L’ennui est la maladie de Chateaubriand, il en vit et il en meurt ; mais cet ennui infini est son caractère et son génie, ôtez-le lui, il n’y a plus qu’un homme heureux ; mais il n’était pas fait pour le bonheur : il eût demandé avec larmes des larmes à Dieu ; oui, il eût pleuré pour obtenir la gloire des douleurs.
Les livres de Mme de Staël, virils par l’ambition des sujets et par les mots, ne sont pas toujours d’une femme par la grâce de l’imagination, le naturel, la finesse, le bonheur des choses trouvées.
La question de la répartition du bonheur n’est donc pas capitale quand il s’agit de produire une culture supérieure.
Sully Prudhomme, dans son noble poème de la Justice, a condensé en un dialogue tragique l’antagonisme de ces deux voix que l’homme moderne entend retentir au fond de sa conscience ; l’une est celle de la science, implacable et sereine, qui renverse sans pitié les vieilles idoles, les croyances chères à l’enfance des peuples, les préjugés enracinés par une longue accoutumance ; l’autre est celle du cœur qui proteste, qui tantôt a peur de ce bouleversement, s’attendrit sur les choses détruites, proclame l’inutilité du savoir humain et conseille au chercheur de s’endormir dans le plaisir et l’insouciance, tantôt se révolte, taxe la science d’impie, l’accable d’invectives passionnées, l’accuse de désenchanter la vie, d’anéantir le bonheur et la vertu.
Quelques lignes seulement, dans lesquelles Wagner dit qu’il a découvert que même dans l’amour entre les sexes « on peut trouver le chemin du salut, c’est-à-dire de la négation de la volonté de vivre. » Il se flatte ainsi de pouvoir expliquer ce qui était pour Schopenhauer un sujet d’étonnement : le fait qu’on voit fréquemment des amants dont le sort rend l’union difficile, se donner ensemble la mort et mettre ainsi une fin au plus grand bonheur imaginable, plutôt que de recourir aux moyens les plus désespérés et que de supporter toutes les misères afin de rester unis le plus longtemps possible. — Dans une note on nous apprend que ce fragment de lettre date de l’époque de Tristan.
Un autre problème, voisin du précédent (et qui n’est pas de moindre importance dans la question du bonheur humain), ce serait de savoir si les douleurs laissent plus de traces et se rappellent plus aisément que les plaisirs.
Et je m’adresse à mes lectrices de tous les pays, réclamant d’elles, en ces heures vides de désœuvrement, où le passé remonte en elles, dans de la tristesse ou du bonheur, de mettre sur du papier un peu de leur pensée en train de se ressouvenir, et cela fait, de le jeter anonymement à l’adresse de mon éditeur.
Il y a joui de l’énorme bonheur de ne différer de ses contemporains et de ses compatriotes que par la forme où il a jeté des idées traditionnellement nationales.
Villemain, cet écolier aux études éclatantes, eut, dans le collège (ce collège qu’il traîna toujours un peu derrière lui dans le monde), le bonheur terrible d’une célébrité prématurée que souvent on paie cher cruellement plus tard… Il fut presque un enfant célèbre, — ce prodige qui est une monstruosité tout le temps qu’il dure, mais qui, quand il n’est plus, ne laisse après lui que d’incompréhensibles médiocrités.
Aujourd’hui les choses ont changé, et c’est par nos compatriotes qu’est poursuivie avec le plus de persévérance et de bonheur l’étude de la psychologie15. » On peut croire que l’illustre philosophe anglais ne cède pas sans raison à un mouvement d’orgueil national, quand on pense aux travaux d’hommes comme Alexandre Bain, Herbert Spencer et Stuart Mill lui-même.
« Elle lui dit qu’elle était contente d’avoir eu le bonheur de porter un enfant comme lui, qui trouvait en son cœur le courage de perdre sa vie pour l’amour du nom du Christ. […] Comment les sentiments ordinaires, les jugements journaliers et naturels sur le bonheur et le plaisir subsisteraient-ils devant une conception pareille ? […] Les gens n’hésitaient pas à se lever avant le jour et à franchir une grande distance pour avoir le bonheur d’entendre la parole de Dieu. — Il n’y avait point de maisons de jeu, ni de maisons de filles.
