L’humanisme a naturellement le souci de la perfection de la forme. […] En somme il forme très peu son caractère. […] Le faisceau de la doctrine se forme à la fois et se resserre. […] Il faut tout imiter des anciens, fond et forme.

896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Fanny s’intitule une étude : c’est plus qu’une nouvelle, c’est presque un poème par la forme, par la coupe, par le nombre, par un certain souffle qui y règne d’un bout à l’autre et qui se marque singulièrement dans les paragraphes ou plutôt dans les couplets du commencement. […] La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie chez Roger, ses soupçons tantôt irrités, tantôt assoupis, et que le moindre mot réveille, son horreur du partage, l’exaspération où il s’emporte à cette seule idée, tous ces degrés d’inquiétude et de torture jusqu’à la fatale et horrible scène où il a voulu n’en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d’expression, qui ne craint pas d’étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n’en déplaise à ceux qui n’admettent qu’une manière d’écrire, une fois trouvée) a certainement sa forme à lui et son style. […] La comparaison entre Adolphe et Fanny ne saurait s’établir que sur la forme et pour le cadre, pour le nombre et le chiffre des acteurs : le fond de la situations d’ailleurs, est des plus dissemblables. […] Avec une politesse exquise qui excluait toute forme familière et nous tenait à distance l’un de l’autre comme il l’entendait, mais avec une tranquillité d’accent et une manière courtoise, il se mit immédiatement à conduire le discours, et je ne pus m’empêcher de le suivre.

897. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Toutes les formes gouvernementales ne sont à mes yeux que des moyens plus ou moins parfaits de satisfaire cette sainte et légitime passion de l’homme. » Lorsqu’on entre dans la politique avec une telle visée, on court risque de rencontrer sur son chemin bien des mécomptes. […] Pour celui qui étudie les formes différentes et caractéristiques des esprits, il est curieux de suivre M. de Tocqueville en Allemagne, dans son voyage à la recherche de cet ancien régime qui le préoccupe tant : il ne parvient pas d’abord à trouver ce qu’il espérait, et à découvrir un ordre de symptômes précurseurs de 89 et corrélatifs aux nôtres. […] On ne dit pas mieux en moins de mots : Pour remettre mon esprit en équilibre, écrivait-il à M. de Corcelles (un esprit à la fois libéral et religieux, et à qui il savait que cela ferait plaisir), je lis toujours, de temps en temps, du Bourbaloue ; mais je crains bien que le bon Dieu ne m’en sache pas beaucoup de gré, parce que je suis trop frappé du talent de l’écrivain et trouve trop de plaisir à la forme de sa pensée. […] Dans cette matière si éloignée des habitudes de son esprit, Bourdaloue emploie avec une exactitude si rigoureuse, quoique non affectée, les termes justes, et ils s’appliquent si bien à ce qu’il veut dire, qu’il n’y a pas un des hommes de son temps auquel il ne rendît sensible sa pensée… L’adresse avec laquelle il varie les formes du langage pour soutenir et reposer l’attention de l’auditeur est véritablement merveilleuse.

898. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Cet homme admet bien, comme vous, l’idée générale de Création, et même il ne saurait concevoir l’idée contraire, celle d’une succession continue à l’infini ; mais après cette idée de Création il s’arrête, il ne peut concevoir ni admettre que l’Intelligence et la Puissance infinie se soit, à un certain jour, incorporée, incarnée dans une forme humaine ; il respecte, d’ailleurs, au plus haut degré, à titre de sage et de modèle moral sublime, Celui que vous saluez d’un nom plus divin ; — et cet homme, parce qu’il ne peut absolument (à moins de se faire hypocrite) admettre votre idée à vous, avec toutes ses conséquences, vous l’insulterez ! […] L’auteur a mis là, sous forme dramatique, ses observations de journaliste en province ; il a réuni tous les personnages plats et ridicules auxquels il a eu affaire, dans un chef-lieu idéal qu’il appelle Cignac. […] Ce M. de Valère, dévot et ambitieux à la fois, est peu attrayant, et les échantillons que j’ai rencontrés de cette forme de jeunes hommes politiques ne me la rendent pas plus acceptable. […] Mais faut-il transporter ce scandale, le risquer et le multiplier à proposde tout, à chaque instant et sur chaque point de la société, et sous sa forme la plus offensive, la plus provocante ?

899. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Je ne sais comment cela se fait, mais je ne vois autour de moi, depuis quelques jours, que Contes de Perrault ; j’en ai sous les yeux de toutes les formes et de toutes les dimensions ; il en sort de terre à cette époque de l’année. […] Boileau est l’homme du goût littéraire et classique, le satirique judicieux qui s’attaque surtout aux livres et aux formes en usage au moment où il paraît, et qui se rattache à la tradition délicate et saine de la belle Antiquité. […] C’est beaucoup ; c’est peu pourtant, si l’on considère la diversité des génies et l’infinité des formes que peut revêtir la nature des talents. […] Ainsi les souris qui sont changées en chevaux, dans Cendrillon, gardent à leur robe, sous leur forme nouvelle, « un beau gris de souris pommelé » Le cocher, qui était précédemment un gros rat, garde sa moustache, « une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues. » Il y a des restes de bon sens à tout cela.

900. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Artiste, cette nouvelle forme en crédit autour d’elle avait de quoi la tenter ; femme, cette confidence, à demi parlée, à demi murmurée, devait lui sourire. […] La forme atteste une main habile et presque virile d’artiste ; le fond exprime une âme de femme délicate et ardente, mais qui a beaucoup pensé, et qui ne prend guère l’harmonie des vers comme un jeu. […] Les formes sont trouvées ; les louables productions, comme celle que nous avons annoncée, y rentrent plus ou moins. […] Voici comment je les définis ; gracieux et sensibles, mais plus faibles et imitants ; ou habiles, mais de pure forme ; ou assez élevés, et même ambitieux, mais sans art.

901. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Il est aussi quelques autres, avertis combien la forme de Mallarmé le traduit fidèlement, simplement, qu’il est modèle de pensée libre, hardie, harmonieuse, d’expression originale, non professeur d’un procédé. […] La forme en est parfaitement artistique, et ce n’est pourtant pas le poème en prose. […] Mendès : « Mallarmé est un auteur difficile. » C’est-à-dire que sa forme n’est pas celle de tout le monde, mais elle est, au moins en prose, claire et rapide : puisqu’il ne fait presque jamais, pour l’enchaînement des propositions, remonter qu’aux mots les plus proches. […] Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire, De sa conque où soupire un antique refrain Emplissant le ciel calme et l’horizon marin, Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

902. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

Vous êtes, vous aussi, de ceux qui cherchent de la poésie partout ; et comme, avant vous, d’autres l’avaient cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes différentes ; comme on vous avait laissé peu d’espace ; comme les champs terrestres et célestes étaient à peu près tous moissonnés, et que, depuis trente ans et plus, les lyriques, sous toutes les formes, sont à l’œuvre, — venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, j’imagine : « Eh bien ! […] Que si vous l’eussiez fait intervenir un peu plus souvent, en deux ou trois endroits bien distincts, cela eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et tous ces bizarres entrelacements où s’est lassée votre fantaisie, parussent dans leur vrai jour, c’est-à-dire à demi dispersés déjà et prêts à s’enfuir devant la lumière.

903. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Quant au thème grec, il avait de brillants partisans, mais peu nombreux, parce que cette forme se prête mal à l’exposition des principes politiques et religieux. […] Il a publié assez récemment, chez Hetzel, deux petits volumes sur la Rhétorique même et sur la Mythologie, et en rajeunissant par la forme des sujets dont le fond semble épuisé, il s’y montre plus dégagé de ton et plus alerte qu’on ne l’est volontiers dans l’Université, il n’a pas prétendu creuser, il s’est joué sans pédanterie à la surface : on sent un auteur maître de sa matière et qui en dispose à son gré.

904. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

Je m’étais mis à leur appliquer tout d’abord une forme de critique singulièrement délicate et chatouilleuse ; je me faisais l’introducteur, l’interprète et jusqu’à un certain point le panégyriste de grands écrivains qui allaient se modifiant eux-mêmes pendant que je les peignais, et qui, souvent, par leur prompte métamorphose, déjouaient mes louanges les plus sincères et les plus méritées. — Je dirai tout de suite que pour avoir sous les yeux tout ce que j’ai écrit ex professo sur La Mennais, il faudrait y joindre l’article sur la Correspondance publiée par M. […] La vérité aussi, c’est que M. de La Mennais, avec ses jugements absolus, devait assez peu goûter ma forme de critique d’alors et même celle où, de tout temps, ma curiosité n’a cessé de se complaire.

905. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Portoul ; non-seulement il se raille volontiers de la direction humanitaire dans la critique ou dans l’art, mais il se passe très bien, dans l’une et dans l’autre, d’un point de vue moral et d’un but utile quelconque ; il lui suffît en toutes choses de rencontrer ou de chercher la distinction, la fantaisie, l’éclat, la rareté de forme ou de couleur. […] Théophile Gautier, la forme gothique et romantique ; et elle s’apparente directement aux peintures d’Orcagna ou d’Holbein, aux moralités des xiv et xve  siècles.

906. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Autrefois, les libertés de la nation étaient mal définies, obscures, discrètes, obérées sous des formes minutieuses et confuses ; la voix de l’opposition, qui sort des entrailles de tout gouvernement non despotique, n’avait pas de quoi se faire jour. […] Ainsi le Mariage de Figaro fut un éclair de la Révolution française, quoiqu’après tout, l’éclair n’apparaisse que quand l’orage se forme ou est formé.

907. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

Sans doute il ne faut pas attendre que la comparaison jaillisse pour ainsi dire toute droite et dans sa forme parfaite, comme Minerve est sortie du cerveau de Jupiter. […] Je conseillais plus haut de décomposer le groupe en ses individus : il s’agit ici de réaliser l’idée même du groupe en une forme personnelle, vivante, individuelle.

908. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Carle Vanloo  » pp. 117-119

La différence qu’il y a entre la Magdelaine du Correge et celle de Vanloo ; c’est qu’on s’approche tout doucement par derrière de la Magdelaine du Correge, qu’on se baisse sans faire le moindre bruit, et qu’on prend le bas de son vêtement seulement pour voir si les formes sont aussi belles là-dessous qu’elles se dessinent au dehors ; au lieu qu’on ne forme nulle entreprise sur celle de Vanloo.

909. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Gérard de Nerval »

En gardant cette forme biographique, que nous aimons, du reste, parce qu’elle rend l’idée plus personnelle et plus humaine, est-ce que Gérard de Nerval pouvait se dispenser de toucher quelque part dans son livre la question de l’illuminisme, au double point de vue psychologique et physiologique ? […] Mais du moins il faut l’être avec une telle désinvolture, avec une telle verve, avec un tel style, que, l’œuvre d’art dominant tout, le livre ne soit plus qu’une forme, une arabesque de la pensée, une volupté littéraire, et non une prétention à la science et à l’aperçu.

910. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Dans l’ordre matériel, réimprimer les anciennes œuvres est un fait qui correspond à la reproduction des anciennes formes dans l’ordre intellectuel et artistique. Hasard heureux quand ces formes sont reproduites avec le double sentiment de l’exactitude et de la vie, et quand ces ouvrages qu’on réimprime sont choisis avec discernement !

911. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Dans l’ordre matériel, réimprimer les anciennes œuvres est un fait qui correspond à la reproduction des anciennes formes dans l’ordre intellectuel et artistique. Hasard heureux quand ces formes sont reproduites avec le double sentiment de l’exactitude et de la vie, et quand ces ouvrages qu’on réimprime sont choisis avec discernement !

912. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Il avait l’esprit abstrait et raisonneur du xviiie  siècle : il n’a été qu’un philosophe ennemi des philosophes, dénué, comme ils le furent en général, de sens artistique, et réduisant, comme ils faisaient, le réel aux formes de ses idées a priori. […] Lamennais, avant Hugo, et avec une profondeur de pensée, une flamme de passion, où Hugo n’a pas atteint, a été un étonnant visionnaire 684, un grandiose créateur de symboles, de formes tantôt pathétiques et tantôt fantastiques, qui donnent une force incroyable de pénétration à l’idée abstraite qu’elles revêtent. […] Il lui faut une dynastie séculaire pour avoir un droit royal avéré, indiscutable : autour de ce droit, le limitant et le soutenant de leurs droits, il dresse les deux Chambres, et il forme ainsi le gouvernement, en qui, et en qui seul, il place la souveraineté693 . […] Puis les choses reprirent leur cours : mais le suffrage universel avait changé l’aspect de la Chambre et par contre-coup la forme de l’éloquence parlementaire : il y eut moins de correction, de politesse, de logique, plus de violence et de passion déchaînée, des voix plus grosses et plus populaires ; la tradition emphatique ou solennelle de l’éloquence jacobine, le rugissement et le laconisme reparurent à la tribune. […] De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements, 1824-1831, 5 vol. in-8.

913. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

La sérénité de l’air éclairci par la fraîcheur qui suit les tempêtes s’était ensuite répandue sur sa première forme. […] Les potiers lui doivent le tour qui façonne la forme des vases : quelques monnaies athéniennes montrent son hibou familier perché sur une amphore renversée. […] Le cortège des Panathénées se forme autour d’elles, et les dirige vers leur temple, à la lumière des flambeaux sacrés. […] Le caractère des Euménides n’est pas moins changé que leur forme. […] Toute sa vie sociale et morale s’empreint de l’image qu’il se forme d’eux.

914. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

» Je vous dirai que je n’en sais rien ; que, peut-être, la fable avant La Fontaine, c’est-à-dire telle que Boileau en pouvait parler, puisqu’il ne parlait pas d’actualité, n’était rien du tout ou si peu de chose qu’en réalité elle ne valait guère la peine d’être nommée, pas plus, à la vérité, que le triolet, le rondeau, et il n’a sans doute pas considéré la fable comme vraiment un genre poétique, ni par son importance puisque, jusqu’à La Fontaine exclusivement, elle n’en avait pas, ni par sa forme ; et s’il a parlé du rondeau et du triolet, et du sonnet, c’est que ce sont des formes de versification, des formes, au point de vue de la versification, tout à fait intéressantes, tout à fait curieuses qu’il ne faut pas, au moins, avoir l’air d’ignorer. La fable qui, jusqu’à La Fontaine exclusivement, n’était pas un genre marqué, ni par son fond peu important ni par sa forme particulière, pouvait être négligée. […] C’est une chose très amusante que ce siècle si abandonné et à ceinture si lâche pour ce qui était du fond, dans ses contes en vers, dans ses contes en prose, dans ses romans, dans ses poésies légères ; pour ce qui était de la dignité soutenue de la forme, fût impitoyable. […] Corneille est le plus grand des romantiques, à mon avis, de tous les siècles, le plus grand romantique avec une forme qui n’est pas toujours romantique. […] Ce sont bien deux formes de l’esprit malicieux et satirique, mais tellement différentes qu’il est difficile à ceux qui sont habitués à l’une de s’acclimater à l’autre.

915. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Mais tel qu’il est, du reste, ce petit livre inachevé de Balzac est une véritable fortune pour tous les esprits — littéraires ou du monde — qui recherchent cette espèce de littérature dans laquelle on retrouve, sous des formes piquantes, les raffinements des excessives civilisations. […] Il ne faut donc pas s’y méprendre : l’étincelante théorie de Balzac n’est individuelle que par le détail et la forme, par cet art inouï qui bâtit des Alhambras aux mille labyrinthes sur la pointe de deux aiguilles, avec une truelle enchantée ! […] … Attiré par les Illustrations dont ce livre est orné, et qui sont dues à un talent d’une fougueuse et étrange fantaisie, le public reviendra-t-il à ces récits où l’art le plus raffiné se mêle à l’archaïsme le plus savant, et où l’imagination la plus féconde crée pour son compte sous les formes les plus admirablement imitées ? […] Or, ce sont ces deux qualités incommunicables, et après lesquelles il n’y a plus rien à citer dans les formes et les mérites de la pensée, que Balzac a montrées dans les Contes drolatiques comme il ne les a jamais montrées, du moins au même degré. […] Qui n’a pas fait du Moyen Âge, plus ou moins heureusement, dans sa forme plastique, depuis le romantisme ?

916. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Auguste Dorchain a adressé au grand poète, par la bouche aimable et tragique de Mme Weber, des vers d’un sentiment très juste et d’une forme très pure. […] Toute beauté de forme et d’expression était impossible. […] Mais il faut bien, quand on juge un acteur, tenir compte de la forme de son nez, puisque ce nez fait partie de moyens d’expression.) […] Mais il me semble que les pudeurs de ce genre gagneraient à s’exprimer ailleurs et sous une autre forme. […] N’oublions pas, chers barbouilleurs de papier, que la forme particulière de génie qui fait les grands hommes d’action n’est inférieure à aucune.

917. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Il y a là une difficulté qui se retrouve, sous vingt formes diverses, dans toutes les discussions d’aujourd’hui. […] Il avait situé la pensée dans son milieu vivant en reconnaissant qu’elle n’est qu’une des formes de l’action, et une forme périlleuse quand elle n’est pas subordonnée. « Trop de culture excite trop la pensée. […] Il a pris d’elle sa forme et sa force, par des acquisitions et des améliorations patientes. […] L’autre moitié se forme où elle peut comme elle peut. […] Il est possible que l’outrance révolutionnaire de quelques-uns soit une des formes de l’arrivisme.

918. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Qui ne sent combien la forme est plus simple et plus belle dans Pétrarque ? […] Célie, plus silencieuse et plus tendre, forme avec elle un heureux contraste. […] Il forme avec Achille un contraste habilement ménagé. […] La pièce est demeurée au théâtre sous cette seconde forme, à la grande satisfaction de Johnson, et, dit M.  […] On l’a joué longtemps sous cette nouvelle forme.

919. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Je lus avec admiration les phrases, avec douleur les principes ; le radicalisme insultant à la bonne foi ne m’allait pas, mais la forme de ce style m’enchantait. […] Cela pouvait être très-beau, mais la forme indiquait une imitation. […] Je compris tout de suite que c’était un peu biblique et que la parodie dans la forme lui ôtait du sérieux dans le fond. […] Je ne crus qu’à des nécessités d’amour-propre et de respect humain qui lui faisaient augurer de la publication telle quelle du Livre du peuple un effet plus entier et plus bruyant sous sa première forme que sous une forme innocente. […] Ledru-Rollin, chef des journalistes radicaux, et ayant, malgré ses amis, reconnu en lui des facultés de parole et des puissances de conception très-grandes avec des intentions non déguisées contre le socialisme subversif, notre ennemi commun, j’avais conçu pour lui une secrète estime, et je n’étais pas loin d’espérer que le concours d’un homme aussi bien doué ne pût être, sous une forme ou sous une autre, très-utile à la république ; depuis, il suivit légèrement une émeute sans portée qu’il devait répudier courageusement ou conduire ; il se réfugia en Angleterre par une fausse porte, mais il parut de ce jour-là se retirer de la politique, et il vécut en mort de ses souvenirs, de ses regrets et peut-être de son mépris pour les vivants.

920. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Nous pourrons recréer le drame en vers, la plus belle forme d’art, certes ; interpréter avec l’âme actuelle les mythes dans le poème ; et dire sans malice les airs anciens et toujours neufs dans la chanson. […] Le vers, entre ses doigts, est comme la cire du sculpteur capable de s’assouplir à toutes les formes. […] Mais tel est en nous l’amour de la servitude que les nouveaux poètes copièrent et imitèrent à l’envi les formes, les combinaisons et les coupes les plus habituelles de Hugo, au lieu de s’efforcer d’en trouver de nouvelles. […] Vous savez combien la langue de Rabelais est riche, savante ; vous savez qu’elle est lourde à force de richesse ; que c’est un entassement prodigieux de belles formes de langage, un magasin confus de mots et d’idées. […] Et si je vous demande comment vous en donnerez l’idée, vous me répondrez que ce sera par de lointaines et secrètes analogies de ton, de forme, par voie d’allusion et avec un retour à je ne sais quelles idées primordiales, enfin grâce à quelques-uns des beaux secrets du symbolisme !

921. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

D’autre part, nous sommes devenus trop individuels, trop ce qu’était Sainte-Beuve, pour nous préoccuper beaucoup des manières de voir et de sentir de l’antiquité, si loin de nous par le fond et la forme des choses, et encore plus loin par les choses que par les années ! […] Il nous aurait fait sentir que ce génie-femme ne l’est pas seulement par les formes de sa beauté, par la placidité, par la tendresse, par la rêverie, par le rythme du sein sous le mouvement du cœur, mais qu’il l’est encore par son amour pour le vieil Homère et par tout ce qu’une longue intimité laisse après elle, par la pudeur discrète des plaisirs qu’il en a reçus. […] Troubat, qui vend le nom de Sainte-Beuve sous toutes les formes parce qu’il ne peut pas vendre son cadavre (cela viendra peut-être sous la prochaine Commune !) […] Les Lettres à la Princesse devaient être ce qu’elles sont, insignifiantes de fond et, de forme, pénibles. […] Je n’ai vu et n’ai voulu voir que la seule question de forme et de talent littéraire, et j’ai dit nettement : ce n’est là qu’un mauvais recueil de lettres sans agrément, sans verve, sans distinction d’élégance, n’ayant aucune des qualités que doit avoir ce genre très particulier de littérature.

922. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

ou bien mêlé à tout sans s’y confondre, ramené à pleins flots sur le terrain commun et poussé vers un terme immense et inconnu, réfléchissant avec harmonie dans ses eaux les spectacles et les formes de ses rivages, deviendra-t-il dorénavant plus profond, plus large que jamais, surtout moins inaccessible ? […] Qu’il y eût bien des inconvénients dans cette manière un peu absolue d’envisager et de pratiquer l’art, de l’isoler du monde, des passions politiques et religieuses contemporaines, de le faire, avant tout, impartial, amusant, coloré, industrieux ; qu’il y eût là dedans une extrême préoccupation individuelle, une prédilection trop amoureuse pour la forme, je n’essaierai pas de le nier, quoiqu’on ait exagéré beaucoup trop ces inconvénients. […] La mission, l’œuvre de l’art aujourd’hui, c’est vraiment l’épopée humaine ; c’est de traduire sous mille formes, et dans le drame, et dans l’ode, et dans le roman, et dans l’élégie, — oui, même dans l’élégie redevenue solennelle et primitive au milieu de ses propres et personnelles émotions, — c’est de réfléchir et de rayonner sans cesse en mille couleurs le sentiment de l’humanité progressive, de la retrouver telle déjà, dans sa lenteur, au fond des spectacles philosophiques du passé, de l’atteindre et de la suivre à travers les âges, de l’encadrer avec ses passions dans une nature harmonique et animée, de lui donner pour dôme un ciel souverain, vaste, intelligent, où la lumière s’aperçoive toujours dans les intervalles des ombres.

923. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Dans l’anxiété où l’on est, dans l’incertitude du but où la société européenne est poussée, on est allé demander des enseignements, des augures rassurants ou contraires, des raisons de se hâter ou de craindre, à ce grand peuple qui offre soixante années de prospérité croissante sous une forme politique jusque-là inaccoutumée dans l’histoire. […] Un grand avantage du livre de M. de Tocqueville, et ce qui le distingue complètement des autres écrits publiés jusqu’à ce jour sur les États-Unis, c’est de n’être à aucun degré ni un plaidoyer, ni une insinuation pour ou contre telle ou telle forme de gouvernement ; et pourtant, M. de Tocqueville l’a composé en vue de notre Europe, dans un but élevé d’enseignement, et sous l’impression, comme il l’avoue lui-même, d’une sorte de terreur religieuse que lui inspirait la marche fatale des sociétés. […] On peut le trouver parfois un peu didactique et théorique, et procédant par formes abstraites.

924. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

De cette constitution immuable de notre nature sort la nécessité qui s’impose à l’artiste et à l’écrivain de découper dans le monde immense et divers des formes et des pensées un fragment de médiocre dimension, formant un tout homogène, capable d’être supposé indépendant et isolé du reste, présentant un rapport des parties facilement intelligible à l’esprit, et fournissant une diversité d’impressions facilement réductibles en une émotion dominante. […] L’expérience de tous les pays, de tous les siècles vérifie avec éclat la loi : il apparaît, et que toujours les ouvrages transmis à l’immortalité ont leur unité, et que cette unité est obtenue par mille moyens et susceptible de mille formes. […] Corneille avait bien vu le péril d’un sujet, si dramatique dans le récit de l’historien, mais si rebelle, en effet, à la forme dramatique.

925. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Quelques-uns des médaillons de dix vers qu’il a intitulés : Promenades et intérieurs, sont de petits chefs-d’œuvre, et telle est la puissance de la forme, que cela existe et palpite de vie et resplendit dans la lumière, bien que la matière qu’il a mise en œuvre se réduise au plus bas minimum possible ; mais l’artiste est vraiment le créateur qui tire des êtres du néant. […] On dirait qu’il n’a passé par le groupe parnassien que pour exercer sa forme et la rompre à toutes les difficultés. […] À cette heure, il est seul, avec deux ou trois poètes, à maintenir une haute forme d’art.

926. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

Que l’on considère les idéologies abstraites élaborées par les théoriciens de la politique ou les formes politiques dans lesquelles s’incarne la volonté générale (État, gouvernement) ou encore les forces politiques qui se disputent le pouvoir (c’est-à-dire les partis, comités, etc.), on trouvera que le désir de conformisme civique est au fond de toute entreprise politique. […] De nos jours, il est vrai, l’esprit jacobin renonce à la manière forte, il prend la forme souple et discrète de l’éducationnisme, mais peu importent les moyens qu’il emploie, le but reste le même. […] Après avoir considéré les principes généraux de l’idéologie politique, disons un mot des formes politiques (État, Gouvernement, corps de l’État, dans lesquelles s’incarne la prétendue volonté générale).

927. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

La science doit s’esquisser largement, comme toutes les formes de l’humanité. […] XXI La science est indépendante de toute forme sociale. […] La religion hellénique vaut mieux qu’on ne pense : forme poétique du culte de la nature.

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