Il se trouvait par bonheur que ce beau jeune homme avait en effet du génie, qu’il en avait même autant qu’on en puisse avoir. […] Toujours est-il que, Lamartine ayant eu par bonheur « du génie », sa « facilité » est un charme à quoi rien ne ressemble. […] Dès le moment où il a consenti à s’immoler au bonheur de sa sœur, il commençait déjà à être prêtre : en entrant au séminaire, il n’a fait que poursuivre sa marche.
» » Quant aux auteurs de toutes ces belles choses, ils voient et ils voient très bien et très juste ; jugez plutôt : « Couché sur ma fenêtre, il m’est, à regarder ces choses, et les jupes qui passent, et le monde qui va, il m’est un bonheur rond et hébété… » « Mon imagination se fige. […] Ce n’est toujours que le travail morcelé d’un journaliste ; mais ce journaliste, par bonheur, est un écrivain. […] Assurément, Pradeau et Berthellier sont étourdissants de folie dans la scène des Deux Aveugles ; mais croyez bien que l’immense éclat de rire qu’ils provoquent, a sa raison d’être dans les entrailles de la musique qu’ils interprètent avec tant de bonheur.
Les adeptes de la doctrine du progrès se proposent de montrer que le cours naturel des choses amène le progrès des connaissances, et que celui-ci entraîne infailliblement le progrès de la moralité et du bonheur. […] Inversement Rousseau soutenait que le progrès des sciences, poursuivi pour lui-même, diminue le bonheur et corrompt l’humanité, cela encore par une loi de nature. […] Enfin, en sociologie, l’action du milieu ne suffit pas pour expliquer les phénomènes ; il y faut joindre l’homme, avec sa faculté de sympathie pour les autres hommes et ses idées de bonheur, de progrès, de justice et d’harmonie.
Gide découvrira probablement par la suite que ce bohémianisme devient à la longue un peu monotone ; que la variété, comme le bonheur, est en nous ; que ce qui dure est moins décevant après tout que ce qui change et que le premier de ces éléments est nécessaire pour goûter toute la saveur du second : on n’a tout le plaisir du voyage que si au départ on quitte un foyer avec la perspective de le retrouver au retour. […] Lorsque le roi David a commis cet odieux abus de pouvoir d’enlever la femme de son pauvre et dévoué serviteur Urie, il est déçu, non que Bethsabé ne soit merveilleusement belle et délectable, mais ce que le puissant Souverain avait envié, ce n’était pas seulement Bethsabé, c’était tout l’ensemble de ce qui constituait l’humble bonheur d’Urie, c’est-à-dire évidemment la sincérité de l’amour et la simplicité du cœur.
Le stoïcien l’exhorte à ne point chercher le bonheur en des objets qui sont hors de lui-même, et lui récite tout le chapitre d’Épictète : à ceux qui craignent la pauvreté. […] Macaulay l’aime par intérêt, parce qu’elle est la seule garantie des biens, du bonheur et de la vie des particuliers ; il l’aime par orgueil, parce qu’elle est l’honneur de l’homme ; il l’aime par patriotisme, parce qu’elle est un héritage légué par les générations précédentes, parce que, depuis deux cents ans, une succession d’hommes honnêtes et de grands hommes l’ont défendue contre toutes les attaques et sauvée de tous les dangers, parce qu’elle fait la force et la gloire de l’Angleterre, parce qu’en enseignant aux citoyens à vouloir et à juger par eux-mêmes, elle accroît leur dignité et leur intelligence, parce qu’en assurant la paix intérieure et le progrès continu, elle garantit le pays des révolutions sanglantes et de la décadence tranquille.
Toutes riaient, criaient, se démenaient : une charretée de bonheurs de dix ans, et point de peintre pour rendre cela. […] » — Une jeune mariée se trouvant grosse, et disant que ça lui était bien égal d’avoir une fille ou un garçon, sa belle-mère lui jeta cette phrase, qu’on dirait échappée des chaudes entrailles de la maternité : « Vous ne savez pas ce que c’est… que le bonheur de créer un homme !
Regardez-la de face : la figure apaisée n’exprime plus que la confiance de la victoire, la plénitude du bonheur. — La lutte n’a duré qu’un instant ; d’un regard, Vénus sortant des flots a mesuré son empire. […] La haute félicité qu’exprime son visage, ce bonheur inaltérable que puise dans son essence un être parfait, vous consterne et vous humilie. […] Chacun luy dit à son tour que de mémoire d’homme on n’a pas vu prendre la discipline de si bonne grâce : on exagère toutes les actions qu’il a faites, et surtout le bonheur de la dame pour laquelle il a fait cette galanterie.
Et s’en retourna cette pauvre demoiselle en cet état en sa maison, bien doulente et déconfortée ; car c’étaient les principaux personnages où elle eût mis sa confiance. » À l’ordinaire le récit de Commynes est comme un récit intellectuel: négociations petites et grandes, échange de vues, échanges de notes diplomatiques, plans conçus, suivis, déjoués, abandonnés, repris, c’est de quoi, en son fond, il se compose ; l’auteur semble être comme au centre de cinq ou six parties d’échecs qui se jouent aux bouts du monde et qu’il surveille, si en partie il ne les dirige, et dont il prévoit, note et compte les coups ; mais on voit que l’histoire concrète et palpable, celle qui frappe les yeux et qui exige un peintre pour la rendre, ne l’étonne point, et n’est pas sans lui porter bonheur. […] Il était, de l’avis unanime, le plus grand poète de France ; il avait des amis chauds, des disciples ; il était chef d’école ; il avait des ennemis impuissants ; ce sont là de grands éléments de bonheur. […] Un empire à fonder ou à défendre, une patrie à créer ou à sauver, un monde à découvrir, le bonheur ou le malheur moral de l’homme mis en question, un voyage dans le triple au-delà des châtiments, des expiations ou des récompenses d’outre-tombe, ce sont de grands sujets, ce sont de grandes choses, parce que les destinées de l’humanité en dépendent ou s’y rattachent, y sont intéressées. […] Il a accepté avec bonheur l’Antiquité tout entière et en a fait la nourriture de son esprit. […] Le bonheur est choix, la longévité est élection, la vie au lieu du néant est prédestination déjà.
Il y sent une quiétude tiède, l’idée de la terre à laquelle il s’identifie : « J’étais terre, dit-il, et elle était homme. » Il goûte, à se dissoudre en elle, une sorte de bonheur voluptueux qui l’apaise et le fortifie, corporellement et mentalement. […] Il voulut le bonheur, comme pour bien se prouver qu’il n’existait pas et qu’on n’en saisissait jamais que le fantôme éphémère, et la gloire, comme pour s’attester qu’elle n’est rien. […] En tout cas, à en juger par le subterfuge qu’il y employa, le duc de Portland fut certes l’homme le plus digne au monde du bonheur conjugal. […] Qu’y a-t-il donc en elles qui fasse désespérer du bonheur ? […] ce désir secret de paix et de bonheur est la rançon de toute grandeur.
Dans une salle de théâtre, les acteurs ne sont pas les seuls à jouer la pièce ; les spectateurs aussi là jouent pour ainsi dire intérieurement : leurs nerfs vibrent à l’unisson, et lorsque le principal héros épouse à la fin de la pièce quelque amante adorée, on peut dire que toute la salle ressent un peu de son bonheur. […] Le fond même de tout art, c’est l’effort pour créer, c’est la poésie (ποίησις), et si jamais cet effort pouvait entièrement réussir, si l’artiste pouvait être un véritable créateur, c’est la beauté et le bonheur qu’il voudrait toujours et partout réaliser. […] L’aïeul de Darwin consacra une partie de sa vie à écrire de mauvais poèmes ; son petit-fils, né cent ans plus tôt, en eût peut-être fait autant ; par bonheur, Charles Darwin est bien de son siècle : au lieu d’un poème des jardins, il nous a donné l’épopée scientifique de la sélection naturelle. […] Par malheur ou par bonheur, l’invention reste toujours dans l’art la chose essentielle. […] … Par bonheur, l’esthéticien n’a pas à indiquer de procédés pour la construction des mauvais vers.
voilà que je vous gronde, cher Sainte-Beuve, moi qui voulais seulement vous parler du bonheur de…, etc., etc. » L’intimité est constatée, ce me semble : j’étais, en 1835, parfaitement en mesure de risquer une théorie du talent de M. de Vigny autant que d’aucun autre talent contemporain ; s’il y avait embarras pour moi à son égard, c’était par excès de liaison bien plutôt que par insuffisance ; j’avais à ressaisir mon libre jugement, à le ravoir de dessous un monceau de fleurs : là était la difficulté, pas ailleurs ; c’est ce que je tenais avant tout à établir.
Ces deux rivaux d’Horace, héritiers de sa lyre, a dit La Fontaine, parlant de Malherbe et de Racan ; il l’aurait pu dire également de Maynard, à moins qu’on n’aime mieux croire que Maynard a eu cet insigne bonheur de faire une ode et quelques stances plus fortes que son talent.
Nul n’est si touché du bonheur et des vertus de la société future.
Par bonheur, l’un des plus éminents linguistes de notre temps, M.
» C’est à ce bonheur qu’il consentait à réduire sa vie.
Si enfin le sentiment d’obéissance a pour racine l’instinct de subordination et l’idée du devoir, vous apercevrez comme dans les nations germaniques la sécurité et le bonheur du ménage, la solide assiette de la vie domestique, le développement tardif et incomplet de la vie mondaine, la déférence innée pour les dignités établies, la superstition du passé, le maintien des inégalités sociales, le respect naturel et habituel de la loi.
Mais il a eu de plus un bonheur suprême, celui d’être adopté dans les temps les plus reculés pour le barde du temple, en sorte que, par un phénomène unique en lui, la poésie est devenue religion.
Il avait pris par bonheur ses précautions, avant toujours su compter et ménager ; ni le roi ni les princes ne pouvaient faire qu’il ne fût un bourgeois cossu, nanti de bonnes terres et de bonnes rentes, ainsi qu’il le donnait à entendre en chantonnant demi-dépité, demi-marquois : C’est le plus sain que d’être bien renté.
Mais sa prose française est d’un homme qui a vécu avec les anciens : dans ces cadres118 qu’il emprunte encore un peu trop volontiers au goût du moyen âge, dans ces visions pédantesquement allégoriques où ratiocinent interminablement de sèches abstractions, le détail du style, le moule de la phrase viennent de Cicéron et de Suétone : surtout Chartier imite Sénèque, et s’essaie, parfois avec bonheur, à en retrouver la brièveté nerveuse et le trait119.
Et comme ce poète n’exprime ses idées et ses impressions que pour lui, par un vocabulaire et une musique à lui, sans doute, quand ces idées et ces impressions sont compliquées et troubles pour lui-même, elles nous deviennent à nous, incompréhensibles ; mais quand, par bonheur, elles sont simples et unies, il nous ravit par une grâce naturelle à laquelle nous ne sommes plus guère habitués, et la poésie de ce prétendu « déliquescent » ressemble alors beaucoup à la poésie populaire : Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur Ou bien : J’ai peur d’un baiser Comme d’une abeille ; Je souffre et je veille Sans me reposer J’ai peur d’un baiser Finissons sur ces riens, qui sont exquis, et disons : M.
Les personnages supérieurs, chez Sand et Hugo, songent plus au bonheur de l’humanité qu’à leur propre perfectionnement moral.
Donc les jeux du cirque, même à défaut de pain bon marché, sembleraient suffisants au bonheur d’un peuple relativement spirituel.
C’est bien le spectre homérique, dissous dans les ténèbres, épars et flottant dans une forme vaine, hôte dépouillé « d’un lieu sans bonheur ».
La déesse canonise, en quelque sorte, ces démons promus à la sainteté des divinités bienfaisantes ; elle les proclame « Vénérables ; — σεμναὶ θεαί — et elle exhorte son peuple à les honorer : — « Entendez-vous, gardiens d’Athènes, ces souhaits de bonheur ?
Quant à leur importance pour le bonheur de l’espèce humaine, toutes sont certainement équivalentes, lorsqu’on les envisage d’une manière approfondie.
Mais déjà, cette révolution est tentée avec plus ou moins de bonheur sur tous nos théâtres.
Il a pu, par le fait de sa volonté, éteindre le rayon de son opinion politique et le rayon de son talent littéraire, bien autrement difficile à éteindre quand on a le bonheur et la gloire d’être un écrivain, et M.
En fait de livres comme en fait d’existences, le malheur et le bonheur sont si singulièrement répartis que l’homme, qui ne veut avoir la honte d’aucune ignorance, se rejette, pour les expliquer, à quelque chose d’aveugle, de sourd et de muet, qu’il appelle follement une étoile.